Guy Focant

Hôtel de Hayme de Bomal et la Maison Curtius


 

La façade de l’hôtel de Hayme de Bomal, du côté du quai de Maestricht © IPW

Vaste édifice en calcaire et brique enduite ou peinte, l’hôtel de Hayme de Bomal est construit sur un plan en U. Il présente deux façades à rue dont une première, discrète, s’ouvre sur la place Saint-Barthélemy et une seconde, plus majestueuse, expose son riche décor sur le quai de Maestricht. L’hôtel de maître a été érigé entre 1775 et 1778, probablement par Barthélemy Digneffe, pour le compte du bourgmestre Jean-Baptiste Hayme de Bomal. L’hôtel a aujourd’hui intégré le complexe muséal du Grand Curtius après avoir été pendant de longues années affecté aux collections du musée d’armes de la ville de Liège. Il comporte une cour intérieure agrémentée d’une fontaine et de somptueux salons richement décorés accessibles par un élégant escalier d’honneur. Il s’agit encore d’un des plus beaux exemples d’architecture et d’arts décoratifs néoclassiques conservés en Belgique.

Quelques années à peine après son édification, l’hôtel de Hayme de Bomal passe entre les mains de la famille d’Ansembourg. Comme de nombreuses autres demeures possédées par des personnalités de la noblesse ou de la haute bourgeoisie d’Ancien Régime, il est envahi, pillé et souillé par des révolutionnaires avant d’être affecté, le 6 août 1795, par le comité révolutionnaire comme logement pour les représentants du peuple. Le bâtiment est ainsi pour la première fois lié à des fonctions administratives : les commissaires envoyés à Liège par la Convention pour organiser ce qui deviendra le département de l’Ourthe y trouvent un logement de fonction. En 1800, à l’arrivée du premier préfet Antoine Desmousseaux, l’hôtel de Hayme de Bomal devient la préfecture du département. Il abrite les logements de fonctions du préfet du département de l’Ourthe. Les bureaux de l’administration départementale sont installés non loin de là, dans la maison Curtius, très bel édifice de style Renaissance mosane édifié en bord de Meuse au XVIIe siècle. Ce rôle administratif perdure après le départ des Français : les Hollandais affectent le bâtiment aux services du gouvernement provincial en 1815.
 

La plaque commémorative des deux visites de Napoléon à Liège sur la façade de l’ancienne préfecture de l’Ourthe © IPW

Bonaparte et Joséphine logent à cet endroit les nuits des 1er et 2 août 1803 à l’occasion de la visite du Premier Consul dans les départements réunis. L’empereur Napoléon Ier et Marie-Louise y font une seconde visite le 7 novembre 1811. Aujourd’hui, une plaque commémorative apposée sur la façade du quai de Maestricht rappelle cette visite et l’affectation du bâtiment au début du XIXe siècle : « Dans cette maison, palais du gouvernement et hôtel de la préfecture sous le régime français, le général Bonaparte, Premier Consul de la République, accompagné de madame Bonaparte a séjourné du 13 au 15 thermidor an XI (1-3 août 1803). Devenu Napoléon, empereur des Français, il y logea avec l’impératrice Marie-Louise dans la nuit du 7 au 8 novembre 1811 ».

Longtemps exposée dans l’hôtel Hayme de Bomal, une célèbre peinture d’Ingres se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Liège. Intitulée Bonaparte, Premier Consul, la toile a été peinte en 1804 à la demande de Napoléon qui n’a probablement jamais accordé de séance de pose à l’artiste. Il est représenté âgé de 34 ans, posant sa main sur un document sur lequel est inscrit « Faubourg d’Amercoeur rebâti », témoin de la volonté du Premier Consul d’aider financièrement les habitants de ce quartier liégeois bombardé par les Autrichiens à reconstruire leurs habitations. Il porte le costume rouge de consul de la République et pose devant une fenêtre ouverte au travers de laquelle on aperçoit la citadelle et la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Lambert du temps de sa splendeur. Au moment de la réalisation du portrait, la cathédrale était en effet déjà en cours de démolition. L’œuvre fut ensuite offerte par Napoléon à la ville de Liège, comme cela fut d’ailleurs le cas pour d’autres villes (des portraits similaires sont notamment conservés à Anvers et Bruges parmi d’autres nombreuses villes de l’Empire).
 

