Frédéric Platéus, Silver Rocket, œuvre permanente issue de la trienale Art public, 1ère édition, Namur. 2011
Namur, Le Delta, avenue Golenvaux n° 14. Oeuvre publique
Beaucoup en ont rêvé … Frédéric Platéus l’a fait : il s’est construit sa propre fusée astronautique. Il explique que la pièce « est à mettre en relation avec une réelle passion pour la conquête spatiale et plus généralement pour la communauté scientifique. Je suis particulièrement fasciné par les astrophysiciens, notamment parce qu’ils sont toujours à la recherche de quelque chose, qu’ils tentent sans cesse d’aller plus loin. Cela permet d’élargir le champ des possibles. Je pense aussi qui si je devais ‘partir’ et que j’avais vraiment le choix, j’utiliserais un vaisseau comme Silver Rocket. Il exprime mes fantasmes d’apesanteur, de mouvement et de vitesse. L’idée de construire une fusée m’est aussi venue en observant le bâtiment aux abords duquel j’étais invité à intervenir. La Maison de la Culture de Namur m’apparaît comme un édifice rigoureux, robuste mais aussi dynamique. Même si sa construction date de 1964, je le rattache à l’esthétique de l’Expo ‘58 avec l’importance que les engins spatiaux y avaient, notamment le Spoutnik du Pavillon soviétique dont l’image fait partie de notre mémoire collective. J’ai maintenant l’impression en regardant la pièce installée qu’elle modifie l’aspect du bâtiment ; elle est comme un accessoire devenu indispensable. »
La fascination pour les sciences exactes constitue le fil rouge d’une grande partie du travail de Frédéric Platéus. On peut y nouer des oeuvres comme ses variations sur le Rubik’s Cube (Plateus Bipolar, 2007 ; Monster Skewb, 2008 …), son Virtual Cuboctahedron (2009) - un polyèdre à huit faces triangulaires et six faces carrées -, son Levitating Pad (2009) - une plate-forme en aluminium strié en damier, destinée à accueillir les exercices de lévitation auxquels se livre l’artiste qui parodie les entraînements des astronautes - ou son Ajax Revisited (2009). Cette sculpture, dessinée au départ des formes d’un modèle d’objet volant à grande vitesse, le X-43A Scramjet « Ajax », partage en outre avec Silver Rocket la caractéristique d’être la reproduction d’un objet préexistant. Ils sont également façonnés dans le même matériau : l’inox poli miroir. « J’aime, déclare l’artiste, l’idée que l’état ‘poli miroir’ constitue un stade de finition ultime, de perfection dans le traitement de la matière. Cela correspond à ma façon d’élaborer mes sculptures que je remets sans cesse sur le métier. Et, puis, il permet d’exploiter les possibilités expressives des reflets sur lesquels je travaille depuis mes premières pièces tridimensionnelles. Les miroirs donnent des volumes très francs, très purs et des effets de lumière intenses, notamment avec l’irisation des éclairages naturels ou artificiels à leur surface. Ils ouvrent aussi des espaces illusionnistes : les objets ou les personnes apparaissent ou disparaissent. On le voit bien avec ‘ma’ fusée qui, sous certains angles et éclairages, tend à s’effacer » . On peut ici suivre Devrim Bayar qui intègre les définitions formelles des sculptures de Platéus à la tradition du Finish Fetish, mouvement né sur la côte ouest des États-Unis, à la fin des années 1960, où des artistes « puisent leur inspiration en toute liberté dans leur environnement quotidien à Los Angeles : la culture populaire, les sports en vogue (notamment le surf), les techniques artisanales (la peinture sur tôle métallique, par exemple) et les technologies de pointe (l’industrie aéronautique étant alors en plein essor). »
Silver Rocket se distingue encore par l’emploi de matériau industriel qui, récent dans l’œuvre de Frédéric Platéus, s’accorde tout à fait à sa volonté de créer des objets high-tech aussi irréels qu’impeccables. La sculpture est en fait constituée d’éléments standards de conduit pour cheminée ; seules les réductions entre les différents diamètres doivent être spécifiquement manufacturées. Elle s’inscrit dans la foulée des recherches entamées avec une série intitulée Arpanet (pour Advanced Research Projects Agency Network, l’ancêtre d’Internet) dont les premières pièces ont été présentées, en mai 2011, lors de l’exposition The Field of Play à la Zacheta National Gallery of Art de Varsovie.
Pierre Henrion