Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Achille VIEHARD

Monument à la littérature et à la chanson wallonnes, 15 août 1931.
Réalisé par Paul Du Bois avec l’aide de l’architecte Jules Wilbaux

Inauguré à Tournai, rue des Jésuites, dans le quartier populaire Saint-Piat, le 15 août 1931, en présence de nombreux cercles et sociétés (de littérature) wallonnes, ce monument présente plusieurs particularités. D’abord, il est installé à l’endroit même où se trouvait auparavant la fontaine du « pichou saint Piat » dans un état de délabrement évident depuis plus d’un demi-siècle ; ensuite, le monument est une fontaine, ce qui devient relativement rare au fur et à mesure que l’on avance dans le XXe siècle ; il est aussi dédié à la fois à une personne, Achille Viehard, et à une thématique « À la littérature et à la chanson wallonnes ». Outre le fait que le monument soit coloré (du rouge et du doré), on observera enfin que si le monument honore une personnalité historique, celle-ci n’apparaît que par l’intermédiaire de son nom inscrit sur la pierre et par l’évocation de son activité secondaire, de son hobby, la littérature wallonne.

En effet, Achille Viehard (Tournai 1850 – Tournai 1926) a d’abord travaillé comme ouvrier typographe, avant d’exercer des fonctions administratives dans sa ville natale, et d’être nommé à la direction de l’hospice des vieillards de la rue Sainte-Catherine. Or, c’est le souvenir de ses activités de loisir que ses amis décident de figer dans la pierre quelque temps après son décès. Dans les « sociétés démocratiques » qu’il fréquente vers 1880, il se révèle un rimailleur apprécié pour ses traits d’humour et ses analyses psychologiques fines. Publiés dans Les Étrennes tournaisiennes, ses chansons et monologues en picard vont frapper les esprits. Ensuite, il est le premier à mettre en scène des comédies et tableaux de mœurs populaires tournaisiennes : dès 1888, on se précipite dans les salons de l’hôtel des Neuf Provinces pour assister à ses spectacles. À partir de 1891, le théâtre communal accueille les représentations. En 1907, celui qui utilise le pseudonyme d’A. Viart figure parmi les fondateurs du Cabaret wallon tournaisien. Les jurys des Concours de littérature wallonne ne s’y étaient pas trompés quand ils accordèrent les premiers prix à ce jeune fonctionnaire communal qui était avant tout écrivain. Le monument/fontaine ne parle que de cet aspect. En témoigne la stèle en petit granit de Soignies qui accueille, de haut en bas, sept macarons disposés en arrondi, les armoiries de Tournai dans un cercle coloré en rouge et rehaussé en or, puis l’inscription

A LA LITTÉRATURE
ET À 
LA CHANSON
WALLONNES

Ensuite vient un faune (doré) qui crache l’eau par sa bouche ; des grappes de raisins sont mêlés à sa chevelure. La stèle principale se termine par l’identification des dédicants :
ERIGE PAR LA VILLE LA
PROVINCE ET LES AMIS
D’ACHILLE VIEHARD

L’architecte Jules Wilbaux (Tournai 1884 – Tournai 1955) a conçu cet ensemble que relève une sculpture signée Paul Dubois représentant le « titi » tournaisien, assis en déséquilibre sur le bord inférieur de la fontaine. La générosité des Tournaisiens sollicités par une souscription publique a permis au « comité Viehard » présidé par Walter Ravez d’installer un monument dans l’espace public du centre de Tournai plutôt qu’un seul médaillon dans le cimetière. Dans le même temps, le monument dépassait la seule personne d’Achille Viehard pour associer tous les écrivains patoisants tournaisiens : Leray et Delmée, Auguste Mestdag, Auguste Vasseur, Adolphe Wattiez, Auguste Leroy, Arthur Hespel et bien d’autres auxquels le discours inaugural rendra hommage.

