Paul Laforge
Statue Guillaume IV de Hainaut-Bavière
Statue de Guillaume de Bavière, réalisée par Frantz Vermeylen, septembre 1911.
Face à la gare de Binche, de style néo-gothique, construite entre 1905 et 1910, s’étend une imposante esplanade, au centre de laquelle a été inaugurée en 1931 une statue de l’Indépendance ; autour de ce monument central s’étendent quatre pelouses séparées par des chemins : la moitié supérieure, côté gare, est ceinturée par une balustrade en pierre bleue, sculptée, de style néo-gothique d’où émergent 8 colonnes de pierre, elles-mêmes surmontées d’une statue en bronze. Destiné à mettre la gare davantage en évidence tout en atténuant harmonieusement le dénivelé du terrain, le square a été aménagé en respectant les indications très précises de la Commission royale des Monuments qui délégua sur place, à plusieurs reprises, ses représentants pour veiller à la bonne exécution des travaux (adjugés à 60.000 francs de l’époque). Soutenu par les autorités locales, et en particulier par le bourgmestre Eugène Derbaix, le projet de square s’inspire de celui du Petit Sablon, à Bruxelles, avec ses colonnettes gothiques et ses statuettes évoquant « l’histoire nationale ». Il est inauguré en septembre 1911.
Oeuvres des sculpteurs Vermeylen et Valériola, désignés en mai 1911, les 8 statues représentent « des personnages illustres qui ont joué dans l’histoire locale un rôle important et dont le souvenir mérite de vivre dans la mémoire des Binchois » (Derbaix). Quatre sont dues au ciseau d’Edmond de Valériola : Baudouin le Bâtisseur, Gilles Binchois (statue disparue en 2014), Yolande de Gueldre et Marie de Hongrie (statue volée en 1993) ; il s’agit en fait de toutes les statues de gauche quand on fait face à la gare. Les quatre autres ont été réalisées par Frantz Vermeylen (1857-1922) : Charles-Quint, Marguerite d’York, Arnould de Binche et Guillaume de Bavière qui nous occupe ici. Il s’agit de la statue située entre Charles Quint et Marguerite d’York. Dans le projet initial, présenté en octobre 1910, Guillaume de Bavière, comme d’ailleurs Yolande de Gueldre et Gilles Binchois, n’avait pas été retenu. Figuraient alors Albert, Isabelle et Jacques Du Broeucq qui, sur décision du conseil communal de Binche et d’Eugène Derbaix en particulier, furent remplacés dans la version définitive du projet, arrêtée au printemps 1911.
Natif de Louvain, où son père (Jan Frans) exerçait déjà le métier, Fr. Vermeylen a appris la sculpture dans l’atelier familial, avant de suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Louvain (1869-1878) où son père enseigne, et de se perfectionner à Paris (chez A-A. Dumont). Ayant certainement travaillé sur les chantiers de décoration de l’hôtel de ville de Louvain, de la gare d’Amsterdam et au Rijksmuseum dans les années 1880, il devient l’expert attitré des autorités louvanistes, avant de répondre aussi à des commandes de décoration pour la ville d’Audenarde, l’abbaye Saint-Gertrude, la Volksbank, etc. Spécialisé dans les intérieurs d’église (par ex. Saint-Martin à Sambreville), il reste un artiste demandé tant pour ses médailles que pour ses bustes et ses statues, comme celle du gouverneur Orban de Givry à Arlon (1903), que pour les quatre statues qu’il réalise pour Binche.
Concernant les 8 statues qui composent l’ensemble face à la gare, tous les personnages ont vécu avant le XVIIe siècle, deux sont des artistes (Gilles Binchois et Arnould de Binche) et six représentent des « princes ou princesses » qui « ont apporté la prospérité à Binche ». Guillaume IV est le dernier comte de Hainaut, avant que les Bourguignons n’imposent sa cession en 1428, par une habile politique de mariages. Pourtant, en 1324, par le mariage de Marguerite II d’Avesnes avec Louis IV de Wittelsbach (sacré empereur), le comté de Hainaut était entré dans l’orbite de l’importante famille de Bavière. De cette union, naîtra notamment Albert Ier, héritier des titres et propriétés de la famille, marié à Marguerite de Brzeg. De cette union naîtront Marguerite (mariée à Jean sans Peur), Guillaume, héritier principal, et Jean qui deviendra évêque de Liège. À la mort d’Albert Ier, en décembre 1404, Guillaume (1365-1417) devient duc de Bavière sous le nom de Guillaume II, comte de Hainaut sous le nom de Guillaume IV, ainsi que comte de Hollande et de Zélande. Son mariage avec Marguerite de Bourgogne conforte le rapprochement entre les Bavière et les ducs de Bourgogne, mais introduit surtout le loup bourguignon dans la bergerie hennuyère. L’intégration du Hainaut dans le giron bourguignon sera scellée en 1433 quand Jacqueline de Bavière (la fille de Guillaume IV et l’épouse de Jean IV de Bourgogne, le neveu de Jean Sans Peur) finit par abandonner le comté de Hainaut à Philippe le Bon institué comme héritier dès 1428. Mais ce n’est pas cet aspect-là que veulent mettre en évidence les autorités de Binc
he au début du XXe siècle. Elles souhaitent honorer Guillaume IV de Bavière parce qu’il a assuré la translation des reliques de saint Ursmer de Lobbes vers Binche (1409).
En fait, dans la guerre opposant les Liégeois à leur prince-évêque, Jean de Bavière, le comte de Hainaut (son frère) vient à sa rescousse avec le comte de Namur et le soutien des Bourguignons. Se sentant menacé, le chapitre de Lobbes vient chercher la sécurité dans la ville fortifiée voisine de Binche. Ce transfert constitue un événement pénible pour Lobbes et une aubaine pour Binche : pendant plusieurs siècles, les deux cités entretiendront une inimitié tenace. En honorant Guillaume IV d’une statue au début du XXe siècle, les autorités de Binche entretenaient en quelque sorte une vieille rivalité villageoise.
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Le Journal de Charleroi, 31 octobre 1910 et 16 mai 1911, Journal de Bruxelles, 3 octobre 1911
Ludo BETTENS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 602-604
Eugène DERBAIX, Monuments de la Ville de Binche, Vromant & Cie, 1920, p. 38-39
Étienne PIRET, Binche, son histoire par les monuments, Binche, Libraire de la Reine, 1999
Victor DE MUNTER, Frantz Vermeylen et son œuvre, dans Revue belge de numismatique et de sigillographie, Bruxelles, Société royale de Numismatique, 1925, n°1, p. 57-68
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 739
http://www.histoire-des-belges.be/listes/comtes-de-hainaut
(Monique MAILLARD-LUYPAERT, Alain DIERCKENS), Autour de saint Ursmer, de Lobbes à Binche, conférences, Tournai, 2011
Des Trésors à partager autour de Saint Ursmer, comité du 600e anniversaire de la translation des reliques et du Chapitre de Saint Ursmer, Lobbes, 2011
Place et square Eugène Derbaix
7130 Binche
Paul Delforge