Poelvoorde Benoît

Culture, Cinéma

Namur 22/09/1964

En mai 1992, la 31e édition de la Semaine de la Critique du festival de Cannes est secouée par un film improbable : C’est arrivé près de chez vous devient en quelques jours un phénomène de société, les salles cannoises sont prises d’assaut et Benoît Poelvoorde ne ménage pas ses efforts pour assurer une promotion exceptionnelle à ce film, en noir et blanc, co-écrit, coproduit et réalisé par Rémy Belvaux. Au Prix du Jury-jeunes, de la Semaine de la critique et de la Critique internationale 1992 à Cannes, s’ajouteront le Prix André-Cavens 1992, un prix à Toronto et celui du meilleur acteur au festival international de Catalogne 1992. Ce qui n’était qu’une facétie de potaches se transforme en un succès planétaire et devient un véritable film culte, interpellant les médias sur leurs responsabilités, voire leur complicité, quand ils s’échinent à rechercher le buzz à tout prix.

Jusqu’alors, Benoît Poelvoorde avait endossé le rôle d’acteur pour satisfaire à la demande de ses copains, Rémy Belvaux et le français André Bonzel, tous deux étudiants à l’INSAS. Les Namurois s’étaient rencontrés à la fin de leurs humanités, croisant aussi la route de la famille de Vincent Tavier (autre complice namurois et coproducteur de C’est arrivé…). élevé dès l’école primaire auprès des pères Jésuites, Benoît Poelvoorde fréquente en internat le Collège Saint-Paul à Godinne, avant de découvrir, avec son frère aîné, un internat de La Roche-en-Ardennes pour étudiants turbulents ; ne parvenant décidément pas à réussir sa 3e année du secondaire, il est accueilli par son oncle à Bruxelles, où il est inscrit à l’Institut Saint-Marie (1980). Il suit ensuite les cours de l’Institut Félicien Rops de Namur (1981), où il croise la route de Rémy Belvaux, puis rencontre son frère Bruno quand il se prend de passion pour le théâtre. C’est cependant à l’École de recherche graphique, à Bruxelles, que Poelvoorde poursuite sa formation, optant pour la publicité et l’illustration, au milieu des années 1980, tout en acceptant, par amitié, d’intégrer le casting de 475° Fahrenheit (1986), de L’Amant de maman (1987), de Pas de C4 pour Daniel Daniel (1988), autant de courts-métrages de ses amis namurois. Employé dans un service de la province de Namur, Benoît Poelvoorde est occupé à illustrer une exposition pédagogique afin de sensibiliser les jeunes enfants à l’environnement (émois au milieu), quand il tourne C’est arrivé près de chez vous (1992), premier long métrage qui change son existence.

Après dix-huit mois de promotion du film à travers le monde, c’est sur une scène de théâtre que le public découvre Benoît Poelvoorde, comédien, dans un one-man-show de plus d’une heure et demi, écrit spécialement pour lui par Bruno Belvaux. Faisant rapidement oublier le rôle de tueur qui l’avait rendu célèbre au cinéma, le comédien en herbe campe un scientifique et inventeur formidable, René Altrus, rendu jaloux et frustré par le succès de sa femme, « simple » chanteuse de variétés. Dans une mise en scène de Bruno Belvaux et Jean Lambert, Modèle déposé tient l’affiche à Louvain-la-Neuve, Martinrou dans les premiers mois de 1994, avant que le scénario initial n’évolue (la seconde partie du spectacle), et soit à nouveau à l’affiche dès la rentrée d’octobre 1994 : Benoît Poelvoorde fait alors la tournée complète de tous les Centres culturels de Wallonie (Namur, Andenne, La Louvière, Tournai, Arlon, Dinant, Rochefort, Fleurus, Spa, Welkenraedt…) jusqu’en 1996, passant aussi par Bruxelles (1994) et Paris (1995). 

