Renard André
Commandeur (Historique)
VALENCIENNES 21.05.1911 – LIÈGE 20.08.1962
Issu d’un milieu modeste, André Renard entre comme ouvrier chez Cockerill en 1932. Il contribue à y fonder les premiers noyaux syndicaux. Membre des Jeunes Gardes Socialistes, il se rend plusieurs fois en Espagne durant la guerre civile, afin d’apporter son soutien aux Républicains.
Mobilisé en 1939, il est arrêté par l’ennemi en 1940 et déporté en Allemagne jusqu’en 1942, année où il rentre en Wallonie pour raisons médicales. Commence alors un long combat, dans la clandestinité, visant à saboter l’effort de guerre allemand, tout en continuant à militer pour unir les travailleurs sur une base la plus large possible.
A la Libération, en marge de son action syndicale, il prend clairement position dans la Question royale contre le retour de Léopold III et figure parmi les organisateurs des grandes grèves de juillet 1950. Dans ce contexte, il apporte son soutien à la tentative avortée de constituer un Gouvernement wallon provisoire, initiative clandestine et révolutionnaire pour l’époque.
A partir de 1950, il s’affiche ouvertement comme militant wallon, tout en continuant à présider aux destinées de la FGTB avec le Flamand Louis Major. Au cours de la décennie 1950–1960, il pourra constater au sein du syndicat la différence de conception qui se manifeste entre Wallons et Flamands, tant dans les buts que dans les moyens. Toujours à cette époque, il dirige le journal La Wallonie, organe officiel du syndicalisme liégeois, dans lequel il développe librement ses idées wallonnes.
En 1960, la tension sociale est à son comble suite au projet de loi économique du Gouvernement : la Loi unique (« inique » pour les syndicats). Pendant l’hiver 1960 1961, la grève générale est déclenchée. Elle paralysera la Wallonie pendant plus d’un mois. Convaincu que le fédéralisme peut réformer les structures de l’Etat belge, André Renard fonde, en février 1961, le Mouvement Populaire Wallon (MPW), afin de peser plus encore sur la décision politique.
Quittant alors le monde syndical, il mobilise des personnalités de tous bords autour de son projet. Il parvient ainsi à donner une assise populaire sans précédent au Mouvement wallon qui milite alors pour l’établissement d’un juste tracé de la frontière linguistique et l’avènement d’un fédéralisme permettant de remédier spécifiquement aux problèmes économiques et sociaux wallons.
André Renard est malheureusement prématurément emporté par la maladie en 1962. Le MPW lui survit cependant et contribuera grandement à unir les forces wallonnes et à éveiller une conscience mobilisatrice, perpétuant ainsi dignement la mémoire de son fondateur.
Ayant inspiré de nombreux militants wallons, syndicalistes ou non, André Renard fut fait Commandeur du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012, un demi-siècle après son décès.
Orientation bibliographique :
Paul DELFORGE, RENARD André, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 5363
Pastur Paul
Officier (Historique)
MARCINELLE 07.02.1866 - MARCINELLE 08.06.1938
Issu d’une famille bourgeoise - son père, ingénieur-régisseur des charbonnages, se préoccupait du sort des ouvriers de la mine – Paul Pastur est Docteur en droit de l’Université de Liège. Très impressionné par les émeutes de 1886, qui ont vu des milliers d’ouvriers se mobiliser contre leurs conditions de travail dans toute la Wallonie, il s’engage dans le mouvement socialiste naissant.
Ami d’enfance de Jules Destrée, il fonde, en 1892, avec ce dernier ainsi que Jean Caeluwaert et Jules des Essarts la Fédération démocratique qui revendique des augmentations de salaire, le suffrage universel et le premier mai férié. Représentant de Charleroi de 1899 à 1900 et de 1908 à 1912, il manifeste son attachement à sa province en refusant le poste de Ministre des Sciences et des Arts qui lui est proposé.
Paul Pastur déploie son énergie à développer l’enseignement dans le Hainaut. Afin de tendre vers plus d’égalité, il milite, notamment, pour rendre celui-ci obligatoire. Il est ainsi à l’origine de plusieurs institutions d’enseignement provincial, à Tournai, Ath et Ghlin. Son œuvre la plus emblématique est cependant l’Université du Travail de Charleroi - qui porte désormais son nom - ouverte en 1903 et dont l’objectif est de répandre, par des moyens intensifs, dans toutes les couches professionnelles, l'instruction scientifique et technique utile à l'avancement et au progrès des industries et des métiers.
