Nicolas Kozakis et Eugène Savitzkaya, Technique tectonique. 2002
Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes n° 25-27. Patio accessible aux heures d’ouverture de l’Espace Wallonie
L’œuvre créée par la collaboration du plasticien Nicolas Kozakis et l’écrivain Eugène Savitzkaya cache, derrière une simplicité déroutante, une grande richesse conceptuelle. Peintre de monochromes, c'est-à-dire de tableaux faits d‘une seule couleur, Nicolas Kozakis n’entend pas pour autant livrer un travail dont le sens est abstrait. Dans ce cas, son œuvre s’inscrit dans la (ré)écriture du lieu tant en terme d’architecture qu’en terme de destination. Ses monochromes brillants ne se réfèrent à rien d’autre qu’à la réalité qui nous entoure. Pourquoi ne pas accepter de transposer les critères de perfection d’une carrosserie de voiture à l‘univers de la peinture de chevalet ? La rigueur des monochromes de Kozakis est simplement industrielle, il fait peindre au pistolet ses tôles d’aluminium par des carrossiers d’où les titres de ses œuvres, « Jaguar Carnival 1811 met », par exemple. Ce nom barbare est simplement celui que désigne, dans les ateliers de carrosserie D’Ietteren à Bruxelles, le rouge utilisé pour le grand panneau monochrome rouge (2 m²) ornant un des murs de la cour intérieure de l’espace Wallonie.
Devant le simple jet d’eau d’une fontaine, ce tableau n’est pas accroché au mur, il est littéralement imbriqué dans celui-ci, il fait partie de son écorce.
Sur le sol, en lettres d’acier inoxydable également inséré dans la masse des pavés du dallage, le mot « tektonikos » évoque cette propriété tectonique (qui concerne la charpente, par extension l’écorce terrestre). L’image abstraite n’est donc pas posée mais fait partie de l’architecture pour éviter toute tension, toute représentation de quelque chose qui lui serait étranger.
D’autre lettres nous disent aussi « appropriation des failles par le charpentier wallon » afin de renvoyer au sens premier du mot tectonique tout en évoquant la volonté de promouvoir ceux qui érigent l’image de la Région. Tout aussi visuels que littéraires, les mots du poète Eugène Savitzkaya, visent plutôt à suggérer une lecture sans expliquer de prime abord quoique ce soit.
Habitué à dessiner des suites verbales dans l’espace urbain, Eugène Savitzkaya prolonge ce lien image-texte sur la mezzanine surplombant la petite cour. Là, deux dalles carrées, l’une en marbre, l’autre en acier inoxydable fini « miroir », accompagnent ces mots : « Exil au mont Asama ».
Là encore, il revient au visiteur de trouver le lien entre ce volcan japonais très actif et cette autre phrase plaquée sur un mur : « Les monts et les vaux sur les plaques posées / voguent selon les vagues de l’ébullition / du dessous là où c’est mou et chaud ». À la manière de Magritte, comme à celle de Savitzkaya et Kozakis, le glissement de l’institution régionale wallonne vers Bruxelles n’est-il pas un glissement d’une plaque sur ou sous une autre ? Comme le disait l’écrivain, l’allongement d’une frontière d’un territoire qui ne peut s’étendre ?
Le site : l’ancienne maison de la presse à Bruxelles, "Espace Wallonie"
L’installation d’un espace de la Wallonie à Bruxelles répond à la volonté de promouvoir l’institution régionale wallonne au sein de la capitale européenne. Ouvert en 2003, en plein cœur historique, à deux pas de la Grand-Place, celui-ci couvre une parcelle joignant les rues du Marché-aux-Herbes et Petite-Rue-au-Beurre. Accueillant un « Espace Wallonie », l’édifice répond surtout à une fonction représentative de la Région sur le plan international (salle d’exposition, auditorium, logement de fonction du Ministre-Président wallon). Entre les deux édifices anciens, une grande nef a été aménagée pour abriter notamment des expositions. Celle-ci est soutenue par huit colonnes plaquées de bois en hommage aux richesses des forêts wallonnes. Le dallage quant à lui évoque les richesses des carrières wallonnes.