Fidèle en amitié, Benoît Poelvoorde tourne avec Rémy Belvaux, dans un court métrage de Pascal Hologne, Comme une vache sans clarine (1996), mais avec le même Belvaux, il essaye surtout de monter un nouveau projet de film, une suite de C’est arrivé près de chez vous, qui s’inscrirait dans le genre Pieds Nickelés déchaînés, mais sans parvenir à trouver de financement. Pour le petit écran, Poelvoorde tourne aussi une série de sketches humoristiques (Jamais, au grand jamais) co-écrits avec Pascal Lebrun. Cette série lui ouvre les portes de Canal +, où il apparaît sous les traits d’un conférencier vaniteux, dans une série de capsules à l’humour absurde, Les Carnets de Monsieur Manatane (1997). À la même époque, il tourne Le Signaleur du Namurois Benoît Mariage, ainsi que Pour rire (1997) le 2e long métrage de Lucas Belvaux, le frère de Rémy et Bruno. En 1998, il fait partie du jury du Festival de la bande dessinée d’Angoulême. Alors qu’il prête sa voix aux créations animées de Stéphane Aubier et Vincent Patar, autres copains rencontrés durant ses études, (Les Baltus au cirque et par la suite la « franchise » Panique au village), Poelvoorde assure le succès des Convoyeurs attendent de Benoît Mariage, dans le rôle d’un photographe lié à un quotidien wallon qui entraîne son fils à réaliser un exploit à inscrire dans le Livre Guinness des Records (prix du meilleur acteur au festival de Chicago et Prix Joseph Plateau 1999) ; il sera encore à l’affiche de Cowboy (2007) et des Rayures du zèbre (2014) du même réalisateur wallon, avec des thématiques sociales. Avec Pascal Lebrun et le réalisateur Christian Merret-Palmair, ses complices de Monsieur Manatane, il co-écrit Les Portes de la gloire (2000), à l’humour grinçant, où il incarne un loser magnifique. En 2004, avec Bruno Belvaux, par ailleurs directeur du Domaine provincial de Chevetogne, et le Pascal Lebrun graphiste, Poelvoorde participe à la création d’une ferme pédagogique à l’échelle des plus petits au sein du domaine namurois.

Repéré au théâtre par Philippe Harel, quand il jouait Modèle déposé à Paris, Poelvoorde partage l’affiche des populaires Les Randonneurs (1997) et Le Vélo de Ghislain Lambert (2001), en diversifiant sa palette « d’amuseur public », avant de multiplier les succès dans des genres qui commencent à se diversifier, et surtout dans de plus grosses productions. Après son tandem avec Gérard Lanvin dans Le Boulet (2002), il toise Claude François (Podium, 2004), Johnny Halliday (Jean-Philippe, 2006), voire Jean-Claude Van Damme (Narco, 2004), dans des films réalisés par Thomas Langmann, Yann Moix et Laurent Tuel, tout en étant invité par Anne Fontaine à s’engager dans le registre dramatique (Entre ses mains, 2005). Dans la catégorie « meilleur acteur », celui qui avait reçu le Prix Jean Gabin 2002 est nommé aux César 2005 et 2006 pour Podium et Entre ses mains. Le succès considérable de Podium ouvre aussi de nouvelles portes à Poelvoorde qui est membre du Jury du Festival de Cannes, présidé, cette année-là, par Quentin Tarantino (2004).

À l’affiche de plus de 80 films depuis 1992, Benoît Poelvoorde entretient un rapport particulier avec le cinéma. N’hésitant pas à en critiquer les travers, il choisit souvent de travailler, par coups de cœur, séduit par une histoire, ou par la perspective de retrouver certains amis acteurs ou actrices, mais surtout en fonction de certains réalisateurs ; il reste ainsi fidèle au tandem Kervern-Delépine (6 films), à Philippe Harel, Gilles Lellouche et édouard Baer (3), ainsi qu’à Anne Fontaine (4) ; il n’hésite pas à privilégier des compatriotes, de Jan Bucquoy (La Vie politique des Belges) à Jaco Van Dormael (Le nouveau Testament), en passant par Frédéric Sojcher (Cinéastes à tout prix), Fabrice du Welz (Adoration et Inexorable) et Stefan Liberski (L’Art d’être heureux), sans oublier les déjà cités Benoît Mariage et les frères Belvaux. Acteur « inclassable » (Dayez), il goûte à tous les cinémas, grand public, d’auteur voire fantastique ou absurde, drame ou thriller, comique ou romantique, que ces films soient à grand ou petit budget. À l’affiche des grosses machines que sont Astérix aux Jeux Olympiques (en Brutus aux côtés d’Alain Delon en Jules César) et Rien à déclarer (en douanier belge allergique aux Français où il porte l’extrémisme crétin à son paroxysme), il se prête aussi à des expériences plus périlleuses (Les Deux mondes), devenant Dieu en personne dans Le Nouveau Testament de Jacob Van Dormael, un ancien acteur du show-biz (La Guerre des miss de Patrice Leconte), romancier (Auguste Maquet, le nègre littéraire dans L’Autre Dumas), justicier (Comment je suis devenu super-héros), réparateur de vélo complexé (Raoul Taburin), voire un aristocrate mécène de la jeune Coco Chanel.

