Godin Noël

Culture, Cinéma, Littérature

Liège 13/09/1945

Dans sa ville de Liège natale, le jeune Noël Godin grandit sous la protection d’une mère pieuse et d’un père avocat. Dame patronnesse, sa mère l’inscrit à l’école primaire catholique Saint-Maur à Cointe ; ce sera ensuite l’établissement secondaire des pères salésiens de Don Bosco où, raconte-t-il, cet étudiant à l’humour déjà subversif réussit sa rhéto gréco-latines grâce à sa participation au nom du Collège au concours national des jeunesses cinématographiques (où il remporte une essoreuse…). Rêvant avant tout de faire de sa vie un roman d’aventures, cet assoiffé de lectures se passionne pour le cinéma, fréquentant très régulièrement les salles obscures depuis son plus jeune âge. Alliant les deux, lecture et cinéma, il trouve nombre d’exemples d’aventures dans les numéros de Positif, revue de cinéma à laquelle il est abonné : créée à Lyon en 1952, elle s’inscrit, à ses débuts, systématiquement en opposition avec les Cahiers du cinéma, en contestant la bien-pensance et en se révoltant à la fois contre le gaullisme et le stalinisme. Ce « dernier bastion du surréalisme français » plaît au jeune Godin qui y trouve ses repères politiques, principalement la condamnation de tout ce qui représente l’autorité, publique comme religieuse. 

« La revue Positif donnait l’envie de passer à l’attaque. Et de vivre sa vie comme un film éperonnant », commente Godin dans une interview au Soir (2021). L’occasion lui est donnée quand la censure s’exprime contre la sortie du film de Jacques Rivette, Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (1967). Avec des camarades liégeois, Godin organise alors des actions contre des religieuses marchant dans la rue, cherchant à toucher leur postérieur, en criant « Vive Diderot ! ». Les événements parisiens de mai ‘68 attisent un engagement politique plus marqué ; en stop, il se rend à Paris et est conforté dans l’idée que la révolution doit être joyeuse.

Sa défiance envers l’autorité, quelle qu’elle soit, s’exerce aussi à l’égard de son père. Du moins, jusqu’au jour où l’avocat/curateur connaît des démêlés judiciaires et choisit de fuir en Guinée, avant d’être contraint de rentrer en Europe, étant arrêté à Paris par Interpol (1969-1970) ; emprisonné à Fresnes, il est ensuite transféré à la prison de Nivelles. Cette situation change le regard du fils sur son père, ainsi que sa vie : tous les biens paternels sont saisis et la maman, qui demande le divorce, se retrouve avec une villa, à Spa, achetée à son nom, qu’elle transforme en maison de retraite et dont elle devient la directrice. La désobéissance du père apparaît comme un encouragement à l’anarchisme. Prêt à faire la révolution joyeuse avec le mouvement de l’Internationale situationniste de Guy Debord, Noël Godin revendique alors et surtout l’amour libre et la gaudriole, ainsi qu’un engagement féministe.

Se lançant comme chroniqueur de cinéma, Noël Godin parvient à travailler pendant quinze ans, sans être démasqué, pour la revue catholique Amis du film et de la télévision, cultivant déjà la subversion en rédigeant de fausses interviews, en inventant de faux réalisateurs et en créant de longues critiques sur des films imaginaires. Il poursuit ses facéties dans les colonnes de Ciné Revue, d'Actuel, de la Revue belge du cinéma, de Grand Angle et surtout, de 1982 à 1985, dans Visions où il rédige « ses éloges du comique navrant, ses plaidoiries pour les cinéastes flibustiers et ses points de vue sur les films d’horreur, drôlissimes et érudits, enflammés et vitriolesques ». Dans les années 2000, nonobstant sa réputation, il est chroniqueur littéraire dans Le Journal du Mardi.

Sa rencontre, au début des années 1970, avec Jean-Pierre Bouyxou est un moment fondateur. L’entente entre les deux hommes est totale et immédiate. Leur complicité est à l’origine des attentats pâtissiers. Lors de leur première rencontre, Godin apprend que Bouyxou a inventé le personnage de Georges Le Gloupier et le chroniqueur des Amis du film et de la télévision s’en inspire quand il signe un article dans lequel il invente l’entartage de Robert Bresson par Le Gloupier, ajoutant que Marguerite Duras, pour venger son ami Bresson, a entarté Le Gloupier sur la terrasse du café Flore, à Paris, faisant dire au Gloupier : « Madame, je préfère votre pâtisserie à votre littérature ».

Ayant déjà déversé un pot de colle (novembre 1968) sur Marcel De Corte, professeur à l’Université de Liège, philosophe catholique maurrassien, grand admirateur du dictateur portugais Salazar, Noël Godin, accompagné de Bouyxou, profite de la présence à Leuven de Marguerite Duras, venue présenter son récent film Détruire, dit-elle (1969) au Challenge des cinémas d’art et d’essai, pour commettre son premier attentat pâtissier. Ce 11 décembre 1969, un nouveau genre de contestation/provocation est né, le lancer de tarte à la crème Chantilly, accompagné d’un petit mot expliquant le sens du geste politique, sur fond de « gloup, gloup » crié par les entarteurs, le tout filmé par des complices. Du moins, quand l’opération fonctionne comme le souhaitent Godin et ses comparses. 

