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G. Focant - SPW

Traces du Congrès de Polleur

Dès que l’annonce de la prise de la Bastille parvient dans nos régions, une vive émotion s’empare du marquisat de Franchimont, minuscule territoire de l’est de la Wallonie appartenant au prince-évêque de Liège. Dans les premiers jours d’août 1789, des cocardes aux couleurs du Franchimont (vert et blanc) apparaissent à Theux et Spa. Au même moment, les événements se précipitent dans la capitale : le magistrat de Liège est renversé le 18 août et le prince-évêque ramené de force depuis son château de Seraing dans son palais de Liège. Au même moment, Fyon s’empare de la maison de ville de Verviers, Bonne Ville du marquisat, et se fait élire bourgmestre par la voix populaire. En moins de six jours, les autres Bonnes Villes principautaires suivent l’exemple de Liège et Verviers et procèdent au changement de leurs officiers municipaux.

La démocratie prend doucement le pouvoir dans le marquisat et quelques hommes empreints de liberté souhaitent réunir une assemblée nationale qui représenterait le peuple, comme cela s’est fait à Paris. Le 26 août 1789, des délégués de diverses communautés se réunissent à Polleur et se rendent dans une prairie sise derrière la maison de J.-G. Cornesse. Il s’agit là de la session inaugurale de ce que l’on appela le « Congrès de Polleur », chargé d’administrer de manière plus égalitaire la destinée des Franchimontois. Au cours de cette première séance, tous les députés prêtent serment, jurent de défendre les libertés communes et se proclament « libre assemblée nationale franchimontoise ». Vingt-quatre autres séances se tiennent jusqu’en janvier 1791 dans divers lieux au départ du pré Cornesse.
 

L’église Notre-Dame de Polleur © Bruxelles, KIK-IRPA

Lors des troisième et quatrième séances, organisées dans l’église Notre-Dame de Polleur, les délégués du Congrès doivent faire face aux menaces de répression du prince-évêque de Liège et à la possibilité de voir des troupes germaniques arriver en Franchimont. Les délégués prévoient un plan de défense et la création d’un corps de 1800 volontaires casernés au château de Franchimont.

La 5e séance du 16 septembre 1789 est indéniablement une des plus importantes. Sur proposition de Laurent-François Dethier, jeune avocat qui est récemment devenu le premier bourgmestre démocrate reconnu par les autorités de la principauté de Liège, le Congrès rédige une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’image de celle qui vient d’être rédigée à Paris. Inspirée des voisins français, cette troisième déclaration des droits de l’homme et du citoyen (après celles adaptées aux États-Unis et en France), est toutefois plus démocratique et plus progressiste que sa grande soeur. L’article III précise que « toute souveraineté réside dans le peuple » et non « dans la nation » selon l’expression française. La déclaration franchimontoise ajoute, à l’article VI, que « la loi est l’expression de la volonté générale qui ne doit jamais s’écarter des règles éternelles de la vérité et de la justice ». Elle précise que « tout citoyen est libre dans ses pensées et opinions » et supprime le droit de propriété comme droit inviolable et sacré. Les congressistes se retrouvent ensuite à Spa le 29 octobre au moment où des événements révolutionnaires éclatent dans la principauté abbatiale de Stavelot-

Malmedy, qui possède une longue frontière commune avec le marquisat. Alors que les Franchimontois apportent tout leur soutien aux voisins principautaires, le prince-abbé demande l’aide de troupes étrangères. Des troupes colonaises arrivent à Malmedy le 21 novembre, à Stavelot le lendemain. Le prince-évêque de Liège réagit de la même manière et demande de l’aide au roi de Prusse Frédéric-Guillaume II. Quatre mille Prussiens entrent à Liège le 30 novembre 1789 et forcent les congressistes à se mettre en congé ; pour ne pas indisposer le roi de Prusse, il n’y a aucune séance du Congrès pendant plus de trois mois. Les troupes prussiennes quittent la principauté le 16 avril 1790 alors que le Congrès de Polleur reprend ses séances. Celles-ci se tiennent alors principalement au château de Franchimont ou dans la maison communale de Theux, où est organisée la 25e et dernière séance, le 23 janvier 1791. Le retour en force du prince-évêque, appuyé par l’empereur germanique, met fin aux prétentions libérales et indépendantistes des députés du Franchimont dont les biens sont saisis et qui sont cités à comparaître le 8 juillet suivant. Il faut attendre l’arrivée des troupes républicaines françaises près d’un an plus tard pour sentir un nouveau vent de liberté souffler sur l’ancien marquisat comme le précise le registre du Congrès : « À cette époque a recommencé le règne affreux du despotisme (…) Jusqu’à la délivrance de ce pays par les armées républicaines ».