Bonaparte, Premier Consul, peinture d’Ingres conservée au musée des Beaux-Arts de Liège © Ville de Liège

Féronstrée 136 
4000 Liège

carte

Frédéric MARCHESANI, 2014

SPW

Maison Curtius

Exemple le plus abouti du style mosan, la maison Curtius a été construite de 1597 à 1605 par Jean Curtius, munitionnaire des armées du roi d’Espagne, pour abriter ses activités commerciales. Composé de quatre niveaux en brique et pierre de Meuse, l’édifice est complété par une tour reconstruite en 1904 et par un vaste portail cintré. L’intérieur conserve, au premier étage, deux cheminées monumentales polychromées (1604). 

À cette partie publique s’ajoute une autre privée qui servit à la résidence de Jean Curtius, mais qui fut dénaturée au fil des siècles. 

Ces deux éléments sont de nouveau réunis dans le cadre de l’ensemble muséal du Pays de Liège, « Le Grand Curtius ».

Quai de Maestricht 8
4000 Liège

carte

Classée comme monument le 14 janvier 1950
Patrimoine exceptionnel de Wallonie

Institut du Patrimoine wallon

Depuis la fin du Moyen Âge, le pays wallon voit prospérer les industries dans de nombreux secteurs : la dinanderie, le textile, la houille et la métallurgie, qui va connaître un essor considérable. Cette leçon offre un tour d’horizon des ces mutations capitales, déjà à l’œuvre du XVe siècle jusqu’à la révolution industrielle.

no picture

Godefroid Wauthier

Socio-économique, Entreprise

Lantremange (Waremme) date de naissance inconnue, Liège 1595

Au XVIe siècle, Wauthier Godefroid (ou Godefrin) apparaît comme un investisseur audacieux et « un pionnier de la fonderie liégeoise », selon l’expression de l’historien René Evrard qui, le premier, l’a sorti de l’oubli. Bourgeois de la cité liégeoise disposant de quelques fonds qu’il cherche à investir, Wauthier Godefroid exerce le métier de brasseur quand il décide d’exploiter un fourneau avec fonderie aux portes de la cité, du côté du quartier des Vennes ; l’autorisation lui est accordée le 13 octobre 1548 par le prince-évêque. Ne disposant pas lui-même des compétences nécessaires, Godefroid s’associe avec un spécialiste, Lambert de Spa, maître de forges et ancien gouverneur du bon métier liégeois des fèvres. Entre le marchand et le technicien, entre le commercial et l’artisan, l’alchimie est parfaite : très vite voit le jour ce qui peut être considéré comme le berceau de la future puissante Compagnie générale des Conduites d’eau.

Réalisant d’abord des produits moulés d’usage commun, le marchand se porte acquéreur d’une affinerie du côté de Colonster pour transformer en fer ses surplus de fonte. Son remariage vers 1565 contribue au développement de ses affaires qu’il diversifie (notamment la meunerie), mais sans abandonner ses activités sidérurgiques. Tout en achetant plusieurs gisements de fer, de calamine, de cuivre et de plomb de la région, il acquiert pour moitié un autre fourneau à Sauheid (1569), y construit une nouvelle fonderie (1572), puis acquiert encore un fourneau à Colonster, toujours le long de l’Ourthe.

Dans le même temps, la guerre est aux portes de la principauté de Liège, les Espagnols étant aux prises avec une opposition à la fois politique et religieuse. Quand l’Angleterre décide de stopper ses livraisons de canons, les Espagnols cherchent de nouveaux fournisseurs. Avec Lambert de Spa, Wauthier Godefroid relève le défi de fournir dans un délai très court une commande qui dépasse de loin les capacités de ses outils et qui ne correspond pas à sa production habituelle. S’alliant avec un concurrent et bénéficiant du savoir-faire technique de Lambert de Spa, Wauthier Godefroid respecte son contrat, tout en fournissant des canons d’une qualité supérieure (1575). En soi, il s’agit d’un exploit technique puisque des fabricants de fonte moulée se sont transformés en très peu de temps en fondeurs d’artillerie.

