Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam
Monument Barthélemy DU MORTIER
Monument Barthélemy Du Mortier, réalisé par Charles Fraikin, 10 septembre 1883.
Après avoir choisi de rendre hommage à Christine de Lalaing en élevant, au début des années 1860, une statue à celle qui défendit Tournai face aux troupes espagnoles d’Alexandre Farnèse, les autorités tournaisiennes attendent vingt ans avant d’apporter leur nouvel écot à la glorification des héros « belges » du passé. Depuis les années 1840, les gouvernements belges successifs incitent et soutiennent toutes les initiatives visant à l’implantation de statues dans l’espace public qui seraient autant de références au nouvel État. Après Christine de Lalaing, Tournai choisit d’honorer Barthélemy Du Mortier (1797-1878), botaniste, fondateur du Courrier de l’Escaut en 1829 mais surtout représentant de Tournai au Parlement à partir de 1831. Le nom de Barthélemy Dumortier figure parmi ceux d’un millier d’acteurs majeurs de 1830 proposés, en 1831, pour recevoir la Croix de Fer. Une Commission officielle du jeune État belge a en effet retenu qu’au cours des journées de la révolution de 1830, ce jeune « propriétaire de Tournai » a contribué « puissamment à développer l’esprit national et à organiser la résistance aux actes oppressifs du gouvernement déchu ; il distribua sur la place publique aux bourgeois et aux soldats de la garnison les couleurs nationales le 8 septembre 1830 ; contribua à l’attaque des postes hollandais le 28 ; il se rendit en parlementaire à la citadelle quoiqu’il fût décrété d’arrestation, pour régler la capitulation de la ville ». C’est par conséquent un « héros de 1830 » que les autorités tournaisiennes honorent en 1883, sans oublier les autres facettes de l’enfant du pays.
Homme de sciences, Dumortier s’est intéressé à la fois à la zoologie, à l’archéologie, à l’histoire et surtout à la botanique. Ses nombreux travaux le montrent en quête d’un nouveau système de classification du règne végétal. S’il apporte une contribution notamment à la découverte de la division cellulaire par cloisonnement, il n’a jamais remis en question ses convictions créationnistes, en dépit du développement des idées darwiniennes. De forte conviction catholique, Barthélemy Du Mortier en a fait un engagement politique. À la fin des années 1820, il s’est mobilisé contre le régime hollandais mis en place au lendemain du Congrès de Vienne. Fondateur du journal Le Courrier de l’Escaut (1829), il s’impose comme l’un des chefs de file du front d’opposition qui se manifeste à Tournai contre le régime hollandais. Après sa participation active aux événements de 1830, il est choisi pour représenter Tournai à la Chambre (1831). Il s’y distingue en se montrant l’un des plus farouches opposants à l’approbation du traité des XXIV articles. Même après la signature du traité, il continuera à réclamer pour la Belgique les frontières qui étaient celles du jeune État en 1830 (avec le Limbourg et le grand-duché de Luxembourg).
Député jusqu’à sa mort, en 1878, représentant de l’arrondissement de Roulers à partir de 1848, il demeure constamment attentif à la position du Vatican dans les affaires intérieures belges. En 1872, il est nommé Ministre d’État. Gratifié du titre de comte par Léopold II, Dumortier n’en fera pas état avant sa mort. Ses descendants transformeront alors son nom en isolant la particule, Du Mortier. Au-delà des récompenses, honneurs et titres nombreux, il paraît important de retenir que Barthélemy Dumortier a aussi présidé la toute jeune Société royale de Botanique de Belgique dès 1862, qu’il a contribué à la fondation du Musée d’histoire naturelle de Tournai et à celle du Jardin Botanique de l'État qui devient autonome en 1870. Membre de la Commission royale d'histoire (1838-1878), il s’est aussi intéressé particulièrement à la collégiale de Tournai, au lieu de naissance de P-P. Rubens, ainsi qu’au rôle de Constantin le Grand à Tournai. C’est sans conteste une personnalité tournaisienne majeure qui est choisie au début des années 1880. Son monument est aussi le tout premier dédié à un homme politique catholique dans l’espace public de Wallonie.
