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Monument aux victimes de Grâce-Berleur

 

Érigé en 1952 en mémoire des victimes de la fusillade du 30 juillet 1950, le monument de Grâce-Berleur rappelle un épisode tragique de l’affaire royale, lorsqu’une manifestation contre le retour de Léopold III organisée à Grâce-Berl

eur, sur les hauteurs de Liège, place des Martyrs de la Résistance, tourna à l’affrontement. Six cents personnes manifestaient quand, arrivés sur place, les gendarmes tentèrent de disperser les manifestants et arrêtèrent le député socialiste Simon Pâque, ainsi que le bourgmestre de Grâce-Berleur, Arthur Samson. Plusieurs manifestants protestaient contre ces arrestations quand la gendarmerie fit feu et abattit quatre hommes, Albert Houbrechts, Henri Vervaeren, Joseph Thomas et, cent mètres plus loin alors qu’il observait la manifestation sans y avoir pris part, Pierre Cerepana.

Les funérailles des victimes furent suivies par des dizaines de milliers de personnes, dont plusieurs personnalités politiques wallonnes : André Renard, Joseph Merlot, Auguste Buisseret… Le cortège était précédé d’un drapeau wallon.

Outre l’imposant monument d’hommage, cinq plaques commémorent l’événement. Le 2 février 1951, un comité incluant André Renard est créé, dans le but de réaliser un monument d’envergure. Ce comité installera une plaque sur la maison devant laquelle les trois premières victimes tombèrent. Réalisée par le sculpteur français Marceau Gillard, elle fut inaugurée le 29 juillet 1951. Dans les pavés du trottoir, aux endroits exacts où périrent les victimes, le Comité fit également sceller quatre plaques figurant leur nom, toujours en place aujourd’hui.

L’imposant monument, inauguré l’année suivante, représente la classe ouvrière symbolisée par un colosse se raidissant à la vue de la perte de ses camarades, figurés de part et d’autre sur deux bas-reliefs sur lesquels apparaissent la date de 1950 et les noms des victimes. Sous le colosse, une simple phrase : « Frères, salut ». C’est devant ce monument qu’un hommage est rendu aux victimes, sans interruption jusqu’en 1997. Organisé par le mouvement socialiste, cet hommage verra par deux fois la participation du Mouvement wallon : « Wallonie libre » et le « Congrès national wallon » participent à la cérémonie en 1957, « Wallonie Région d’Europe » en 1990.

Le Mouvement wallon avait joué un rôle important dans la question royale. On sait que les partis laïcs et progressistes en général étaient opposés à ce que Léopold III puisse poursuivre son règne après avoir adopté durant la guerre une attitude qu’ils estimaient critiquable. Comme dans la question de l’amnistie aux collaborateurs, Flandre et Wallonie allaient se diviser autour du chef d’État. Une consultation populaire fut organisée le 12 mars 1950, les électeurs étant invités à se prononcer sur la reprise par le roi de ses pouvoirs constitutionnels : une majorité de 57,5 % se dégagea en faveur de Léopold III dans l’ensemble du pays. Mais, si les « oui » l’emportaient très largement en Flandre (72 %), la Wallonie avait, elle, voté « non » à 58 %. Le gouvernement organisa le retour du roi au pays, sans tenir compte de l’hostilité wallonne. Les forces syndicales et politiques de gauche déployèrent une activité intense en Wallonie (manifestations, grèves après le retour du roi en juillet) jusqu’à ce que Léopold consente à s’effacer en faveur de son fils.

Dès 1949, au cours d’une assemblée tenue à Liège les 1er et 2 octobre, le Congrès national wallon avait pris parti dans la question léopoldienne en exigeant que, en cas de consultation populaire, le dépouillement soit effectué de manière régionale, ce qui fut fait sur l’insistance du militant libéral wallon Jean Rey, qui participait au gouvernement. Un congrès extraordinaire fut convoqué à Charleroi, le 26 mars 1950, avec pour seul objet l’attitude à adopter dans l’affaire royale. Avec des modalités diverses, tous les orateurs exprimèrent leur opposition à Léopold III ; une résolution très dure fut adoptée. Par la suite, les militants des mouvements wallons, les Comités régionaux d’Action wallonne participèrent activement à la campagne antiléopoldiste évoquée ci-dessus. Celle-ci fut placée sous le signe de la Wallonie et la lutte pour l’autonomie fut progressivement associée dans les manifestations et les discours à celle pour l’abdication de Léopold III.

Le 26 juillet 1950, le président du Congrès national wallon, Joseph Merlot, évoqua l’éventualité d’une convocation d’États généraux de Wallonie si le roi ne se retirait pas. Mais, dès ce retrait (1er août), les dirigeants des partis firent en sorte que le mouvement ne se poursuive pas sur la revendication autonomiste. Bien des militants wallons qui avaient espéré beaucoup de cette période insurrectionnelle en furent déçus. Au moins les événements de 1950 firentils progresser la conscience wallonne dans les masses. À cet égard, il faut souligner que c’est au cours du Congrès wallon du 26 mars 1950 qu’eut lieu la première rencontre entre ce dernier et le leader syndical liégeois André Renard, qui apporta au mouvement wallon « l’adhésion de 85.000 travailleurs ». 