Très attentif à la question wallonne, il fait partie de l’Assemblée wallonne - premier parlement, officieux, de Wallonie - dès sa création en 1912. C’est Paul Pastur qui sollicite l’artiste Pierre Paulus pour réaliser le coq hardi, symbole que les Wallons viennent de choisir pour marquer leur identité et qui figure sur le drapeau wallon. Il travaille alors, tant au sein de l’Assemblée wallonne que du Parti ouvrier belge, à des projets de décentralisation qu’il base sur les provinces.
Selon son modèle, l’Etat central ne conserverait plus que des compétences d’intérêt général comme la politique extérieure, les finances, les grands travaux et l’armée. En matière linguistique, Paul Pastur propose la reconnaissance de trois régimes (français, flamand ou bilingue) que les communes choisiraient par referendum. La langue de l’enseignement et le recrutement de l’armée seraient ainsi définis sur base régionale, ce qui était alors une grande revendication du Mouvement wallon qui ne sera satisfaite que des années plus tard.
Egalement connu pour être l’instigateur de la fête des mères en 1927, Paul Pastur décède en juin 1938, après avoir accepté d’être membre du comité d’honneur du premier Congrès culturel wallon. Jules Destrée a dit de lui qu’il incarnait « la volonté de la terre wallonne ».
Il fut fait officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012, cent ans après la création de l’Assemblée wallonne.
Mockel Albert
Officier (Historique)
OUGRÉE 27.12.1866 – IXELLES 30.01.1945
Né d’un père directeur d’usine et président du conseil provincial de Liège, Albert Mockel se destine très tôt à la littérature. Etudiant à l’Université de Liège, il dirige pendant deux ans L’élan littéraire, revue qu’il rachète pour l’orienter plus librement vers ses aspirations propres.
Ainsi naît La Wallonie, revue symboliste par laquelle Mockel popularise le nom forgé, en 1844, par le magistrat et littérateur namurois, Joseph Grandgagnage à partir de l’adjectif wallon désignant depuis des siècles les habitants de langue romane de nos contrées. Le premier numéro de La Wallonie sort le 18 juin 1886 alors que son directeur n’a que vingt ans. Son objectif est clairement avoué : A nous les jeunes, les vaillants, tous ceux qui ont à cœur l’avènement littéraire de notre patrie et surtout de notre Wallonie aimée. Belle et saine, intensément originale et artiste, elle vaut que ses enfants la chantent, l’exaltent, la glorifient.
La rapide renommée internationale de cette publication contribuera de manière décisive à implanter l’appellation Wallonie dans la population. Dès l’année de sa création, le leader socialiste César de Paepe écrit ainsi que les émeutes industrielles de mars 1886 se sont propagées à travers toute la Wallonie, depuis la frontière prussienne jusqu’à Tournai. Se voulant une revue jeune, le dernier numéro paraît en 1892, en plein succès. Installé à Paris, Mockel s’adonne à la poésie et se lie d’amitié avec de grands auteurs comme Mallarmé, Gide et Valéry. Il a ainsi contribué à faire connaître la Wallonie en France.
Demeuré attentif à la question wallonne, il préconise une solution fédéraliste, dès 1897. Dénonçant « l’Âme belge », il déplore les mutilations qui sont faites à l’histoire de la Wallonie. Lors du congrès wallon de 1905, alors que les militants wallons proposent d’imposer l’enseignement du français en Flandre, il plaide, avant tout le monde, pour l’unilinguisme régional. Il donne ainsi une nouvelle dimension au Mouvement wallon qui ne tardera pas à abandonner la critique unique du flamingantisme pour proposer des solutions propres au développement de la Wallonie.
Promoteur en 1912, avec Jules Destrée, de l’Assemblée wallonne, premier parlement informel de la Wallonie, il en sera un des principaux animateurs au moment où l’auteur de la Lettre au roi devient ministre, entre 1919 et 1921.
