Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Mémorial Léon SOUGUENET

Mémorial Léon Souguenet, réalisé par Godefroid Devreese, 28 août 1932.

Dans les bois de la commune d’Esneux, un sentier balisé porte le nom de « Promenade Léon Souguenet, Fondateur de la Fête des Arbres » et il emmène jusqu’à un mémorial situé sur le site de Beaumont. Au pied d’un tilleul argenté apparaît une pierre brute, où sont insérés un médaillon d’une part, une plaque en bronze, d’autre part. Ce mémorial est le premier dédié à Léon Souguenet ; il a été inauguré de son vivant à l’initiative de l’Association pour la Défense de l’Ourthe, en particulier de son président Louis Gavage. Lors de l’inauguration, en août 1932, ce dernier a rappelé le rôle joué par une série de pionniers écologistes – pourrait-on écrire – qui se sont mobilisés pour sauvegarder la forêt et les sites naturels non pour des raisons esthétiques, mais en raison de leur rôle physiologique et climatique. Parmi ces pionniers, on rencontre Jean d’Ardenne, Edmond Picard, René Stevens, Charles Bernard, Isi Collin, Olympe Gilbart, Auguste Donnay, Charles Delchevalerie et… Léon Souguenet.

Co-fondateur de l’hebdomadaire politique Pourquoi Pas ? en 1910, avec George Garnir et Louis Dumont-Wilden, Léon Souguenet (1871-1938) a acquis une notoriété certaine par ses talents d’écriture qu’il exerce dans la presse quotidienne, ainsi que par la publication de livres. De nationalité française, établi à Liège, Souguenet dirige Le Journal de Liège à l’entame du XXe siècle. Il fréquente volontiers les milieux artistiques et littéraires dont un petit groupe qui prend volontiers ses quartiers d’été du côté de Tilff-Esneux, dans le hameau de Ham. Les forêts et les bords de l’Ourthe ravissent les artistes, qu’ils soient peintres, musiciens ou écrivains. Saisissant l’occasion de la présence de toutes ces personnalités déjà bien connues, la « Ligue des Amis des Arbres », association nouvellement fondée à Bruxelles, choisit Esneux pour organiser la première « Fête des Arbres » en Belgique, le 21 mai 1905. Mêlant sa passion pour la nature et sa volonté de la défendre, Souguenet se fait un ardent propagandiste de l’initiative qui voulait se répandre, régulièrement, dans tout le pays. En 1906, une plaque commémorative de l’événement était inaugurée à Esneux, où figurait un long poème en wallon écrit par Oscar Colson en faveur de la préservation des arbres et des sites naturels.

Le Mémorial Souguenet du Bois de Beaumont est signé par le sculpteur Godefroid Devreese (1861-1941), fils du sculpteur Constant Devreese. Formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles auprès d’Eugène Simonis, puis de Charles Van der Stappen, ce Courtraisien s’est rapidement fait remarquer, obtenant le 2e Prix de Rome 1885. Installé à Bruxelles depuis 1881, où il fait toute sa carrière, cet ami et collaborateur de Victor Horta puise son inspiration dans l’antiquité, réalise des bustes tant d’intérieur que d’extérieur, avant de se spécialiser aussi comme médailleur à la fin du XIXe siècle, tout en continuant à recevoir de nombreuses commandes publiques. Parmi ses principaux monuments figure celui des Éperons d’Or, inauguré à Courtrai en 1906. Au-delà de sa réputation, Devreese est choisi à Esneux parce qu’il est aussi un défenseur de la nature ; grand admirateur de l’engagement de Souguenet en faveur de la préservation des sites, Devreese est membre de l’Association de la Défense de l’Ourthe, depuis sa création, en 1924, à Esneux par Louis Gavage. Le Mémorial Léon Souguenet n’occupe pas une place artistique particulière dans l’œuvre du sculpteur, mais il s’agit d’un geste d’amitié puisqu’il accepte de réaliser grâcieusement le médaillon en bronze représentant le profil gauche de Souguenet, et ce en moins d’un mois. Sous le médaillon se trouve une plaque commémorative.

