Regnier Michel

Culture, Bande dessinée

Ixelles 05/05/1931, Neuilly 29/10/1999

C’est entre Herstal et Liège que Michel Regnier passe toute sa jeunesse et les premières années de sa vie professionnelle. Très marqué par les journées de la Libération et par la présence des soldats américains dans la Cité Ardente, le jeune étudiant de l’Athénée de Herstal ne reste pas sans réaction quand un de ses professeurs expriment des idées communistes lors d’un discours du 11 novembre. L’affaire fit grand bruit, car les critiques du jeune homme et de ses amis lui valent d’être expulsé de l’Athénée ; la réaction des parents fait l’objet d’interpellations à la Chambre, et finalement le professeur est révoqué et le préfet déplacé en province de Luxembourg... Quant au jeune Regnier, il termine ses humanités à l’Athénée de Liège, avant de se faire un nom, sous le pseudonyme de Greg, dans le monde de la bande dessinée, essentiellement comme scénariste.

À seize ans déjà, il dessine les mésaventures humoristiques de Nestor et Boniface (sans lien avec ses propres aléas scolaires) qui paraissent dans les pages de Vers l’Avenir. Remarqué par Franquin qui le prend sous son aile au début des années 1950, Michel Regnier tente de créer son propre journal, Paddy, qui ne connaît que quelques numéros en 1954/5. Glissant des planches à Héroïc Album et chez Spirou, il fournit surtout des dizaines de scénarios à Franquin pour la série Modeste et Pompon et signe Michel Denys aux éditions du Lombard « Les aventures du chat », un faux Batman : l’influence américaine reste présente ; d’ailleurs, le pseudonyme qu’il se construit alors veut sonner « américain ». En 1958, il travaille avec Hergé sur deux projets destinés à relancer les aventures du célèbre reporter, mais le père de Tintin ne retient pas les scénarios. Après avoir donné une nouvelle vie aux Zig et Puce créés par Alain Saint-Ogan (au début des années ’60), sans grand succès, Greg fait naître sous son crayon, en 1963, le personnage d’Achille Talon. Cette série où les phylactères deviennent plus gros que le dessin paraît dans les pages du journal Pilote, paradoxalement dans un autre magazine que le sien. Le succès de Greg ne va plus se démentir.

Les spécialistes de la BD attribuent à Greg le mérite d’avoir sauvé le journal Tintin du naufrage et de lui avoir fait vivre une période particulièrement faste entre 1965 et 1974. D’emblée, il donne à l’hebdomadaire une ligne éditoriale plus moderne, tournée davantage vers les adolescents, s’intéressant aux héroïnes et plus seulement aux héros, nourrissant le rêve d’en faire le lieu de rendez-vous de la BD mondiale. Donnant leur chance à de jeunes talents (Hermann, Dany, Dupa, De Groot), il atteint son but puisqu’il attire de glorieuses signatures internationales (Gordon Bess, Will Eisner, Gimenez, Mora, Derib, Hugo Pratt, etc.). Le tirage du magazine avoisine les 150.000 exemplaires. De surcroît, l’imagination de Greg le conduit à scénariser des séries où les héros sont aussi divers que Chick Bill, Clifton, Bruno Brazil, Colby, Bernard Prince, Olivier Rameau, Comanche, les As, Johnny Congo et Rock Derby, dans le genre du western, de l’humour, de l’espionnage ou de la science-fiction. Il écrit aussi des scénarios pour Paul Cuvelier (Liné), William Vance, Eddy Paape (Luc Orient). Et on le retrouve aussi dans l'adaptation à l’écran sous forme de dessins animés de long métrage des aventures de Tintin : Le Temple du Soleil et Le lac aux requins. En 1974, le rédacteur en chef quitte Tintin pour les États-Unis, où il devient le responsable du bureau américain des éditions Dargaud, et où il vit son rêve américain.

Ce départ marque la fin de certaines séries de Greg et le début du déclin du journal Tintin. Quand il revient en Europe dans les années ’80, le monde de la BD a beaucoup changé. Romancier, il publie plusieurs romans dans la collection Fleuve Noir. Officier des Arts et Lettres (janvier 1999), installé à Paris après avoir vécu à Etterbeek, il était resté fidèle à Herstal où il revenait régulièrement ; en 2002, l’enfant du pays fut honoré par la ville d’Herstal qui apposa une plaque commémorative sur la maison où il vécut plusieurs années (10 rue Émile Tilman).

Sources

Hugues DAYEZ, Le duel « Tintin » - « Spirou », Luc Pire éditions, 2001