La Ruelle Sébastien
Héroïsme, Politique
Chênée (c. 1590 ?), Liège 16/04/1637
De son vivant comme après sa mort qui fut d’ailleurs violente, la personnalité de Sébastien La Ruelle ne cesse de susciter l’attention. « Docteur en Droit », ayant reçu une solide formation auprès des Jésuites wallons du Collège de Liège, Sébastien La Ruelle jouit d’une belle réputation auprès de ses concitoyens ; avocat, il est inscrit au métier des Charpentiers, parmi les XXXII bons métiers de Liège ; orateur distingué, disposant d’une autorité naturelle, il ne tarde pas à s’imposer comme un leader politique en qui le petit peuple place sa confiance.
Bénéficiant du soutien de Beeckman, un autre avocat qui est surtout le chef du parti populaire et qui exerce à six reprises l’une des deux charges de bourgmestre de Liège, La Ruelle parvient, en 1630, à se faire élire lui aussi bourgmestre, en même temps que Guillaume de Beeckman. Dans la cité de Liège, capitale de la principauté du même nom, la fonction de bourgmestre est une des charges les plus importantes, notamment parce qu’elle symbolise annuellement, au moment du renouvellement, une forme de participation des couches populaires à la vie politique. Ce fut particulièrement vrai en 1630, les deux bourgmestres étant désignés contre l’avis du prince-évêque, Ferdinand de Bavière. L’affaire a fait grand bruit et le décès de Beeckman confère à La Ruelle le statut de chef du parti des « petits », surnommés les Grignoux.
Au-delà des affaires intérieures liégeoises, La Ruelle est aussi appelé à se mêler de politique étrangère. Le statut de neutralité de la principauté est sans cesse défié par les puissances européennes, en guerre quasi permanente surtout depuis que les questions religieuses se sont ajoutées aux enjeux politiques et économiques. En 1632-1633, malgré certaines sympathies à l’égard de la France, La Ruelle rejette l’alliance que propose Louis XIII, arguant de la neutralité liégeoise ; celle-ci est cependant bafouée par le prince-évêque quand il fait appel au gouverneur des Pays-Bas espagnols : il s’agit de repousser les armées françaises qui, progressivement, occupent Thuin, Châtelet et Huy (1635). Alors qu’il vient d’être choisi bourgmestre pour la seconde fois, La Ruelle prend le parti de la France afin de repousser les empiètements de l’Empire. Le 9 avril 1636, il parvient à déjouer la tentative d’attentat mené contre lui par les Chiroux, partisans de l’Empire et de la restriction des droits électoraux ; en guise de rétorsion, il s’empare de l’Hôtel de ville avec les Grignoux, partisans de la France et de la garantie des libertés liégeoises. La vie politique liégeoise paraît retrouver son calme quand, un an plus tard, presque jour pour jour, La Ruelle tombe dans un guet-apens tendu par le comte de Warfusée. Directeur des Finances du roi d’Espagne à Bruxelles, il a été pris la main dans le sac et a dû fuir, trouvant heureusement refuge à Liège auprès des Grignoux. Cependant, il cherche à rentrer dans les bonnes grâces des Espagnols et invite La Ruelle à un banquet… où l’attendent des Espagnols en armes. Le bourgmestre de Liège est massacré et laissé pour mort. Cela ravive les tensions, les uns accusant le prince-évêque d’être mêlé au complot, les autres objectant que La Ruelle était disposé à livrer la principauté à la France. Les troubles ne vont pas cesser, les défenseurs des libertés faisant de La Ruelle leur martyr. En 1684, c’est le prince-évêque qui prend le meilleur en restaurant son autorité et en limitant l’influence des Métiers. Mais l’édit de 1684 devient l’un des motifs du mécontentement qui culminera en 1789.
On comprend dès lors que le personnage entra à la fois dans l’histoire et l’imaginaire collectif des Liégeois. C’est autour de sa dépouille, déposée dans l’église Saint-Martin-en-Isle, en mai 1637, que naissent de nouvelles ferveurs politiques et des polémiques plusieurs décennies plus tard. On retrouve d’abord, bien conservé, le corps de l'ancien bourgmestre, « leader des Grignoux mort pour les libertés », dans les décombres de l’église détruite vers 1796 par la fureur révolutionnaire. La dépouille est d’abord vendue, avant de se retrouver chez les Carmélites, puis à l’Institut archéologique liégeois. Ce sont les historiens qui, au XIXe siècle se disputent sa mémoire selon une lecture libérale ou catholique du passé. En novembre 1937, trois siècles après l’assassinat du bourgmestre, le Collège échevinal de la ville de Liège unanime décide le transfert du corps vers une nouvelle sépulture (place Saint-Jean devenue Place Xavier Neujean). Quelques mois auparavant, Paul Harsin a entrepris des recherches sur La Ruelle et, à l’initiative d’un Comité La Ruelle, plusieurs commémorations d’importance sont organisées en 1938, mais la Seconde Guerre mondiale a tôt fait d’écraser ce souvenir renaissant.
Parviendra-t-on un jour à percer tous les secrets, surtout politiques, entourant le chef des Grignoux ? En tout cas, personne ne se presse à enfouir son souvenir : le petit cercueil en plomb conservé près de la halle aux viandes jusque dans les années 1990 est toujours conservé dans un caveau d’attente au cimetière de Robermont et la pierre tombale enlevée de la place Neujean dans les années ’60 (pour des questions de trafic routier) se trouve au cimetière de Jupille, dans l’espoir d’une synthèse…
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Viktoria VON HOFFMANN, La mémoire des Chiroux et des Grignoux. Histoire d’une guerre civile liégeoise politisée, dans Tradition wallonne, n° 22, 2006, p. 119-155.
Viktoria VON HOFFMANN, Un mythe réactualisé. La commémoration de l’assassinat de Sébastien La Ruelle en 1938, dans Bulletin du CHTP, n°19, 2008, p. 7-44.
Bruno DEMOULIN, Jean-Louis KUPPER, Histoire de la Principauté de Liège. De l’an mille à la Révolution, Toulouse, 2002, p. 158-174.
P. HANQUET, Autour de Sébastien La Ruelle, Liège, 1956
Paul HARSIN, Textes rares ou inédits concernant le Bourgmestre La Ruelle, Louvain, 1936
J. FRÉSON, Les dernières années du Bourgmestre de Liège Guillaume Beeckman, Liège, 1890
J. FRÉSON, La Mort de Sébastien Laruelle, Liège, 1890
M-L. POLAIN, Le banquet de Warfusée, ou le meurtre de Sébastien La Ruelle, Liège, 1836
Mandat politique
Bourgmestre de Liège (1631, 1635-1637)
©, Paul Delforge