Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam
Monument Henri SEBALD (premier soldat français tombé en Belgique en 1914)
Monument au premier soldat français tombé en Belgique en 1914
Réalisé par le sculpteur Alex Daoust et l’architecte Paul Dislaire, juin 1984.
Dès l’annonce de l’attaque allemande, le 4 août 1914, chaque village de Wallonie est plongé en état de guerre. À Houffalize, on s’empresse d’abattre de grands arbres sur toutes les chaussées d’accès et une importante barricade est dressée sur la route de Liège. En suivant la voie du chemin de fer vicinal, les premiers soldats allemands sonnent néanmoins à la porte du bourgmestre, dès le 5 août, et le lendemain, une dizaine d’Uhlans logent à l’Hôtel du Commerce. Surpris à leur réveil par l’arrivée d’un escadron de plusieurs dizaines de Dragons français venant de Libramont, ils se réfugient dans l’écurie et les premiers coups de feu éclatent. Pour sommer les Allemands de se rendre, le brigadier de réserve Henri Sebald, relevant du régiment des XXIIIe Dragons (1er escadron, Vincennes), pénètre dans la cour de l’hôtel. En guise de réponse, il est abattu sur le perron. Il devient ainsi le premier soldat français tombé au combat en Wallonie durant la Grande Guerre. Tandis que les dragons tentent de faire exploser puis d’incendier le lieu de refuge des Allemands, ces derniers tentent de s’échapper : trois sont tués et quatre blessés. Houffalize découvre la guerre. Le 8 août, les quatre soldats tués sont enterrés ensemble dans une fosse commune. Après la guerre, les autorités locales transfèrent les restes du soldat français et lui accordent une concession à perpétuité, juste à côté du monument funéraire dédié aux Houffalois morts durant la guerre. Mort au combat à Houffalize le 7 août 1914, Henri Sebald était né à Versailles le 21 février 1889. Apprenti charcutier, il avait accompli son service militaire de 1910 à 1912 et avait été rappelé comme réserviste pour effectuer un mois d’entraînement en juin 1914. Le 1er août, il était mobilisé comme cinq de ses frères.
À l’automne 1936, dans un contexte général marqué par la montée du nazisme et par le changement de politique extérieure du gouvernement belge (politique dite d’indépendance), les « Anciens Combattants du canton de Houffalize » lancent le projet de commémorer ce fait d’armes et d’honorer le premier Français tombé en Belgique en 1914. Il doit s’agir d’un signe de l’amitié franco-belge. Selon les moyens financiers qui seraient rassemblés sous forme de souscription, le « Comité Sebald » présidé par G. De Greef (aidé par M. Goose, secrétaire-trésorier) envisage indifféremment une plaque ou un monument. L’initiative est placée sous les auspices de l’administration communale, et la présidence d’honneur est attribuée à Justin Dubru, le bourgmestre de la localité en 1914. Ayant obtenu le soutien de l’ambassade de France, les initiateurs mettent sur pied un comité d’honneur où se retrouvent l’ambassadeur de France, le consul général Fernand Sarrien, Paul Van Zeeland, Paul-Henri Spaak, le général Denis, etc.
Le 10 juillet 1938, l’inauguration se déroule en grandes pompes. Quatre jours plus tard, le catholique liégeois Octave Lohest dit toute l’émotion qui l’a gagné lors l’événement, en évoquant l’amitié aux Combattants français. « Cette amitié a reçu dimanche à Houffalize le plus éclatant témoignage. Houffalize avait à toutes ses fenêtres des drapeaux français et belges ; comme en novembre 1918 on criait « vive la France » on répondait « vive la Belgique ». J’étais fier de voir passer en tenue les beaux dragons de France (comme en août 1914). 58.000 Français sont tombés sur notre sol pour sa défense (...) Il y a des heures où le cri de vive la France devient une nécessité (...) ».
