prince de Ligne Charles-Joseph

Culture, Littérature, Militaires, Politique

Bruxelles 23/05/1735, Vienne 13/12/1814

Par les armes ou par la plume, Charles-Joseph de Ligne a mené une carrière brillante et remarquée en une période de grands bouleversements. Militaire, diplomate, écrivain, Charles-Joseph, prince de Ligne, a servi plusieurs cours impériales et princières. Surnommé « L’Enchanteur de l’Europe » ou encore « le dernier des hommes d’esprit », « le charmeur de l’Europe », « prince wallon et européen », le mondain a brillé dans les salons et l’écrivain a multiplié les publications, les unes consacrées à l’art de la guerre, les autres à ses mémoires, mais aucun fait d’armes remarquable n’est attaché au militaire.

C’est dans la prestigieuse résidence princière de Beloeil qu’il a grandi. C’est de là, dans ce « Versailles belge », qu’il a assisté aux faits de guerre qui agitent le pays wallon au milieu du XVIIIe siècle (bataille de Fontenoy, sièges de Tournai, Ath, Mons et Bruxelles), avant d’entrer comme enseigne dans le régiment d’infanterie wallonne dit de Saxe-Gotha, dont son père – Claude-Lamoral II, prince de Ligne (1685-1766) – est le propriétaire (1752) ; il est en garnison à Mons. Avec rang de capitaine, il participe ensuite à la Guerre de Sept ans (1757-1762), dont il conte toutes les péripéties qu’il a vécues, dans Mon journal de la guerre de Sept ans. Général-major (1763), il fréquente la cour de Vienne où, en 1751, il avait été fait chambellan ; il y devient l’un des conseillers du futur empereur Joseph II. À la tête de la fortune familiale (1766), ce cosmopolite mène un train de vie fastueux, à Vienne, à Paris et à Bruxelles, où l’ancienneté de sa famille le place au premier rang de la noblesse du pays. Les fêtes qu’il organise sont particulièrement courues.

« Prince de Ligne, d’Amblise et du Saint-Empire romain, marquis de Ville, seigneur de Fauquemberg, seigneur de Belœil et, en cette qualité, pair du comté de Namur, seigneur d’Antoing, et comme tel premier ber de Flandre, seigneur de Jaumont, de Herzelles, de Baudour, et comme tel pair, maréchal et sénéchal de Hainaut » (WAUTERS), comte d’Empire du cercle de Westphalie (1770), seigneur souverain de Fagnolles, grand d’Espagne de Ière classe, lieutenant général et colonel du régiment wallon de Saxe-Gotha, qui prit le nom de Ligne (1771), chevalier de la Toison d’or, il siège de droit aux États-Généraux des Pays-Bas, tout en fréquentant assidument les cours royales. En correspondance avec les grands esprits de son temps, se mêlant aux intrigues du moment, fréquentant les salons et les salles de spectacles, il accorde à l’écriture un temps toujours plus large, s’éloignant progressivement des récits de guerre pour traiter des plaisirs de la haute société.

Nommé gouverneur militaire de la ville de Mons (1778), il retire les bénéfices de la charge sans avoir besoin d’en assumer les contraintes ; ses comédies, descriptions de Belœil, recueils de poésies, mélanges de littérature, et quand même quelques mémoires militaires se succèdent, témoignant de l’esprit et de l’érudition de leur auteur. Néanmoins, en 1784, quand il est nommé commandant en chef des Pays-Bas, une mission d’importance l’attend : forcer la république des Provinces-Unies au retrait du traité de la Barrière et à la réouverture du commerce maritime pour Anvers. Quand le premier objectif est atteint, Joseph II se contente de compensations pour le second et, de militaire, le prince de Ligne redevient diplomate, voire courtisan, lors d’une longue mission en Russie, où il est admis dans le cercle fermé de Catherine II (1787-1788), avant de reprendre les commandes d’un corps d’armée autrichienne, quand l’empire de la tsarine est attaqué par les Turcs (1789). Il sera nommé commandeur de l’ordre de Marie-Thérèse pour son rôle dans le siège de Belgrade.