Une souscription nationale est lancée pour rassembler les fonds nécessaires et le sculpteur Charles Fraikin (1817-1893) est chargé de réaliser le monument. Formé à l’Académie d’Anvers, sa ville natale, puis à Bruxelles, il s’initie au dessin puis à la peinture. La mort de son père, notaire à Herentals, le contraint à trouver une occupation professionnelle : engagé dans la pharmacie d’Auguste de Hemptinne, il y fait la rencontre du peintre F-J. Navez qui l’encourage dans ses études du soir en gravure. Avec un diplôme de pharmacien, Fraikin ouvre une officine à Genappe (1835), avant de se consacrer entièrement à la sculpture. Après l’Académie de Bruxelles (1840-1842), le jeune artiste expose dans les salons où il se fait remarquer (médaille d’or à Bruxelles en 1845). Remarqué par Léopold Ier qui lui accorde sa protection, Fraikin obtient de nombreuses commandes officielles, essentiellement à Bruxelles (Hôtel de ville, monuments Rouppe, Henri Ier, Colonne du Congrès, Quetelet et surtout Egmont et Hornes). Auteur de nombreux bustes et de monuments à vocation religieuse, Fraikin poursuit aussi une œuvre d’inspiration plus personnelle, continuant à exposer lors de Salons ou d’Expositions. Quand il se voit confier le monument « tournaisien », le sculpteur est au firmament de sa carrière et comblé d’honneurs.
Attentif à traiter les facettes les plus significatives de la personnalité de Barthélemy Dumortier, Ch-A. Fraikin soigne les détails, tout en ciselant son sujet dans le marbre blanc. Debout, vêtu d’habits bourgeois, avec une cocarde accrochée à hauteur de ceinture et une décoration du côté gauche de la poitrine, Dumortier est figé dans une attitude dynamique, que le bras droit replié sur la poitrine accentue. On ne sait s’il commente, pérore ou commande, mais son attitude suscite l’envie de partager son élan. Parmi les détails, le sculpteur donne à voir un lion assis, tenant sous ses griffes avant un document sur lequel se lit aisément la mention « XXIV articles ». Dans sa main gauche, Dumortier tient peut-être le texte, enroulé, de son discours, tandis qu’à côte de son bras figurent deux livres, dont nul ne sait s’ils sont de botanique ou d’histoire.
Entouré à l’origine par une grille en fer forgé tandis que des arbres formaient un fonds de verdure, le monument Du Mortier faillit traverser indemne toute la Première Guerre mondiale. Ce n’est que le 7 novembre 1918 que des soldats allemands s’en prennent à lui, arrachant la statue de son socle et la faisant basculer. La statue est alors abîmée – on en voit encore la trace à hauteur des genoux – mais elle est réparée. Le socle quant à lui nécessite d’en élever un nouveau. Sur les parois latérales, sont représentées, en saillies, des graminées entrelacées et une feuille de fougère, références évidentes au botaniste. Vers 1822/1823, Dumortier avait en effet entrepris l'examen des graminées, et tenté une révision de leur classification qu’il publia (Observations sur les Graminées, 1823). Sobrement, sur la face avant du socle est gravée la dédicace déjà présente sur le socle initial :
A
BARTHÉLEMY
DU MORTIER
-- . --
ÉRIGÉ
PAR
SOUSCRIPTION NATIONALE
MDCCCLXXXIII
Lors du relèvement du monument dans les années 1920, une mention est ajoutée pour dénoncer l’acte de vandalisme des Allemands de 1918. En mai 1940, cette mention disparaît… D’autres aménagements, par temps de paix cette fois, concerneront l’environnement immédiat du monument qui trouve désormais place à l’angle du Pont-de-fer et du quai des Salines.
http://www.sculpturepublique.be/7500/Fraikin-BarthelemyDuMortier.htm (s.v. août 2013)
Liste nominative de 1031 citoyens proposés pour la Croix de Fer par la Commission des récompenses honorifiques (p. 1-129) dans Bulletin officiel des lois et arrêtés royaux de Belgique, n°807, 1835, t. XI, p. 44-45
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 286-287
Histoire du Sénat de Belgique de 1831 à 1995, Bruxelles, Racine, 1999, p. 392
Jacky LEGGE, Tournai, tome II : Monuments et statues, Gloucestershire, Éd. Tempus, 2005, coll. Mémoire en images, p. 18-22
Sybille VALCKE, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 399-401
P. HILDEBRAND, dans Biographie nationale, t. 30, col. 611-628
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 583
Quai des Saline
7500 Tournai
Paul Delforge