Aniceto Exposito Lopez, Babis Kandilaptis, Nicolas Kozakis et Eugène Savitzkaya, La Louve. 2012
La Louvière, place Mansart. Espace public
Ayant largement souffert de la désindustrialisation de la région du Centre, la Ville de la Louvière entame au début des années 2000 un long processus de rénovation urbaine, qui inclut notamment une refonte complète de la place Mansart par le bureau Plan 7. Situé dans le prolongement de la rue commerçante principale, cet espace piétonnier est entouré de cafés et de restaurants et accueille entre autres le Centre Culturel Régional, la Maison du Tourisme et la Maison des Associations. En soirée, elle est un point de ralliement, plus particulièrement en été et pendant le Carnaval. Le remaniement de 2012 renforce son identité grâce à un nouveau revêtement et de nouvelles infrastructures, mais aussi grâce à l'intégration d’une œuvre d’art, fruit d'un concours lancé par la Ville avec l'aide de la Commission des Arts de Wallonie.
C’est le projet de Nicolas Kozakis qui est retenu et développé en collaboration avec d’autres artistes avec lesquels il entretient des affinités électives : Aniceto Exposito Lopez, Babis Kandilaptis et Eugène Savitzkaya. Partageant une pratique artistique qui interroge les rapports entre l’image et le mot, ils sont en outre tous actifs dans la région liégeoise et issus de l’immigration de la deuxième moitié du XXe siècle. En 2001, le plasticien Kozakis et le poète Savitzkaya avaient d’ailleurs déjà travaillé avec la Commission des Arts lors d’une intégration pour l’espace Wallonie-Bruxelles dans la capitale belge.
S'imprégnant de l'histoire du lieu, les interventions de La Louvière se distinguent par leur sobriété formelle et leur puissance symbolique. Elles se déclinent en trois inscriptions et une série d'étoiles, qui ponctuent l’espace et tissent du lien visuel et du sens à destination des habitants et des visiteurs.
Rue Sylvain Guyaux, à l’entrée de la place, une dalle en pierre bleue accueille le texte suivant : « Réjouis-toi passant, passante, enfant de la Louve, ici le feu bien faisant détruit tes maux et tes misères ». Proche de la forme d'un haïku, ce message optimiste évoque le renouveau printanier propre à la symbolique du carnaval omniprésent dans la cité hennuyère. C’est d’ailleurs place Mansart qu’a lieu chaque année le « brûlage des bosses » qui clôture les festivités. Une autre allusion à cette tradition remontant au milieu du XIXe siècle est également perceptible dans les 5 étoiles empruntées au costume des gilles. Disposées en quinconce à proximité des bâtiments de la place, elles sont tracées avec du laiton et incrustées dans des médaillons circulaires en pierre bleue, matériau caractéristique de la région. Alors que la première proposition du projet comprenait des allusions littérales au folklore, la version finale de cette intégration veille à rendre un caractère plus universel au message, à ouvrir les possibilités d'interprétation, quitte à ce que les passants y voient régulièrement une référence aux stars hollywoodiennes...
Du côté de la rue des Amours, on découvre un cercle en acier Corten dont émergent des lettres en inox, et dont la forme peut évoquer un tampon encreur et les techniques présentées à proximité, au Centre de la Gravure et de l'Image Imprimée. Deux phrases disposées en spirale sont inspirées par des citations du syndicaliste André Renard (1911-1962) et du poète surréaliste Achille Chavée (1906-1969), deux figures majeures de la lutte ouvrière en Wallonie. A la périphérie, on peut lire « Camarades, sous cette plaque d’acier, sous cette place à l’emplacement de l’ancienne forêt charbonnière, la terre ne dort pas, jamais ne se repose » et au centre, « D’innombrables amours l’entraînent dans la ronde du soleil ». A nouveau, se mêlent allusions aux forces vitales et références géologiques et historiques.
Toujours intégrée au dallage de la place, la dernière partie de cette œuvre collective énumère dans la pierre bleue près d'une centaine de noms de localités, d'où sont originaires les étrangers inscrits dans la commune de La Louvière entre 1944 et 1967. En se concentrant sur cette période qui correspond à une très vaste vague d'immigration, en lien avec le dynamisme économique de la région du Centre, cette liste met en évidence la diversité culturelle qui constitue le terreau de la vie sociale sur cette place publique. S'il s'agit d'un fait indiscutable, cette archive ne donne qu'une bribe d'information, invitant, comme les autres éléments de La Louve, à compléter la réflexion sur l'agora.
Julie Hanique