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Monument Hubert GOFFIN

 

Hubert Goffin et son fils dans la mine, gravure de Léonard Jehotte, collections du cabinet des estampes et des dessins de la ville de Liège © Bruxelles, KIK-IRPA

Un monument situé sur la place Nicolaï à Ans témoigne de la vie des mineurs dans la région liégeoise au début du XIXe siècle. Sous l’Empire, 600 houillères occupent près de 70.000 ouvriers dans les départements de l’Ourthe, de la Meuse inférieure, de

 Sambre-et-Meuse et de Jemappes. Les mines wallonnes assurent l’approvisionnement de 30 % du marché français grâce à l’utilisation d’innovations techniques et à l’introduction, chez nous, de la législation minière française entre 1791 et 1810. Cette belle réussite a toutefois ses revers ; les ouvriers travaillent dans des conditions dangereuses et sans véritables mesures de sécurité. Pendant la période napoléonienne, plus de 97 accidents miniers surviennent dans la région liégeoise. On dénombre 27 morts dans la fosse de Marihaye en 1802 ; 18 personnes décèdent suite à un coup de grisou à Sclessin en 1805 ; 9 morts dans la mine du Vieux Horloz à Saint-Nicolas le 11 novembre 1806 ; 67 mineurs périssent asphyxiés dans la même houillère le 10 janvier 1812 ; 25 suite à une rupture de câble en 1812 dans la fosse du Hardy à Ans. Voilà ici quelques exemples, parmi d’autres, de catastrophes minières sous l’Empire. Parmi celles-ci, une retient particulièrement l’attention et reste de nos jours très présente dans l’historiographie.
 

Hubert Goffin descend d’une famille de mineurs qui exploitent la houille en région liégeoise depuis la fin du XVIe siècle. Né en 1771, il devient, sous le régime français, maître mineur à la mine du Beaujonc, sur le territoire d’Ans. Le 28 février 1812, Hubert Goffin et son fils Mathieu travaillent dans la mine lorsque survient un accident. Une digue rompue en surface provoque l’inondation de la bure : 30.000 m³ d’eau dévalent dans le fond du puits et emprisonnent 127 mineurs dans un espace réduit pendant cinq jours. Goffin et son fils organisent les secours, refusent de quitter leurs compagnons et aident les mineurs à évacuer la mine dans un panier avant que l’eau ne les empêche de sortir. Le 4 mars 1812, les sauveteurs parviennent jusqu’à eux et ramènent les ouvriers à la surface. Goffin et son fils remontent les derniers.

Les événements de la mine du Beaujonc et la personnalité courageuse de Goffin plaisent particulièrement à l’Empereur qui décide de récompenser le courage du contremaître en lui décernant la Croix de chevalier de la Légion d’honneur dès le 12 mars 1812. Hubert Goffin se voit également octroyer une pension à vie de 600 francs.  Et l’on permet à Mathieu d’entamer des études aux frais de l’État au lycée impérial de Liège. Hubert Goffin est le seul et unique ouvrier à recevoir la prestigieuse récompense sous le premier Empire ! Le courage des Goffin inspire également les artistes : un tableau représentant la remise de la Légion d’honneur par le préfet de l’Ourthe Micoud d’Umons est conservé à l’hôtel de ville de Liège. La peinture, réalisée par le peintre J. C. Bordier du Bignon, est exaltante, pleine d’emphase et témoigne bien du cérémonial napoléonien.