Marguerite Duras est la première victime d’une longue série de personnalités entartées par la « brigade pâtissière » de Noël Godin, voire des brigades complices, de 1969 à 2015 : Maurice Béjart (1969), Henri Guillemin (1970), Marco Ferreri (1976), Jean-Luc Godard (1985), édouard Poullet (1987), Jean Delannoy (1988), Vladimir Volkoff puis Alain Bévérini et aussi Patrick Bruel (1993), Jean-Pierre Elkabbach (1994), Hélène Rollès, Philippe Douste-Blazy, Pascal Sevran (1995), Patrick Poivre d’Arvor, Daniel Toscan du Plantier, les prêtres de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes (1996), Nicolas Sarkozy (1997), Bill Gates (1998), le public du concours musical Reine Élisabeth (1999), Bernard Landry (2000), Benjamin Castaldi (2001), Jean-Pierre Chevènement, Karel Dillen et Jean-Claude Martinez, porte-parole de J-M. Le Pen (2002),  Jean Charest (2003), Doc Gynéco (2007), sans oublier Bernard-Henri Lévy, 8 fois entarté, depuis le 11 novembre 1985, au studio de la production de Liège de la RTB (où s’enregistre l’écran témoin) et la dernière en date, à Namur, le 30 mai 2015, lors d’un débat sur Baudelaire, avec Jan Fabre, en l’église Saint-Loup, organisé à l’initiative du musée Rops.

Leur point commun, selon Godin, d’être des personnalités qui se prennent particulièrement « très très très au sérieux », d’être particulièrement détestables et infatuées. En 2023, un inconnu relance la dynamique des attentats pâtissiers en s’en prenant à Georges-Louis Bouchez ; les complices du Gloupier reprennent alors du service et s’offrent Michael O’Leary, le PDG de Ryanair (Bruxelles, 7 septembre 2023). Plaintes et procès vaudront au Gloupier quelques ennuis judiciaires (n’échappant pas à la plainte de J-P. Chevènement devant les tribunaux français), tandis que certains services privés de sécurité ne manqueront pas de se défouler sur les complices entarteurs trop lents à s’éclipser… Le chanteur Renaud fait référence aux multiples entartages de Bernard-Henri Lévy, « Jean-Paul Sartre dévalué », dans sa chanson L’Entarté sur l’album Boucan d’enfer (2002). Pour sa défense, Noël Godin prétend s’inscrire dans la tradition des terroristes hurluberlus, tels que Tijl Uylenspiegel, Robin des Bois, ainsi que les surréalistes français de combat, les Yippies américains, voire les Yes men et puiser ses sources dans les slapsticks, les Bugs Bunny et autres Woody Woodpecker.

Disciple de l’humoriste Alphonse Allais et de l’utopiste Charles Fourier qui fut l’auteur en 1806 du livre Le Nouveau monde amoureux, Noël Godin mène d’autres projets, essentiellement dans le domaine du cinéma, mais aussi comme écrivain et collaborateur de la presse satirique. On le lit dans le mensuel satirique Psikopat, fondé en 1982 par Paul Carali. On le rencontre dans CQFD, mensuel alternatif sans publicité qui parodie l’abréviation en lui donnant le sens de Ce qu’il faut dire, détruire, développer (2003-). On le retrouve dans El batia moûrt sôu (1995-), « journal jovial, crédule, saugrenu, mais outrecuidant, qui paraît 4 fois par an dans le Hainaut, à Ville-sur-Haine […] Journal d’entre Haine et Trouille au pays du dépeceur et des caves aménagées… », écrit dans l’esprit de la pensée Bul qui s’est épanouie avec le Daily Bul d’André Balthazar, Pol Bury et Achille Chavée, ainsi que dans celui de la pensée de Raoul Vaneigem. Dirigé par le montois Serge Poliart, son rédacteur en chef, ce périodique a été encarté dans Charlie Hebdo jusqu’à la crise de 2008 et le départ de Siné. Dans l’hebdomadaire pamphlétaire Siné Hebdo (2008-2010) justement, créé par le dessinateur Serge Siné, Godin tient la rubrique « L’Entarteur littéraire » et est aussi de l’éphémère expérience du journal satirique français La Mèche (2010). Il est de l’épopée Siné Mensuel (2011-2025), tout en participant au projet éditorial de Zélium, le journal qui n’est ni de droite (février 2011-), et qui sortait un 13e numéro en septembre 2024, après des temps difficiles. Il a aussi collaboré à la revue en ligne ventscontraires.net (2012-2015), la revue du Théâtre du Rond-Point.