Malgré les difficultés générées par les Espagnols à la réception de la commande, W. Godefroid poursuivra pendant vingt ans ses livraisons d’armement, fournissant même un nouveau type de canon en fer d’une plus grande puissance de tir. « Grâce à cet audacieux, les fonderies du pays de Liège allaient devenir trois siècles durant les spécialistes de deux fabrications aussi dissemblables que les massifs canons de fonte et les minces poteries domestiques, et ouvrirent la région à la grande métallurgie du fer » (RCEW). De 1575 à 1582, Godefroid exploite – en le louant – le fourneau dit des Polets, dont se servira plus tard Daniel Kock.

Disparaissant au moment où émerge Jean Curtius, Wauthier Godefroid a fait œuvre de précurseur. Comme l’observe René Evrard, le brasseur des origines rompt avec les méthodes traditionnelles, se défait de toutes attaches à l’égard des corporations, et creuse son sillon par une politique d’investissement décidée, en tissant des alliances personnelles utiles et en s’entourant d’associés compétents. Directeur commercial et financier, Wauthier Godefroid oriente ses capitaux avec efficacité et est l’un des premiers représentants du capitalisme industriel qui va s’étendre à tout le pays wallon. En l’absence d’héritier, l’entreprise des Vennes est acquise par la famille Butbach.

 

Sources

René EVRARD et Armand DESCY, Histoire de l’Usine des Vennes, suivie de Considérations sur les Fontes Anciennes 1548-1948, Liège, Soledi, 1948, en particulier p. 35-46
René EVRARD, Wauthier Godefroid, le premier fondeur de canon de fer, dans Industrie, 1955, p. 401-404
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 277
Revue du Conseil économique wallon, n°27, juillet 1957, p. 74-75
Chronique archéologique du Pays de Liège, Liège, IALg, 1964, p. 65-66
Jean YERNAUX et M. MATHY, Une famille de pionniers industriels wallons au XVIIe siècle : les Kock, de Limbourg, dans Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, classe des Lettres, 5e série, t. 46, p. 66-124

Curtius Jean

Socio-économique, Entreprise

Liège 1551, Lierganes (Espagne) 11, 12 ou 13/07/1628

Surnommé le « Fugger liégeois », Jean Curtius illustre à lui seul le développement du capitalisme dans la principauté de Liège au tournant des XVIe et XVIIe siècles. Son nom est inévitablement associé à l’impressionnant bâtiment devenu musée que nul ne peut éviter lorsqu’il longe les quais de la Meuse, dans le nord de Liège. Classée comme patrimoine exceptionnel de Wallonie, ce qui est une bâtisse privée, construite entre 1597 et 1605, est à l’image de son propriétaire.

Fils d’un notaire de l’officialité, marié en 1574 à la fille d’un riche marchand liégeois, Jean de Corte hérite des affaires de son beau-père. On ne connaît pas bien son activité entre 1574 et 1587, moment où il est identifié comme « mesureur de toiles de la cité » de Liège (Oris). À la fin du siècle, il apparaît clairement qu’il a réussi à tirer parti des circonstances politiques et religieuses qui déchirent notamment le pays wallon, en vendant de la poudre à canon aux armées espagnoles. Installé en principauté de Liège qui bénéficie d’un relatif statut de neutralité, Curtius qui est catholique prend résolument le parti des Espagnols dans leur lutte contre les réformés. Ce choix s’avère payant puisqu’il lui permet de recevoir du gouverneur général des Pays-Bas le monopole de la collecte du salpêtre dans la principauté de Liège, le Namurois, le duché de Lorraine, l’électorat de Trêves, l’évêché de Verdun et les territoires de la rive droite de la Meuse (1590). Plaçant ses intérêts d’entrepreneur avant ses convictions, le « munitionnaire général pour la partie orientale des Pays-Bas » n’hésite pas à recourir à des salpêtriers « hérétiques » venant de France, d’Allemagne et de Lorraine pour les faire travailler dans ses moulins de Liège et surtout de Malmédy. Par l’utilisation de la houille récemment exploitée, « l’industriel » dispose d’un autre avantage face à la concurrence.