 

Remise de la croix de la Légion d’honneur à Hubert Goffin, tableau de Jacques Bordier du Bignon, propriété du musée des Beaux-Arts de Liège, en dépôt à l’hôtel de ville © Bruxelles, KIK-IRPA

 Le préfet du département de l’Ourthe, conscient des nombreux accidents et des conditions de travail des mineurs, pousse la réflexion plus loin. Dès 1811, il avait fait part de ses inquiétudes à Paris, sans succès. Suite à la catastrophe de la mine du Beaujonc, Micoud d’Umons présente le 2 juillet 1812 un projet de caisse permanente de secours. Napoléon signe le décret le 26 mai 1813 et ouvre la voie à une (maigre) amélioration du sort des ouvriers. La première réunion du conseil d’administration de la « Caisse de prévoyance en faveur des ouvriers houilleurs du département de l’Ourthe » se déroule à l’hôtel de ville de Liège le 15 juillet 1813. Cette caisse fonctionne normalement jusqu’à la chute de Napoléon et la désorganisation des d’Orange ne manifeste par la suite aucun intérêt pour la question… Quant à Hubert Goffin, appelé pour sa compétence dans la houillère du bois de Saint-Gilles à Sclessin, il périt dans un incendie de la galerie le 8 juillet 1821.

Un siècle après les événements, la commune d’Ans a souhaité commémorer le souvenir du héros du pays et lui a élevé un monument sur la place communale. Œuvre du grand sculpteur liégeois Oscar Berchmans et inaugurée en 1912, elle représente Hubert Goffin prenant son fils sous le bras. Tous deux portent leurs habits de mineurs et regardent vers le ciel. Sur le haut socle figurent les noms des deux mineurs et les dates « 1812-1912 ». À l’arrière, une plaque est gravée des noms des mineurs originaires de la localité ayant péri dans la catastrophe. Une nouvelle plaque, installée le 4 mars 2012 à l’occasion du bicentenaire de la catastrophe, a été placée à l’avant du monument en présence des autorités provinciales et communales et du consul général de France à Bruxelles.

Place Nicolaï
4430 Ans

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Frédéric MARCHESANI, 2014

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Hubert et Mathieu GOFFIN

Il est très rare de rencontrer l’exemple d’un ouvrier nommément identifiable statufié dans l’espace public wallon. Le plus souvent des allégories rendent hommage à la masse des travailleurs anonymes, qu’ils soient métallurgistes, carriers, verriers, mineurs, débardeurs ou agriculteurs. À Ans, sur les hauteurs de Liège, c’est un mineur héroïque qui est honoré par un monument de belle taille. Ouvrier  expérimenté, contremaître, le mineur Hubert Goffin (1771-1821) n’a pas hésité à risquer sa vie pour sauver une centaine de ses collègues bloqués sous terre, à la suite d’un coup d’eau dans la mine du Beaujonc (fin février, début mars 1812). Aidé par son jeune fils – lui aussi distingué sur le monument – Goffin réalise un acte de bravoure dont l’Europe entière a connaissance en quelques jours. L’empereur Napoléon en personne est sensibilisé et décide de lui accorder le titre de chevalier de la Légion d’honneur : Hubert Goffin devient ainsi le premier ouvrier à recevoir cette distinction (22 mars 1814). Le régime français connaît ses derniers moments en pays wallon ; à peine mis en place, le régime « hollandais » accorde une attention égale à l’héroïque mineur liégeois qui reçoit le titre de chevalier du Lion de Belgique, en 1815, de la part du nouveau roi Guillaume des Pays-Bas.

Monument Hubert et Mathieu Goffin

Si ces récompenses n’empêchent pas Goffin de trouver la mort dans un autre accident minier survenu en 1821, son souvenir est définitivement entré dans la mémoire collective. Le thème du bon ouvrier qui risque sa vie pour sauver ses camarades est abondamment repris. Ainsi, l’Académie française propose son exemple comme sujet d’un prix de poésie. Dans « sa » commune, il faut attendre 1912, et le centenaire du « miracle », pour qu’un monument soit érigé sur la place communale. L’œuvre a été confiée à Oscar Berchmans (1869-1950).

