Fabry Jacques-Joseph

Révolutions

Liège 03/11/1722, Liège 11/02/1798

Dans le milieu artistique et intellectuel liégeois du milieu du XVIIIe siècle, Jacques-Joseph Fabry trouve à s’épanouir auprès du tréfoncier de Harlez, et des Vivario, De Cartier et autre Jean-Noël Hamal. Maniant volontiers le wallon, ces érudits donnent vie à l’opéra-bouffe Li voyèdje di Chaufontainne (ou Tchafontaine), dont Hamal écrit la musique. En 1757, Fabry versifie seul le livret de Li lidjwè ègagï, également mis en musique par Hamal, avec autant de bonheur pour le public. Si le genre paraît léger, on dénote déjà, chez Fabry, de réelles préoccupations politiques car le thème de son « Liégeois engagé » correspond à l’appel au recrutement lancé par le roi de France pour composer deux régiments d'Infanterie en faveur de « la nation liégeoise ». Propagandiste des encyclopédistes et des Lumières, J-J. Fabry alimente de ses écrits tantôt des opuscules, tantôt des articles de presse dans le Journal de Liège. La liberté lui en est enlevée en 1788 par le prince-évêque qui se charge ainsi de désigner son ennemi le plus redoutable.

Homme public en charge des choses de la cité, Fabry a été tour à tour conseiller de la Chambre des comptes (1762) et mayeur (1764-1781) ; conseiller intime (mais honorifique) de l'électeur de Cologne, conseiller de Velbruck (1773), deux fois bourgmestre de la cité, en 1780 et en 1783, il était apprécié des princes tout autant que du peuple. En ne poursuivant pas sur la lancée de son prédécesseur, Hoensbroeck annonçait sa perte. Cherchant du côté de la Prusse un allié pour contester les restrictions du prince, abolir le règlement de 1684 et « délivrer leur pays du joug des prêtres », Fabry et les siens trouvent dans la prise de la Bastille l’occasion de faire leur propre révolution. Dès le 18 août 1789, Fabry et Chestret sont acclamés bourgmestres, tandis que Hoensbroeck est contraint d’approuver l'élection et l'abrogation du règlement de Maximilien-Henri, avant de s’enfuir.

Au cœur de la Révolution liégeoise de 1789, le bourgmestre Fabry (reconduit en 1790) doit concrètement assurer les suites de l’insurrection populaire et négocier avec tous les mécontents, ceux de Liège, mais aussi de l’Empire. Poussé vers la radicalité, cherchant un soutien assez vain du côté des « Belges », Fabry est confronté à l’alliance des puissances prussienne et autrichienne, aux bassesses des contre-révolutionnaires et aux critiques de ceux qui l’acclamaient encore récemment. Le 12 janvier 1791, les Autrichiens entrent dans Liège pour une première restauration. Proscrit et dépouillé de ses biens, Fabry vit alors aux portes de la principauté tout en poursuivant ses critiques à l’endroit de Hoensbroek et des prêtres. Depuis Bouillon, il espère dans le secours de la France. Il ne vient pas de la manière souhaitée, mais tant les Autrichiens que le prince de Méan (successeur de Hoensbroeck décédé) reculent après la victoire de la république à Jemappes. Fabry rentre à Liège le 3 décembre 1792 et est nommé président du conseil municipal, avec Bassenge pour secrétaire. C’est alors qu’un vote met un terme à un millénaire d’intégration liégeoise dans l’empire germanique pour permettre la réunion à la France. Fabry la vote en réclamant le maintien de l’identité liégeoise. Président d’une Administration générale provisoire (février 1793), Fabry doit cependant rapidement fuir à Paris devant la seconde restauration autrichienne. Accusé de mollesse par les radicaux, Fabry échappe à la Terreur, mais ne revient à Liège avec sa famille qu’une fois la paix revenue, bien décidé à ne plus s’occuper de la chose publique. Devenu citoyen français dans le département de l’Ourthe, J-J. Fabry disparaît le 23 pluviôse de l’an VI. Il a été un acteur essentiel du 1789 liégeois.