Mémorial Léon Souguenet

Fidèle à la tradition des plaques offertes avant-guerre par la société Cockerill, la plaque en bronze portant l’inscription :


« Cet arbre a été planté 
en l’honneur de Léon Souguenet,
défenseur de Beaumont
L’Association pour la défense de l’Ourthe
28 août 1932 ».


a été offerte par les frères Greiner, responsables au sein de la société qui a aussi coulé le médaillon dans le bronze. Quant aux pierres livrées brutes, elles ont été travaillées par le « père Honhon », maître tailleur de pierres à Esneux. Il a utilisé une pierre calcaire, la laissant assez brute, en forme de petit menhir, qu’il a orné du grand médaillon en bronze.

C’est un Souguenet d’âge mûr qui est représenté. Le monument est installé devant un jeune tilleul argenté planté pour l’occasion. Le dimanche 28 août 1932, les discours prononcés devant une foule très nombreuse sont autant d’appels à la mobilisation en faveur de la préservation de la nature, le rôle de Souguenet dans l’élaboration des lois de 1911 et 1931 étant souligné.

Quant au site de Beaumont où est implanté le monument, il s’agit d’un haut plateau encerclé par l’Ourthe offrant un panorama exceptionnel. L’endroit soigneusement choisi appartient à la commune d’Esneux car l’autre partie du site est propriété de la Commission d’Assistance publique de Liège qui veut y implanter un lotissement ; contre ce projet immobilier, l’ADO de Louis Gavage se mobilise depuis 1924. Une petite partie du site (5 ha sur 17) fera l’objet d’un classement en 1936, après une dizaine d’années de campagne de sauvegarde menée par Louis Gavage et ses amis. Il faut encore attendre 1944 e

t la fin d’un long procès, pour que le litige entre la Commission d’Aide publique de la ville de Liège, propriétaire de Beaumont, et l’État soit tranché en faveur du second ; les menaces de lotissement sont alors écartées et le site devient un sanctuaire dédié à la seule nature. Pendant quelques années encore, plusieurs classements partiels conduiront à protéger l’essentiel de la Boucle de l’Ourthe qui, en 1993, obtient le statut de « patrimoine exceptionnel de Wallonie ».

Le médaillon actuel n’est pas l’original ; en effet, durant l’hiver 1978-1979, le médaillon en bronze de Devreese est volé par un quidam qui est appréhendé ; il a cependant eu le temps de fondre l’œuvre. Une copie sur base d’un modèle réduit est réalisée par Pauline Claude ; le « nouveau » bronze est coulé en Italie et l’inauguration du monument restauré a lieu en 1981.

Sources

Denise CLUYTENS-DONS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 364-366
A. PRICK-SCHAUS, N. MALMENDIER et M. DE SELLIERS, « Arts et Nature – temps et espace – Esneux », 2005
http://www.esneux.be/site/loisirs_et_dec/histoire/index.php?ref_annu=1217&ref_annu_page=945 (s.v. décembre 2013)
La Vie wallonne, juin 1936, CXC, p. 316-319
Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres - 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine DEGIVE, 2005, p. 95-99, 173, 178
Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe, numéro spécial, n°49, juillet-août-septembre 1932, p. 129-207
 

Bois de Beaumont
4130 Esneux

carte

Paul Delforge

Paul Delforge

Monument Émile HENRICOT

Monument « Instruction – Travail » dédié à Émile Henricot, réalisé par le sculpteur Godefroid Devreese et l’architecte Henri Jacobs, août 1911

Le monument inauguré en août 1911 en l’honneur de l’industriel Émile Henricot, décédé l’année précédente, est initialement implanté au début de la place des Déportés, le long de la rue qui porte son nom. Rénové et restauré par les autorités locales au début du XXIe siècle, l’impressionnant groupe réalisé par l’architecte Jacobs et le sculpteur Devreese a été déplacé de l’autre côté de la place, face au hall n°11 de la première usine Henricot.