Soucieux de laisser la place aux jeunes, Albert Mockel n’en continue pas moins de collaborer activement à de nombreuses publications du Mouvement wallon dans l’Entre-deux-guerres et accepte de parrainer quelques organisations comme la Ligue d’action wallonne ou la Concentration wallonne.
Le poète meurt à Ixelles en 1945 et ses cendres sont transférées à Liège, en 1951, où la ville lui a réservé une pelouse spéciale au cimetière de Robermont.
Albert Mockel fut fait Officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Orientation bibliographique : Paul DELFORGE, MOCKEL Albert, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 4663.
Freddy JORIS & Frédéric MARCHESANI, Sur les traces du Mouvement wallon, Namur, IPW, 2009, p. 46.
Merlot Joseph-Jean
Officier (Historique)
SERAING 27.04.1913 – LIÈGE 21.01.1969
Joseph-Jean Merlot, dit « JJ », est le fils de Joseph Merlot (1886 - 1959), illustre militant wallon – il présida le Congrès national wallon de Liège de 1945 -, résistant, plusieurs fois ministre et bourgmestre de Seraing. Docteur en droit et licencié en sciences politiques et sociales, Joseph-Jean Merlot devient avocat avant de succéder à son père au maïorat de Seraing, en 1947. Il est élu député en 1954.
Impliqué dans le Mouvement wallon, il défend, dès 1959, l’idée d’une Wallonie trouvant son salut dans une Europe à construire. Lors des grèves de l’hiver 1960-1961, il soutient les grévistes ainsi que les positions du Mouvement Populaire Wallon d’André Renard, s’en prenant ouvertement au Gouvernement et réclamant des réformes de structures.
Ministre des Travaux publics en 1961, il s’investit dans deux chantiers structurels importants pour l’avenir économique de la Wallonie : la réalisation de l’écluse de Lanaye, qui permet d’ouvrir l’accès à la mer pour le port de Liège, et le début de la construction de l’autoroute de Wallonie. Ces ouvrages concrétisent deux très anciennes revendications d’un Mouvement wallon, par ailleurs ébranlé par le projet du Gouvernement figeant la frontière linguistique.
Refusant de cautionner l’annexion des Fourons à la Flandre – annexion également combattue par la fédération liégeoise du Parti socialiste belge (PSB) - Joseph-Jean Merlot démissionne le 31 octobre 1962, déclarant à ses collègues qu’il entend rester fidèle à ses convictions et à la confiance accordée. De même, en 1965, il refuse un nouveau poste de Ministre, jugeant le programme insuffisant pour la Wallonie.
Présidant les fédérations wallonnes du PSB, il contribue alors à faire adopter par son parti le plan élaboré par Freddy Terwagne, balisant le chemin vers la reconnaissance des Régions et vers une véritable décentralisation économique.
Sur cette base, Joseph-Jean Merlot accepte d’intégrer, comme vice-premier ministre et Ministre des Affaires économiques, le Gouvernement de Gaston Eyskens en 1968. Il décède malheureusement des suites d’un accident de voiture avant de pouvoir occuper cette fonction au sein d’un exécutif qui posera les premières bases d’un Etat fédéral.
Homme de convictions et de compromis, dont le pragmatisme a permis aux Wallons d’engranger de réelles avancées sur la route de l’autonomie, Joseph Jean Merlot fut fait officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Orientation bibliographique :
Paul DELFORGE, MERLOT Joseph-Jean, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 4564.
Michel GEORIS, MERLOT Joseph-Jean, dans Nouvelle biographie nationale, t. 9, Bruxelles, Académie royale, 2007, pp. 269-270.
Conseil des Ministres du 31 octobre 1962, procès verbal N° 57, 4p.
Massart Fernand
Officier (Historique)
MAIZERET 02.10.1918 – BEEZ 13.05.1997
Adhérant très jeune aux idées wallonnes et à la démarche anti-rexiste de l’abbé Mahieu, Fernand Massart est demeuré toute sa vie fidèle à un engagement wallon et francophile. C’est ainsi qu’avant la seconde guerre mondiale, il doit quitter son emploi en raison de son refus d’enlever le coq wallon et le drapeau français cousus sur son chandail.
