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Fontaine Zénobe Gramme

Afin d’honorer leur illustre citoyen né dans le village en 1826 et décédé à Paris en 1901, les autorités communales de Jehay n’ont pas tardé à inaugurer une fontaine publique. Dans un style inspiré du XVIIIe siècle, la fontaine en pierre calcaire comporte un médaillon en bronze figurant le profil gauche du célèbre inventeur de la dynamo qui vécut plusieurs années au n°2 d’une rue de Jehay désormais appelée… rue Zénobe Gramme. Sous le médaillon orné de couronnes et lauriers, ont été gravés dans la pierre les mots suivants :

Zénobe Gramme
Inventeur de la dynamo
industrielle
Né à Jehay-Bodegnée
Le 4 avril 1826

Sous l’inscription, un bec délivre de l’eau dans un bac arrondi. À l’arrière de la fontaine, deux plaques en bronze sont insérées dans la pierre. L’une est un bas-relief présentant Z. Gramme à son atelier en train de réfléchir à sa future invention qui apparaît dans la partie supérieure gauche ; en haut à droite, on peut lire sa devise LABOR. En dessous du bas-relief, une plaque donne l’historique du monument et identifie les généreux donateurs de la souscription publique lancée par un comité de particuliers :

« Ce monument élevé
par les habitants de la commune de Jeah-Boegnée
à la mémoire de leur illustre concitoyen
avec le généreux concours
du Comité de la manifestation Gramme-Liège 1905
et de la famille des comtes van den Steen de Jehay
a été inauguré le 4 août 1907 ».

Peut-être faut-il attribuer à Émile Dave, dont la signature apparaît sur le bas-relief arrière l’ensemble de la réalisation.
Quant à Zénobe Gramme, nul n’ignore que le menuisier bricoleur et curieux qu’il était a réussi à transformer les lois de la physique en un simple instrument fiable. Après plusieurs brevets divers, Gramme  dépose celui de son innovation majeure en 1869 pour une machine dynamoélectrique. À la tête de sa propre société, il parviendra à vendre son « produit » de plus en plus perfectionné à l’industrie. C’est à la fois à un patron d’industrie qui a réussi et à un inventeur qui a révolutionné le monde que le monument rend hommage.

 

Sources

Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 21

 

Fontaine Zénobe Gramme

Rue Petit Rivage
Jehay 4540

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Paul Delforge

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Mémorial Marcellin LAGARDE

Né à Sougné, en décembre 1818, dans une famille originaire du Midi, Marcellin-François La Garde doit toute son instruction au curé de Dieupart. Quand il arrive à Liège, en 1837, il suit des cours de Droit à l’Université de Liège et travaille dans un bureau de rédaction au journal liégeois L’Espoir. En 1843, il parvient à être nommé au poste d’historiographe au Ministère de l’Intérieur. Installé à Bruxelles, il est chargé de travaux historiques pour le gouvernement belge. En 1848, il se retrouve professeur d’histoire à l’Athénée d’Arlon, puis il est désigné à l’Athénée d’Hasselt, titulaire de la charge de rhétorique, de 1851 à 1879, année de son admission à la retraite. 

Après ses premières études à caractère historique, La Garde (ou Lagarde) s’essaie au roman historique (Les derniers jours de Clairefontaine, 1850 et Le dernier sire de Seymerich, 1851), avant de publier ses premiers contes, genre dans lequel il conquiert ses lettres de noblesse, principalement avec Le Val d’Amblève. Histoire et légendes ardennaises (1858) puis Histoire et légendes du Val de Salm (1865). Ses histoires sont le plus souvent inventées ou inspirées de chroniques ayant marqué les esprits. Évoquant le bien et le mal souvent représenté par le diable, elles deviendront progressivement récits du folklore ardennais.

