Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam
Monument Eugène DEFACQZ
Monument Eugène Defacqz, réalisé par Adolphe Fassin, avec l’architecte Charles Émile Janlet, 26 septembre 1880. Rue de Pintamont 62, printemps 1962.
Dans la cour du centre administratif d’Ath, un impressionnant monument rend hommage à Eugène Defacqz. La lecture de la face arrière du piédestal permet d’emblée de cerner le rôle joué par ce personnage du XIXe siècle, dont l’identité est précisée sur les autres faces :
À l’arrière :
MEMBRE DU CONGRES NATIONAL
PREMIER PRESIDENT DE LA COUR DE CASSATION
MEMBRE DE L’ACADEMIE ROYALE DES LETTRES
GRAND MAITRE DE LA FRANC-MACONNERIE BELGE
PRESIDENT DU CONGRES LIBERAL DE 1846
Face avant, avec les armoiries athoises en couleur :
EUGENE DEFACQZ
SOUSCRIPTION NATIONALE
1880
Du côté gauche :
ATH
17 SEPTEMBRE
1797
Du côté droit :
BRUXELLES
31 DECEMBRE
1871
Au haut du piédestal, le bronze (environ 2,30 mètres) représente un notable, en costume civil, assis, les jambes croisées. Son bras droit est posé sur le dossier du siège, l’autre sur sa jambe gauche. Figurant aussi sur le dossier, une toge bordée d’hermine conforte le statut du magistrat dont la toque est posée à ses pieds. L’espace semi-fermé de la cour donne l’impression d’un monument surdimensionné pour l’endroit. Initialement, il est vrai, le monument se trouvait sur la Grand Place d’Ath et il était encore plus impressionnant, culminant à 6 mètres ; c’est au printemps 1962 qu’il a été déplacé et, lors de ce transfert, la hauteur de son piédestal en pierres bleues (des carrières athoises Brocquet et Cie) a été réduite, sans lui enlever son caractère imposant.
L’idée d’élever un monument à Eugène Defacqz remonte au lendemain de son décès ; les amis libéraux du défunt avaient sollicité les autorités communales de la même famille politique (1872), mais il faut attendre 1877 pour que des personnalités athoises se constituent en une Commission spéciale, soutenue progressivement par les autorités locales, provinciales et nationales. Une souscription publique lancée à l’échelle nationale vient compléter le financement d’un projet qui cadre parfaitement avec la volonté politique belge de l’époque.
Depuis sa naissance, la Belgique de 1830 n’a de cesse de renforcer sa légitimité en promouvant toute initiative en faveur de l’installation de statues dans l’espace public. Ainsi, le ministre libéral Charles Rogier encourage chaque province à élever un monument digne des gloires nationales dans son chef-lieu. Aux quatre coins du pays, les édiles municipaux se mobilisent bon gré mal gré (en raison des coûts) dans un projet qui se veut collectif, mais qui met en évidence à la fois des particularismes locaux, des rivalités politiques et des interrogations sur la définition de « belge ». Jusque dans les années 1870, Ath était restée à l’écart de ce mouvement, même si l’on ne peut omettre la fontaine Hennepin.
Le monument en l’honneur d’Eugène Defacqz ramène la cité des Géants dans le cortège des autres villes belges qui contribuent à la statuomanie de l’époque. Que Defacqz soit un ancien membre du Congrès national joue en faveur du choix de cette personnalité. En dépit de propositions fort avancées émanant de membres de la Commission, l’intervention financière de l’État lui donne le droit de désigner le sculpteur, la technique et l’emplacement : la Commission royale des Monuments opte pour Adolphe Fassin (1828-1900), le bronze coulé et la Grand Place. La ville d’Ath quant à elle attribue à l’architecte Charles Émile Janlet (1839-1919) la responsabilité du piédestal. Organisée sous les auspices des autorités locales, l’inauguration a lieu le dernier dimanche de septembre 1880, et s’inscrit dans l’esprit de la célébration des Journées de Septembre.
En 1880, même si les Anciens Volontaires de 1830 sont présents, l’unionisme a vécu. Ainsi, le clergé athois n’a pas daigné participer à l’inauguration que le ministre Jules Bara et le gouverneur du Hainaut relèvent de leur présence. Il convient de souligner que les autorités locales profitent de l’occasion pour montrer leurs réalisations en faveur de l’enseignement public et laïque ; or, faut-il le rappeler, la guerre scolaire a éclaté entre les principaux dirigeants libéraux et catholiques. Par ailleurs, on observe aussi que, malgré leur quotepart financière importante lors de la souscription publique, les milieux maçonniques n’ont pas été officiellement invités à l’inauguration du monument. Si l’unanimité peut se réaliser pour reconnaître en Defacqz un homme de 1830 et un haut magistrat intègre et cultivé, les avis sont plus tranchés sur d’autres aspects de ses engagements. Président du Congrès libéral de 1846, il n’avait pas permis de lever les profonds différends opposant les radicaux et les conservateurs. Quant à la référence explicite à son activité maçonnique, elle confirme, aux yeux de ses anciens adversaires, qu’Eugène Defacqz était avant tout le représentant affirmé d’un parti ; le journal catholique local rappelle volontiers l’opposition de Defacqz à la liberté religieuse et son insistance pour que les pouvoirs publics surveillent la liberté d’enseignement… Dès l’origine, sa statue sur la Grand Place d’Ath ne parvient pas à symboliser l’union de tous les Belges.