Investissant dans la construction d’une poudrerie en Outre-Meuse (1589) et d’une autre à Vaux-sous-Chèvremont (1595-1597), Jean Curtius achète encore des parts dans des aluneries, des houillères et des areines ; prêtant des fonds aux autorités municipales et aux « princes », il détient diverses grosses propriétés immobilières et seigneuries, quand il commence à faire construire son imposante demeure privée sur les bords de la Meuse, en style renaissance mosane. Sa générosité à l’égard des Capucins est une autre forme d’investissement, cette fois en termes d’image de marque… Ayant constitué sa fortune en fournissant les armées espagnoles en guerre, Curtius va évidemment souffrir de la trêve de douze ans conclue dans les Pays-Bas (1609-1621). Endetté et disposant d’un stock de munitions immobilisé, Jean Curtius se lance dans un nouveau projet : construire en Espagne une usine métallurgique à fondre et à étirer le fer destiné à l’armée espagnole. En 1616, le roi d’Espagne lui octroie un monopole de douze ans lors de la création d’une société dirigée par Curtius et deux associés, le pagador Ugarte et le duc de Ciudad-Real, vice-roi de Navarre. Disposant de minerais de fer en Biscaye, Jean Curtius a l’intention de recruter de la main-d’œuvre liégeoise et de transférer le savoir-faire et des machines liégeoises en terres espagnoles. Très vite, le septuagénaire doit déchanter ; la Biscaye ne convient pas et il déplace ses activités dans l’est de la province de Santander « où se trouvaient réunis eau, minerai de fer, forêts, sables et argiles de moulage et le port de Santander pour les débouchés ».

Loin de Liège où il a laissé son patrimoine à ses fils, Jean Curtius est confronté à de multiples problèmes, dont l’adaptation de la main d’œuvre au climat et la défection d’Ugarte. En 1622, il reçoit un nouveau monopole royal de quinze ans « pour fabriquer de l’artillerie, fondre le fer à clous, tréfiler » et ce n’est qu’en 1628 qu’il commence à voir le résultat de ses efforts. Épuisé et ruiné, il décède cependant à Lierganes au moment où deux hauts-fourneaux deviennent opérationnels. Ce sont les partenaires espagnols qui l’ont rejoint peu de temps avant sa mort qui vont pleinement bénéficier des commandes de canons destinés à l’armée espagnole, à partir de 1630. À titre posthume, Ferdinand II décerne, le 29 décembre 1628, un diplôme d’anoblissement à ce capitaine d’industrie du pays wallon au destin exceptionnel.

Sources

Bruno DEMOULIN, Jean Curtius, dans Jean-François POTELLE (dir.), Les Wallons à l’étranger, hier et aujourd’hui, Charleroi, Institut Destrée, 2000, p. 79-83
Robert HALLEUX, dans Jean-François POTELLE (dir.), Les Wallons à l’étranger, hier et aujourd’hui, Charleroi, Institut Destrée, 2000
Michel ORIS, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Jean LEJEUNE, dans Biographie nationale, t. XL, col. 149-164
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 293-294
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 277
Marc EVRARD, Sur la commémoration du 350e anniversaire de la mort de Jean Curtius (1551-1628), dans La Vie liégeoise, n° 11, novembre 1978, p. 11-16

Sous l’Ancien Régime - et particulièrement durant les guerres de religion - nombreux sont les Wallons qui émigrent pour des raisons financières, culturelles ou spirituelles. D’Amérique en Chine, en passant par la France, la Suède et l’Égypte, plusieurs d’entre eux ont ainsi marqué de leur empreinte indélébile leur pays d’accueil. Retrouvez ici leurs parcours et leurs réalisations emblématiques qui, aujourd’hui encore, témoignent de leur savoir-faire.

Grandes découvertes et inventions

Grandes découvertes et inventions

Carrefour de l'Europe ouvert à ses influences, la Wallonie a, de tout temps, été traversée par les grands courants scientifiques et technologiques. Les Wallons en ont assimilé les multiples apports et ont développé leurs propres techniques, participant ainsi, parfois de façon décisive, à l’évolution de la connaissance. Des parcours édifiants que vous pourrez retrouver dans cette leçon, au travers d’une synthèse et de documents éclairants.

S'abonner à CURTIUS Jean