La longue présence de La Garde en pays flamand influence le professeur wallon : ses tentatives pour maîtriser la langue flamande sont vaines ; il ne se sent pas chez lui ; il a le mal du pays ; ses heures de loisir, il les occupe dès lors tantôt à la promenade dans la vallée du Geer, tantôt à l’écriture, sa plume s’évadant vers sa chère Wallonie ou dans la relation de ses ballades solitaires. D’autres ouvrages – Le Tresseur de Roclenge, Les Templiers de Visé, Faux Patacon, Récits des bords du Geer – sont inspirés par cette atmosphère. Sans difficultés, les écrits de Lagarde – poète ou prosateur – le classent parmi les romantiques de son temps. En 1870, il fonde une revue qu’il appelle L’Illustration européenne. Il sera le directeur et le rédacteur en chef de cette revue hebdomadaire publiée à Bruxelles jusqu’à son décès, à Saint-Gilles, en 1889. C’est à titre posthume que sera publié en 1929, Le Val de l’Ourthe. Histoire et légendes ardennaises et, après quelques années de purgatoire, l’écrivain wallon reviendra séduire nombre de lecteurs à la fin du XXe siècle. 

Cette longévité, les irréductibles sympathisants de Marcellin La Garde l’avaient bien pressentie, eux qui se mobilisèrent pour ériger un mémorial en son honneur. Inauguré en septembre 1932, dans l’atmosphère des fêtes de Wallonie, le mémorial dû au sculpteur Georges Petit (1879-1958) présente les traits du conteur et le sujet d’une de ses légendes : Le passeur d’eau de Sougné. Il est d’ailleurs installé à l’endroit où – « avant » – on pouvait traverser l’Amblève et, singulièrement, là où s’est déroulé le drame raconté par celui qui en fut le témoin. Les pierres du monument « tirées toutes vives du vieux sol ardennais, sont le symbole des aspirations populaires (…) du poète ; elles présentent la variété de couleur et de structure qui font le chatoiement de notre antique terroir » (Lepage).

Le  mémorial Marcellin Lagarde a été réalisé par Georges Petit (25 septembre 1932).

Né à Lille, de parents liégeois, Georges Petit a grandi à Liège et peut-être ses parents lui ont-ils lu ou raconté les histoires écrites par La Garde. Nul ne le saura jamais. Mais au début des années 1930, celui qui a reçu une formation artistique à l’Académie des Beaux-Arts se voit confier la réalisation du mémorial de l’écrivain. Depuis 1901, date de ses premières œuvres, Georges Petit occupe avec autorité la scène artistique liégeoise (Jacques Stiennon). Il doit cette position aux multiples commandes officielles reçues autant qu’à sa maîtrise précoce de son art. Sa sensibilité et sa capacité à transformer une anecdote en symbole universel ont influencé durablement ses élèves, parmi lesquels Oscar et Jules Berchmans, Robert Massart, Louis Dupont et Adelin Salle. 

D’abord attiré par les portraits, Petit a livré plusieurs bustes de grande facture, tout en s’intéressant à la condition humaine. Marqué par la Grande Guerre, l’artiste y puise une force qui se retrouve dans ses réalisations des années 1917 à 1927, période qui précède de peu la réalisation du Mémorial La Garde. Ce dernier correspond à une période où, comme épuisé par tant de souffrances, Georges Petit choisit la peinture de chevalet et devient plus léger, sans tomber dans la facilité. Les visages humains tendent à disparaître et tant les paysages que les traditions wallonnes l’inspirent, peut-être influencé par ses lectures des ouvrages de La Garde, en peinture, comme dans ses médailles (qui sont très nombreuses et d’excellente facture), voire dans les quelques sculptures qu’il exécute encore. 

Mémorial Marcellin Lagarde

Ainsi, incrusté sur un rocher placé verticalement sur d’autres, le bas-relief Marcellin La Garde a une forme et une taille assez particulière, avec son médaillon débordant et arrondi où l’écrivain est représenté quasiment de face. La surface principale, à la limite supérieure légèrement arrondie aussi, illustre l’Amblève et le passeur d’eau. Le nom de Marcellin La Garde entoure la tête dans le médaillon, avec la mention inhabituelle des lieux et dates de naissance et de décès. Quant à la dédicace qui borde la partie inférieure, elle présente la particularité de se lire d’abord sur les trois lignes de gauche, avant de poursuivre à droite :

CONTEUR DU VAL         DE LA NATURE
DE L’AMBLEVE        À L’HISTOIRE DE
ALLIA L’AMOUR        L’ARDENNE.

Très vite, le monument devient un passage obligé lors de diverses manifestations, principalement celles organisées par les amis de la nature. Ainsi, en 1936, tous les participants à la 10e Journée de l’Amblève viennent rendre hommage à l’auteur des légendes du Val d’Amblève. 

