Léopoldine Roux, United Colors. 2014
Montignies-sur-Sambre, rue Bertransart. Espace public
United Colors, titre choisi par l’artiste Léopoldine Roux pour son intervention à la Cité d’Habitations Sociales du Centenaire à Montignies-sur-Sambre, résonne comme le slogan utilisé dans une célèbre campagne publicitaire des années 1980 pour une grande marque de vêtements italiens. Leur volonté était de rassembler le plus grand nombre d’individus, toutes cultures confondues, autour de leur enseigne. En quelque sorte, c’est ce que l’on souhaite, à l’artiste et aux nombreux enfants qui se sont investis dans cette réalisation : que leur projet artistique soit vécu par tous… les parents, les enseignants, les habitants de la cité, les passants réunis autour d’une installation plastique pour la mémoire d’un site mais aussi pour poser les justes questions sur son appropriation.
Une intégration collective
Le projet de réhabilitation de la Cité d’Habitations du Centenaire, pour La Sambrienne, a été confié à l’équipe ST.AR Tech Management et leurs architectes Nathalie Abrassart et Marcel Barattucci. Il s’agissait de la rénovation énergétique de 4 immeubles, de la transformation de 2 autres, de la construction de 12 logements passifs et du réaménagement du site en comprenant certains principes de développement durable. Cette approche environnementale a été développée par l’équipe d’architectes en intégrant des principes d’éco-mobilité, en pensant à la gestion des déchets et en permettant la diminution de la consommation en énergie grâce au caractère passif du bâti. Pour le secteur de la construction, la spécificité de la proposition tient essentiellement dans sa volonté d’intégrer la gestion des déchets de démolition et leur récupération dans le nouveau complexe. En effet, les auteurs de projet ont proposé de travailler avec des matériaux recyclés issus des démolitions.
C’est dans cet esprit que Léopoldine Roux, la plasticienne choisie pour l’intégration artistique, a mené sa réflexion. Son intention n’était pas de recycler de manière concrète les débris récoltés au sol après destruction pour en faire une sculpture ou une peinture mais davantage de transcender et de conceptualiser cette idée de récupération comme autant de souvenirs d’un lieu à réutiliser et à transformer en matière créative. Sa volonté était donc de reconquérir le site et sa mémoire afin de la rendre universelle aux générations.
L’artiste propose d’entamer un voyage visuel à travers le lieu en s’inspirant des teintes présentes à l’intérieur d’un des bâtiments existants voué à la démolition. Pour réaliser cette excavation chromatique, il lui fallait aborder ce projet avec l’aide des plus jeunes usagers du site. C’est ainsi qu’avec la complicité de la direction, elle entama une collaboration avec une classe d’élèves de première primaire de l’École des Cités.
Ce qui plaît à cet âge, c’est de se promener, de découvrir, de récolter, de classer, de collectionner, de répertorier, de conserver comme on construit un herbier. C’est ce qu’a proposé Léopoldine Roux à ces élèves et leur enseignant ; un herbier sans plante, ni fruit mais composé de matériaux de construction, destinés aux containers, récoltés et qui ont fait partie de la vie de générations d’habitants de cette cité. Une belle filiation entre ces jeunes occupants et leurs ancêtres induite par la présence de l’artiste.
Une histoire à collecter
C’est lors de workshops sur le site, en compagnie de la plasticienne, que les enfants ont pu faire de ce chantier leur terrain de jeu. Dans les appartements alors vidés, ils ont collecté des restes de matériaux : papiers peints, linoléums, peintures écaillées, boiseries… Ce sont ces intérieurs, autrefois confortables et aujourd’hui inadaptés à la société, que ces archéologues en herbe se sont amusés à fouiller pour déterrer ce passé qui permettra de mieux appréhender le présent. Des photographies ont également été prises pour répertorier les éléments architecturaux plus lourds qui ne pouvaient être emportés. Cette large récolte servira à composer une nomenclature de matières, de couleurs, de sensations, de réflexions, de souvenirs… devenues substances créatives entre les mains de l’artiste et de ses acolytes.
De retour en classe, les petits reconstitueront leurs cabinets des curiosités, un nouveau musée, plus proche de leur cité. Une fois ordonnés, comme dans les plus belles vitrines, ces artefacts oubliés ont permis d’inventer une base de données chromatiques. Intériorisées, les matières et autres textures, ont été exploitées pour leurs gammes de couleurs : des rouges, des blancs, des oranges, des gris, des verts, des mauves… L’artiste a choisi de juxtaposer les couleurs les unes aux autres à la manière des nuanciers utilisés par les peintres en bâtiment mais qui, cette fois, se détachent de toutes successions rationnelles et codes prédéfinis. Ainsi le blanc suit l’orange ou le rouge succède au gris pour déconstruire toute logique induite par l’homme.
United Colors se veut une palette géante installée sur un pignon aveugle d’un des bâtiments rénovés. Afin que l’œuvre touche un plus large public, Léopoldine Roux a choisi de faire parler la couleur, valeur en général appréciée par la population et que l’artiste questionne dans son travail. On aime la couleur. On veut de la couleur. On préfère les couleurs au quotidien... en voici. Mais ces teintes véhiculent un concept, celui d’une mémoire gardée et qui témoigne de 40 années d’histoire de ce bâtiment tombé en ruine. L’universalité symbolique de la couleur est ici liée à un récit plus intime, celui que chacun des habitants a pu construire.
De la peinture au panneau de construction
Le matériau préconisé par l’artiste et les concepteurs est un panneau à base de basalte. Cette surface plane, robuste et résistante permet le revêtement des façades. L’œuvre est alors intégrée et devient un matériau qui compose la construction. Cette proposition a été faite par les architectes soucieux d’intégrer au mieux l’intervention de l’artiste et d’absorber dans le budget destiné à la couverture d’un pignon le coût de l’œuvre d’art. Une partie des couleurs choisies par Léopoldine Roux pour son intervention a directement été posée par la société tandis que certains panneaux ont été recouverts dans son atelier. Ce qui pose également la question des limites entre créations artistiques réalisées par la main de l’homme et l’objet du quotidien industrialisé.
Compiler la couleur, c’est une des questions intrinsèques dans le parcours artistique de Léopoldine Roux, c’est aussi celle de l’artiste peintre en général. Comment poser la couleur sur la toile pour la rendre vivante ? L’artiste a souvent désiré sortir du champ pictural, occasion saisie à la Cité du Centenaire, afin de rendre la couleur plus spatiale, de la sortir de l’unique surface de la toile tendue et de la confronter au cœur des tensions de l’espace public. Son travail souvent minimal offre cette possibilité d'explorer les relations et les contractions entre les formes, les couleurs, l'espace et le temps en s’éloignant de toutes figurations. L’artiste invente des nuanciers plus tactiles, plus rugueux qui se lisent comme autant d’expériences de vie.
Adèle Santocono