Confier l’essentiel du monument à Jules Wibaux était une évidence. Formé à la toute nouvelle École Saint-Luc de Tournai, il en est l’un de ses tout premiers diplômés en architecture, en 1919. Sa carrière, il la réalise essentiellement à Tournai et aux alentours, restaurant des châteaux, construisant des maisons comme des maisons de maître, voire s’occupant de l’aménagement de la Maison tournaisienne. Aquarelliste, Wibaux prend aussi Tournai comme principal sujet de ses toiles. Historien amateur, c’est encore Tournai, avec sa cathédrale et ses quartiers qui constitue le centre de sa curiosité. 

Quant à Paul Dubois (Aywaille 1859 – Uccle 1938), il n’est pas du Tournaisis, mais il avait accepté dès le début du projet de réaliser le médaillon pour le cimetière, avant de se voir confier le « titi tournaisien dans son geste goguenard et libéré, symbole immuable de la gaité et de l’ironie wallonne ». Né au bord de l’Amblève, formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1877-1884), condisciple de Rombeaux, Rousseau et Bonnetain, notamment, élève de Charles Van der Stappen, Dubois a remporté le prix Godecharle 1884 et, dès ce moment, il a choisi de signer « Du Bois », pour éviter toute confusion avec son parfait homonyme français, voire avec  Fernand Dubois. Après trois années passées à visiter les musées d’Europe, l’artiste wallon installe son propre atelier à Bruxelles, avec Guillaume Van Strydonck. Ouvert à l’avant-garde sans renier son attachement à la Renaissance, membre-fondateur du groupe bruxellois d’avant-garde le Cercle des XX, puis de la Libre Esthétique, il excelle dans les portraits quand lui parviennent les premières commandes officielles de la ville de Bruxelles. 

Monument à la littérature et à la chanson wallonnes – © Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Sans abandonner des œuvres de son inspiration qui sont remarquées et primées lors de Salons et d’Expositions à l’étranger, il réalise le monument Félix de Mérode (Bruxelles, 1898) qui symbolise le début de son succès. En 1900, il est nommé professeur à l’Académie de Mons (1900-1929) et, deux plus tard, il est chargé du cours de sculpture ornementale (1902-1905), puis de sculpture d’après l’antique (1905-1910) à l’Académie de Bruxelles où il reste en fonction jusqu’en 1929. En 1910, il succède à Charles Van der Stappen à l’École des Arts décoratifs. Vice-président du jury d’admission des œuvres pour le Salon des œuvres modernes de l’Exposition internationale de Charleroi (1911), il signe plusieurs monuments commémoratifs à Bruxelles et en Wallonie : déjà en 1924, Tournai lui avait confié la réalisation du monument Gabrielle Petit. Son œuvre variée et abondante (près de 200 sculptures) est faite aussi de bijoux et de médailles (dont celle de l’Exposition universelle de Liège en 1905). C’est par conséquent un artiste en pleine maîtrise de son art qui réalise le monument Viehard.

 

La Vie wallonne, septembre 1931, CXXXIV, p. 36-41
Gaston LEFEBVRE, Biographies tournaisiennes des XIXe et XXe siècles, Tournai, Archéologie industrielle de Tournai, 1990, p. 269 ; p. 279-180
Jacky LEGGE, Tournai, tome II : Monuments et statues, Gloucestershire, Éd. Tempus, 2005, coll. Mémoire en images, p. 92-93
Judith OGONOVSZKY, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 374-378
Anne MASSAUX, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 4, p. 142-145
Paul Du Bois 1859-1938, édition du Musée Horta, Bruxelles, 1996
Anne MASSAUX, Entre tradition et modernité, l’exemple d’un sculpteur belge : Paul Du Bois (1859-1938), dans Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1992, t. XXV, p. 107-116
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. 1, p. 517-518

Rue des Jésuites
7500 Tournai

carte

Paul Delforge