 

La Vie wallonne, septembre 1930, p. 31-32
La Vie wallonne, décembre 1933, CXLIX, p. 191-194
La Vie wallonne, 1984, n°394-395, p. 183-185
Jacques STIENNON (introduction), Georges Petit, catalogue de l’exposition organisée à Liège du 9 janvier au 2 février 1980, Verviers, 1980
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 282
Discours de P. LEPAGE, dans Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe, n°84, juin 1936, p. 193-196

Parc public
4920 Sougné-Remouchamps

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Paul Delforge

 Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Plaque Arthur MASSON

Plaque à la mémoire d’Arthur Masson, réalisée à l’initiative des autorités locales, du gouvernement wallon et du Comité central de Wallonie, 18 septembre 1997.  

De manière très discrète, une plaque de pierre rend hommage, à Namur, au célèbre écrivain Arthur Masson, père de Toine Culot. Cette plaque est apposée sur le mur de l’escalier donnant accès à l’esplanade située devant le greffe actuel du Parlement wallon. La plaque est très symbolique, mentionnant simplement : 

Arthur Masson 
Ecrivain wallon 
Père de Toine Culot
Treignes 
1896-1970 ».

L’endroit qui a été choisi est lui aussi doublement symbolique. En janvier 1974, en effet, alors que la ville de Namur s’était dotée d’une nouvelle place, il avait été décidé de la dénommer « square Arthur Masson ». Président du Comité pour le souvenir d’Arthur Masson, le docteur Robaux avait convaincu les forces vives namuroises de rendre ainsi hommage à l’écrivain récemment disparu ; à l’époque, une plaque de rue avait été apposée qui expliquait, brièvement, qui était Arthur Masson :

SQUARE 
ARTHUR MASSON 
1896 – 1970 
PERE DE L’IMMORTEL TOINE CULOT 
BIENHEUREUX LES SEMEURS DE JOIE.

Vingt-trois ans plus tard, en septembre 1997, le bâtiment devant lequel la nouvelle plaque est inaugurée est alors occupé par le Cabinet du Ministre Michel Lebrun, qui n’est autre que le bourgmestre « empêché » de Viroinval, patrie de Toine Culot.  

La dédicace gravée dans la pierre bleue est évidemment plus discrète que la fontaine Rahir inaugurée en 1998 devant l’espace Masson à Treignes ou que la statue située à Rièzes. Il n’empêche. Les autorités namuroises et wallonnes rendent ainsi hommage à l’écrivain dont le nom est immédiatement associé à celui de son héros, Toine Culot. 

Pourtant, Arthur Masson – professeur de l’Athénée de Nivelles avant d’enseigner à l’École normale de Nivelles entre 1922 et 1946 – n’est pas que l’auteur de la seule saga des Toine Culot. Son œuvre hésite longtemps entre la poésie et le conte et il publie pratiquement un livre par an entre 1946 et 1970. À la fin des années 1960, Un Gamin terrible remporte d’ailleurs un certain succès en librairie. Néanmoins, le truculent personnage inventé en 1938 reste le préféré des lecteurs qui attendent le récit de ses aventures sous forme de feuilleton dans les pages de La Libre Belgique avant de se jeter sur des livres qui narrent les aventures d’un petit monde qui est à la Wallonie ce que sont à Marseille Fanny, César, Marius ou Topaze : Tchouf-Tchouf, le médecin, Adhémar Pestiaux, le droguiste, l’Abbé Hautecoeur ou encore T. Déome. 

L’inauguration du « monument » s’est déroulée dans le cadre des Fêtes de Wallonie à Namur. Le dévoilement s’est réalisé en présence du bourgmestre Jean-Louis Close, du ministre Bernard Anselme et du président du Comité central Claude Willemart. Le bourgmestre ff de Viroinval, Jean-Pol Colin était aussi présent. La plaque dédiée à Arthur Masson s’ajoute à celles déjà nombreuses qui honorent des figures majeures de la cité dans l’ensemble des rues de Namur. Elle s’inscrit désormais sur la traditionnelle route des plaques parcourue chaque année durant les Fêtes de Wallonie. 
 

