G. Focant - SPW
Cimetière de Robertmont à Bressoux
Dès 1200, l’emplacement est occupé par des religieuses. Le 25 décembre 1792, les Français ordonnent aux religieuses de quitter leur établissement afin d’y installer les troupes républicaines. À l’approche des armées impériales au début de l’année 1793, les Français abandonnent les lieux. Le site est ensuite pillé par les habitants du coin. Les combats entre Français et Autrichiens en juillet 1794 finissent de ravager l’ancienne abbaye. Dans les locaux encore quelque peu salubres, les Français parquent ensuite des bestiaux destinés aux troupes, qui prennent possession des lieux au cours de l’hiver 1795.
Les religieuses reviennent quelques mois dans leur monastère mais leur communauté est supprimée en 1796 et le couvent déclaré bien national. Le site de l’abbaye est vendu en 1797. La ville de Liège achète le jardin dans le but de l’utiliser comme cimetière : le lieu est bien localisé et met la ville à l’abri des maladies. Liège devance ainsi le décret impérial de 1804 en décidant de transférer les sépultures extra-muros. De nombreuses fois agrandi depuis, le cimetière de Robermont s’étend sur un vaste espace entièrement ceint par un mur.
Dès le 27 janvier 1810, la municipalité doit arrêter un premier agrandissement du cimetière qui, aujourd’hui encore, est le plus grand cimetière communal. On y trouve de très belles sépultures dans un vaste parc arboré que l’on considère souvent, à raison, comme le « Père-Lachaise liégeois ».
Un porche monumental couvert, limité par deux pavillons construits en 1839-1840 mais disparus depuis donne accès à l’aire funéraire. Celle-ci s’articule en une série d’allées principales qui convergent vers l’ancienne morgue construite en 1824 et réaffectée en chapelle puis en entrepôt. De ce bâtiment partent à l’origine une série d’arcs de cercle le long desquels sont disposés les premiers monuments funéraires. De nombreux agrandissements aux XIXe et XXe siècles mèneront à une modification des aménagements pour privilégier une disposition en parcelles rectangulaires.
Robermont a accueilli entre autres les sépultures des donateurs et bienfaiteurs des hospices de Liège, celles des soldats de diverses nationalités morts lors des conflits de la fin du XIXe siècle et du XXe siècles ou de nombreuses personnalités politiques, artistiques et scientifiques liégeoises.
L’ensemble témoigne d’une conception esthétique indéniable, offre un grand intérêt architectural au travers de monuments de styles divers (néogothique, néoclassique, éclectique, Art nouveau ou Art déco) ou paysager au travers des nombreux spécimens d’arbres remarquables présents sur le site.
Parmi les personnalités inhumées à Robermont, on retrouve des révolutionnaires et des soldats d’Empire.
Englebert Botty
C’est au grenadier de la garde impériale, sorte d’armée dans l’armée composée des meilleurs éléments et qui avait le pas sur le reste de l’armée. Sa tombe, plus que modeste, comporte une petite plaque sur laquelle est gravée cette inscription laconique « Grenadier de la Garde impériale de la période 1792-1815 ».
Louis Brixhe
Né à Spa en 1787, fils d’un révolutionnaire qui fut membre des Cinq-Cents, il entre à l’école militaire de Fontainebleau le 8 juin 1806. Il participe aux campagnes de Pologne dès 1806 et 1807. Devenu sous-lieutenant au 13e dragons, il sert en Espagne en 1809 et au Portugal en 1810. Il est promu lieutenant le 1er avril 1811 et fait chevalier de la Légion d’honneur par décret impérial du 28 juin 1813. Capitaine la même année, il participe à la campagne de Saxe puis à la campagne de France en 1814. Il quitte le service de la France après la chute de l’Empire. En octobre 1830, il est membre de la commission de guerre de la jeune Belgique et devient le premier colonel de la gendarmerie belge. Pensionné en 1835, il meurt à Liège le 4 décembre 1876. Enterré avec plusieurs membres de sa famille, sa sépulture est sobrement décorée d’un bloc de granit gravé d’inscriptions parmi lesquelles on retrouve celleci : « Louis G. M. Brixhe, général, décédé à Liège le 4 Xbre 1875 à l’âge de 80 ans ».
Eugène Crossée
Né le 5 novembre 1796 à Dolembreux, il s’engage dans les gardes d’honneur le 5 juillet 1813. Il participe à la campagne de Saxe la même année et à la campagne de France en 1814, après laquelle il quitte le service de l’Empire le 7 juin 1814. Il sert ensuite probablement les Pays-Bas et termine sa carrière comme général-major de l’armée belge. Il décède en activité le 27 août 1855. Il repose dans un très beau monument de petit granit de style néogothique sur lequel se trouve l’inscription : « À la mémoire de Crossée Jh Victor, général-major, officier de l’ordre de Léopold, né à Dolembreux le 5 novembre 1796, décédé au camp de Beverloo le 27 août 1855 ».