La réalisation du monument a été confiée au sculpteur Alexandre Daoust (Bioul 1886 – Champion 1947), aidé par l’architecte houffalois Paul Dislaire qui venait d’achever l’école primaire de la localité. D’une hauteur d’un mètre cinquante, un socle en pierre calcaire supporte à l’origine un imposant obélisque. Sur la face avant du piédestal, le bas-relief réalisé par Daoust montre un soldat français touché par une balle en train de s’écrouler. Le prénom et le nom de ce soldat sont indiqués en lettres grasses au-dessus du bas-relief, tandis que son identité complète est déclinée sur la partie inférieure de la stèle :
BRIGADIER DU XXIIIe DRAGONS
PREMIER SOLDAT FRANÇAIS
TOMBE EN BELGIQUE EN 1914
7 AOUT – 7H
Situé sur la place de la gare, le monument a traversé indemne la Seconde Guerre mondiale, du moins jusqu’à l’offensive Von Rundstedt. En décembre 1944, en effet, il a été fortement endommagé et, une fois la paix définitivement revenue, les autorités communales ne conservent que la partie basse qu’elles déplacent dans le parc de l’hôtel du Commerce, à l’endroit même où Sebald a été tué. Finalement, en juin 1984, le monument est une nouvelle fois démonté et rétabli place de la Gare, au croisement de la rue Moulin Lemaire et de la rue Porte à l’Eau, dans un square spécialement aménagé. L’œuvre de Daoust est ainsi respectée, hormis le fait que l’obélisque n’a jamais été reconstruit, ni les deux pans latéraux du socle où étaient incrustés deux blasons.
Quand il est sollicité, en 1937, pour le monument Sebald, Daoust jouit d’une solide réputation. Dessinateur talentueux, il s’est pris de passion pour la sculpture quand il enseignait les mathématiques à l’Abbaye de Maredsous. Diplômé sur le tard pour pouvoir enseigner le dessin dans les Écoles moyennes de l’État, il accomplit toute sa carrière, comme professeur de dessin, à l’Athénée de Dinant (1920-1946). En parallèle, le co-fondateur de l’Université populaire de Dinant enseigne aussi à l’École industrielle de Dinant. Durant toute la période de l’Entre-deux-Guerres, il s’attèle à ressusciter et à rénover l’art de la dinanderie. Quant à sa propre sculpture, elle se dégage du côté « académique » de ses débuts, pour exprimer son amour de la Wallonie, de ses habitants, de son terroir et de ses traditions. Destiné à immortaliser l’assaut aussi héroïque que vain de quelques « pantalons rouges » lancés à l’attaque de la Citadelle, son remarquable monument L’Assaut, au cimetière français de Dinant, lui ouvre de nouvelles portes (1927). Continuant à sculpter des œuvres d’inspiration personnelle, Daoust répond à des demandes de particuliers et à des commandes officielles. Le bas-relief réalisé pour Houffalize synthétise à la fois ses convictions et son savoir-faire. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il se lance dans un projet qu’il mûrit depuis longtemps : « réaliser un ensemble d’œuvres sculpturales (reliefs, statues) et fusains dont le thème serait d’essence tout à fait wallonne », qu’il intitulerait L’Âme wallonne et qui serait installée à Liège. De ce projet ambitieux, il n’aura l’occasion de réaliser que la partie centrale, « Noël de Wallonie » (1946-1947).
Archives du Consulat de France à Liège, chemise « monument à Houffalize » (1938)
Archives du Consulat de France à Liège, chemise 14 juillet, note Ambassade n°157, Europe n°142, 15 juillet 1938 (dont l’intervention d’Octave Lohest)
Fonds d’histoire du Mouvement wallon, Fonds Carlier, boite 62, Correspondance
La Vie wallonne, juin 1938, CCXIV, p. 290
La Voix du Combattant, 3 septembre 1938
Le Gaulois, 4 mars 1950, n°183, p. 6
Jean SCHMITZ, Dom Norbert NIEUWLAND, Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, Bruxelles, Paris, première partie, 1920, p. 56-57
Paul GEORGES, Luc NOLLOMONT, Jo VERBRUGGHEN, Fors l’oubli. Petit guide des monuments et plaques commémoratives des deux guerres 1914-1948 — 1940-1945 situés sur la commune de Houffalize, dans Bulletin du Cercle d’Histoire et d’Archéologie, Segnia, 1994, t. XIX, fascicule n°3, p. 24 et 27
Jean SERVAIS, Le sculpteur Alex Daoust, dans La Vie wallonne, 1947, n°238, p. 81-104
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 288
Place de la Gare
Au croisement de la rue Moulin Lemaire et de la rue Porte à l’Eau
6660 Houffalize
Paul Delforge