En 2011 (Coco avant Chanel) et en 2022 (Adoration), Benoît Poelvoorde est à nouveau nommé aux César comme aux Magritte, comme meilleur acteur dans un second rôle, cette fois. Lors des Magritte du cinéma, il est aussi plusieurs fois nominé « meilleur acteur » : en 2012, il incarne le patron d’une fabrique de chocolat au bord de la faillite qui s’émoustille d’Isabelle Carré (émotifs anonymes) ; en 2013, il est « le plus vieux punk à chien d’Europe » (Le Grand Soir) ; en 2015, il joue un recruteur de football inspiré par Raymond Goethals (Les Rayures du Zèbre) ; en 2019, il est le Commissaire Buron (Au poste !) ; en 2020, il est un marchand de piscines en maillot (Le Grand bain) ; sa seule statuette, aux Magritte, il la reçoit en 2014 pour son rôle de photographe désabusé dans le drame de Fabienne Godet (Une place sur terre). En 2023, il incarne un père, baba cool sur le retour, dans normale, une comédie dramatique au ton juste d’Olivier Babinet, qui remporte plusieurs prix en Italie, Suède, Tchéquie et au Québec.

Prenant régulièrement du recul avec le métier qu’il exerce, abandonnant progressivement l’idée d’écrire et de réaliser son propre film, il cherche à accomplir un projet plus personnel. L’occasion lui en est donnée dans sa ville natale depuis 2013. Soutenu par Patrick Colpé alors directeur du Théâtre de Namur, et répondant à un défi de Chloé Colpé, Benoît Poelvoorde se lance, en effet, dans la création d’un festival qui croise la littérature avec d’autres formes d’art, à deux pas de chez lui, au cœur de la capitale wallonne. Directeur artistique et promoteur des premières éditions de l’intime festival (la première édition se tient en août 2013), il parvient, avec une équipe namuroise dynamique et son carnet d’adresses, à inscrire cet ambitieux projet culturel dans la durée (12e chapitre en 2024), avec des rendez-vous annuels attendus (Grandes Lectures, Entretiens, Expo, etc.), faisant de Namur un lieu de lectures, de rencontres, d’écrivains, de musiques, de danses, de films et de photos, où se côtoient des noms connus (Laurent Gaudé, Tom Lanoye, Annie Ernaux, Bruce Machart, etc.), toujours dans l’esprit souhaité par le tandem Poelvoorde-Colpé : « un livre, c’est le partage de l’intime ». Laissant les clés de l’organisation à l’équipe dès 2015, Benoît Poelvoorde continue de veiller sur « son » festival, en spectateur curieux et comblé.

 

