Paul Delforge
Monument Émile HENRICOT
Monument « Instruction – Travail » dédié à Émile Henricot, réalisé par le sculpteur Godefroid Devreese et l’architecte Henri Jacobs, août 1911
Le monument inauguré en août 1911 en l’honneur de l’industriel Émile Henricot, décédé l’année précédente, est initialement implanté au début de la place des Déportés, le long de la rue qui porte son nom. Rénové et restauré par les autorités locales au début du XXIe siècle, l’impressionnant groupe réalisé par l’architecte Jacobs et le sculpteur Devreese a été déplacé de l’autre côté de la place, face au hall n°11 de la première usine Henricot.
L’industriel a joué un rôle majeur dans le développement de la cité du Brabant wallon. Né à Jemeppe-sur-Sambre en 1838, diplômé de l’Université de Liège comme ingénieur civil et ingénieur des mines, Émile Henricot est engagé comme directeur-gérant aux Forges, Fonderie, Platinerie et Émaillerie de Court-Saint-Étienne, société appartenant notamment à Albert Goblet comte d’Alviella, mais à la santé financière précaire (1865). Rapidement, il la redresse et en devient copropriétaire quand elle se transforme en Henricot et Cie (1867), avant d’en être l’actionnaire principal à la mort d’Albert Goblet (1873), puis le propriétaire (1883). Il apporte à l’Usine Émile Henricot des transformations majeures qui la place à la pointe des progrès techniques de son temps. Actionnaire de nombreuses autres sociétés et actif membre de cercles et syndicats industriels comme agricoles, ce patron libéral progressiste et anticlérical contribue à l’amélioration des conditions de travail de ses ouvriers. Échevin de Court-Saint-Étienne, conseiller provincial du Brabant, il est élu député de l’arrondissement de Nivelles de 1888 à 1896, avant de siéger au Sénat (1900-1910), comme sénateur provincial. Par les emplois disponibles dans son entreprise et les largesses dont il fait preuve sur le plan local, c’est autour de ses ateliers que va se développer l’entité de Court-Saint-Étienne, au tournant des XIXe et XXe siècles. Décédé à Alexandrie en mars 1910, l’industriel va demeurer éternellement au cœur de la cité lorsqu’est érigé un monument en son honneur.
Par sa dimension – la stèle fait 4 mètres de haut –, il s’inscrit ostensiblement dans l’espace public. Le granit rose qui a été choisi tranche aussi par son originalité ; il a été dessiné par Henri Jacobs ; ses décorations dans la pierre sont minimalistes, et essentiellement destinées à mettre en évidence un médaillon rectangulaire et un groupe de deux personnages en bronze à l’avant-plan. Sur la face avant, apparaissent ainsi, de haut en bas, les mots suivants :
« INSTRUCTION
TRAVAIL
A
ÉMILE HENRICOT
1838
1910 »
Réalisé par Godefroid Devreese qui y laisse sa signature, le médaillon en bronze représente le profil gauche de l’industriel. Il est fixé sur la partie haute de la stèle en granit. Devant la stèle, sur un large support, le sculpteur a figé deux personnes grandeur nature : l’ouvrier le plus âgé de l’entreprise en 1910 et le plus jeune apprenti symbolisent ainsi en quelque sorte la transmission du savoir(-faire). Habillé de ses vêtements de travail et soutenu sur une enclume où il est en partie assis, l’aîné tient un plan sur sa jambe gauche repliée et donne des explications à l’apprenti qui tient une sorte de petite roue dans la main gauche. Sur son plan, l’ouvrier paraît former un cercle avec une sorte de compas. Plusieurs outils (dont un imposant marteau et une tenaille) sont représentés au pied des deux ouvriers. Comme souvent, Godefroid Devreese a laissé sa signature sur la partie inférieure de sa réalisation, à gauche sur le bas de l’enclume, tandis qu’à droite apparaît la mention « Fonderie nationale des Bronzes - Ancienne firme J. Petermann - St Gilles - Bruxelles ». À l’époque, il n’est pas courant qu’un monument dédié à un patron représente aussi nettement les ouvriers au travail.
Cette représentation est due à Godefroid Devreese (1861-1941), fils du sculpteur Constant Devreese. Ce Courtraisien a été formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles auprès du Liégeois Eugène Simonis, puis de Charles Van der Stappen. Remarqué très tôt pour son talent, cet ami et collaborateur de Victor Horta reçoit le 2e Prix de Rome 1885, il est installé à Bruxelles depuis 1881, où il fait toute sa carrière. Outre de nombreux Salons en Belgique comme à l’étranger, il puise son inspiration dans l’antiquité, réalise des bustes tant d’intérieur que d’extérieur, avant de se spécialiser aussi comme médailleur à la fin du XIXe siècle, tout en continuant à recevoir de nombreuses commandes publiques. Parmi ses principaux monuments figure celui des Éperons d’Or, inauguré à Courtrai en 1906.
Quant à Henri Jacobs (1864-1935), dont la signature apparaît au bas de la stèle, il s’agit d’un architecte bruxellois qui s’inscrit résolument dans la mouvance de l’Art Nouveau. Créateur de meubles et d’objets de décoration, il s’est consacré prioritairement à la construction d’écoles et de logements sociaux, tentant de faire la synthèse entre ses convictions politiques (laïques et progressistes) et ses réalisations. Une quinzaine d’écoles bruxelloises portent sa griffe, à l’instar de quelques maisons privées. Œuvre de maturité, le monument Henricot – aussi appelé « Instruction et Travail – ne déroge pas à son style et à ses convictions.
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 434
Denise CLUYTENS-DONS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 364-366
René BRION, Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 362-362
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Jacobs (s.v. février 2014)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 74
Place des Déportés
1490 Court-Saint-Étienne
Paul Delforge