Ayant grandi dans un milieu tourné vers la peinture, Oscar opte pour la sculpture lorsqu’il suit les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Liège auprès de Prosper Drion et d’Adrien de Witte (1884) ; il fréquente aussi l’atelier de Léon Mignon et de Paul de Vigne auprès desquels il apprend son métier. Au-delà de commandes pour les particuliers, Berchmans est souvent sollicité par les autorités liégeoises qui lui confient la réalisation de bas-reliefs pour le Palais des Beaux-Arts de l’exposition de 1905, le mémorial Mignon (1906), des bustes et des monuments comme ceux dédiés à Georges Montefiore-Levi (1911) ou à Hubert Goffin à Ans. C’est le fronton de la façade de l’Opéra royal de Wallonie (1930) qui constitue la plus belle réussite de celui qui enseignera aussi à l’Académie de Liège.

Confié à un artiste considéré comme l’un des meilleurs de son temps, le monument Goffin fait grand

e impression lors de son inauguration, en octobre 1912. Chacun se plait à reconnaître la simplicité à la fois émouvante et tragique d’une scène où le mineur courbé soutient son fils dans l’effort accompli. Casque rudimentaire sur la tête, Hubert Goffin s’appuie sur un piolet. Il est vrai que la foule s’est rassemblée en nombre (cfr HUYGEN, p. 19) pour saluer le monument dédié à un ouvrier, quelques semaines à peine après le scrutin de juin 1912 où les forces socialistes et libérales ont dû s’incliner une nouvelle fois devant une majorité catholique s’appuyant sur une forte représentation flamande, quelques semaines aussi après les violentes échauffourées sociales de Liège, qui se sont soldées par la mort de plusieurs personnes suite aux tirs de la gendarmerie. 

À l’issue des importants travaux d’aménagement urbain de la ville d’Ans (début des années 2000), le monument Goffin a fait l’objet d’une rénovation et d’une nouvelle implantation, désormais place Nicolaï. Le centième anniversaire du monument et le bicentenaire de l’acte héroïque de Goffin ont fait l’objet d’importantes manifestations au niveau communal.

 

Ans et Awans, Patrimoine architectural et territoires de Wallonie, Liège (Mardaga), 2008, p. 44
Claude RAUCY, Hubert Goffin, chevalier de la mine, Ans, 2012
Henri HUYGEN, Hubert Goffin en 2012, livre informatique cfr http://www.huygenhenri.net/hubert%20goffin%20oct2008/lecteur.swf (sv. janvier 2014)

Place communale (transfert Place Nicolaï)
4430 Ans

carte

Paul Delforge

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Bury Henri

Héroïsme

Liège 1780, Montegnée 01/06/1852

En raison des effondrements de galerie, les inondations ou les explosions de grisou, le nombre de victimes de la mine est considérable en pays wallon. De temps en temps, une sorte de miracle permet de sauver plusieurs vies et l’on salue alors souvent la bravoure de l’un ou l’autre sauveteur. C’est le cas, en avril 1823, lors d’une explosion violente à 400 mètres sous terre, au Champay, près de Liège. Descendu sans attendre, Henri Bury parvient à sauver la vie de 28 de ses camarades en les aidant à retrouver l’air libre. À l’instar de Hubert Goffin, ce maître-ouvrier fait l’objet de nombreux témoignages de remerciements ; en particulier, il reçoit du roi Guillaume d’Orange le titre de « Frère de l'Ordre du Lion des Pays-Bas ».

Les remerciements n’allaient jamais jusqu’à dispenser le héros de travailler. En 1825, Bury conduit les travaux de percement d’une nouvelle concession, celle de la Bonne Espérance, à Montegnée. Surnommé Bonaparte en raison de sa ressemblance physique, Bury perdra la vie en 1852, dans le bure de la Nouvelle Espérance, à la suite d’un détachement d'une pierre dans une galerie qu'il était occupé à inspecter. Il avait près de 72 ans.

 

Sources

André DE BRUYN, Anciennes Houillères de la Région liégeoise, Liège, Dricot, 1988, p. 161

Goffin Hubert

Héroïsme

Ans 1771, Sclessin 8/07/1821

Depuis le XVIe siècle, le pays de Liège s’intéresse à l’exploitation du charbon, qu’en wallon on appelle la houille. Après avoir utilisé les couches de surface, il devient impératif de creuser des galeries, toujours plus profondes. Les puits de mine se multiplient et, parallèlement, les accidents dus aux éboulements, aux coups d’eau ou aux explosions due au grisou. Le 28 février 1812, dans la mine du Beaujonc, une exploitation située à Ans, dans la banlieue liégeoise, c’est un coup d’eau qui se déverse sur une équipe d’une centaine de mineurs occupés à creuser une galerie à 170 mètres de profondeur.

