Chambon Raymond

Socio-économique

Momignies 07/04/1922, Charleroi 1976

Spécialiste du verre, initiateur du Musée du Verre inauguré à Charleroi en 1966 sur base de sa propre collection, Raymond Chambon est un personnage atypique, considéré comme un expert international de son vivant, dont les travaux ont fait longtemps référence, avant d’être sérieusement remis en question.

Peu avant la Seconde Guerre mondiale, le jeune Chambon suit les cours de la section artistique de l’école Saint-Luc à Mons ; dans le même temps, la recherche du passé passionne ce natif de Momignies, cité où bat le cœur de l’industrie wallonne du verre depuis des décennies. Et comme l’occupation allemande entrave son cursus scolaire, il transforme son loisir en activité permanente ; délaissant ses premières recherches sur la toponymie de Momignies, Beauwelz et Macquenoise, il explore le domaine des activités artisanales anciennes, s’intéressant d’abord à la fabrication de la dentelle dans les environs de Beaumont, Chimay, Cerfontaine et Couvin, avant de se consacrer quasi exclusivement à l’histoire de la verrerie. Son premier article sur le sujet date de 1943 ; de nombreux autres vont suivre, dans lesquels il affirme notamment avoir découvert des traces d’atelier de verriers à différentes époques. Élargissant progressivement son horizon, il quitte les terres de la botte du Hainaut et embrasse la totalité du territoire belge quand, en 1955, il fait paraître une volumineuse synthèse, préfacée par Germaine Faider-Feytmans, et qui fait d’emblée référence : Histoire de la Verrerie en Belgique du IIème siècle à nos jours. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Chambon apparaît, aux yeux des scientifiques, comme un « verrier » en mesure d’apporter des éléments neufs « à l’étude de cette industrie d’art de notre passé, grâce à des connaissances scientifiques et techniques ».

Il est vrai qu’il a été engagé par les verreries en flaconnage de Momignies et par l’Union des Verreries mécaniques belges (Univerbel) en tant qu’attaché au département prospection des services commerciaux ; et en 1949, il ne cache pas qu’il rêve d’un grand musée chimacien du verre. Conseiller au sein de Glaver puis Glaverbel (1961), animateur de l’Institut national du Verre, il prend une part très active dans l’organisation du VIIe Congrès International du Verre qui se tient à Bruxelles, du 28 juin au 3 juillet 1965 ; responsable de la section « Art et histoire », Chambon accueille près de 75 spécialistes internationaux, d’Europe occidentale ou d’Europe de l’Est, des États-Unis et d’URSS, venus exposer leurs plus récentes découvertes, de fouilles de sites ou d’analyses de techniques de toutes les époques.

En 1963 ou 1966, Chambon cède sa collection personnelle à la ville de Charleroi, du moins en revend-il une partie importante, et il ne va plus cesser de travailler qu’à la création et à la naissance d’un Musée du Verre. En 1969, il signe le catalogue d’une importante exposition intitulée Trois siècles de verreries au Pays de Charleroi, 1669-1969. Et en 1973, le Musée du Verre est officiellement inauguré dans les bâtiments de l’Institut national du Verre (bld Defontaine) à Charleroi. Raymond Chambon en devient le premier Conservateur jusqu’à son décès en 1976. Membre de l’Institut archéologique liégeois, expert bénévole auprès des Musées Curtius et d’Ansembourg dont il figure parmi les donateurs, membre du Comité international du Verre pour les pays du Benelux, Raymond Chambon est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire du verre.

Depuis le début du XXIe siècle cependant, de sérieux doutes commencent à planer sur ses écrits. Expert scientifique éclairé, Raymond Chambon était aussi, sans aucun doute, un marchand de verreries ; entre commerce et expertise, une confusion se serait installée, par naïveté ou pour d’autres raisons. Deux grandes thèses traversent les écrits de Chambon : d’une part, faire de sa région d’origine le cœur d’une industrie verrière, de luxe et particulièrement en avance sur son temps et, d’autre part, démontrer une continuité certaine de cette industrie régionale de l’époque romaine jusqu’à la Renaissance. Pour établir cette continuité (déjà mise en doute en 1954 par G. Faider-Feytmans pour la transition entre Rome et les Mérovingiens), Chambon avance des découvertes impossibles à vérifier, compile des articles antérieurs en élaguant les hypothèses ou s’appuie sur des faux dont il est l’auteur. 