Sources

La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 134-135
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 308
Alphonse LE ROY, dans Biographie nationale, t. VI, col. 827-845
D. JOZIC, Jacques-Joseph Fabry, père de la révolution liégeoise (1722-18 août 1789), Liège, Université de Liège, mémoire, 1966-1967

Mandats politiques

Bourgmestre de Liège (1780 et 1783)
Bourgmestre de Liège (1789, 1790)
Président du conseil municipal (1792-1793)
Président d’une Administration générale provisoire (février 1793)

Defrance Léonard

Culture, Peinture

Liège 05/11/1735, Liège 1805

Parmi les artistes de Wallonie, il en est un qui se distingue à la fois par ses dons de peintre et par son rôle politique dans les événements révolutionnaires qui marquent la principauté de Liège à partir de 1789. Peintre reconnu dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, professeur à l’Académie des Beaux-Arts, Léonard Defrance devient le directeur de cette institution créée par le prince-évêque Velbruck. Animateur de la Société d’Émulation, Léonard Defrance s’intéresse particulièrement à l’évolution des techniques. En 1789, il remporte d’ailleurs le prix de l’Académie des Sciences de Paris en réponse à la question « La recherche des moyens par lesquels on pourrait garantir les broyeurs de couleurs des maladies qui les attaquent fréquemment et qui sont la suite de leur travail ».

Après une adolescence chahutée, L. Defrance est formé à Liège par Jean-Baptiste Coclers. Devenu peintre, il s’est d’abord conformé à la tradition et a respecté les règles, réalisant comme beaucoup d’autres avant lui et après lui le voyage en Italie. Sur le chemin du retour, il s’arrête à Montpellier, à Toulouse et à Paris. De retour à Liège (1764), il se dégage de l’école classique pour emprunter des chemins plus modernes inspirés tantôt par Joseph Vernet, par Teniers voire par Watteau. Dès les années 1760, il a l’habitude de se rendre régulièrement à Paris, où il parcourt les Salons de peinture. Il se lie à Fragonard. À la fin du siècle, ses œuvres trouveront dans la capitale française de nombreux acheteurs. À Liège, il expose de façon régulière et ses œuvres sont accueillies avec beaucoup de ferveur.

S’adonnant à la peinture de genre, Defrance développe d’abord des sujets d’histoire puisés chez les Grecs et les Romains, avant de se plonger dans son temps : certes, il actualise les scènes de cabarets, mais il représente surtout des situations liées à l’actualité politique de son temps. Ainsi retrouve-t-on à plusieurs reprises une évocation explicite à l’acte de suppression des couvents décrété par Joseph II ; il évoque aussi l’abolition des privilèges ; il s’intéresse aussi au ciel et aux comètes. Il aime aussi représenter des scènes de la vie quotidienne, joueurs de cartes, clients de cabarets, etc. Ce sont cependant ses « visites » qui caractérisent le plus son œuvre, car elles offrent l’occasion unique de se rendre compte du travail et du contexte de vie des artisans de son temps, et d’une révolution en cours qui mène au machinisme : clouterie, fabrique d’armes, fonderie, forge, fenderie, manufacture de tabac, imprimerie, carrières, rien n’échappe à l’œil de l’artiste qui se fait le photographe original de son temps. En introduisant plusieurs catégories sociales dans le même espace, l’artiste est aussi engagé dans les luttes de son époque. Ses pamphlets anticléricaux témoignent du tempérament de l’artiste engagé.

Généralement, le nom de Léonard Defrance est associé à la démolition de la cathédrale Saint-Lambert. Voulant manifester leur ferme intention de rompre avec l’Ancien Régime, les Liégeois réservèrent en effet un sort funeste au symbole du pouvoir religieux au sein de leur principauté. Defrance fut un activiste de la démolition de la cathédrale. Dès 1789, il avait participé à la première révolution liégeoise et avait accueilli avec faveur la première annexion française. Lors de la seconde restauration autrichienne (mars 1793-juillet 1794), il avait fui à Paris où il ne manquait pas de contacts et où il contribua à la formation d’une Assemblée générale des Liégeois à Paris. Ce patriote s’installa un moment à Charleville où il entreprit, avec Fassin et Henkart, de constituer un musée privé, en rachetant à bas prix les œuvres d’art confisquées par la République. De nombreuses œuvres significatives de Léonard Defrance étaient visibles au Musée de la Vie wallonne avant sa disparition.