Militant à la fois dans les Jeunesse socialistes et dans les Jeunesses wallonnes, résistant, membre du mouvement clandestin Wallonie Libre, il est dénoncé par des rexistes en 1941. Il parvient à gagner les rangs britanniques, au sein desquels il combattra toute la guerre. De retour au pays en 1945, il participe au Congrès national wallon de Liège de 1945, en uniforme anglais.
Déjà opposé à la politique de neutralité adoptée par la Belgique avant guerre, il prend une part active à la campagne du non au retour de Léopold III. Dix ans plus tard, il est encore aux côtés d’André Renard et d’André Genot lors la grève de l’hiver 1960-1961 et contribue à la constitution du Mouvement populaire wallon. Elu parlementaire socialiste, il se distingue par son indépendance, notamment en votant contre la fixation de la frontière linguistique.
Refusant de faire passer à l’arrière-plan ses convictions wallonnes, il renonce, en 1963, à une carrière de parlementaire socialiste. Député indépendant jusqu’en 1965, il compte parmi les fondateurs du Rassemblement wallon, qu’il présidera en 1974. Bourgmestre de Beez jusqu’en 1976, il fut représentant de la Belgique à l’ONU.
Après deux tentatives infructueuses, en 1972 et 1974, de faire reconnaître officiellement le drapeau de la Wallonie (qui ne dispose pas encore d’institution politique), il est à l’origine du décret de 1976 instituant le drapeau au coq de Paulus comme emblème de la Communauté française et fixant sa fête officielle au 27 septembre, en commémoration de la victoire sur les Hollandais.
Non réélu suite à la scission du Rassemblement wallon, il demeure néanmoins un militant wallon particulièrement actif, refusant notamment de participer au recensement de 1981 amputé de son volet linguistique ou apportant son soutien à la naissance de Wallonie Région d’Europe le 25 septembre 1986.
Commençant tous ses discours par Salut et Fraternité, Fernand Massart est toute sa vie resté fidèle à ses idéaux wallons.
Il fut fait officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Orientation bibliographique :
Paul DELFORGE, MASSART Fernand, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 4458.
Mahieu Jules
Officier (Historique)
WASMES 27.03.1897 – LA BRIGUE (FRANCE) 11.07.1968
Issu d’une famille ouvrière de Wasmes, dans le borinage, Jules Mahieu est ordonné prêtre en 1922. Tolérant et ouvert, installé à Roux dans l’actuelle commune de Charleroi, il fait preuve d’une activité débordante. Lors des grèves de 1932, il organise ainsi un ravitaillement pour les ouvriers de sa paroisse, sans distinction d’opinion.
Officiant à Péruwelz au début des années trente, il entre en conflit avec le Boerenbond, qui agit pour préserver « l’authenticité flamande » des nombreux ouvriers ayant migré en Wallonie. Il noue très tôt des relations avec la Ligue wallonne de Charleroi et, sous divers pseudonymes, commence à collaborer à diverses revues wallonnes comme La Barricade, La défense wallonne et le Pays noir.
En 1933, l’évêque de Tournai prend connaissance de cette activité et décide de le sanctionner. Sans charge ni traitement, l’abbé Mahieu survit grâce au soutien de la Ligue wallonne de Charleroi. Prêtre courageux osant s’opposer au Boerendond, Jules Mahieu devient alors un symbole pour le Mouvement wallon. Fort de ce soutien, il continue d’écrire, utilisant toujours un pseudonyme, pour sensibiliser les catholiques à la question wallonne. Sa pensée est marquée par trois piliers : l’attachement de la Wallonie pour la France, le rôle des catholiques dans la problématique wallonne et la nécessaire union de tous pour sauver la Wallonie.
Le succès des rexistes aux élections de 1936 pousse Jules Mahieu à agir désormais au grand jour. Il fonde ainsi, le 14 juin 1936, à Waterloo, le Front démocratique wallon. Désormais interdit de célébrer les offices religieux, il devient le porte drapeau du Mouvement wallon et radicalise ses positions. C’est ainsi que, à la tête de la Concentration wallonne en 1937, il voit son mouvement opter pour le confédéralisme entre la Wallonie, Bruxelles et la Flandre qui ne seraient plus reliées que par une union réelle ou personnelle. Un des enjeux de cette prise de position est, notamment, de rompre avec la politique de neutralité hostile à la France et tolérante envers l’Allemagne hitlérienne.
