J. Tordoir

Monument Goblet D'ALVIELLA

Sur la place communale de Court-Saint-Étienne, un monument « de style éclectique » rend hommage à Albert Goblet, comte d’Alviella, principalement en raison du rôle qu’il joua au moment de la révolution de 1830, puis en tant que ministre de la Guerre aux tout premiers temps de la Belgique. Imposant avec ses 4 mètres de haut, le monument a fait l'objet d'une restauration en 2010. Avec son buste en bronze, inauguré en 1887, et œuvre de Jef Lambeaux, il est situé juste en face de la rue Sambrée, dans le tournant de la longue place communale, à quelques dizaines de mètres du monument aux morts de Court-Saint-Étienne, localité dont l’histoire récente est marquée par la présence et l’activité de la famille Goblet d’Alviella.

Pourtant, Albert Goblet est d’origine picarde (Tournai 1790 – Bruxelles 1873). Fils d’un magistrat éminent, Albert Goblet avait lui-même reçu une solide formation de juriste dans les meilleures écoles parisiennes et militaires de son temps. Officier, il se distingue durant les dernières batailles livrées par les troupes napoléoniennes et c’est avec la Légion d’honneur qu’il entame, en 1815, une carrière dans la nouvelle armée des Pays-Bas. Mêlé à la bataille de Waterloo, il s’y distingue à nouveau, mais dans le camp des alliés cette fois. Chargé de la reconstruction de places fortes, il est surpris par les événements de 1830 alors qu’il est affecté à Menin. Partagé entre sa fidélité à Guillaume d’Orange et l’invitation à soutenir les révolutionnaires, il gagne Bruxelles début octobre 1830 et y est nommé, par le gouvernement provisoire, colonel et directeur du génie de l’armée belge en formation. Son ascension est fulgurante : début 1831, il est ministre de la Guerre sous la régence. Chef d’état-major durant la campagne des 10 jours (août 1831), il est ensuite désigné par Léopold Ier comme ministre plénipotentiaire à la conférence de Londres, et comme négociateur du système défensif de la Belgique. 

Devenu ministre des Affaires étrangères (1832-1833), il parvient à obtenir l’évacuation des forces hollandaises qui occupaient encore la citadelle d’Anvers et à faire accepter – à l’exception des Pays-Bas – une convention internationale garantissant la Belgique dans ses possessions de 1830. Mais celui qui était le représentant de l’arrondissement de Tournai depuis 1831 ne convainc pas les électeurs censitaires de lui apporter leur soutien (1832) et c’est dans l’arrondissement de Bruxelles que, sous les couleurs libérales, il retrouve un mandat de député (1833-1834, 1836-1837). Pressenti – sans succès – pour représenter la Belgique à Berlin, il est nommé lieutenant général en 1835. Conseiller particulier de la jeune reine du Portugal (1837-1838), il reçoit à Lisbonne le titre de comte d’Alviella, nom d’un des domaines appartenant à la maison du duc de Bragance. Confirmé en Belgique et rendu transmissible, ce titre sera désormais accolé à son nom de famille (1838). À nouveau ministre des Affaires étrangères (1843-1845), il s’est réconcilié avec les électeurs de Tournai dont il redevient le député (1843-1847). Mais c’est avec le roi qu’il est désormais en désaccord : devenu « inspecteur des fortifications et du corps du génie », il ne partage pas le point de vue de Léopold Ier sur le système militaire du pays. Admis à la retraite de l’armée (1854), il ne reste pas inactif : il conquiert encore les suffrages des libéraux bruxellois (1854-1859). Le mariage de son fils avec Coralie d’Auxy dont la famille possède le château de Court-Saint-Étienne amène la famille Goblet d’Alviella à prendre pied en Brabant wallon ; le général se porte d’ailleurs acquéreur des forges locales (1858), dont il confie la direction à son fils ; par la suite, cette entreprise modernisée deviendra l’usine Henricot. Enfin, il consacre les dernières années de sa vie à l’écriture, racontant pour la postérité les événements qu’il avait vécus et façonnés à l’échelle européenne, en 1831 et 1832. Et finalement, ce n’est ni à Tournai ni à Bruxelles que Goblet d’Alviella fait l’objet d’un monument, mais à Court-Saint-Étienne, sur ses terres d’adoption. 