Sources

- Vers l’Avenir et La Meuse, 19 septembre 1997 
- Robert BRONCHART, Arthur Masson ou le plaisir du partage (1896-1970), Charleroi, Institut Destrée, 1999 
- Paul DELFORGE, Cent Wallons du Siècle, Liège, 1995 
- A. DULIÈRE, Biographie nationale, 1977-1978, t. 40, col. 627-632 
- Marcel LOBET, Arthur Masson ou la richesse du cœur, Charleroi, Institut Destrée, 1971 
- Informations communiquées à Marie Dewez par Marie-Laurence Leroy, directrice de l’Espace Arthur Masson

Square Arthur Masson 6
5000 Namur

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Statue Pépin de Landen

Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques. Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser une toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. 

Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius (1827-1889), une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs.

À titre personnel, Léopold Noppius, le frère de l’architecte liégeois, signe 11 décorations particulières, dont 9 statues de personnalités majeures de l’histoire de la principauté de Liège. Parmi elles, entre Monulphe et Remacle, figure Pépin de Landen, aussi appelé Pépin l’Ancien (c. 580-640). 

Maire du palais d’Austrasie, il joue un rôle majeur à la cour des rois mérovingiens. Marié à Itte, il eut 2 filles, Gertrude et Begge, et un fils, Grimoald ; il est généralement considéré comme le premier de la lignée des Péppinides et, par conséquent, un des premiers ancêtres connus de Charlemagne.

Située à l’extrême gauche de la façade du Palais provincial, sur le Marteau gauche, dans la partie supérieure des premières colonnes, la statue de Pépin de Landen est l’une des toutes premières, matériellement et chronologiquement, de la longue galerie des personnalités majeures du passé de la « nation » liégeoise. Elle est aussi visible depuis la rue du Palais.

Statue Pépin de Landen

Avant ce chantier de décoration, Léopold Noppius, dont l’atelier accueillait le tout jeune Léon Mignon, avait déjà signé quelques bas-reliefs, médaillons et bustes en région de Liège, comme sur le fronton du portique d’accès à l’Institut de Zoologie de l’université de Liège. Réalisant des statues s’inspirant de sujets religieux (Vierge, Saint-Sébastien, etc.) qui ornent les églises, il rédige et publie, en 1880, un Projet de cortège historique pour Liège. Après le succès rencontré par celui organisé à Bruxelles à l’occasion des 50 ans de la Belgique, il présente aux autorités liégeoises, et aussi à tous les partenaires du pays wallon, un projet de cortège historique qui pourrait se dérouler à Liège, afin d’honorer et de glorifier tous ceux qui ont contribué à l’histoire de la principauté de Liège, voire du pays wallon. Nombre des personnalités évoquées dans son opuscule se retrouvent sur la façade du palais provincial.




Léopold NOPPIUS, Cortège historique, Liège son passé son présent, Liège, éd. Blanvalet et Cie, 1880
Jean LEJEUNE (dir.), Liège et son palais : douze siècles d’histoire, Anvers, Fonds Mercator, 1979
Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 103
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html (s.v. août 2013)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 231
Jean-Luc GRAULICH, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996 



 

 

Façade latérale du Palais provincial
(face à la place Notger)
4000 Liège

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Paul Delforge

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Ensemble monumental Roger de la Pasture

Ensemble monumental à la mémoire de Roger de le Pasture, réalisé par Marcel Wolfers, 20 septembre 1936.

Longtemps considéré comme un peintre flamand, sous le nom de Rogier Van der Weyden, Roger de le Pasture commence à être mieux connu depuis la moitié du XIXe siècle, moment où deux Tournaisiens – Charles-Barthélemy Dumortier et Alexandre Pinchart – établissent que son  lieu de naissance est à Tournai, sous le nom de Roger de le Pasture. Au début du XXe siècle, cependant, ce lieu d’origine n’en fait pas un artiste de Wallonie, ses œuvres continuant d’être présentées comme appartenant à l’école flamande (dans le sens ancien de cet adjectif), mais aussi comme réalisées par un artiste flamand (dans le sens politique acquis par l’adjectif à la fin du XIXe siècle). C’est en s’interrogeant sur l’existence d’un art wallon, exercice pratique tenté en 1911 dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi, que Jules Destrée va accorder une place toute particulière à Roger de le Pasture.