Jacques-Joseph Fabry
Une des figures de la Révolution liégeoise est enterrée dans la parcelle 40. Mort le 11 février 1798 dans les derniers feux de la République, il était devenu bourgmestre d’une municipalité liégeoise dès le 18 août 1789. Farouche ennemi du prince-évêque, il prend le chemin de l’exil vers Bouillon puis Paris. De retour à Liège après l’entrée en ville du général Dumouriez en novembre 1792, il est nommé président du conseil municipal et devient membre de la convention nationale liégeoise, organe législatif révolutionnaire qui fut notamment à l’origine de la démolition de la cathédrale Saint-Lambert, et se prononce en faveur de la réunion du pays de Liège à la France. En février 1793, il préside pour quelques jours l’administration générale provisoire du pays de Liège avant le retour des troupes autrichiennes. Fabry doit à nouveau se réfugier à Paris avec d’autres révolutionnaires liégeois avant d’y revenir après la libération de Liège en juillet 1794. Observateur de la mise en place du régime français dans nos régions, il se retire pourtant de la vie politique. Sa monumentale sépulture gravée dans la pierre représente un tombeau de style classique, surmonté d’une croix et orné de l’inscription suivante : « Ici reposent les cendres de Jacques Joseph Fabry, ancien bourgmestre de la ville de Liège, décédé le 25 pluviôse an 6 (11 février 1798) (…) ».
Charles de Goeswin
Capitaine au service de l’Autriche puis de la France, il entre dans la Grande Armée et obtient la Légion d’honneur. Il devient lieutenant-colonel au service des Pays-Bas après la chute de l’Empire et prend sa retraite en 1823. Sa sépulture est constituée d’une croix de pierre entourée d’une petite grille en fer forgé. On y lit l’épitaphe suivante : « Ici repose le baron Charles Ernest de Goesvin [sic], colonel et chevalier de la Légion d’honneur, né à Liège le 7 février 1777, y décédé le 31 octobre 1858 ».
Jean-Nicolas L’Olivier
Volontaire au service de Napoléon dès l’âge de 12 ans, il devient caporal, sergent, sous-lieutenant puis lieutenant de l’armée impériale. Blessé à la bataille de Wagram, il est à nouveau blessé et fait prisonnier en France pendant la campagne de 1814. Il parvient à s’enfuir et est décoré de la Légion d’honneur. En 1815, il se met au service de l’armée hollandaise et choisit le camp des patriotes en 1830. Son imposant tombeau de petit granit est entouré d’une grille en fer forgé et orné d’une plaque sur laquelle est gravée l’inscription suivante : « Ici reposent Monsieur Jean-Nicolas-Marie l’Olivier, lieutenant-général, commandant de la 3e division territoriale et d’infanterie, commandeur des ordres de Léopold, de la branche Ernestine de Saxe et de la Légion d’honneur (1792-1856) et son épouse (…) ».
Jean Leboutte
Né à Liège le 6 décembre 1784, Jean Nicolas François Leboutte entre comme volontaire dans la jeune garde impériale le 10 septembre 1804 et devient grenadier d’élite. Il participe notamment aux batailles d’Austerlitz en 1805 et d’Iéna en 1807. Il fait ensuite les campagnes d’Espagne (1808, 1811-1812), d’Autriche (1809) et de Russie. Il devient capitaine en 1813 et participe à la campagne de Saxe la même année et à celle de France en 1814. Lors du premier exil de Napoléon, il reste dans l’armée française et est fait chevalier de la Légion d’honneur par Louis XVIII le 30 août 1814. Au retour de l’empereur, il participe aux diverses campagnes de 1815 et notamment à la bataille de Waterloo. Admis dans l’armée des Pays-Bas en 1818, il intègre ensuite l’armée belge dès le 23 octobre 1830. Aide de camp honoraire de Léopold Ier en 1831, il est promu général-major en 1841 et retraité en 1856 au grade de lieutenant-général. Il décède à Liège le 27 février 1867 après avoir reçu la médaille de Sainte-Hélène de Napoléon III. Sa tombe, des plus simples, est composée de grandes dalles de granit superposées en forme de cercueil. On y trouve l’inscription suivante : « À la mémoire de Jean-François-Nicolas Leboutte, lieutenant général, aide de camp honoraire du roi, décoré de la Croix de Fer, commandeur de l’ordre de Léopold, officier de la Légion d’honneur, médaillé de Sainte-Hélène ».