Sources

Jules HELBIG, La peinture au pays de Liège et sur les bords de la Meuse, Liège, 1903, p. 460-465
Jacques STIENNON, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
Jacques STIENNON, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 90-91, 248-252, 294
Adolphe SIRET, dans Biographie nationale, t. VII, Bruxelles, 1897, col. 227-230
Françoise DEHOUSSE, Maurice PAUCHEN, Léonard Defrance : Mémoires, Liège, Wahle, 1980

de Chestret Jean-Remy

Politique, Révolutions

Liége 15/03/1739, Paris 3/07/1809

Ayant hérité du goût de l’écriture présent dans cette famille nobiliaire du Hainaut établie en principauté de Liège depuis le milieu du XVIe siècle, Jean-Remy de Chestret lui préfère cependant l’action militaire puis politique. Baron de Haneffe, seigneur de Donceel, Stiers, Ferrières, Harduémont, chevalier du Saint-Empire romain, on le dit incorporé au régiment du comte de Horion lors de la Guerre de Sept ans. Cela ne l’empêche pas de prendre position en faveur des arguments des « petits » et de se lier aux patriotes. Élu bourgmestre de Liège en 1784, chef de l'État tiers (1785-1787), il siège au tribunal des XXII au moment où éclate l’affaire des Jeux de Spa. On s’apprêtait à convoquer les États quand les nouvelles venant de Paris (prise de la Bastille…) donnent aux Liégeois l’impulsion de leur propre révolution. Le 18 août 1789, Chestret est acclamé bourgmestre aux côtés de Fabry, tandis que le prince-évêque Hoensbroeck est contraint d’approuver l'élection et l'abrogation du règlement de Maximilien-Henri datant de 1684, avant de s’enfuir.

Au cœur de la Révolution liégeoise de 1789, le bourgmestre Chestret doit concrètement assurer les suites de l’insurrection populaire, dont le maintien de l’ordre. À la tête de la garde patricienne, Chestret s’y essaye et essuie tant la colère populaire que sa mise à l’écart par les radicaux. Piètre diplomate, Chestret est évincé de sa charge de bourgmestre en 1790 et en nourrit un si profond ressentiment qu’il renonce à ses fonctions militaires. Rappelé par ses hommes, le colonel accepte de reprendre son poste face aux Prussiens et de représenter Liège dans les négociations avec l’empire. Sans succès. 

Le 12 janvier 1791, les Autrichiens entrent dans Liège pour une première restauration. Proscrit et dépouillé de ses biens, Chestret se réfugie alors aux portes de la principauté tout en espérant une solution avec l’aide de la Prusse. C’est pourtant de Paris que viennent les troupes de Dumouriez qui chassent tant les Autrichiens que le prince de Méan (successeur de Hoensbroeck décédé). Après Jemappes, Chestret rentre à Liège (décembre 1792) et est nommé suppléant à la convention nationale liégeoise et membre de la municipalité. Suspecté d’être trop modéré, il doit démissionner et, en mars 1793, se réfugie à Bruxelles, loin des autres Liégeois. Quand Liège devient le centre du département de l’Ourthe, il revient dans sa ville natale, mais n’obtient les suffrages de ses concitoyens qu’en 1804. Élu par le Sénat conservateur pour représenter le département de l’Ourthe au Corps législatif, il remplit les fonctions de secrétaire (1804-1809), ce qui lui donne l’honneur symbolique de signer les premiers livres du Code civil.
 

Sources

Alphonse LE ROY, dans Biographie nationale, t. IV, col. 55-73
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 308

Chapuis Grégoire-Joseph

Révolutions, Science, Médecine

Verviers 11 ou 12/04/1761, Verviers 02/01/1794

Les figures de martyr ne sont pas légion dans l’histoire de la Wallonie. Le sort réservé à Grégoire-Joseph Chapuis le range cependant dans cette catégorie car, lors de la seconde restauration du prince-évêque de Liège François-Antoine de Méan, il est arrêté et condamné à mort pour sa participation active aux révolutions qui agitèrent la principauté de Liège en général, la bonne ville de Verviers en particulier, depuis août 1789. Le 2 janvier 1794, il est décapité pour l’exemple.