L’industriel a joué un rôle majeur dans le développement de la cité du Brabant wallon. Né à Jemeppe-sur-Sambre en 1838, diplômé de l’Université de Liège comme ingénieur civil et ingénieur des mines, Émile Henricot est engagé comme directeur-gérant aux Forges, Fonderie, Platinerie et Émaillerie de Court-Saint-Étienne, société appartenant notamment à Albert Goblet comte d’Alviella, mais à la santé financière précaire (1865). Rapidement, il la redresse et en devient copropriétaire quand elle se transforme en Henricot et Cie (1867), avant d’en être l’actionnaire principal à la mort d’Albert Goblet (1873), puis le propriétaire (1883). Il apporte à l’Usine Émile Henricot des transformations majeures qui la place à la pointe des progrès techniques de son temps. Actionnaire de nombreuses autres sociétés et actif membre de cercles et syndicats industriels comme agricoles, ce patron libéral progressiste et anticlérical contribue à l’amélioration des conditions de travail de ses ouvriers. Échevin de Court-Saint-Étienne, conseiller provincial du Brabant, il est élu député de l’arrondissement de Nivelles de 1888 à 1896, avant de siéger au Sénat (1900-1910), comme sénateur provincial. Par les emplois disponibles dans son entreprise et les largesses dont il fait preuve sur le plan local, c’est autour de ses ateliers que va se développer l’entité de Court-Saint-Étienne, au tournant des XIXe et XXe siècles. Décédé à Alexandrie en mars 1910, l’industriel va demeurer éternellement au cœur de la cité lorsqu’est érigé un monument en son honneur.

Par sa dimension – la stèle fait 4 mètres de haut –, il s’inscrit ostensiblement dans l’espace public. Le granit rose qui a été choisi tranche aussi par son originalité ; il a été dessiné par Henri Jacobs ; ses décorations dans la pierre sont minimalistes, et essentiellement destinées à mettre en évidence un médaillon rectangulaire et un groupe de deux personnages en bronze à l’avant-plan. Sur la face avant, apparaissent ainsi, de haut en bas, les mots suivants :

« INSTRUCTION
TRAVAIL

A
ÉMILE HENRICOT
    1838
1910 »

Réalisé par Godefroid Devreese qui y laisse sa signature, le médaillon en bronze représente le profil gauche de l’industriel. Il est fixé sur la partie haute de la stèle en granit. Devant la stèle, sur un large support, le sculpteur a figé deux personnes grandeur nature : l’ouvrier le plus âgé de l’entreprise en 1910 et le plus jeune apprenti symbolisent ainsi en quelque sorte la transmission du savoir(-faire). Habillé de ses vêtements de travail et soutenu sur une enclume où il est en partie assis, l’aîné tient un plan sur sa jambe gauche repliée et donne des explications à l’apprenti qui tient une sorte de petite roue dans la main gauche. Sur son plan, l’ouvrier paraît former un cercle avec une sorte de compas. Plusieurs outils (dont un imposant marteau et une tenaille) sont représentés au pied des deux ouvriers. Comme souvent, Godefroid Devreese a laissé sa signature sur la partie inférieure de sa réalisation, à gauche sur le bas de l’enclume, tandis qu’à droite apparaît la mention « Fonderie nationale des Bronzes - Ancienne firme J. Petermann - St Gilles - Bruxelles ». À l’époque, il n’est pas courant qu’un monument dédié à un patron représente aussi nettement les ouvriers au travail.

Monument Émile Henricot

Cette représentation est due à Godefroid Devreese (1861-1941), fils du sculpteur Constant Devreese. Ce Courtraisien a été formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles auprès du Liégeois Eugène Simonis, puis de Charles Van der Stappen. Remarqué très tôt pour son talent, cet ami et collaborateur de Victor Horta reçoit le 2e Prix de Rome 1885, il est installé à Bruxelles depuis 1881, où il fait toute sa carrière. Outre de nombreux Salons en Belgique comme à l’étranger, il puise son inspiration dans l’antiquité, réalise des bustes tant d’intérieur que d’extérieur, avant de se spécialiser aussi comme médailleur à la fin du XIXe siècle, tout en continuant à recevoir de nombreuses commandes publiques. Parmi ses principaux monuments figure celui des Éperons d’Or, inauguré à Courtrai en 1906.
Quant à Henri Jacobs (1864-1935), dont la signature apparaît au bas de la stèle, il s’agit d’un architecte bruxellois qui s’inscrit résolument dans la mouvance de l’Art Nouveau. Créateur de meubles et d’objets de décoration, il s’est consacré prioritairement à la construction d’écoles et de logements sociaux, tentant de faire la synthèse entre ses convictions politiques (laïques et progressistes) et ses réalisations. Une quinzaine d’écoles bruxelloises portent sa griffe, à l’instar de quelques maisons privées. Œuvre de maturité, le monument Henricot – aussi appelé « Instruction et Travail – ne déroge pas à son style et à ses convictions.


