Lamarche Gilles-Antoine
Socio-économique, Entreprise
Liège 06/05/1785, Modave 08/12/1865
À l’ombre du succès des Cockerill, il est d’autres familles du pays de Liège qui contribuent au démarrage de la révolution industrielle en pays wallon. Si leur notoriété est moins grande, elles n’en ont pas moins de mérite que leurs rivaux. Ainsi l’esprit entrepreneurial exceptionnel d’un Gilles Antoine Lamarche contribue à la transformation radicale de l’industrie métallurgique du bassin de Liège au début du XIXe siècle. Il est l’un des fondateurs de l’entreprise Ougrée-Marihaye.
Famille de cultivateurs aisés installés en Hesbaye liégeoise depuis le XVIe siècle au moins, les Lamarche comptent en leurs rangs, à la fin du XVIIIe siècle, quelques entrepreneurs qui tentent leur chance dans la cité de Liège. Ainsi en est-il de Gilles Lamarche (1745-1816) qui fait fortune dans le commerce et la fabrique de tabac qu’il établit dans le quartier Sainte-Marguerite. L’homme d’affaires liégeois tire profit de l’Europe sans frontière que fut la période française. Son esprit d’entreprise est contagieux : trois de ses six enfants se lanceront en effet dans l’industrie, dont Gilles Antoine. De la part d’héritage qui lui revient, ce dernier achète en 1817 le château de Modave. Dans le même temps, coïncidence, Cockerill achète le château de Seraing pour le septième du prix de celui de Modave… Cet « investissement » initial de Gilles Antoine témoigne de l’importance de la fortune dont disposent les jeunes Lamarche qui ne se contentent pas d’être propriétaires fonciers.
Avec ses frères Vincent-Mathieu (1779-1852) et Charles Guillaume (1790-1833), Gilles Antoine se lance dans un ambitieux projet, en 1829, quand ils s’associent à un ouvrier anglais, Richard Brain, pour acheter une fonderie de fer à Ougrée. Dans cette campagne, le petit ruisseau de Cornillon avait attiré, dès le XVIIe siècle, une activité de forge et de scierie, mais, en dépit d’investissements importants au début des années 1820, aucun projet n’y avait réussi. Pour y avoir installé des machines à vapeur, l’Anglais Brain avait perçu le potentiel de développement de l’endroit, à partir du moment où des capitaux étaient investis et des techniques modernes, venant d’Angleterre, étaient appliquées. Sous la direction avisée des Lamarche pour la gestion financière et de Richard Brain pour le volet technique, l’ancienne fonderie se transforma en usine intégrée destinée à fabriquer notamment des machines à vapeur.
Prenant des parts dans plusieurs concessions houillères de la vallée mosane, les Lamarche deviennent majoritaires dans le charbonnage des Six Bonniers proche de leur « fonderie ». En 1836, la jeune Banque de Belgique est attirée par leur activité. Ensemble ils constituent alors la « Société anonyme de la Fabrique de Fer à Ougrée » au capital de 3,5 millions de francs (John Cockerill en est notamment actionnaire). L’ingénieur anglais Brain n’est désormais plus l’associé des Lamarche, mais il reste comme employé au service de Gilles Antoine Lamarche, nommé directeur-gérant ; il s’agit d’installer tout le matériel moderne (deux hauts fourneaux au coke, 16 fours à puddler, laminoir, fonderie, 6 machines à vapeur, etc.) nécessaire à « fabriquer de la fonte moulée, du fer et des machines ».
Au moment où, sous la gouverne d’un ministre liégeois, la Belgique se lance dans la construction d’un ambitieux réseau ferroviaire, la Société des Lamarche fournira, notamment, des rails. Ils feront aussi extraire du minerai de fer et du charbon, voire travailleront le zinc. Directeur gérant jusqu’en 1838, Gilles Antoine deviendra administrateur (1838), puis président du Conseil d’administration de la Société (1841-1866). En 1857, il désignera Adolphe Mockel comme directeur gérant ; ce dernier qui exercera cette fonction pendant 20 ans, n’est autre que le père d’Albert Mockel, l’écrivain et inventeur du nom Wallonie. Fondée par Lamarche, la Société de la Fabrique de Fer d’Ougrée deviendra « Ougrée-Marihaye » en 1900 et sera incorporée dans le « Groupe Cockerill » en 1955.
Aussi ambitieux dans le secteur du zinc que dans ses autres activités, Gilles Antoine Lamarche se lance dans le zinc en 1828 quand il crée la société Colladios au cœur d’un charbonnage liégeois qui lui appartient. En 1853, naît la « Société Anonyme de zinc, blanc de zinc et charbonnage de Colladios », mais elle fait naître un tel danger de concurrence à la Vieille Montagne que celle-ci parvient à priver Colladios de ses approvisionnements à l’étranger. En 1865, G-A. Lamarche jette alors le gant et dissout sa société ; les liquidateurs la revendent à… La Vieille Montagne. Ayant investi aussi ses capitaux en Prusse, en Westphalie (mine de fer), voire en Espagne, détenteur de participations dans plusieurs compagnies de chemin de fer, Gilles Antoine Lamarche qui avait continué à exploiter la « manufacture Gilles Lamarche » (commerce et fabrique de tabac) anticipa le développement du tourisme thermal, favorisé par celui du chemin de fer, en investissant dans l’hôtel des Grands Bains à Chaudfontaine qui est alors modernisé.
Depuis le château de Modave qu’il a fait rénover et où il habite, Gilles Antoine Lamarche associe ainsi étroitement l’industrie et les charbonnages – il est encore propriétaire du Gosson, de l’Espérance et de Patience et Beaujonc à Montegnée –, et donne ainsi naissance aux « charbonnages et hauts-fourneaux d’Ougrée » promis à une prospérité considérable aux XIXe et XXe siècles. La société entrera dans le giron de la SA Cockerill-Ougrée après la Seconde Guerre mondiale. Propriétaire foncier ayant acquis de nombreux biens sur les communes de Modave, Vierset-Barse, Linchet, Ramelot et Pailhe, Gilles Antoine Lamarche était aussi le premier magistrat de Modave ; il en faut en effet le maire/bourgmestre pendant près de 40 ans. Il était aussi membre de la Chambre de Commerce de Liège, ainsi que juge suppléant au Tribunal de Commerce (1820), en assumant la présidence de 1850 à 1857.
Sources
Robert HALLEUX, Cockerill. Deux siècles de technologie, Liège, éd. du Perron, 2002, p. 21-22
Nicole CAULIER-MATHY, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 402-403
Nicole CAULIER-MATHY, Industrie et politique au pays de Liège. Frédéric Braconier (1826-1912), http://www.journalbelgianhistory.be/fr/system/files/article_pdf/BTNG-RBHC,%2011,%201980,%201-2,%20pp%20003-083.pdf (s.v. octobre 2014)
Hervé DOUXCHAMPS, La famille Lamarche. Des Xhendremael-Coninxheim à l’industrie liégeoise, Bruxelles, Office généalogique et héraldique de Belgique, 1974, en particulier p. 145-162
J. PURAYE, G.A. Lamarche, 1785-1865. Notes pour servir à l’histoire industrielle du pays de Liège, dans Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, 1962, t. 75, p. 101-151
Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 376
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, t. I, p. 330, 346 ; t. II, p. 19, 26, 37
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 584
© Institut Destrée, Paul Delforge