Ensemble monumental Roger de le Pasture (Tournai)

Étudiant l’œuvre de l’artiste tournaisien du XVe siècle sous toutes ses coutures, l’esthète Jules Destrée y voit un peintre essentiellement wallon, figure de proue d’une « école » dont la création en 1912 et l’activité de la société des « Amis de l’Art wallon » doivent encore démontrer l’existence. Cité dans la Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre (août 1912), Roger de le Pasture se devait d’être honoré dans sa ville natale, et la Cité des Cinq Clochers comme partie prenante de la Wallonie. Avant la Grande Guerre, la revue Wallonia et les Amis de l’Art wallon s’y emploieront en collaboration avec les autorités locales et quelques érudits. Dans l’Entre-deux-Guerres, une initiative plus spectaculaire est prise à l’initiative de Jules Destrée et un imposant monument est inauguré au pied de la cathédrale, sur la place Vieux Marché aux Poteries.

À l’entame des années 1930, Jules Destrée publie une forte synthèse sur Roger de le Pasture – van der Weyden et, dans la perspective de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1935, le projet d’ériger un monument est confié à Marcel Wolfers (1886-1976). Son œuvre sera placée devant le Palais de l’Art Ancien lors de l’Exposition de 1935, puis offerte à la ville de Bruxelles ; cachée pendant la Seconde Guerre mondiale, elle restera dans les collections de l’hôtel de ville de Laeken. Parallèlement, Jules Destrée suggère qu’une « réplique » trouve place à Tournai. Dès 1934, il prend contact avec le bourgmestre Henri Carton et, très vite, pour acquérir l’œuvre s’associent « les Amis du Hainaut », la Société de l’Art wallon, la société historique de Tournai, le ministère de l’Instruction publique et les autorités tournaisiennes. Par rapport à l’œuvre présentée à Bruxelles, seule la couleur des émaux diffère sur la statue « tournaisienne » qui est inaugurée le 20 septembre 1936, dans le cadre des Fêtes de Wallonie. La presse locale affirme que les couleurs correspondent à celles du tableau de Pasture.

L’œuvre installée à Tournai en 1936 sera fortement détériorée par les bombardements allemands que subit la cité en mai 1940 ; la polychromie de Wolferts disparaît. Une rénovation récente s’est inspirée des couleurs du tableau peint par de le Pasture en 1435. Pour retrouver les couleurs choisies par Wolfers pour l’expo de 1935, il faut se référer à l’œuvre restaurée en 2012 qui se trouve à la maison communale de Laeken.

Le célèbre orfèvre bruxellois Marcel Wolfers transpose dans un ensemble en bronze émaillé le tableau de Roger de le Pasture présentant Saint Luc en train de peindre le portrait de la Vierge à l’Enfant. L’œuvre est spectaculaire et singulière. Sur un large socle en pierre bleue, quatre volumes rectangulaires se succèdent formant une sorte de long escalier. Sur la marche la plus basse, à gauche, Luc agenouillé est en train de représenter la Vierge allaitant Jésus, assise sur le cube le plus haut. La polychromie étonne, surtout sous les rayons du soleil. Au centre du socle en pierre bleue, a été gravée l’inscription :


ROGER DE LE PASTURE
DIT VAN DER WEYDEN
NE A TOURNAI EN 1399
MORT A BRUXELLES EN 1464


Marcel Wolfers est le fils de Philippe (1858-1929) et le petit-fils de Louis (1820-1892) Wolfers, maîtres-orfèvres établis à Bruxelles depuis la fin du XIXe siècle ; ils y possèdent et gèrent les ateliers « Wolfers frères » qui emploient une centaine de personnes et qui vont se spécialiser aussi dans la joaillerie et les arts décoratifs au début du XXe siècle en s’inscrivant résolument dans le courant de l’Art nouveau. Marcel Wolfers poursuit la tradition familiale en matière d’orfèvrerie et de sculpture, dans l’ombre de l’exceptionnel talent paternel, tout en innovant et en devenant l’un des meilleurs laqueurs du monde. Sans possibilité de vérifier l’information, on affirme qu’il avait retrouvé le secret des laques bleues perdu depuis les Ming.

Sculptant aussi bien la pierre que le bois, Marcel Wolfers a réalisé notamment le Chemin de croix de l’église de Marcinelle, ainsi que les monuments commémoratifs de la guerre à Louvain, Jodoigne et Woluwe-Saint-Pierre, sans oublier l’impressionnante statue du Cheval dit Wolfers, à La Hulpe. En orfèvrerie, le milieu de table Ondine, acquis en 2003 par la Fondation roi Baudouin, est une pièce exceptionnelle réalisée pour impressionner les visiteurs étrangers lors de l’Expo de 1958.