Cinéma

C’est arrivé près de chez vousde Rémy Belvaux et André Bonzel (1992)
Comme une vache sans clarine, de Pascal Hologne (1996)
Pour rire, de Lucas Belvaux (1997)
Les Randonneurs, de Philippe Harel ( 1997) 
Les Baltus au cirque, de Stéphane Aubier et Vincent Patar (voix) (1998) 
Les convoyeurs attendent, de Benoît Mariage (1999)
Les Portes de la gloire, de Christian Merret-Palmair ( 2000) 
Le Vélo de Ghislain Lambert, de Philippe Harel ( 2001) 
Le Boulet , d’Alain Berberian ( 2002) 
La Vie politique des Belges, de Jan Bucquoy ( 2002) 
Rire et Châtiment, d’Isabelle Doval ( 2003) 
Podium, de Yann Moix ( 2004) 
Atomik Circus, le retour de James Bataille, de Didier Poiraud et Thierry Poiraud ( 2004) 
Narco, de Tristan Aurouet et Gilles Lellouche ( 2004) 
Aaltra, de Benoît Delépine et Gustave Kervern ( 2004) 
Cinéastes à tout prix, de Frédéric Sojcher ( 2004) 
Akoibon, d’Édouard Baer ( 2005) 
Entre ses mains, d’Anne Fontaine ( 2005) 
Jean-Philippe, de Laurent Tuel ( 2006) 
Du jour au lendemain, de Philippe Le Guay ( 2006) 
Selon Charlie, de Nicole Garcia ( 2006) 
Cowboy, de Benoît Mariage ( 2007) 
Les Deux Mondes, de Daniel Cohen ( 2007) 
Astérix aux Jeux olympiques, de Thomas Langmann et Frédéric Forestier ( 2008) 
Les Randonneurs à Saint-Tropez, de Philippe Harel ( 2008) 
Louise-Michel, de Gustave Kervern et Benoît Delépine ( 2008) 
La Guerre des miss, de Patrice Leconte ( 2009) 
Panique au village, de Stéphane Aubier et Vincent Patar ( 2009) 
Coco avant Chanel, de Anne Fontaine ( 2009) 
Bancs publics (Versailles Rive-Droite), de Bruno Podalydès ( 2009) 
L’Autre Dumas, de Safy Nebbou ( 2010) 
Mammuth, de Benoît Delépine et Gustave Kervern ( 2010) 
Les Émotifs anonymes, de Jean-Pierre Améris ( 2010) 
Kill Me Please, de Olias Barco ( 2010) 
Rien à déclarer, de Dany Boon ( 2011) 
Mon pire cauchemar, de Anne Fontaine ( 2011) 
Le Grand Soir, de Gustave Kervern et Benoît Delépine ( 2012) 
Quand je serai petit, de Jean-Paul Rouve ( 2012) 
Une histoire d’amour, d’Hélène Fillières ( 2013) 
Le Grand Méchant Loup, de Nicolas & Bruno ( 2013) 
Une place sur la Terre, de Fabienne Godet ( 2013) 
Les Rayures du zèbre, de Benoît Mariage ( 2014) 
Trois cœurs, de Benoît Jacquot ( 2014) 
La Rançon de la gloire, de Xavier Beauvois ( 2014) 
Une famille à louer, de Jean-Pierre Améris ( 2015) 
Le Tout Nouveau Testament, de Jaco Van Dormael ( 2015) 
Saint-Amour, de Gustave Kervern et Benoît Delépine ( 2016) 
Ils sont partout, d’Yvan Attal ( 2016) 
7 jours pas plus, d’Héctor Cabello Reyes ( 2017) 
Le Grand Bain, de Gilles Lellouche ( 2018) 
Au poste !, de Quentin Dupieux ( 2018) 
Deux fils, de Félix Moati ( 2019) 
Blanche comme neige, d’Anne Fontaine ( 2019) 
Raoul Taburin, de Pierre Godeau ( 2019) 
Venise n’est pas en Italie, d’Ivan Calbérac ( 2019) 
Adoration, de Fabrice Du Welz ( 2019) 
Effacer l’historique, de Benoît Delépine et Gustave Kervern ( 2020) 
Comment je suis devenu super-héros, de Douglas Attal ( 2020) 
Profession du père, de Jean-Pierre Améris ( 2020) 
Mystère à Saint-Tropez, de Nicolas Benamou ( 2021) 
Inexorable, de Fabrice Du Welz ( 2021) 
Adieu Paris, d’Édouard Baer ( 2021) 
Fumer fait tousser, de Quentin Dupieux ( 2022) 
Les Volets verts, de Jean Becker ( 2022) 
Couleurs de l’incendie, de Clovis Cornillac ( 2022) 
Normale, d’Olivier Babinet ( 2023) 
Sur la branche, de Marie Garel-Weiss ( 2023) 
Sous le vent des Marquises, de Pierre Godeau ( 2024) 
L’Amour ouf, de Gilles Lellouche ( 2024) 
L’Art d’être heureux, de Stefan Liberski ( 2024) 
Un ours dans le Jura, de Franck Dubosc ( 2024) 
La Bonne étoile, de Pascal Elbé (2025) 

 

Sources

Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 23 avril 2004, 20 novembre 2007, 23 janvier 2013, 19 et 20 juin 2013, 2 septembre 2013, 25 août 2023
Hugues Dayez, Poelvoorde l’inclassable. Entretiens (1992-2015), Waterloo, Renaissance du Livre, 2015