Sur le modèle d’un buste en marbre blanc déjà réalisé par Jef Lambeaux pour la salle de lecture de la Chambre des Représentants à Bruxelles, une reproduction en bronze fait l’objet d’une installation particulière : le piédestal comprend à sa base une série de blocs de pierre bleue à bossage ; vient ensuite un niveau intermédiaire où s’inscrit la dédicace :

GENERAL COMTE GOBLET D’ALVIELLA
INSPECTEUR GENERAL DU GENIE
MINISTRE DE LA GUERRE ET DES AFFAIRES ETRANGERES
MINISTRE PLENIPOTENTIAIRE MINISTRE D’ETAT
1790-1873

Enfin, apparaît le buste posé sur un support, le tout s’inscrivant dans une niche creusée au milieu d’une stèle pyramidale, tandis que les armoiries familiales sont gravées dans la partie supérieure. Inauguré en 1887, à Court-Saint-Étienne, ce monument est une initiative du petit-fils d’Albert Goblet d’Alviella, en l’occurrence Eugène (1846-1925), lui-même parlementaire de la même famille libérale que son ancêtre (député de 1878 à 1884, puis sénateur de 1892 à 1921 avec des interruptions). Sur le buste, le sculpteur n’a pas omis de représenter le plus grand nombre possible des décorations auxquelles son sujet avait eu droit.

Monument Goblet d’Alviella

Inscrit à l’Académie d’Anvers dans les années 1860, Jef Lambeaux (Anvers 1852 – Bruxelles 1908) s’est orienté rapidement vers la sculpture et a fréquenté l’atelier de Joseph Geefs dans la métropole anversoise. Dès le début des années 1870, il expose ses œuvres et s’il échoue finalement à la 2e place du Prix de Rome 1872, il rencontre rapidement le succès par des œuvres très personnelles, s’inspirant souvent de scènes de la vie quotidienne. Les premiers bustes résultant de commandes officielles lui ouvrent de nouvelles portes, même si son séjour parisien s’avère désastreux (1879-1880). Grâce à des subsides de l’État et de la ville d’Anvers, le voyage en Italie lui est permis ; son style s’en trouve transformé et sa « Fontaine de Brabo » devient sa première grande œuvre de référence (1883). A partir des années 1880, le public et les critiques acclament Lambeaux qui, parmi d’autres commandes, reproduit alors le buste de Goblet d’Alviella. Après l’œuvre du Brabant wallon, Lambeaux est d’abord occupé à la reproduction en grand du Triomphe de la Lumière sur base de la maquette laissée par Wiertz. Ensuite, il se consacre quasi exclusivement à la réalisation d’un relief monumental sur le thème de l’humanité qui fera largement controverse et qui constituera son chef-d’œuvre. Au tournant des deux siècles, une version en marbre commandée par l’État est installée dans un pavillon du Cinquantenaire, tandis que l’artiste décline sous toutes les formes des versions partielles de son relief connu sous le nom Passions humaines. Artiste prolifique, Lambeaux signe d’autres réalisations sur le thème des lutteurs, des animaux, etc., principalement en Flandre et à Bruxelles. Son Faune mordu, présenté lors de l’Exposition universelle de Liège en 1905, provoque une polémique féroce ; la ville achètera l’œuvre pour l’exposer au parc de la Boverie. Hormis dans le parc de Mariemont, on chercherait cependant en vain d’autres Lambeaux dans l’espace public wallon.

 

Th. JUSTE, Albert Goblet, dans Biographie nationale, t. 7, col. 822-838
http://fr.wikipedia.org/wiki/Monument_au_comte_Goblet_d%27Alviella 
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 35-37
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 323
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 477-483
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 16

Place communale
1490 Court-Saint-Étienne

carte

Paul Delforge