Aux élections de 1939, la Concentration wallonne décide de porter l’action sur le plan politique et fonde le Parti wallon indépendant. Celui-ci ne rencontrera que très peu d’adhésion de la part des électeurs. Le 29 octobre de la même année, l’abbé Mahieu décide de se mettre au service de la France. Participant notamment à une chaîne d’évasion vers l’Espagne, il tente d’alerter sur le sort de la Wallonie.
Rétabli dans ses prérogatives ecclésiastiques, il devient membre du clergé français et officie sur la côte d’azur. Dissuadé par ses amis de revenir en Wallonie après la guerre, ayant acquis la nationalité française, il meurt à la Brigue en 1968, sans avoir revu sa terre natale. Resté en contact avec de nombreux militants wallons, il demeure une des figures de proue des militants wallons catholiques.
Jules Mahieu fut fait Officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Orientation bibliographique :
Roland FERRIER & Paul DELFORGE, MAHIEU Jules, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 4315.
Leclercq Jacques
Officier (Historique)
BRUXELLES 03.06.1891 – BEAUFAYS 16.07.1971
Docteur en Droit puis en Philosophie de l’Université de Louvain, Jacques Leclercq est ordonné prêtre par le cardinal Mercier en 1917. Dès le début des années vingt, il développe dans sa revue bimensuelle La Cité Chrétienne une réflexion sur la société dans son ensemble et sur la société belge en particulier. Plaidant, dans ce domaine, pour une meilleure prise en compte des griefs flamands, il prône le dialogue et une meilleure compréhension mutuelle afin de sauver le pays.
A la fin des années trente, devenu professeur à l’Université de Louvain, il insiste pour la formation d’une Communauté populaire wallonne capable de maintenir le dialogue avec son équivalent flamand. Dans toutes ses interventions, Jacques Leclercq demeure prudent et s’en tient à la dimension culturelle, sans aborder les conséquences politiques. Devenu un homme célèbre, il n’en reste pas moins redouté par une bourgeoisie dont il bouscule les idées, tant sur le plan de la foi que de la conception du pays.
Sa pensée wallonne évolue pendant la guerre et, à la Libération, sollicité et interpellé, il décide de s’investir davantage dans la chose publique. Membre du comité consultatif du Groupement d’étude et d’action Rénovation wallonne, il insiste sur la priorité du culturel et l’importance de mieux faire connaître la Wallonie aux Wallons. Dans le climat de totale liberté de 1945, il écrit Y a-t-il une question wallonne ? dans laquelle il prône l’instauration du fédéralisme.
Cessant de collaborer à des revues soutenant le retour de Léopold III, il se garde de prendre position jusqu’à la conclusion de la Question royale. Lorsque la thématique wallonne revient au cœur des débats à la fin des années cinquante, Rénovation wallonne est relancée et Jacques Leclercq réaffirme sa préférence pour le fédéralisme mais s’abstient de nouveau de l’affirmer publiquement, étant donné le climat au sein de l’Eglise.
Retiré, en 1961, à l’ermitage du Caillou blanc à Beaufays, sur les hauteurs de Liège, le chanoine Leclercq demeure attentif aux débats sur le sort des Fourons. Voulant rappeler aux chrétiens leur responsabilité de citoyens, il rédige un appel à l’adresse des catholiques, Les Catholiques et la question wallonne. Insistant sur le fait que le système unitaire livre la Wallonie à la Flandre, qui dispose de la majorité au Parlement, il évoque une formule de décentralisation qu’il n’appelle pas fédéralisme, afin de ne pas heurter l’opinion catholique. Plus tard, constatant l’impossibilité de créer une seule université catholique belge, il lui paraîtra naturel de transférer l’université en terre wallonne.
S’il a toujours observé une certaine réserve publique en ce qui concerne la question wallonne, le chanoine Leclercq aura toute sa vie réfléchi à la foi et la place de l’Eglise dans la société. Il aura eu une grande influence sur les militants catholiques wallons pour qui il aura été un inspirateur et un conseiller. Il aura contribué à l’éveil de la conscience wallonne chez un certain nombre de ses contemporains, leur rendant la fierté d’être à la fois catholiques et wallons.