Originaire d’Ath où il a fait ses études avant de se rendre à Dijon, Eugène Defacqz (1797-1871) avait obtenu une licence en Droit à Bruxelles en 1817 et exercé comme avocat au barreau de Bruxelles où ses collègues apprécièrent rapidement ses diverses qualités. N’ayant manifesté aucune prise de position à l’égard du Régime hollandais, il se retrouve impliqué dans la Révolution de 1830 quand il est désigné par le Gouvernement provisoire comme membre du comité de Justice chargé de la réorganisation de la magistrature (27 septembre 1830). Désigné conseiller à la Cour supérieure de justice à Bruxelles, il y fera sa carrière pendant quarante ans. Beaucoup plus éphémère est son parcours politique : choisi comme l’un des 3 représentants du district d’Ath au Congrès national (3 novembre 1830), il contribue à l’adoption du principe d’un cens électoral et est l’un des rares congressistes à s’opposer à l’interdiction de toute intervention du pouvoir civil dans les affaires d’un culte. Il aura encore l’occasion d’exprimer son anticléricalisme et son paternalisme radicaux au Conseil communal de Bruxelles (1836-1848) et au Conseil provincial du Brabant (1838-1849) qu’il préside brièvement (1847-1849).
Initié dans la loge L’Espérance dès 1820, il fonde à Bruxelles la loge Les Amis du Progrès en 1838, dont il devint Vénérable. Grand-Maître du Grand Orient de Belgique, il préside l’association de 1842 à 1852. Président du fameux Congrès libéral de juin 1846 – il a été choisi en raison de son autorité morale et de l’indépendance d’esprit dont il a toujours manifesté –, il ne parvient cependant pas à réunir durablement les tendances radicales et conservatrices qui se manifestent alors. Critiqué de part et d’autre, il se retire de la politique active pour se consacrer principalement à sa carrière de magistrat. Avocat général à la Cour de cassation (1832), il est nommé conseiller en 1837 et devient premier président à la Cour de cassation en 1867. Co-fondateur de l’Université libre de Bruxelles, il y donnera pendant quelques années un cours de droit coutumier. En 1846, il publie d’ailleurs le premier volume de son Ancien droit Belgique qui reste une mine de renseignements. D’autres ouvrages sont de la plume d’Eugène Defacqz, élu correspondant en 1856 et membre effectif en 1866 de l’Académie royale de Belgique ; il fut directeur de la Classe des Lettres en 1870. C’est à rendre les multiples facettes de cette éminente personnalité que s’attela le sculpteur Fassin entre 1878 et 1880.
Âgé de cinquante ans, cet artiste liégeois (né à Seny près de Nandrin en 1828) avait fait ses classes à l’Académie de Liège (avec Buckens notamment), puis à celle d’Anvers, avant de gagner Paris, puis Rome où une bourse de la Fondation Darchis lui permit de résider durant cinq ans. Là, en 1863, il réalise le plâtre d’un Acquaiuolo napolitain qui fait sursauter tous les critiques d’art du Salon de Bruxelles. Tous crient au génie et à la révolution artistique : en se détournant des sujets de l’Antiquité, Fassin avait réussi à trouver ses modèles dans la foule du peuple italien, inaugurant un mouvement qui ne fera que s’amplifier. Son œuvre reçoit la médaille d’or et la commande du marbre par le gouvernement. Elle sera exposée à Paris puis à Philadelphie ; par la suite, l’artiste ne parviendra pas à soutenir sa réputation et il tombera dans l’oubli. Installé à Bruxelles dès 1869, Fassin poursuit une œuvre personnelle, tout en participant à des concours pour des commandes officielles, sans grand succès car la concurrence est rude. L’air de Rome manque au Liégeois qui, après divers séjours, finit par s’y établir définitivement en 1882. Il venait d’achever le bronze d’Eugène Defacqz qui semble être sa seule réalisation officielle dans l’espace public.
Déplacé en 1962, le monument Defacqz a été restauré en 1993 et, deux ans plus tard, l’idée de le ramener sur la Grand Place a été évoquée par les conseillers communaux libéraux, qui voulaient profiter des importants travaux de rénovation et d’aménagement de la mobilité au cœur de la cité des Géants. Leur proposition n’a pas été suivie.
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Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 563
Grand Place
7800 Ath
Paul Delforge