Imprégnés d’idées philosophiques, les démocrates franchimontois ne sont pas des ennemis du catholicisme ni même des membres du clergé. Leur assemblée est constituée de juristes et d’anciens militaires qui se sont inspirés des Français sans pourtant les copier. D’États généraux revendicatifs, les séances du Congrès de Polleur deviennent une assemblée constituante puis législative bien plus dans le but de rester Franchimontois que de s’unir aux Français dans un premier temps. En effet, si le mouvement franchimontois avait pour but d’incarner l’aile radicale de la Révolution liégeoise en 1789, il se rapproche de la République lors du deuxième exil des Liégeois à Paris et demande, dès le 23 décembre 1792, le rattachement du pays de Liège à la France après avoir proclamé la déchéance du prince-évêque et exigé un retrait définitif du territoire de l’empire germanique.

De nos jours, plusieurs traces d’importance subsistent de cette époque. Les principaux lieux de réunion des séances du congrès sont toujours là pour en témoigner : le château de Franchimont, siège du  arquisat, a vu ses ruines consolidées ; le pouvoir communal est toujours exercé dans la maison commune de Theux, merveille classique érigée en 1770 par Barthélemy Digneffe et récemment restaurée ; l’église Notre-Dame-et-Saint-Jacques de Polleur, elle aussi superbement restaurée, arbore toujours sa belle tour d’origine romane surmontée d’un clocher tors, caractéristique de la région. Non loin de là, le pré Cornesse existe encore mais aucune plaque ne permet d’indiquer son emplacement, derrière la maison du même nom. Au-dessus de la porte de l’ancienne maison communale de Polleur, en face de l’église, sont gravés les mots « droits de l’homme » à côté de la devise belge « l’union fait la force ». Il s’agit ici d’un exemple unique en Belgique qui rappelle combien les Franchimontois avaient à partager avec les jeunes républicains français.

En 1989, pour le bicentenaire de l’événement, l’asbl « Congrès de Polleur » prend l’initiative d’une route des droits de l’homme qui parcourt le territoire de l’ancien marquisat de Franchimont et est balisée par seize stèles sur lesquelles sont inscrits chacun des droits proclamés par le Congrès. Sur chaque stèle se trouve également un texte commémoratif : « Toi qui passes par ici, pense aux droits et aux libertés des hommes, à tous ceux qui sont prisonniers de leur condition ou contraints par un pouvoir. Pense à tous ceux qui utilisent leurs droits ou libertés sans conscience. À tous ceux qui savent et qui affirment que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Pense à tous ceux qui reconnaissent que l’humanité recherche les conditions de ses droits et les limites de ses libertés. Pense, réfléchis, travaille, apporte ta pierre plutôt que ta peur, mais surtout, aime les hommes parce qu’ils sont comme toi ». Une statue du sculpteur Louis Gérard symbolisant cette réunion a également été installée pour le deux-centième anniversaire des séances du Congrès de Polleur. Elle représente un personnage féminin portant entre ses mains le texte de la déclaration.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Ce texte fondateur de l’idéologie révolutionnaire adopté le 26 août 1789 constitue le préambule de la nouvelle constitution française. La déclaration comporte elle aussi un préambule, ainsi que dix-sept articles, et entend faire table rase de l’Ancien Régime : « tous les citoyens sont égaux aux yeux de la loi », liberté individuelle, liberté de pensées et d’opinions, liberté d’expression, propriété privée… La déclaration énonce également  le principe de la séparation des pouvoirs.

4800 Verviers

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Frédéric MARCHESANI, 2014

IPW

Eglise des Saints-Hermès-et-Alexandre à Theux

Cet imposant édifice roman de la fin du Xe siècle ou du début du XIe siècle est caractérisé par sa silhouette massive et son vaisseau-halle de trois nefs, exemple rarissime dans nos régions. L’église est la seule du genre encore debout entre la Loire et le Rhin. Son aspect étonne et questionne tant le plan type des églises de nos contrées se voit bouleversé. De l’extérieur, installé sur un tertre, l’église fait autant penser à un château fort qu’à un lieu de culte. L’édifice est bel et bien fortifié : il se situe dans le Franchimont, à quelques encablures du château, fut lui aussi le témoin de luttes incessantes au Moyen Âge et servit de lieu de refuge à la population.