Jacques Leclercq fut fait Officier du Mérite wallon en 2012.
Orientation bibliographique :
Paul DELFORGE, LECLERQ Jacques, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 3754.
Pierre SAUVAGE, LECLERQ Jacques, dans Nouvelle biographie nationale, t.1, 1988, pp. 233-237.
Hauglustaine Charlotte
Officier (Historique)
06.08.1922- 11.09.2008
Originaire de la région verviétoise, Charlotte Hauglustaine commence à travailler dès l’âge de 14 ans dans l’industrie textile locale. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’implique dans l’action syndicale, au sein de la FGTB. Au début des années 1960, alors que l’industrie textile est en crise, elle rejoint le bassin liégeois et, en 1964, les ateliers de la Fabrique nationale de Herstal (FN), où travaillent 12 000 ouvriers, dont 3 800 femmes.
Les conditions de travail de ces « femmes-machines » sont dignes du XIXe siècle : elles travaillent huit heures par jour dans un mélange d’huile et de limaille et ne disposent même pas de douches sur leur lieu de travail. De plus, malgré leur statut d’ouvrières qualifiées, leur rémunération est inférieure à celle des hommes, même non-qualifiés.
C’est pour toutes ces raisons qu’éclate, en 1966, une grève de ces femmes dont le slogan « A travail égal, salaire égal » a fait le tour du monde et est passé à la postérité. En raison de son passé syndical et malgré le fait qu’elle ne travaille que depuis deux ans dans ces conditions terribles, les ouvrières choisissent Charlotte Hauglustaine comme présidente du comité des grévistes. Pendant douze semaines, leur mobilisation entraîne la paralysie de toute l’usine, presque tous les secteurs dépendant de leur travail.
Se référant à l’article 119 du traité de Rome qui proclame le principe d’égalité des salaires entre les hommes et les femmes pour un même travail, leur mouvement sera suivi internationalement, en Europe et jusqu’en Amérique latine. La mobilisation gagne d’autres entreprises de la région et, le 25 avril 1966, plus de 5000 personnes se rassemblent lors d’une marche sur Liège. A cette occasion, de nombreuses délégations belges et européennes se joignent au cortège.
Le 4 mai 1966, les « femmes-machines » obtiennent une augmentation de 2,75 francs de l’heure et, le 10 mai, elles rentrent en cortège à l’usine en chantant une dernière fois leur chant de ralliement : Le travail, c’est la santé mais, pour cela, il faut être payé. Cette victoire est un premier pas vers une meilleure prise en compte des femmes dans le monde du travail, tant au niveau belge qu’européen. Plus largement, cette action emblématique ouvre la voie à l’émancipation féminine, encore très largement à réaliser à cette époque.
Charlotte Hauglustaine fut faite Officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Marie-Thérèse COENEN, La grève des femmes de la F.N. en 1966. Une première en Europe, Bruxelles, POL-HIS, 1991
C. DEGUELLE, Les grèves féminines de la construction métallique et la revendication pour l’égalité de la rémunération, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 325-326, 1966. Victoire pour les ouvrières de la FN, dans Combat, 12 mai 1966, p. 7.
Harmel Pierre
Officier (Historique)
UCCLE 16.03.1911 – UCCLE 15.11.2009
Docteur en Droit, licencié en sciences sociales et notariat de l'Université de Liège (1933), Pierre Harmel est mobilisé et fait prisonnier pendant la campagne des dix-huit jours de mai 1940. Fortement influencé par Jacques Leclercq, il devient, en 1945, vice-président de La Relève, un groupe de réflexion et de discussion politique au sein du PSC qui, avec un pendant flamand « 't Westen », a joué un rôle important dans la formation du CVP-PSC.
Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Liège entre 1943 et 1981, Pierre Harmel est élu député de l’arrondissement de Liège au lendemain de la Libération. Après le Congrès national wallon d’octobre 1945, où plus d’un millier de congressistes se prononcent pour le fédéralisme, il dépose une proposition de loi visant à créer un lieu de réflexion « sur les relations entre les deux grandes communautés du pays ». Ce Centre de Recherches pour la Solution nationale des Problèmes sociaux, politiques et juridiques des Régions wallonne et flamande est créé en 1948 et restera connu sous le nom de « Centre Harmel ».
