Lambert Henri dit CASIMIR-LAMBERT

Socio-économique, Entreprise

Dampremy 14/11/1862, Paris 12/10/1934

Depuis le XVIIe siècle, moment de leur installation dans le pays de Charleroi, les Lambert participent à l’exploitation des houillères et, à partir du XIXe siècle, Casimir-Lambert (1797-1864) se lance dans la verrerie suite à son mariage avec la fille du maître verrier Desguin. Les verreries de Lodelinsart construites par le grand-père sont développées par Casimir Lambert (1827-1896), ingénieur sorti de l’École des mines de Mons, industriel et député libéral de Charleroi entre 1874 et 1890. Dans la tradition familiale, Henri Casimir-Lambert conservera cette activité industrielle en lui donnant une prospérité toute nouvelle, mais en menant des activités remarquées dans un tout autre domaine : en effet, sorti de l’Université de Liège avec un diplôme d’ingénieur civil en 1886, Henri Lambert est profondément marqué par les émeutes qui frappent alors le bassin industriel wallon. De ces événements dramatiques naîtra une forte réflexion, synthétisée, en 1920, dans un ouvrage intitulé Nouveau Contrat social. Au-delà du socio-économique, ce patron wallon d’entreprise atypique défendra aussi des positions pacifistes déterminées.

Au décès de Casimir Lambert, en 1896, la question de la succession génère des différends tels que Henri Lambert préfère quitter les Verreries de l’Ancre (devenue SA des Verreries de l’Ancre réunies) pour construire sa propre usine de production de verres à vitres, toujours à Lodelinsart. Lors de ses débuts dans l’entreprise paternelle, il avait commencé à introduire plusieurs innovations. Ses contacts avec Eugène Baudoux l’y aidèrent. Une fois à son compte, la société en commandite Henri Lambert et Cie dispose du plus grand four d’Europe ce qui lui vaut, de la population, le surnom de Verrerie Barnum. Plusieurs centaines d’ouvriers assurent sa prospérité jusqu’au milieu des années 1920. Entre-temps, Henri Lambert a apporté son soutien à Émile Fourcault lorsque ce dernier met au point son brevet révolutionnaire avec Émile Gobbe, et il apporte aussi des capitaux dans la SA des Verreries de Dampremy. Quand, à son tour, Henri Casimir Lambert introduit la mécanisation dans son entreprise, il sonne le glas des souffleurs de verre carolorégiens. Transformée en Société anonyme des Verreries mécaniques de Lodelinsart sous la contrainte des banques, l’entreprise de Henri Lambert se dissout au sein de l’Union des Verreries mécaniques belges-Univerbel (octobre 1930).

Toutes les transformations statutaires que connaissent les entreprises de Henri Casimir-Lambert ne correspondent guère à l’idéal que s’est forgé le personnage tout au long de ces années. Ayant hérité de son père la conviction du libre-échange économique, l’entrepreneur se fait philosophe et va tenter de concilier d’autres valeurs politiques : le principe du suffrage universel dont il est partisan et le caractère excessif du simple système majoritaire, d’une part, le principe de la liberté d’association et le pouvoir engendré par les formes capitalistiques des sociétés anonymes ou à responsabilité limitée, d’autre part. Dans son Nouveau Contrat social, sa réponse aux tensions ainsi identifiées, il plaide en faveur d’une organisation de la « démocratie individualiste », régime dans lequel triompheraient la liberté, une solidarité volontaire et une responsabilité solidaire. À cette doctrine originale de la société, il ajoute un engagement résolu en faveur du pacifisme. En 1913, il explique sa pensée dans Pax Œconomica, qui n’est alors qu’un essai, avant de multiplier des lettres ouvertes à Sir Edward Grey et au président Woodrow Wilson. Ayant quitté Charleroi en septembre 1914 pour la Hollande, puis l’Angleterre, il débarque aux États-Unis en septembre 1916 pour faire pression avec les milieux pacifistes et libre-échangistes américains sur le président Wilson. Selon J-L. Van Belle, l’industriel et pacifiste wallon parvient à s’immiscer dans l’entourage des décideurs de la Maison Blanche et à influencer le fameux programme en « Quatorze points » du 8 janvier 1918). Lors de son séjour en Amérique, il met encore la dernière main à son Pax Economica définitif.

Opposant farouche aux dispositions de Versailles, sceptique quant à l’utilité de la Société des Nations, Henri Lambert ne semble pas avoir bénéficié d’une grande écoute de son vivant, ni d’ailleurs post mortem. Une dernière synthèse, métaphysique, intitulée Hypothèse sur l’évolution physique et métaphysique de l’énergie (1935) ne rencontre guère de succès : il y émet l’hypothèse d’un ordre naturel du monde et affirme l’existence d’un dieu, « énergie attractive immatérielle », qui opère depuis le noyau de tous les atomes.

Sources

Jean-Louis VAN BELLE, Henri Lambert. Un grand penseur toujours d’actualité (1862-1934), Braine-le-Château, 2010
Jean-Louis DELAET, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 407
Jean-Louis VAN BELLE, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 11, p. 46-48