Éloigné des événements qui se jouent dans les provinces belges (1789-1790), le prince de Ligne  est attaché aux institutions d’Ancien Régime et mesure l’intérêt des réformes de Joseph II, despote éclairé ; il ne souscrit nullement aux idéaux révolutionnaires qui se diffusent depuis Paris. Après sa mission en Russie, il retrouve Vienne et sa cour avec bonheur et ne souhaite guère s’en éloigner, même quand les empereurs Léopold II puis François II le désignent pour occuper les fonctions de grand bailli et de capitaine général de la province du Hainaut, lors des deux restaurations autrichiennes (1791-1792, 1793-1794). Après la bataille de Fleurus, le prince de Ligne est forcé à l’exil ; il se retire définitivement à Vienne, avec son épouse, Marie-Françoise de Liechtenstein et leurs trois filles ; sa fortune a fondu, même s’il vit dans son hôtel particulier de la Mölkerbastei, actuel n°87, avec un nombre important de gens de maison, et s’il possède encore une bâtisse sur le Kalhenberg. À aucun moment, dans les guerres menées contre la France, on ne fait appel à ses services. Aigri, d’humeur maussade et faisant preuve d’un esprit ironique, voire mordant en société, il ne bénéficie plus des faveurs de la cour. Loin de sa propriété de Beloeil et d’autres biens désormais placés sous séquestre par la République française, il se consacre aux seuls plaisirs de l’écriture.

À partir de 1795, signant un contrat avec un éditeur, il entreprend de publier ses Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires, soit une collection de 34 volumes quand il s’arrête en 1811. Il y reprend certains écrits anciens, se fait biographe et autobiographe, poète ou dramaturge, mémorialiste et romancier, prodigue de conseils militaires, de théâtre, voire même de jardinage… Le succès de certains ouvrages lui procure quelques honneurs, en souvenir des services du passé et de sa fidélité aux Habsbourg : capitaine des Trabans de la Garde impériale (1807) et feld-maréchal honoraire (1808). Cherchant un refuge pour son fils, Mme de Staël, exilée de France, trouvera auprès du prince de Ligne un secours précieux, voire davantage. Sans doute cette situation explique-t-elle ce compliment de Mme de Staël au sujet du prince de Ligne : « Le seul étranger qui, dans le genre français, soit devenu modèle plutôt qu’imitateur ». Ce compliment se trouve dans sa préface de Pensées et réflexions, ouvrage publié en 1809 et qui s’avère un coup littéraire exceptionnel, remettant le Maréchal-Prince de Ligne dans la lumière, en tant qu’écrivain. Deux siècles plus tard, l’ensemble de son œuvre fera l’objet d’une édition critique.

De son vivant, son retour en grâce connaît son paroxysme au moment de la chute de l’empire napoléonien. Réunis en congrès à Vienne, les diplomates redécouvrent l’esprit et la gaité de ce personnage de près de quatre-vingts ans, qui les divertit en même temps que sa mémoire leur apporte moultes renseignements « politiques ». Ayant contracté un funeste refroidissement, ce mondain lettré quitte alors brutalement la compagnie des plus importants princes d’Europe. Les circonstances placent tout le gotha sur le chemin de son cortège funèbre.

Les avis sont partagés lorsqu’il s’agit d’évaluer l’écrivain, dont plusieurs œuvres sont publiées à titre posthume à différentes époques. Auteur prolifique, il a écrit comme il a vécu en cour, avec esprit, souvent avec finesse et fulgurance, mais de façon décousue, cauteleuse, voire superficielle, et sur des sujets dont la légèreté n’ouvre pas nécessairement les portes de la postérité. Du romancier, on retient sans conteste ses Contes immoraux, ou Conversations de Bélial ou le bon diable, même si son œuvre la plus connue reste l’inclassable Coup-d’Œil sur Beloeil. De ses récits sur ses voyages se dessine un homme curieux et ouvert aux autres cultures. Ses écrits « militaires » restent cependant une source incontournable pour appréhender cette longue période où s’achève l’Ancien Régime, voire pour connaître l’ordre de la Toison d’or, ou pour comprendre l’art de la guerre ; en l’occurrence, ses conseils pratiques firent autorité jusqu’à la Grande Guerre.

Sources

Roland MORTIER, dans Nouvelle Biographie nationale, t. X, p. 127-132
Jeroom VERCRUYSSE, Bibliographie des écrits relatifs au prince de Ligne (1749-2004), Bruxelles, 2006
Alphonse WAUTERS, dans Biographie nationale, t. 12, col. 130-195
Fernand LEURIDANT, Galerie beloeilloise. Esquisses biographiques, Bruxelles, Annales prince de Ligne, 1936
Raymond QUINOT, Charles-Joseph de Ligne, prince wallon et européen, Charleroi, Institut Jules Destrée, s.d., coll. Figures de Wallonie
Nicolas PEETERMANS, Le Prince de Ligne ou un écrivain grand seigneur à la fin du XVIIIe siècle, Liège, Renard, 1857