L’église des Saints-Hermès-et-Alexandre garde donc plusieurs traces matérielles de l’ancien marquisat. Les plafonds du chœur et des chapelles latérales sont entièrement composés de panneaux peints : l’église en compte 110, réalisés en 1630. Les panneaux latéraux sont décorés d’un motif, les centraux sont utilisés pour les donateurs locaux et représentent aujourd’hui des saints et des scènes de la vie du Christ. Parmi ces scènes, de nombreuses inscriptions prennent place et évoquent le souvenir de plusieurs gouverneurs du marquisat de Franchimont. Ils rappellent que la famille d’Aspremont-Lynden a occupé cette charge jusqu’à la fin de l’Ancien Régime depuis Robert de Lynden, premier gouverneur de sa maison appelé à ces fonctions en 1578. Plusieurs pierres tombales de gouverneurs du Franchimont subsistent également dans l’église :
 

La pierre tombale du gouverneur Robert de Lynden dans l’église de Theux. Photo de 1943 © KIK-IRPA, Bruxelles


- les plafonds du chœur portent deux inscriptions rappelant que deux panneaux peints ont été offerts en 1681 par les comtes d’Aspremont-Lynden. Le premier, représentant « la nativité du sauveur », porte l’inscription suivante : « Ferdinand, comte d’Aspremont-Lynden, baron de Froidcourt (…) gentilhomme de la chambre et conseiller de S. A. électeur de Cologne, gouverneur du marquisat de Franchimont (…) ». Le second panneau représente une « adoration des mages » et porte l’inscription suivante : « Charles-Ernest comte d’Aspremont-Lynden, baron de Froidcourt, grand maître d’hôtel de son altesse sérénissime de son pays de Liège ». Ferdinand fut gouverneur du marquisat entre 1672 et 1687 ; il y représentait le marquis et prince de Liège Maximilien-Henri de Bavière. Suite à sa démission, son frère Charles-Ernest lui succède. Il gouverne le marquisat de 1687 à 1705 et y représente alors trois princes-évêques ;
- un réservoir en marbre rouge installé dans une niche située dans la sacristie porte les armes d’Englebert de Presseux, châtelain de Franchimont de 1505 à 1516. Le châtelain exerce les fonctions de gouverneur du marquisat et réside encore principalement à cette époque dans la forteresse ;

 
 

 

 

La pierre tombale du gouverneur Henri d’Eynatten dans l’église de Theux. Photo de 1941 © KIK-IRPA, Bruxelles

 
 

 

- la pierre tombale d’Henri d’Eynatten, gouverneur du marquisat décédé en 1579, est adossée au mur, à gauche du chœur. Elle contient deux médaillons aux armes d’Eynatten et une inscription dans sa partie inférieure : « Icy repose noble et généreux seigneur Henry d’Eynatten en son temps seigneur de Bolland (…) grand maitre d’hostel du sérénissime prince de Liège et gouverneur de Franchimont » ;
- l’église abrite également la pierre tombale du gouverneur Robert de Lynden (1578-1607) et de son épouse. Les époux y sont représentés en prière et en gisant. L’inscription est aujourd’hui illisible et on devine des écus jumelés donnant les quartiers de chacun des conjoints ;
- parmi les nombreux bancs anciens sculptés d’inscriptions dédicatoires remarquablement conservés, le premier banc face au chœur dans l’allée de droite comporte une inscription faisait référence à Joseph-Clément de Bavière : « Pour la famille de Monsr de Bounameau, conseiller de S.A. Serme Electle dans son Conseil ordinaire et l’un des anciens bourguemaitres de Liège – 1713 ».