En 1995, chez Albin Michel, Noël Godin publie Crème et châtiment : Mémoires d’un entarteur, entretiens avec Marc Cohen et, en 2005, il sort chez Flammarion Entartons, entartons les pompeux cornichons ! Avec son complice Jean-Pierre Bouyxou, il a aussi commis Godin par Godin, un livre qui réunit une sélection de ses articles les plus farceurs et de ses textes les plus sagaces de critique impertinent. En 1990, il a publié chez Balland De l’horrible danger de la lecture et récidivé en 1994 avec Zig zig boum boum publié à Toulouse (Le Veilleur). En 2003, chez Flammarion, il signe encore le roman Armons nous les uns les autres, après avoir apporté sa collaboration Benoît Delépine, Matthias Sanderson et Aimable Jr, pour Grabuge ! 10 réjouissantes façons de planter le système (2002). Quant à son Anthologie de la subversion carabinée qui avait été publiée à L’Âge d’Homme en 1989, elle est revue et complétée à deux reprises, en 2008 et 2012. L’écrivain Noël Godin a reçu le Grand prix de l’humour noir (1995), le Prix de la Dent dure (1996) et le prix Humour et Résistance (2013).

Celui qui est le compagnon de Sylvie, la fille de Marcel Broodthaers depuis les années 1970, s’est lancé très tôt dans le court-métrage, en-dehors des scènes d’entartage, sans en faire sa carrière. Noël Godin signé cinq réalisations aux titres évocateurs et sans doute prometteurs... Se disant lui-même piètre acteur, il s’est prêté à diverses reprises à jouer des rôles pour des amis réalisateurs, dans des courts comme des longs métrages ; il joue le plus souvent son propre personnage d’entarteur, mais endosse aussi celui d’un clochard, celui d’un terroriste et se présente à deux reprises comme l’écrivain Pierre Mertens, dans La Jouissance des hystériques (2000) et, déjà, en 1995, quand il est à l’affiche de Camping Cosmos, réalisé par Jan Bucquoy. Alors que ce dernier disait vouloir donner une consistance à « ce pays qui n’existe pas », en parlant de la Belgique, cette parodie des mœurs belges réunit autour des clichés habituels (baraque à frites, foot, concours eurovision et concours de miss, etc.) une brochette de personnalités atypiques : Claude Semal (revisitant Tintin), Arno (en maître-nageur), Jacques Calonne (en représentant du ministère de la Culture), Jean-Henri Compère (Jan Bucquoy), Lolo Ferrari et enfin un Noël Godin imitant l’écrivain belge entarté lors d’une intervention radio sur la littérature, créant ainsi la situation de l’entarteur entarté… En 2004, il se prête au long métrage Wallonie 2084, de Jean-Jacques Rousseau, au scénario disparate, allégorie exacerbée d’une Wallonie en guerre avec la Flandre. En 2015, face à Jean-Marc Rouillan, ancien d’Action directe, il tient l’un des deux rôles principaux de Faut savoir se contenter de beaucoup de Jean-Henri Meunier.

Membre à vie du jury du festival international du Film Grolandais de Toulouse depuis 2013, Noël Godin est atteint depuis les années 2020 par une maladie qui abîme sa mémoire, sans lui enlever sa fantaisie ni sa gaîté. 

 

Cinéma (principales participations)

One night of hypocrisy Court métrage (1994)
Camping Cosmos (1996)
Quand on est amoureux, c’est merveilleux Court métrage (1999)
Le journal de Joseph Morder Court métrage (1999)
La Jouissance des hystériques (2000)
Bon appétit ! Court métrage (2001)
La Vie politique des Belges (2002)
Aaltra (2003)
La Vie sexuelle des belges, 6e partie (2003)
Cinéastes à tout prix (2004)
Les Vacances de Noël (2005)
Palais Royal ! (2005)
Le Prince de ce monde (2007)
Arrabal et les garçons Court métrage (2011)
Faut savoir se contenter de beaucoup (2015)
Uchronia (2016)
En Marche vers l’Effondrement ! (2022)

 

Réalisateur de courts métrages

Les Cahiers du cinéma (1972)
Prout prout tralala (1974)
Grève et pets (1976)
Si j’avais dix trous du cul (1999)
Prenons nos cliques prenons nos claques, boutons le feu à la baraque ! (2008)

 

Ses principaux livres

Anthologie de la subversion carabinéeL'Âge d'Homme, 1989, 2008 et 2012
De l'horrible danger de la lecture, Balland, 1990
Zig zig boum boum, Le Veilleur, Toulouse, 1994
Crème et châtiment : mémoire d'un entarteurAlbin Michel, 1995
Godin par Godin, éditions Yellow Now, 2001
Grabuge ! Dix réjouissantes façons de planter le système, Paris, Flammarion, 2002
Armons-nous les uns les autres, Paris, Flammarion, 2003
Entartons, entartons les pompeux cornichons !, Paris, Flammarion, 2005

 

Sources

Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Le Soir, 10 novembre 1995, 2 juin 2015 et la série « Racines élémentaires » dans Le Soir, 20 novembre 2021
https://www.yellownow.be/post/____i-5 
http://leparatonnerre.fr/2022/08/01/noel-godin-la-creme-de-la-creme/ (s.v. janvier 2025)
Noël Godin, Godin par Godin, Crisnée, Yellow now, 2001
Crème et châtiment : Mémoires d’un entarteur, entretiens avec Marc Cohen, Paris, 2005