Pierre Courtois, Mère-Nature. 2007
Namur (Salzinnes), chaussée de Charleroi n° 83bis. Hall d’entrée accessible aux heures de bureau
En 2004, la Wallonie décide de rénover l’ancienne maternité provinciale de Salzine pour y implanter des services de son administration, dont la topographie-cartographie et les aménagements paysagers. Elle sollicite sa Commission des Arts pour lancer un concours en vue de la conception d’une intervention artistique dans l’espace d’accueil de l’immeuble.
Le lieu
Ancienne maternité provinciale (de 1954 à 1994), ce bâtiment typique des années 1950 est pour les Namurois un endroit symbolique. Dès 1959, la maternité est le lieu d’activités du Docteur Willy Peers (1924-1984), médecin gynécologue, pionnier de l'accouchement sans douleur, de la médecine sociale et surtout connu pour son engagement pour la dépénalisation de l'avortement qui lui vaut d’être incarcéré durant 36 jours en 1973. Avec lui débute le combat pour cette dépénalisation et ce n’est qu’en 1990, que la loi dite « Lallemand-Michielsens » est votée, soit 6 ans après son décès.
Du bâtiment d’origine, on peut encore voir sur l’aile côté chaussée de Charleroi, restée propriété de la Province de Namur, son parement de fausses briques jaunes émaillées.
La rénovation est confiée à l’Atelier d’Architecture Thierry Lanotte. Ce dernier ne garde du bâtiment d’origine que la forme générale et son entrée principale en dégageant en son centre un important atrium, laissant apparaître une partie de la structure et un escalier aérien, centre des circulations et échanges fonctionnels entre les services. Une cafétéria se trouve au niveau inférieur en complément de la fonction d’accueil.
L’espace à aménager
L’espace concerné par l’intégration artistique est le hall d’accueil commun à l’ensemble des services et situé dans l’aile de jonction du bâtiment. Cet espace, dénommé « atrium » est largement vitré (parois et couverture) et s’élève sur toute la hauteur de l’édifice (15 m). Le concours spécifie qu’outre les fonctions d’accueil, d’anciens appareils de topographie pourront éventuellement être exposés.
L’idée consiste en la mise en espace d’une implantation artistique et végétale devant prendre en considération la totalité de l’atrium et tenir idéalement compte de l’activité du lieu. Le programme s’adresse à des duos constitués d’un artiste et d’un paysagiste ou architecte paysagiste ou ingénieur agronome afin de garantir tant les aspects esthétiques que la maintenance et la pérennité de l’intervention.
Le jury propose de retenir le projet de Pierre Courtois en soulignant la faculté d’intégration au lieu, la prise en considération de l’espace dans sa globalité, le caractère abstrait intéressant des symboles issus de cartes topographiques, l’harmonie de la composition végétale et la bonne étude technique des moyens mis en œuvre.
L’intervention artistique et symbolique
« Lorsque je mène un projet d’intégration, il est capital pour moi de rester avant tout cohérent avec ma démarche artistique tout en répondant parfaitement au cahier des charges et à la fonction du lieu » En participant à ce concours, Pierre Courtois sait que la thématique rencontre ses préoccupations de plasticien et son vocabulaire de travail. C’est également en cet ancien hôpital que le Docteur Willy Peers a mis au monde ses trois enfants… La symbolique d’une ancienne maternité, qui se transforme, par sa nouvelle affectation, en « un petit temple voué à la nature, à son étude et sa préservation » lui parle. « La terre et la mère sont des symboles du corps maternel ..Naître, c’est sortir du ventre de la mère ; mourir, c’est retourner à la terre. » Ces notions motivent l’artiste et sont le départ de sa réflexion.
A la première lecture du plan, Pierre Courtois est attiré par l’importance dans l’atrium de l’escalier, un élément présent dans son travail depuis le début qui « symbolise la plus belle des échelles de mesure. » Il offre ici de multiples vues, une combinaison de volées autour d’un vide dans un espace vaste et bien éclairé. Son implantation permet de lire son développement complet, sa monumentalité, sa verticalité. « Il devient symbole d’une mise en élévation, d’une évolution. Il représente les rythmes répétés de la vie, le caractère cyclique de l’évolution. »
L’escalier accède à 4 paliers, 4 niveaux, tels les 4 périodes de la vie, décrites par le concepteur : « temps des jeux, l’insouciance, la maturité et la sagesse ». Ces paliers permettent la respiration, la découverte d’angles de vues divers, d’horizons différents. D’où l’installation d’une gradation de 12 m de haut qui rend compte des différents niveaux et paliers.