Pierre Raikem
Né le 9 novembre 1794 à Liège, il entame vraisemblablement sa carrière militaire dans les rangs de l’armée française en 1813 ou 1814. Il a plus que probablement servi sous l’Empire car Napoléon III lui a décerné la médaille de Sainte-Hélène. Il poursuit sa carrière au service des Pays-Bas (avec lesquels il prend part à la bataille de Waterloo), puis de la Belgique. Devenu officier de l’ordre de Léopold en 1851 et général-major en 1853, il est pensionné en 1857 et décède à Liège le 6 mai 1862. Sa sépulture est composée d’une simple stèle de petit granit gravée de l’inscription suivante : « Ici repose Pierre Joseph Raikem, général-major, décédé le 6 mai 1862 à l’âge de 68 ans (…) ».
Pierre Thuillier
1781-1850, soldat de la Grande Armée.
Jean-Charles van Landewyck
Né de père belge en 1794 à Valenciennes, il s’engage comme volontaire au 112e de ligne le 22 mars 1805. Blessé à deux reprises en Allemagne en 1813, il a le grade de sergent au moment de recevoir son congé de l’armée en 1814. Devenu colonel du 6e régiment d’infanterie de l’armée belge, il meurt en service le 30 octobre 1847. Sa pierre tombale, sculptée dans du petit granit, comporte la dédicace suivante : « Les officiers du 6e régiment d’infanterie à leur colonel van Landewyck Jean-Charles décédé le 30 octobre 1847 à l’âge de 55 ans. R.I.P. ».
Jean-Nicolas Wery
Autre soldat de la Grande Armée, Wery devient soldat au 4e voltigeur en 1809 et fusilier-chasseur en 1812. Avec ce corps d’armée, il participe à la campagne de Russie avant de rejoindre le 2e régiment de chasseurs à pied de la Garde impériale. Il obtient la médaille de Sainte-Hélène des mains de Napoléon III qui avait décerné cet honneur à tous les anciens soldats de son oncle qui en faisaient la demande. Cette récompense est d’ailleurs mentionnée dans son acte de décès en 1859. La stèle, classique, est surmontée d’une croix et taillée dans le petit granit. On y trouve l’inscription suivante : « Ici reposent les restes mortels de Nicolas Joseph Wery, ancien soldat de l’Empire aux chasseurs de la Garde impériale, ayant suivi Napoléon Ier dans les désastreuses campagnes de Russie en 1812, 1813 et 1814. Décédé le 12 S[eptem]bre 1859 à l’âge de 71 ans. Il est regretté de sa famille et de ses amis ».
De très nombreuses sépultures intéressent le Mouvement wallon dans son sens le plus large à Robermont, notamment de nombreuses tombes d’artistes wallons mentionnés comme tels sur la pierre, parmi lesquels, par exemple, Joseph Demoulin (1825-1879), président du Caveau liégeois, Armand Ledoux (1880-1955), président de la Société littéraire Les Auteurs wallons, Joseph Halleux (1874-1939) et Charles Batholomez (1868-1915), auteurs wallons. Chaque année, à l’occasion des fêtes de Wallonie, une cérémonie d’hommage avec dépôt de fleurs sur les tombes d’artistes wallons et militants est organisée. Une douzaine d’autres sépultures méritent d’être relevées spécialement en raison soit de leur caractère symbolique, soit de la personnalité du défunt, soit des hommages militants organisés sur les lieux.
Henri Bekkers (1859-1933), poète et sculpteur wallon, fut président du Caveau liégeois, société de passionnés de la langue, de la littérature et des traditions wallonnes, fondée en mars 1872 par Toussaint Brahy, inhumé à Sainte-Walburge. Comme sculpteur, Bekkers assura la sauvegarde de repères de la mémoire wallonne, notamment grâce à l’érection de monuments funéraires, tel celui de Brahy. Sa propre sépulture, érigée par souscription à l’initiative du Caveau liégeois, comporte un buste réalisé par le sculpteur Louis Gérardy (1887-1959), un rappel de ses fonctions et une citation éloquente en wallon : Efants, ni rouviz may qui vos estez Walons!
Jean Bury (1867-1918), auteur d’une production wallonne considérable, est mortà Amsterdam. Son corps fut rapatrié en 1921 par le poète wallon Émile Wiket. Jean Warroquiers (également enterré à Robermont) lança une souscription sous les auspices du cercle littéraire « La Wallonne » et du journal Noss’ Pèron afin de lui élever un monument funéraire, qui fut réalisé par Constant Thys et installé à proximité de celui de Wiket. Il comporte une épitaphe de Bury lui-même : On n’deût aveûr qu’on but èl ‘vèye ognèsse, mori parèy.
Nicolas Defrêcheux (1825-1874), poète lyrique wallon; une souscription publique lancée par le journal Noss’ Pèron permit de lui élever un monument funéraire dû à l’architecte Émile Bernimolin (1884-1953). À l’occasion du centenaire de la naissance de Defrêcheux, un médaillon réalisé par Louis Gérardy prit place sur le monument aux côtés des titres de quelques-unes des oeuvres du poète.
