Simonis Jean François Dieudonné

Socio-économique, Entreprise

dit Ywan (ou Yvan)

Verviers 06/01/1769, Verviers 13/01/1829


Originaires de la région de Polleur où leur présence est attestée dès le XVe siècle, les Simonis sont une famille importante de la région verviétoise. Installés comme marchands sur la place du Marché, à Verviers, à la fin du XVIe siècle, ils sont actifs dans le secteur textile à partir de 1680 et ils fournissent plusieurs bourgmestres à la « Bonne ville » de la principauté de Liège au XVIIIe siècle. Par les liens du mariage, les Simonis se sont aussi unis à d’autres familles bourgeoises, notamment actives dans le travail et le commerce de la laine. C’est notamment le cas de Jacques Joseph Simonis (1717-1789), également seigneur de Barbençon et de Senzeille : il est bourgmestre de Verviers à trois reprises, en 1760-1761, 1765-1766 et 1770-1771. De son mariage en 1745 avec Marie-Agnès-Dieudonnée de Franquinet (1726-1799) sont nés une dizaine d’enfants, parmi lesquels Marie-Anne (la sixième) et Jean-François Dieudonné, le cadet de la famille, dit Iwan Simonis qui est considéré, sous le régime français, comme l’homme le plus riche du pays wallon.

Pourtant, lorsqu’il fête ses 20 ans, le jeune Simonis perd son père et, tandis que sa mère reprend la direction de la manufacture familiale, éclatent les troubles révolutionnaires (été 1789). Les Simonis ne sont guère favorables à ces changements brutaux. Bourgmestre de 1784 à 1786 et frère d’Iwan, Henri-Guillaume Simonis est un adversaire de J-J. Fyon par exemple, et en 1792, sous le règne du dernier prince-évêque et alors que les armées de Dumouriez sont aux portes de la principauté, le même Henri-Guillaume accepte de reprendre du service : désigné en octobre, il est écarté en novembre… Pour cette famille d’industriels, les affaires sont plus difficiles et s’aggravent surtout durant l’hiver 1794-1795. Comme de nombreux ouvriers, plusieurs familles bourgeoises ont fui devant l’arrivée des armées françaises et ont trouvé refuge du côté de Brunswick et de Hambourg ; c’est d’ailleurs là que J-F. Simonis épouse, en novembre 1795, Marie-Agnès de Grand Ry, sa nièce, issue d’une autre fratrie active dans le commerce et l’industrie, et impliquée également dans la vie « politique » de la cité sous l’Ancien Régime.

L’exil forcé dans le nord de l’Allemagne permet au jeune Simonis de découvrir les techniques utilisées dans la fabrication du textile et de tisser des relations durables. Rentrés à Verviers alors devenue cité de la République française, les Simonis reprennent leurs activités en intégrant certaines de ces techniques, tout en cherchant des débouchés nouveaux et d’autres innovations. Comme délégué dans le nord de l’Allemagne, la Maison Simonis s’est attaché les services d’un jeune Amstellodamois : Henri Mali (1774-1850). C’est lui qui, en 1798, croise la route d’un mécanicien anglais dont les idées nouvelles n’ont pas réussi à trouver preneur auprès des Russes, des Suédois et des Allemands. Mali invite William Cockerill à se rendre sur les bords de la Vesdre. 

En 1799, à bout de ressources, l’Anglais se décide ; ses frais sont pris en charge par la société d’Iwan Simonis qui installe le mécanicien dans une dépendance de ses ateliers, vraisemblablement dans une ancienne foulerie qui deviendra bientôt l’imposant bâtiment industriel surnommé « au Chat ». Le génial Anglais apporte à Verviers des techniques révolutionnaires qui vont donner aux usines Simonis et Biolley des longueurs d’avance par rapport à la concurrence. Dès le 29 décembre 1800 la filature Simonis dispose d’un moulin activé par trois personnes qui produisent 400 écheveaux par jour, ce qui remplace le travail de 100 personnes !

Engagé avec un contrat d’exclusivité, W. Cockerill construit des machines à carder et à filer la laine qui propulsent l’industrie lainière verviétoise au premier rang mondial. « Le temps du rouet avait vécu, c’était le début de la mécanisation de l’industrie lainière ».

En faisant appel à James Hodson et à ses fils, William Cockerill trouvera un moyen de se défaire de son contrat avec les Simonis et Biolley ; dès lors, tous les concurrents peuvent acquérir la technologie mise au point grâce à l’investissement d’Iwan Simonis. En 1810, avec une petite centaine de fabricants et plus de 20.000 travailleurs occupés, Verviers a réalisé sa révolution industrielle en une période très courte et est devenue le centre mondial des fibres cardées. Les fournitures textiles aux armées assurent la prospérité qu’un vaste marché continental favorise.

En recrutant d’autres mécaniciens, parfois anglais, et en s’entourant d’ingénieurs et directeurs verviétois de première qualité, Iwan Simonis réussit à conserver un leadership dans l’industrie. C’est un événement familial qui viendra affaiblir la « Maison Simonis ». En 1822, François-Xavier (1762-1825), frère d’Iwan, décide de retirer ses capitaux de l’affaire familiale et provoque une difficile répartition des avoirs entre les dix héritiers du père Jacques Joseph Simonis. Pour la société Simonis, ce sont deux tiers du capital qui sont ainsi soustraits. Les enfants et petits-enfants d’Iwan Simonis redresseront la barre, assurant la pérennité à l’entreprise familiale. Plus de deux cents ans après la collaboration Simonis-Cockerill, une Société Iwan Simonis existe toujours ; elle a acquis une réputation internationale indiscutable dans la confection du drap de billard.

Comme ses ancêtres, Iwan Simonis a aussi exercé des responsabilités publiques. Nommé conseiller municipal en octobre 1800, il fait partie de la délégation verviétoise qui vient saluer Napoléon lors de son passage à Liège en 1803. Conseiller général du département de l’Ourthe et membre des États-généraux, il siège à la Commission d’Arrondissement qui remplace la préfecture de Malmédy au moment du départ des Français (30 mars 1814). En 1815, il est membre du Conseil municipal, et adjoint au maire et, le 31 décembre 1817, c’est le roi des Pays-Bas, Guillaume d’Orange, qui le désigne comme membre du Conseil de Verviers, puis comme représentant de Verviers aux États généraux de Liège. Entre 1820 à 1827, il est l’un des trois bourgmestres de Verviers, et exerce comme échevin de 1824 à 1827. Depuis 1817, il est encore appelé par ses pairs à siéger au sein de la Chambre de Commerce de Verviers : de 1817 à 1826, il préside d’ailleurs ce collège de notables, au rôle essentiel entre le monde politique et le monde économique.

 

Sources

Paul LÉON, dans Biographie nationale, t. XLIII, col. 651-660
Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 145-146
Pierre LEBRUN, L’industrie de la laine à Verviers pendant le XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, Liège, 1948, p. 234-241
Paul HARSIN, La Révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1954, coll. Notre Passé, p. 98
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 328
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 366, 375
Portraits verviétois (Série L-Z), dans Archives verviétoises, t. III, Verviers, 1946
Liste des bourgmestres de Verviers de 1650 à nos jours, selon Detrooz, complétée jusqu’en 2001 (s.v. juillet 2013)
Yvan SIMONIS, Transmettre un bien industriel familial pendant six générations (1750-1940). Une étude de cas en Belgique. Premiers résultats, dans Les Cahiers du Droit, 1992, vol. 33, n°3, p. 735-737