Incité par son père, chirurgien, à se former à la médecine dans les Provinces-Unies (Bréda) et en France, le jeune Verviétois passe notamment deux années à Paris (1784-1785) au cours desquelles il est sensibilisé aux idées de progrès et de liberté. Maître-accoucheur diplômé à son retour à Liège (1785), il est le premier chirurgien à pratiquer une césarienne en région verviétoise. Cofondateur d’une association appelée la Chambre des Zélés, il se fixe comme double objectif de secourir les pauvres et de propager l’instruction. Il contribue notamment à l’ouverture d’une école élémentaire du soir.

Quand la Révolution française gagne la principauté de Liège, on retrouve G-J. Chapuis parmi les propagandistes des idées nouvelles. Tout au long de l’année 1790, il donne très régulièrement des conférences dont le thème principal porte sur les Droits de l’Homme et sur ses devoirs. Propagandiste, Grégoire-J. Chapuis n’exerce pas de responsabilité durant la première révolution, contrairement à son frère aîné, Hubert Chapuis, qui, lors de la première restauration autrichienne, est banni à perpétuité pour avoir exercé une magistrature. Lorsque la France républicaine conduite par Dumouriez annexe la principauté (automne 1792), Grégoire-J. Chapuis accepte cette fois de faire partie de la nouvelle administration en raison de la forte demande populaire à son endroit. Officier municipal en charge de l’État civil, il se fait un devoir de célébrer les mariages civils, symbole de la sécularisation de toute la vie sociale.

Très vite cependant, les Autrichiens reprennent le dessus, et le prince-évêque, à nouveau rétabli dans ses fonctions, promet une amnistie générale (mars 1793). Se pensant en sécurité dans son foyer, Chapuis ne part pas en exil et reprend ses activités de médecin. Mal lui en prit. Dès avril, il est arrêté, emprisonné à Liège et, le 30 décembre, condamné à mort. La sentence est rapidement exécutée : il est décapité sur la place du Sablon, à Verviers, le 2 janvier 1794. Il est ainsi le dernier condamné à mort de l’Ancien Régime, selon la formule de Freddy Joris, en tout cas l’un des derniers, dans la mesure où Jean-Denis Bouquette et Augustin Behogne connaissent le même sort, à Huy, en mars 1794.

Si un hommage lui est rendu durant les premières années qui suivent sa disparition, l’oubli s’installe et la place est même rebaptisée place des Récollets, une évocation peu en rapport avec les idées du martyr. Son souvenir ne sera ravivé qu’à partir des années 1870, notamment quand Chapuis est au cœur d’un drame en quatre actes et en vers écrit par Émile Bauvin, ou quand Joseph Demoulin lui consacre un poème et l’exalte comme un Saint-Just verviétois. L’une ou l’autre biographie avait déjà paru quand un Comité spécial se met en place pour organiser un concours littéraire et surtout élever un monument à la gloire du martyr. Le Comité rassemblait des personnalités libérales de Verviers, certaines actives dans l’industrie, et Thil Lorrain fut chargé d’écrire une forte biographie, qu’il intitula Le Docteur martyr

En 1875, les autorités de Verviers renomment le lieu en place du Martyr et, en 1880, un monument est érigé en mémoire de Chapuis, « mort pour l'indépendance du pouvoir civil ». Inauguré à l’occasion du 50e anniversaire de 1830, le monument comprend un socle de 4 mètres de haut en pierre bleue d’Écaussines et une statue en bronze de même taille où les traits du visage de Chapuis sont  empruntés à Armand Wéber (dont chacun admettait la ressemblance) en l’absence de toute représentation du visage de Chapuis. La dédicace « Éducateur et bienfaiteur du Peuple – Mort pour l’Indépendance du pouvoir civil » synthétise à la fois l’œuvre de Chapuis et les valeurs libérales, voire anticléricales, que défendent ceux qui l’honorent.

Sources

Freddy JORIS, Mourir sur l’échafaud, Liège, Cefal, 2005, p. 18
Philippe RAXHON, La Figure de Chapuis, martyr de la révolution liégeoise dans l’historiographie belge, dans Elizabeth LIRIS, Jean-Maurice BIZIÈRE (dir.), La Révolution et la mort : actes du colloque international, Toulouse, 1991, p. 209-222
Gustave DEWALQUE, Grégoire-Joseph Chapuis, dans Biographie nationale, 1872, t. III, col. 432-435
THIL-LORRAIN, Le Docteur Martyr, 1876
Chapuis, aux éditions Irezumi, 2008
Chapuis, aux éditions Vieux-Temps, s.d.