Pendant plusieurs années, ce Centre devient un lieu où un réel dialogue s’établit entre personnalités soucieuses de faire évoluer les structures de l’État. En 1958, un volumineux rapport (1 000 pages de conclusions et 5 000 pages d’annexes) conclut, notamment, à la nécessité d'une autonomie culturelle des deux communautés. Dans cet esprit, en 1958, Pierre Harmel propose, en vain, de créer un Conseil national de la Culture néerlandaise et un Conseil national de la Culture française.
Dans les années 1960, il participe à la réflexion sur les problèmes communautaires, notamment au sein de la conférence de la Table ronde (1964-1965). Président de l’aile wallonne du PSC, il accède à la fonction de Premier Ministre en 1965, pour un an seulement. L’année suivante, en 1966, il devient Ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupera pendant sept ans sans interruption. Jouant un rôle important dans la détente entre les deux grands blocs, il travaille également à l’implantation du centre militaire de l’OTAN - le SHAPE - en Wallonie, à Casteau, et du centre civil à Evere.
En 1973, Pierre Harmel devient président du Sénat, fonction qu’il assumera jusqu’à sa retraite politique, en 1977. Artisan du fédéralisme en Belgique et de l’intégration européenne, il demeure jusqu’à sa mort, en 2009, un interlocuteur respecté pour les générations qui mettront en œuvre les institutions qu’il a contribué à créer.
Pierre Harmel fut fait officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Halkin Léon-Ernest
Officier (Historique)
LIÈGE 11.05.1906 – LIÈGE 29.12.1998
Après des études en Philosophie et Lettres conclues par un doctorat à l’Université de Liège, Léon Ernest Halkin se voit confier, en 1937, un nouveau cours : l’Histoire de la Principauté de Liège. C’est le début d’une brillante carrière académique. Professeur ordinaire en 1943, il devient titulaire des cours d’histoire moderne et de critique historique. A ce titre, le syllabus dactylographié en 1939 (129 pages) sera régulièrement augmenté par la suite et reste la « bible » des historiens formés à Liège.
Historien d’envergure internationale, docteur honoris causa des Universités de Strasbourg et Montpellier, notamment, il est l’auteur de très nombreuses publications scientifiques où la rigueur côtoie un style clair et élégant.
Très tôt attentif à la question wallonne, il insiste sur la nécessité de mieux connaître et enseigner l’histoire régionale. Après la seconde guerre mondiale, il contribue à la publication de la brochure L’enseignement de l’histoire en Wallonie, soulignant la nécessité de la critique historique et de l’enseignement de l’histoire régionale pour mieux appréhender l’histoire générale. Il écrit, dès 1933, le compte-rendu de nombreux ouvrages historiques dans L’Action wallonne et publie un important article sur La Wallonie devant l’Histoire, plusieurs fois réédité.
Sous l’occupation, suite à une conférence de Léon Degrelle, il donne à ses étudiants deux heures de cours sur l’origine du peuple wallon, afin de contredire radicalement la thèse du leader rexiste sur la germanité de la population wallonne. Résistant, il fonde le clandestin Ici la Belgique libre, devient membre du Front de l’Indépendance et dirige le service Socrate aidant les maquisards de la région liégeoise.
Dénoncé en novembre 1943, il est déporté et envoyé dans les camps de concentration de Gross-Rosen, Dora et Nordhausen. Libéré le 11 avril 1945, il participe au Congrès national wallon tenu à Liège à la libération, où des centaines de militants de toutes tendances se prononcent pour la solution fédéraliste pour la Belgique, après avoir plébiscité le rattachement à la France.
Membre d’honneur du mouvement catholique wallon - Rénovation wallonne - il y restera actif jusqu’à la fin des années soixante. Chrétien soucieux d’œcuménisme, défenseur des droits de l’homme, il s’investit également dans d’autres combats comme la lutte contre le régime de Franco et la guerre du Vietnam, ainsi que pour la justice envers le Tiers-Monde et la création d’une Europe humaniste.
Léon-Ernest Halkin fut fait Officier du Mérite wallon, à titre posthume, en 2012.
Orientation bibliographique :
Paul DELFORGE, HALKIN Léon-E., dans Encyclopédie du Mouvement wallon, notice 3015.