Rue Joseph Heusdens 24
4460 Grâce-Hollogne

carte

Freddy Joris & Frédéric Marchesani, avril 2009

© Sofam

Paque Simon

Militantisme wallon, Politique

Grâce-Berleur 26/12/1898, Grâce-Berleur 17/12/1977

Comme son père et son grand-père, Simon Paque commence à travailler dans la mine à l’âge de 13 ans (1912-1924). Pendant la Grande Guerre, il est arrêté en raison de ses activités politiques et condamné aux travaux forcés (juin 1917). Après l’Armistice, il devient secrétaire de la section syndicale de la Centrale des Mineurs (au Gosson) et poursuit ses études à l’école des Mines de Seraing (1923-1928) ; employé par la police communale, il continue à suivre des cours de sciences administratives (1928-1931) au moment où il devient receveur communal de Grâce-Berleur (1929-1959) et où il est nommé gérant des Habitations sociales.

Militant socialiste actif, il part deux fois en Espagne aider les républicains et, durant la Seconde Guerre mondiale, est agent de renseignements du service Socrate. Co-fondateur du Parti socialiste belge clandestin (1943), vice-président de la fédération liégeoise du PSB (1945-1959) avant d’en être le président (1959-1977), il entre à la Chambre en 1949 comme représentant de Liège. S’intéressant particulièrement aux questions liées aux dommages de guerre, aux pensions et aux mines, il est notamment le rapporteur de la loi créant le directoire charbonnier.

Actif dans les milieux wallons, membre du Rassemblement démocratique et socialiste wallon, il signe le projet fédéraliste de la fédération liégeoise du PSB (1944). Membre du Comité permanent du Congrès national wallon (1950-1971), participant au Congrès wallon de 1945 (Liège, 20 et 21 octobre), il se fait l’apôtre d’un rattachement de la Wallonie à la France (1947), comme solution à long terme, mais retient le fédéralisme comme formule réaliste et urgente. Militant opposé au retour de Léopold III, le parlementaire est brièvement arrêté par la gendarmerie lors d’une manifestation (26 juillet 1950), en dépit de son immunité. C’est au cours du meeting qu’il tient dans sa commune de Grâce-Berleur que la gendarmerie charge la foule et provoque la mort immédiate de trois personnes, le 30 juillet 1950. Cet incident précipite les événements. Léopold III décide d’abdiquer. Lors du congrès des socialistes wallons de 1959, il dénonce le comportement de certains ministres socialistes atteints, selon lui, de “ monarchite aiguë ”.

Auteur d’un projet complet de révision de la Constitution (1960) au nom de Wallonie libre qu’il préside (1959-1965), vice-président de la section de Grâce-Berleur du Mouvement populaire wallon (juin 1961), cosignataire d’une proposition de loi en faveur du retour des six communes fouronnaises à la province de Liège (1962), il fait partie du Collège exécutif de Wallonie qui réussit l’impressionnant pétitionnement de l’automne 1963, où 645.499 signatures sont rassemblées en faveur du fédéralisme. Vivement invité par la direction du PSB à choisir entre l’action et le parti, Simon Paque opte pour ce dernier (1965) et laisse la jeune génération (Cools, Terwagne, Mathot, Dehousse, Merlot, etc.) aller de l’avant dans la défense des intérêts wallons. Cosignataire de la Nouvelle Lettre au roi pour un vrai fédéralisme rédigée à l’initiative de Fernand Dehousse, Jean Rey et Marcel Thiry, il reste fidèle à ses engagements wallons et français.

Sources

Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. III, p. 1216-1218

Mandat politique

Député (1949-1968)

La Question royale et la consultation populaire du 12 mars 1950

Au moment de la Libération, Léopold III est dans l’impossibilité de régner ; son frère, le Prince Charles, assume l’intérim : il est le régent. Les discussions portant sur la question du retour de Léopold III en Belgique divisent le pays jusqu’en 1950. Les passions sont vives. À côté des traditionnelles fractures entre laïcs et chrétiens, progressistes et conservateurs, républicains et royalistes, apparaît une divergence profonde entre Wallons et Flamands. La consultation populaire organisée en mars 1950 confirmera cette différence de sensibilité entre les régions du pays : si 58% des Belges se disent favorables au retour de Léopold III, ils sont 72% de Flamands à avoir dit OUI, contre 58% de Wallons à avoir dit NON. Les Bruxellois, quant à eux, comptent autant de OUI (49,8%) que de NON (50,2%). Lorsque le gouvernement catholique homogène décidera de la fin de l’impossibilité de régner de Léopold III, nombreuses seront les manifestations d’opposition dans le pays wallon et à Bruxelles. Juillet 1950 verra la tension atteindre son paroxysme. Au lendemain de la mort de trois manifestants tués par les balles de la gendarmerie à Grâce-Berleur, Léopold III abdique. Son fils lui succédera un an plus tard, à sa majorité.

Référence
WTcM-carte-25


Institut Destrée (Paul Delforge et Marie Dewez) - Segefa (Pierre Christopanos, Gilles Condé et Martin Gilson)