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Frédéric MARCHESANI, 2013

G. Focant - SPW

Statue Congrès de Polleur

« Ce que la France a été pour l’Europe, le Pays de Liège l’a été pour la Belgique et le Pays de Franchimont et de Stavelot pour le Pays de Liège ». C’est en ces termes que Merlin de Douai, président de la Convention nationale, saluait le 8 août 1794 les patriotes réfugiés du Franchimont qui s’apprêtaient à quitter Paris pour regagner les rives de l’Amblève, de la Hoëgne et de la Vesdre. Liège venait d’être libérée par l’armée de Sambre-et-Meuse. Cette phrase maintes fois citée situe très bien le caractère plus progressiste encore et plus radical de la révolution de 1789 dans le Franchimont. Cette tendance se traduisit notamment dans deux faits historiques importants. Ce furent d’abord, du 26 août 1789 au 23 janvier 1791, les vingt-cinq séances du Congrès de Polleur rassemblant au centre géographique de l’ancien marquisat des délégués des cinq bans de celui-ci, qui adoptèrent le 16 septembre 1789 une Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la troisième au monde après celle de Virginie et de Paris, mais plus démocrate que cette dernière en certains de ses articles. Ce furent ensuite, le 23 décembre 1792, les voeux émis par les habitants des communes de Theux et de Spa en faveur de la réunion à la France, premiers du genre et imités un mois plus tard par Liège et par près de 380 autres localités de l’ancienne principauté.

 En 1964, deux militants wallons, responsables de la section verviétoise de « Wallonie libre » depuis sa création, le Verviétois Jules Nissenne (1907-1991) et le Disonais Joseph Gélis (1923-2006), prennent l’initiative d’organiser des cérémonies à l’occasion du 175e anniversaire du Congrès de Polleur et de sa Déclaration de 1789 pour rappeler à leurs contemporains l’importance de « lutter pour les droits sacrés de liberté des Citoyens et de respect de la Constitution »179. Huit ans plus tard, ce duo est encore à la base du comité créé pour le 180e anniversaire des voeux de rattachement à la France de 1792, qui souligne que « ces voeux procédaient d’un idéal de liberté et concrétisaient un droit essentiel, celui des peuples à disposer d’eux-mêmes, qu’il convient de célébrer en un temps où, de la périphérie bruxelloise aux Fourons, cet idéal, ce droit, cyniquement, sont bafoués ».


En 1989 enfin, pour le bicentenaire du Congrès de Polleur (et des révolutions franchimontoise, liégeoise et française), l’asbl « Congrès de Polleur » est constituée : elle est à l’initiative d’une route des Droits de l’Homme qui parcourt tout le territoire de l’ancien marquisat de Franchimont et est balisée par seize stèles qui égrènent chacun des droits proclamés par le Congrès en invitant le passant à la réflexion181. Une statue symbolisant le Congrès fut également installée en retrait de la stèle placée à Polleur.


Elle représente un personnage féminin portant dans ses bras le texte de la Déclaration franchimontoise.

Carrefour de la N640 et de la voie du Vieux Chemin
4800 Verviers

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Freddy Joris & Frédéric Marchesani, avril 2009

G. Focant - SPW

Ruines du château fort de Franchimont

L’ancien château de Franchimont occupe un éperon rocheux au confluent de trois rivières dont il contrôlait avantageusement les vallées. Les premières mentions de la place forte ne datent que du milieu du XIIe siècle mais celle-ci a vraisemblablement dû être érigée dès le siècle précédent pour garantir la limite orientale de la jeune principauté de Liège. Les parties les plus anciennes, au centre, se composent d’un château-cour flanqué d’un donjon, tous deux en moellons de grès local. L’aile méridionale de cette construction rectangulaire devait abriter une résidence seigneuriale. Un incendie de la fin du XIVe siècle conduit au remaniement de la face extérieure de la forteresse qui prend l’aspect, dans le prolongement de l’ancien donjon, de deux tours pleines réunies par un bec formant ainsi un épais bouclier de maçonnerie. 

Conservé encore sur 20 m de hauteur, cet aménagement se révèle vite peu adapté aux progrès de l’artillerie de la fin du Moyen Âge. Le château sera complété au XVIe siècle d’une muraille dessinant un pentagone irrégulier ponctué de cinq larges tours circulaires, elle aussi rapidement démodée. Son rôle de forteresse perdu, le château n’en reste pas moins résidence épiscopale, refuge ou prison jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et son abandon définitif lors des troubles de la Révolution française.

 

Ruines du château fort de Franchimont - G. Focant © SPW

Allée du Château 17
4910 Theux (Franchimont)

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Classé comme monument le 24 juillet 1936 
Patrimoine exceptionnel de Wallonie

Institut du Patrimoine wallon