Un autre élément important est l’eau, l’élément de vie. Pierre Courtois en évoque sa source, sa recherche par forage et sa logique d’élévation. Il installe un tube, une colonne d’où sort lentement l’eau pour retomber et se régénérer dans un bassin afin de rejaillir à nouveau…
Le projet devait également intégrer l’activité du lieu : la cartographie, la topographie… Science exacte, la cartographie doit tenir compte du progrès et de l’évolution des phénomènes ; elle est en lien avec d’autres sciences mais elle est aussi art de la représentation graphique. Sur une surface plane, avec des codes précis et à des échelles lisibles, elle représente de manière simplifiée la surface terrestre. Des traits (qui évoquent les côtes, rivières, routes, limites…), des lettres (l’ensemble des écritures dans et hors cadre) et des taches (les coloris, les tonalités…) composent les cartes. Le plasticien s’en inspire en créant sur une surface de 15 m de haut et 5 m de large, un mur « codes » composé de 75 panneaux marin. Il choisit « une ambiance de carte d’état-major, à dominante verte pour la structure béton de l’axe d’entrée de l’atrium, avec une présence de signes (codes et légendes de carte) suggérant l’influence de l’Homme dans la nature. » Pour rendre la nature, une nature sauvage avec ses variations, ses vibrations, Pierre Courtois recourt à une superposition de couches d’enduit laissant le hasard s’installer pour rendre les nuances et couleurs qu’offrent les paysages les plus «naturels» possibles. Le travail se fait en atelier et prend deux années (2005 et 2006). L’artiste intervient sur 15 panneaux à la fois et pose à la spatule de 10 à 15 couches d’enduit, composé de pigments naturels. Chaque couche en cache une autre et l’on en retrouve la mémoire sur les bords des panneaux. Le mur sera posé fin 2006, début 2007.
Vient également l’étude de la végétation, « le paysage végétal » qui, pour la cohérence du projet, s’inspire de la nature en se modifiant d’étage en étage. 4 murs végétaux recto-verso (visibles tant de l’atrium que des couloirs) fixés dans le vide, différents de par leurs variétés de plantes et leur couleur sont ainsi imaginés. Sur chantier, au moment du gros œuvre, des cadres-supports sont posés avant l’installation des poutres afin de déterminer très précisément les emplacements de ces murs et de prévoir le système d’irrigation. Les cadres sont ensuite retirés et installés en serre chez un pépiniériste qui suit durant un an l’évolution des plantations, veille à l’arrosage… Le mur végétal est placé en novembre 2006 sur site. Le choix des plantes se fait en tenant compte de la lumière et de l’ensoleillement. Elles doivent évoluer au cours du temps tel le rythme de la nature. En concertation avec des spécialistes, l’artiste choisit pour le haut, des végétaux qui résistent au soleil (Yuka) ; un bac à fougères est installé sous l’escalier. Le mur végétal a ainsi des teintes plus rouilles en son sommet et plus vertes dans le bas. Dans les caves, près du restaurant, un carré de vignes (parterre de vignes) est aménagé.
La lumière naturelle est prépondérante, seuls quelques spots sont installés pour baliser l’entrée du bâtiment et renforcer l’axe atrium vers le petit musée.
L’objectif est de confronter dès l’entrée dans le lieu, le visiteur avec des phénomènes de Vie, avec la Nature, la Terre, l’Eau…
La vie de l’œuvre
Depuis son inauguration en 2007, l’éclat de l’installation s’est vite altéré.
Même si dès l’origine du projet, le concepteur est conscient que des adaptations, concessions, compromis sont nécessaires face à la réalité du terrain, à l’évolution en cours de chantier de données techniques, il se doit de maintenir et d’exiger le respect d’éléments fondamentaux du projet.
Plusieurs problèmes se révèlent rapidement lors de l’installation de l’œuvre : les mesures très précises communiquées par l’artiste pour la pose des plaques (1 cm entre chaque panneau) ne sont pas respectées, de petits décalages sont donc perceptibles tels des panneaux qui se touchent ; les tuyaux d’alimentation d’eau sont froissés lors de l’installation ; les murs végétaux ne résistent pas à une erreur de montage en amont du circuit d’alimentation en eau ; la structure en bois qui porte les 75 panneaux travaille et s’affaisse ; un manque d’entretien régulier dont la coupure de l’adoucisseur d’eau et l’oubli d’alimenter les bassins a nécessité en 2010 de replanter les murs végétaux ; la colonne d’eau est à l’arrêt et le bac de fleurs au rez-de-chaussée n’a pas été replanté suite à un souci de fuite d’eau… et sans eau, une dimension de l’œuvre est perdue…
L’artiste se défend pour que l’installation retrouve son éclat et sa symbolique… tout en restant enthousiaste en se rappelant du cheminement interne qu’un tel concours offre : de l’étude à la conception, du travail en équipe à l’installation et à l’appropriation par le public, cette aventure reste pour lui, une expérience artistique intense et réussie.
Bernadette Bonnier