Photo Paul Delforge-Diffusion Institut Destrée-Sofam
Statue Baudouin de Constantinople
Statue équestre de Baudouin de Constantinople, réalisée par le statuaire Jean-Joseph Jaquet et l’architecte communal Charles Vincent, 19 mai 1868.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, aucune statue n’a encore été érigée sur le sol de la ville de Mons. Les autorités locales nourrissent certes quelques projets, mais ne semblent pas pressées. En 1850, les noms de Roland de Lassus et de Baudouin de Constantinople sont en concurrence, y compris pour l’emplacement. Chronologiquement, c’est le musicien qui va l’emporter, bénéficiant du soutien actif d’une société locale. Sa statue est inaugurée en 1853, en dehors de la Grand Place, lieu qui doit accueillir la statue équestre de Baudouin de Constantinople. Ce personnage a les faveurs des autorités belges. En effet, il est l’une des six « gloires nationales » qui bénéficie d’une statue pour décorer le péristyle du grand vestibule du Parlement. La décision a été prise par le ministre de l’Intérieur, Jean-Baptiste Nothomb en 1845.
Deux ans plus tard, le peintre Louis Gallait en fait aussi le personnage principal de l’une de ses œuvres majeures. Jeune État né d’une révolution en 1830, la Belgique incite les peintres et les sculpteurs à « honorer la mémoire des grands hommes belges » dans l’espace public. Chef de Cabinet, en charge de l’Intérieur (1847-1852), Charles Rogier invite chaque province à élever un monument dans son chef-lieu. Soutenu par son successeur, Joseph Piercot, le projet se concrétise lorsque Rogier redevient ministre, entre 1858 et 1868. Aux quatre coins du pays, les édiles municipaux se mobilisent bon gré mal gré (en raison des coûts) dans un projet qui se veut collectif, mais qui révèle à la fois des particularismes locaux et des interrogations sur la définition de «belge».
Ainsi, à Mons, tant le choix de Baudouin de Constantinople que le lieu d’implantation du monument ne font pas l’unanimité. De longues discussions et controverses mobilisent les esprits pendant près de quinze ans. En quoi ce personnage du XIIIe siècle, né à Valenciennes et comte de Flandre, représente-t-il le Hainaut belge ? Est-il vraiment le père des importantes chartes hennuyères de 1200 ? En retenant ce « croisé », ne va-t-on pas honorer un guerrier, parti à la Croisade pour sauver la foi chrétienne, en imposant sa vision du monde aux autochtones ? Prenant l’initiative, la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut met le choix de Baudouin au concours, mais personne ne réponde, ni en 1853, ni en 1854. Président de la Société, Camille Wins fait alors l’éloge de la gloire nationale attachée au Hainaut (1855), tout en réclamant de la ville qu’elle se détermine rapidement.
Parce qu’il était comte de Flandre sous le nom de Baudouin IX (1194-1205) et comte de Hainaut sous le nom de Baudouin VI (1195-1205) avant de partir pour la croisade, où il devint empereur de Constantinople, pendant quelques mois seulement, sous le nom de Baudouin Ier, le personnage paraît être porteur des valeurs nationales que l’on souhaite développer. De surcroît, le gouvernement belge attache une importance toute particulière au choix de ce personnage ayant acquis la notoriété la plus grande sur le plan international par son élection comme empereur de Constantinople, car le titre de « comte de Hainaut » vient de faire l’objet d’un arrêté royal (12 juin 1859). Ce titre est créé à côté de titres honorifiques déjà existants, portés par la famille royale. Avec les trois titres « comte de Hainaut, « comte de Flandre » et « duc de Brabant », « Nos populations wallonnes et flamandes, confondues dans l’unité monarchique et constitutionnelle fondée en 1830, auraient de la sorte (…) leur personnification historique près du Trône », précise le rapport qui motive l’Arrêté royal… Poussé dans le dos par le ministre Rogier qui assure le financement du projet à raison de 30 à 40% de son coût, la ville sollicite la générosité de l’institution provinciale, si bien que la présence d’une statue de Baudouin de Constantinople à Mons devient une affaire qui regarde tout le monde, les politiques à tous les niveaux de pouvoir, ainsi que les journalistes qui alimentent une polémique. Arrivant sur la place publique le débat est aussi alimenté par les historiens appelés à la rescousse, tandis que l’appréciation de l’emplacement – Mons est en train de démanteler son ancienne forteresse – interpelle tous les citoyens. Le conseil communal de Mons retient « Baudouin » lors de sa séance du 16 juin 1860 ; il est rejoint par le conseil provincial du Hainaut le 21 juin 1863.