Proche du panier qui remonte la houille et les hommes (cuffat) vers la surface, Hubert Goffin, ouvrier expérimenté promu contremaître en raison de ses états de service, est en situation de sauver sa vie en actionnant le mécanisme de remontée. Il est aussi en mesure d’organiser les secours en cédant sa place dans le cuffat. 35 mineurs parviennent ainsi à revoir la couleur du ciel, tandis qu’une centaine d’autres tentent d’échapper à l’eau qui monte de plus en plus dans les galeries. Tout en imposant son autorité auprès d’hommes désespérés qui ne pensent qu’à sauver leur peau, Hubert Goffin conduit le groupe à un niveau plus élevé qui s’avère un cul-de-sac. Privés de nourritures et dans une atmosphère où l’air se raréfie, les hommes s’emploient à creuser un tunnel de salut. Pendant cinq jours, alors qu’en surface on a perdu l’espoir de les retrouver vivants, les mineurs emmenés par H. Goffin déploient l’énergie du désespoir et parviennent à retrouver un accès vers la lumière du jour. Au total, ce sont 70 autres hommes qui émergent ainsi de la terre, Hubert Goffin et son fils sortant les derniers.

Âgé de 41 ans, père de sept enfants, Hubert Goffin est salué en héros. Son acte héroïque fait rapidement le tour d’Europe napoléonienne. Une collecte à l’échelle de tout l’empire rassemble une somme permettant « d’indemniser » les familles des victimes. L’empereur lui-même est sensibilisé et décide d’accorder le titre de chevalier de la Légion d’honneur à Hubert Goffin, qui devient ainsi le premier ouvrier à recevoir cette distinction. La célébration a lieu à l’hôtel de ville de Liège, le 22 mars 1814 et est aussi l’un des derniers actes officiels posés par la France impériale en pays wallon. La portée du geste posé par Goffin dépasse sa petite personne. Il devient un « objet politique », comme le montre le titre de chevalier du Lion de Belgique que s’empresse de lui décerner, en 1815, le nouveau roi Guillaume des Pays-Bas.

Pour Hubert Goffin, certes honoré et bénéficiant d’une petite pension annuelle, les événements ne modifient guère son quotidien. Il continue à se rendre quotidiennement à la mine, jusqu’à ce matin du 5 juillet 1821 où, appelé à la rescousse pour éteindre un incendie à la houillère du Bois de Saint-Gilles, à Sclessin, il ne peut éviter une violente explosion due au grisou. Projeté contre la paroi, il meurt sur le coup. Seul, son fils Mathieu, qui l’avait accompagné dans son acte de bravoure, avait vu son existence bouleversée : Napoléon avait ordonné que l’adolescent fréquente les cours du Lycée de Liège, aux frais de l’État.

À diverses reprises, le souvenir du mineur Hubert Goffin, chevalier de la Légion d’honneur, a été l’objet de l’attention des particuliers ou des pouvoirs publics. L’Académie française proposa son exemple comme sujet d’un prix de poésie. En 1912, pour le centenaire du « miracle », un monument est érigé sur la place communale d’Ans, en l’honneur de Hubert et de Mathieu Goffin ; la sculpture est due à Oscar Berchmans. En 2012, une série d’initiatives rappellent, au-delà de l’héroïsme d’un seul, les conditions difficiles dans lesquels des milliers d’hommes furent amenés à travailler pour gagner leur vie et assurer la prospérité de leur région.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
L’Avenir wallon, 23 novembre 1916, p. 1
Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 433
Claude RAUCY, Hubert Goffin, chevalier de la mine, Ans, 2012