Auguste Donnay (1862-1921), peintre, attaché à la reconnaissance d’un art wallon et participant actif du Congrès wallon de 1905. Les Amis de l’art wallon demandèrent à l’architecte liégeois Paul Jaspar (1859-1945) de créer la pierre tombale de l’artiste. Sur un simple morceau de calcaire blanc sont inscrits les mots : « La ville de Liège et les Amis de l’art wallon à Auguste Donnay, artiste peintre ».
Émile Dupont (1834-1912), député libéral de 1864 à 1890 puis sénateur de 1890 à sa mort, ce grand bourgeois, dont une place tente de commémorer le souvenir près de Saint-Jacques au centre de Liège, prit part aux diverses discussions sur les lois linguistiques en se rapprochant progressivement des thèses du Mouvement wallon. Il avait 78 ans, avait été vice-président du Sénat et était Ministre d’État lorsqu’il s’exclama publiquement au Parlement, à l’issue d’un vote favorable aux thèses flamandes, le 9 mars 1910, « Vive la séparation administrative ». C’était la première fois qu’une aussi haute personnalité manifestait ainsi son adhésion au projet fédéraliste alors à l’étude dans les rangs du Mouvement wallon.
Louis Hillier (1868-1960), violoniste, compositeur et chef d’orchestre,mit en musique les paroles du Chant des Wallons écrit par Théophile Bovy. Le Congrès national wallon lui avait rendu hommage en 1948 à Liège. Décédé à Paris, il avait émis le souhait de reposer à Liège.
Albert Mockel (1866-1945) reste essentiellement connu pour avoir popularisé les mots Wallon et Wallonieà la fin du xixe siècle, mais il fut aussi à la base de la création de l’Assemblée wallonne en 1912. Il mourut à Ixelles, mais sa dépouille fut transférée à Liège six ans plus tard, en 1951. La Ville lui réserva une pelouse spéciale au cimetière de Robermont.
Édouard Remouchamps (1836-1900) est enterré dans le caveau familial. Il s’agit d’un monument fort simple, mais qui fit toutefois partie de ceux auxquels hommage fut rendu lors des fêtes de Wallonie.
Fernand Schreurs (1900-1970), figure de proue du Mouvement wallon d’après-guerre, secrétaire du Congrès national wallon en 1945 et créateur du Mouvement libéral wallon en 1962, est lui aussi enterré dans le caveau familial, en compagnie de son épouse et d’autres parents, dans un monument d’une grande sobriété. Sa tombe a fait l’objet de nombreuses commémorations : parmi celles-ci, un hommage rendu par la Ville de Liège et la Région wallonne en 1985, ainsi qu’un autre en 1995 à l’occasion du cinquantième anniversaire du premier Congrès national wallon.
Fifine Vidal (1883-1926), populaire comédienne wallonne, symbolise le théâtre dialectal. À sa mort, un comité décida de lui ériger un monument funéraire, réalisé par le sculpteur Oscar Berchmans (1869-1950). Sur celui-ci, un médaillon en marbre représente la comédienne en femme du peuple, fichu sur la tête, et la dédicace lui rend cet hommage : « La Wallonie à Fifine Vidal ».
Jean Warroquiers (1880-1935), fondateur de l’École de musique Grétry, directeur du journal wallon Noss’ Pèron, fut l’organisateur des fêtes de Wallonie à Liège et le premier président de la République libre d’Outremeuse. Sa sépulture évoque on ne peut plus clairement ses engagements wallons : en plus d’un coq doré sur fond noir, une citation en wallon rappelle qu’« Il esteût si fîr d’ èsse Walon ». Le
médaillon représentant Warroquiers est dû au sculpteur Louis Gérardy, qui intervint aussi sur les tombes de Bekkers et de Defrêcheux.
Émile Wiket (1879-1928), poète wallon auteur de Li p’tit banc, engagé dans de nombreux mouvements wallons, fut membre notamment de la Société de langue et de littérature wallonnes et président du cercle littéraire La Wallonne. Rédacteur en chef et fondateur de Noss’Pèron, il fut aussi rédacteur d’Amon nos Autes. Son monument funéraire, situé à proximité de celui de son ami Jean Bury, porte un médaillon réalisé par Joseph Sauvage et plusieurs inscriptions rendant hommage à la chanson fétiche de Wiket (Li sûre ax lâmes tchanson d’sot les hayes tchantèt li p’tit banc), ainsi qu’au poète Nicolas Defrêcheux, dont Wiket appréciait l’oeuvre (À Colas Defrècheux, mes sondjes dansèt nosse pauve monde, tchanson d’espwèr).
Rue de Herve 46
4020 Liège
Classé comme site le 24 septembre 2002
Institut du Patrimoine wallon