 


 



Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 434
Denise CLUYTENS-DONS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 364-366
René BRION, Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 362-362
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Jacobs (s.v. février 2014)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 74

Place des Déportés
1490 Court-Saint-Étienne

carte

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Stèle George GARNIR

Au détour d’un sentier, dans le parc du Waux-Hall, à Mons, une stèle rend discrètement hommage à George Garnir (1868-1939) que l’on identifie généralement comme le fondateur de l’hebdomadaire Pourquoi Pas ? Il est en effet exact qu’en 1910, avec Léon Souguenet et Louis Dumont-Wilden, Garnir a fait partie du trio de fondateurs de ce magazine politique et de société, qui a traversé quasiment tout le XXe siècle avant de s’éteindre en 1989. À l’époque de cette création, Garnir a déjà acquis le statut d’écrivain. Docteur en Droit et en Sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles, avocat, il côtoie dès les années 1880 les Severin et Mockel qui le mettront sur les rails de la littérature et de la poésie. Considéré comme « un conteur wallon authentique », l’écrivain – reconnu pour une certaine drôlerie et la bonne humeur de ses ouvrages – sera durablement inspiré par son Condroz d’origine, tout en s’intéressant « aux mœurs bruxelloises ». Abandonnant le pseudonyme initial de George Girran, il supprimera le S final de son prénom lorsqu’il se fera un nom dans la littérature et le journalisme. 

Né à Mons où son père travaillait alors en tant du fonctionnaire des Chemins de Fer, Garnir a passé l’essentiel de son existence à Bruxelles, mais a toujours cultivé le souvenir des racines condruziennes de sa famille (originaire du village d’Ocquier). Il vénéra aussi la ville de Mons qui occupe une place toute particulière dans le cycle des Gardedieu (Tartarin est dans nos murs, 1927 ; Le Commandant Gardedieu, 1930 ; Le Crépuscule de Gardedieu, 1932). Comme Schaerbeek qui a donné le nom de Garnir à l’une de ses rues, la ville de Mons a tenu à honorer l’écrivain en acceptant la stèle dans le parc du Waux-Hall, érigée à l’initiative des Amitiés françaises de Mons, au printemps 1939 : souffrant, Garnir doit renoncer à assister à l’inauguration ; il devait décéder quelques mois plus tard.

Un médaillon figurant le profil gauche de l’écrivain est inséré dans la partie supérieure d’une pierre de granit. Une inscription simplifiée rappelle son lieu de naissance, en respectant l’orthographe de son nom de plume :


« George Garnir
Né à Mons le 12-4-1868 »

Le monument a été réalisé par Godefroid Devreese (1861-1941). Fils du sculpteur Constant Devreese, ce Courtraisien a été formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles auprès d’Eugène Simonis illustre représentant de la sculpture liégeoise, puis de Charles Van der Stappen. Remarqué très tôt pour son talent, cet ami et collaborateur de Victor Horta qui est deuxième du Prix de Rome 1885, s’est installé à Bruxelles depuis 1881, où il fait toute sa carrière. Outre de nombreux Salons en Belgique comme à l’étranger, il puise son inspiration dans l’antiquité, réalise des bustes tant d’intérieur que d’extérieur, des fontaines, avant de se spécialiser aussi comme médailleur à la fin du XIXe siècle (plus de 400 médailles), tout en continuant à recevoir de nombreuses commandes publiques. Parmi ses principaux monuments figure celui des Éperons d’Or, inauguré à Courtrai en 1906. Mais Devreese partage aussi avec Garnir, Souguenet et Gavage notamment, un engagement en faveur de la préservation de la nature, des monuments et des sites ; avec d’autres écrivains et artistes, tous trois ont été parmi les promoteurs des journées des arbres, si bien que, régulièrement et même grâcieusement, Devreese signe les médaillons de ses amis.

 

Sources 

Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 700
Paul DELSEMME, dans Biographie nationale, t. 44, col. 505-523
Denise CLUYTENS-DONS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 364-366
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 471
Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe, mai-juin 1939, n°113, p. 142

 

Parc du Waux-Hall
7000 Mons

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