Quant au choix du statuaire chargé de l’exécution du monument, il ne fait pas débat, car il est imposé par l’arrêté royal du 23 janvier 1864 qui entérine le choix de Baudouin de Constantinople. Né à Anvers, formé à l’Académie de Bruxelles par le Liégeois Louis Jehotte,
(Jean)-Joseph Jaquet (1822-1898) se perfectionne auprès de Guillaume Geefs avant de voler de ses propres ailes. Dès 1845 et son modèle pour le Monument Froissart à Chimay, il est sollicité par le gouvernement qui multiple les commandes. Sa collection atteint les 300 statues et groupes, et une trentaine de bustes, souvent réalisés avec son frère Jacques. À titre personnel, il s’inspire de l’antiquité et de la Bible pour les plâtres et les marbres qu’il imagine. Nommé en 1863 professeur de sculpture d’après la figure antique à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, il y devient aussi titulaire du cours de sculpture d’ornement, à partir de 1888. Parmi ses élèves figurent Thomas Vinçotte, Rombaux, Lagae ou Dubois.
Précédé par sa réputation, J-J. Jaquet commence à travailler sur le projet montois en novembre 1864. Interrogé sur le meilleur emplacement parmi trois qui lui sont propos
és, l’artiste opte spontanément pour le rond-point de l’avenue d’Havré et son choix devient parole d’Évangile, mettant presque un terme aux discussions qui déchirent toujours les Montois (186
5).
Alors que l’inauguration officielle est annoncée pour septembre 1867 (dans le cadre des commémorations officielles des « Journées de Septembre 1830 »), le statuaire demande et obtient l’autorisation de présenter son œuvre dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris. Voyant l’opportunité de magnifier l’œuvre de leur ville, voire de couper court aux critiques négatives, les autorités doivent rapidement déchanter tant leur Baudouin fait pâle figure à côté des immenses statues présentées par la Prusse, à l’exposition de Paris. C’est finalement dans la plus totale discrétion que l’architecte communal, Charles Vincent, réalise le socle/piédestal en pierre de Soignies (fin 1867) et que la statue équestre prend place au printemps 1868. Il est vrai qu’une nouvelle polémique a surgi au sujet des deux bas-reliefs à installer sur les faces latérales du socle. Il était prévu une représentation de « L’Assemblée des États à Mons » quand Baudouin octroie et fait approuver les chartes de 1200, ainsi qu’une scène de « Couronnement »,
inspiré du tableau peint par Louis Gallait en 1847. Finalement, le Couronnement est remplacé par « l’Institution de la Haute Cour du Hainaut sous les chênes de Hornu ». Mais, à la suite de divers articles de presse, la contribution que Charles de Bettignies publie, dès juin 1868, dans les Annales du Cercle archéologique, dénonce des erreurs historiques et, notamment, pointe du doigt la présence de représentants de l’Église (évêques et abbés mitrés). Entre les anachronismes et les imprécisions historiques se glisse un débat éminemment politique auquel s’ajoutent des blagues potaches ou des surnoms moqueurs (« Baudouin le Turc, dit le Vagabond », « le coupeur d’oreilles », « l’inventeur de la tarte au fromage », etc.) qui décrédibiliseraient toute inauguration en grandes pompes. Le 19 mai 1868, la statue équestre est installée, sur le rond-point d’Havré – place de Flandre, sans aucun cérémonial.
Bien plus tard, quand cet espace de la cité du Doudou est réaménagé, la statue
équestre de Baudouin de Constantinople (1171-1204/1205) est déplacée, fait l’objet d’une rénovation et s’inscrit dans le prolongement de l’une des grandes avenues menant au centre de Mons. Proche du parc du Waux-hall, le lieu porte désormais le même nom que le chevalier en question.
Statue équestre en bronze, le monument de Baudouin de Constantinople que Jules Destrée trouvait beau et ridicule comme un ténor d’opéra est porté par un nouveau socle où l’on a maintenu les explications initiales :
« BEAUDOUIN, EMPEREUR DE CONSTANTINOPLE
COMTE DE FLANDRE ET DE HAINAUT
AUTEUR DES CHARTES DE L’AN 1200 »
Les deux bas-reliefs explicatifs ont aussi été réinstallés. L’ancien socle reste visible dans le square entre le boulevard Kennedy et l’école des Ursulines.
Charles DE BETTIGNIES, La statue équestre de Baudouin de Constantinople, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, Mons, 1867, t. VII, p. 417-431, suivi d’une biographie, p. 432-446
Jean WUILBAUT, Mons 1853-1868. Controverses autour de la statue de Baudouin de Constantinople, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, Mons, 1988, t. 73, p. 1-45
Richard KERREMANS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 458-459
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 762
Alain DIERKENS, La statuaire publique, dans L'architecture, la sculpture et l'art des jardins à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1995, p. 246-250
Jules DESTRÉE, Mons et les Montois, 1933, p. 17-18
avenue Baudouin de Constantinople (anciennement place de Flandre)
7000 Mons
Paul Delforge