
Dumont Henri-Désiré
Culture, Cinéma
Mons 26 ou 27/02/1821, Paris 22/12/1897
À la suite de Laurent Mannoni, spécialiste des premiers pas du cinéma dans le monde, on s’accorde à reconnaître en l’ingénieur montois Henri-Désiré Du Mont l’un des précurseurs illustres de la cinématographie grâce à l’invention de l’omniscope, dont il dépose le brevet en 1860. Il fait partie de cette vague d’audacieux physiciens, lanternistes ou mécaniciens qui se lancent dans la quête du « mouvement continué » (Mannoni, p. 193-195). Il rejoint ainsi deux autres personnalités importantes, nées ou ayant travaillé en Wallonie, qui, comme lui, ont contribué à l’invention du cinéma : Robertson et Plateau (Mélon, p. 315).
Depuis des siècles, les hommes ont cherché le moyen de donner un mouvement aux images, et la lanterne magique est restée pendant longtemps l’avancée la plus significative. Les expérimentations de Plateau, dans les années 1830, introduisent le principe de l’animation stroboscopique avec un appareil appelé phénakistiscope. Il utilise des fentes découpées sur un disque rotatif regardé devant un miroir. En 1833, Plateau publie un article qui fait avancer la science. À peu près à la même époque, un mathématicien viennois, Simon von Stampfer, crée un dispositif similaire pour un instrument optique qu’il appelle « stroboscope » et qui ressemble au « zootrope » que va mettre au point William Horner en Angleterre, en 1834 ; ils utilisent le principe de la persistance de la vision avec une série de fentes pratiquées sur les côtés d’un cylindre en rotation à travers lesquelles le spectateur perçoit des images séquentielles dessinées sur des bandes de papier. Ils donnent l’illusion de mouvement d’un personnage dessiné.
Des tambours et des disques cylindriques rotatifs sont ensuite utilisés par différents inventeurs exploitant la persistance de la vision dans des dispositifs conçus pour afficher des images animées stéréoscopiques. Inventé par Plateau, le phénakistiscope est un prédécesseur du zootrope et annonce le praxinoscope d’Émile Reynaud (1876), avec son système de miroirs tournants à l’intérieur du tambour qui assure l’obturation par compensation optique, sans déperdition de luminosité. On est là aux origines de l’invention du cinéma.
Avec l’introduction de la photographie en 1839, l’idée se développe d’associer cette nouvelle technique au phénakistiscope (1849). La photographie stéréoscopique, très populaire au début des années 1850, donne l’impression que la mise en mouvement devient possible, dès lors que l’on photographie plusieurs poses ou positions consécutives séparément. Quelques appareils sont alors inventés, aux résultats encourageants, mais non convaincants. À l’inverse, l’ingénieur Henry Du Mont « compte parmi les inventeurs utopistes les plus ambitieux » (Ray Zone, p. 28).
En 1859 et 1860, le Montois dépose des brevets en France et en Belgique pour neuf modèles différents d’appareils de cinéma stéréoscopique. Les formes de base sont des disques et des cylindres, bien qu’il utilise la surface extérieure de ses cylindres plutôt que la paroi intérieure du zootrope habituel. Dans la plupart des cas, un disque obturateur rotatif à fentes est utilisé pour révéler les images (dans certains cas des images transparentes) et les figer pendant la fraction de seconde où l’image se forme sur la rétine. Ingénieur optique particulièrement compétent, Du Mont donne le nom d’omniscope à ses appareils qui différent l’un de l’autre selon neuf variantes. Ainsi, l’un de ses modèles utilise des zootropes jumeaux, synchronisés, combinés au stéréoscope réfléchissant de Charles Wheatstone, placé au milieu, à un angle de 45 degrés. Un autre recourt à des zootropes jumeaux et à un système de projection interne avec un miroir pour la visualisation avec des lunettes anaglyphes rouge-vert.
En 1861, Du Mont déposent trois brevets supplémentaires qui décrivent un système avec une bande de photographies stéréoscopiques qui se déplacent par intermittence. Profitant des progrès de la photographie instantanée, grâce à l’avènement du procédé relativement rapide au collodion, Du Mont qui s’est installé près de Paris pour progresser dans ses travaux dépose un nouveau brevet, pour « un dispositif photographique permettant de reproduire les phases successives du mouvement ». Lors de l’Assemblée générale la Société française de photographie (17 janvier 1862), il présente et fait manœuvrer devant le public un appareil cylindrique pour obtenir successivement douze clichés successifs. Il entend développer son appareil breveté de visualisation stéréoscopique et stroboscopique, ainsi qu’une caméra capable de capturer les phases successives des mouvements à des intervalles de quelques fractions de seconde seulement. Il fixe les images obtenues sur la circonférence d’un tambour cylindrique ou prismatique, éventuellement lié sur une bande de tissu. Dans un article paru en 1862, il insiste sur la nécessité d’enregistrer les photographies stéréoscopiques à un rythme plus rapide et évoque ce « nouvel appareil photographique qui permet de reproduire les phases successives d’un mouvement à quelques fractions de seconde d’intervalle seulement ». Son invention transporte 10 ou 12 plaques photographiques, une par une, d’un cadre à fentes, devant l’objectif de l’appareil photo, dans une zone de réception inférieure. Un obturateur mobile est synchronisé pour garantir que les plaques ne sont exposées que lorsqu’elles sont au bon endroit.
En avance sur son temps, Henri-Désiré Dumont a ainsi inventé une série d’appareils qui ont aujourd’hui disparu. On perd d’ailleurs la trace de l’ingénieur et inventeur, alors que d’autres innovations sont tentées en Europe comme aux états-Unis, s’inspirant de ses travaux. C’est là, de l’autre côté de l’Atlantique, qu’en juin 1878, est créée la plus ancienne séquence de mouvement connue, photographiée en temps réel, par le photographe britannique Eadweard Muybridge. The Horse in Motion montre une course de chevaux à pleine vitesse. La qualité des images reste limitée et les personnages sont principalement vus comme des silhouettes, le tout étant souvent retouché pour éliminer les irrégularités photographiques. Par ses travaux, Du Mont a préfiguré la chronophotographie que mettent au point vingt ans plus tard Eadweard Muybridge, ainsi qu’étienne-Jules Marey.
Sources
Marc-Emmanuel Mélon, Le cinéma et les arts audiovisuels, dans Bruno Demoulin (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 315-317
Ray Zone, Stereoscopic cinema and the origins of 3-D Film 1838-1952, Presses universitaires du Kentucky, 2007, p. 28-29
Laurent Mannoni, Le Grand Art de l’Ombre et de la Lumière : archéologie du cinéma, Paris, Nathan, 1994
C. Rousselle, Biographie montoise, cité par Ernest Mathieu, Biographie du Hainaut, Enghien, 1902-1905, t. I, p. 237
Bulletin de la Société française de photographie, t. VIII, février 1862, p. 34-36