Présentés comme des documents inédits trouvés dans les archives, son Itinéraire de la Rouillie, sa Monstrance de Beauwelz et son Journal d’Amandt Collinet (entre autres) sont autant de falsifications destinées à glorifier la terre de ses ancêtres, voire sa propre personne, celle d’un autodidacte passionné. « (…) instigateur d’une immense machination historique », « mystificateur et érudit-faussaire » (PAINCHART), Raymond Chambon a brouillé jusqu’à l’opacité l’histoire d’une industrie dont la qualité première était la transparence. Acquises par le Corning Museum Glass de New York, les archives Chambon ne sont plus accessibles actuellement. Conséquence majeure de la forfaiture de Chambon, tous les travaux ultérieurs – et ils sont nombreux – qui avaient pris Chambon comme référence doivent être remis en question : ainsi par exemple en est-il de la date et de la valeur de collections internationales, ainsi que de la place réelle du pays de Chimay dans l’histoire du verre en Europe.

Cédé à la ville de Charleroi par la Fédération des Industries verrières, le Musée du Verre s’est progressivement éloigné de la conception muséale initiale de Chambon, qui accordait la priorité aux techniques du verre, liées à l’histoire et à l’art des verriers. Dans le cadre du phasing out Objectif I, avec le soutien de la Région wallonne et de l’Union européenne, un nouvel espace a vu le jour dans le bâtiment classé – dit « La Lampisterie », au sein du Bois du Cazier à Marcinelle, avec une approche muséographique entièrement renouvelée.

Sources

Benoît PAINCHART, L’activité verrière des Colinet au Sart de Chimay, XIIIe-XVIIe siècles, cinq articles répartis  dans la revue Éclats de Verre, du n°21 au n°25, mai 2013-mai 2015, en particulier la deuxième partie : en quête de vérités, les preuves de la non-existence de Verreries au Surginet et au Fourmathot au XVIe siècle, dans Éclats de Verre, novembre 2013, n°22, p. 34-46
André DEFLORENNE, Momignies. 2000 ans d’histoire verrière, Les verreries forestières. La verrerie de Momignies, Centre culturel de Momignies, 2002, 248 p.
Art verrier 1865-1925, [Exposition organisée par la Fédération belge du verre à l’occasion du VIIe Congrès international du verre aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles de juin à juillet 1965].
Fédération de l’industrie du verre (éd.), VIIe congrès international du verre. Bruxelles 28 juin-3 juillet 1965. Programme préliminaire, Bruxelles, Centre technique et scientifique de l’industrie belge du verre et Institut national du verre, 1965
Chantal FONTAINE, Gravure sur verre et falsification…, dans Bulletin de l’association française pour l’Archéologie du verre, 2007, p. 30-31
Janette LEFRANCQ, Apports et incidences de l’œuvre de Raymond Chambon sur l’histoire de la verrerie en Belgique, dans Annales du XVIIe Congrès de l’AIHV, Anvers, 2009, p. 339-343
Jutta-Annette PAGE, The ‘Catalogue Colinet’ : a mid-16th-century manuscrit ?, dans Johan VEECKMAN (dir.), Majolique et verre de l’Italie à Anvers et au-delà : la diffusion de la technologie au XVIe et au début du XVIIe siècle, Anvers, 2002, p. 243-262
Germaine FAIDER-FEYTMANS, Verreries gallo-romaines et franques en Thiérache belge, dans L’antiquité classique, t. 15, fasc. 1, 1946, p. 135 ; cfr aussi L’antiquité classique, t. 18, fasc. 1, 1949. p. 404
Pierre HOMBERT, Raymond Chambon et Holger Arbman, Deux fours à verre d’époque mérovingienne à Macquenoise (Belgique), dans L’antiquité classique, t. 23, fasc. 2, 1954, p. 583
Chantal FONTAINE-HODIAMONT, Helena WOUTERS, Deux verres d’époque romaine falsifiés par une gravure moderne. Un ‘héritage’ de Raymond Chambon dans Bulletin de l’Institut royal du Patrimoine artistique, 33, 2009/2012, p. 29-50
Identifiée par Chantal Fontaine, la soixantaine de publications de Raymond Chambon est inventoriée ici : http://afaverre.fr/Afaverre/bibliographie-de-raymond-chambon-concernant-le-verre/