Sources

Marnix BEYEN, Jules Destrée, Roger de le Pasture et « les Maîtres de Flémalle ». Une histoire de science, de beauté et de revendications nationales, dans Philippe DESTATTE, Catherine LANNEAU et Fabrice MEURANT-PAILHE (dir.), Jules Destrée. La Lettre au roi, et au-delà. 1912-2012, Liège-Namur, Musée de la Vie wallonne-Institut Destrée, 2013, p. 202-217
Wallonia, 1913, p. 543-550
Jacky LEGGE, Mémoire en images : Tournai, t. II : Monuments et statues, Gloucestershire, 2005, p. 52-53, 97-98
Marcel Wolfers. Sculpteur-Laquer, Bruxelles, 1970
Marcel Wolfers. Ondine, pour l’Expo 58, Bruxelles, Fondation roi Baudouin, 2006
Anne-Marie WIRTZ-CORDIER, Nouvelle Biographie nationale, t. III, p. 304-312
Suzette HENRION-GIELE et Janine SCHOTSMANS-WOLFERS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 616-618
La dynastie des Wolfers, maîtres de l’argent, exposition présentée au Design Museum de Gand, janvier-avril 2007
Françoise URBAN, Marianne DECROLY, Redécouverte d’un bronze laqué monumental de Marcel Wolfers, dans Association professionnelle de conservateurs-restaurateurs d’œuvres d’art, asbl, Bulletin, 2013, 4e trimestre, p. 21-28

Place Vieux Marché aux Poteries
7500 Tournai

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument et buste Albert THYS

Monument et buste Albert Thys, 30 mai 1948. 
Buste réalisé par Charles Samuel.

Quand les autorités de Dalhem inaugurent un monument en l’honneur d’Albert Thys, en face de sa maison natale, dans la rue qui porte désormais son nom, elles rattrapent en quelque sorte un retard de mémoire à l’égard de leur illustre concitoyen. Depuis 1927, en effet, un impressionnant mémorial accueille les promeneurs à une entrée du parc du Cinquantenaire à Bruxelles, tandis qu’une ville du Bas-Congo… Thysville (actuellement Mbanza-Ngungu), a procédé elle aussi à l’érection d’un monument à son fondateur, depuis 1928. À la veille du centenaire de la naissance d’Albert Thys, et à l’occasion du 50e anniversaire de la création du Chemin de fer des Cataractes, Dalhem pose le premier jalon d’une série d’initiatives destinées à mettre en évidence le parcours hors du commun de l’enfant du pays. En 1961, un premier petit musée est inauguré ; en 1988, l’asbl Dalhem 900e publie des lettres privées écrites au Congo dans les années 1887-1888, tandis que le Musée s’installe dans un nouvel environnement pour développer diverses initiatives autour d’Albert Thys (Dalhem 1849 – Bruxelles 1915).

Monument et buste Albert Thys – © Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Pionnier de la mise en valeur du domaine africain acquis par Léopold II à la fin du XIXe siècle, ce fils de médecin liégeois avait choisi la carrière des armes et s’était retrouvé homme d’affaires, exécuteur d’une politique coloniale au profit de la métropole. Passionné de géographie, cet officier supérieur de l’armée belge devient le bras droit de Léopold II dans son entreprise coloniale. Il effectue de très fréquents voyages entre l’Europe et l’Afrique (1887-1899) et parvient à convaincre des investisseurs de participer à la création de la Compagnie du Congo pour le Commerce et l'Industrie : ainsi est construit le premier chemin de fer dans le Bas-Congo (il relie le port de Matadi à Léopoldville, 1890-1898), ce qui permet la mise en valeur du potentiel économique de cette région d’Afrique. Directeur intérimaire du département de l’Intérieur de l’État indépendant du Congo (1889), il est surtout administrateur délégué de la CCCI. Sa responsabilité dans la surexploitation des autochtones a été évoquée à diverses reprises, tandis que Barbara Emerson souligne que Thys a été le premier à réagir et à dénoncer les exactions commises, et que G. Defauwes montre, à travers sa correspondance, un Albert Thys humaniste. Après le Congo, Thys se passionne pour l’extrême Orient : à la tête de la Banque d'Outremer (1899), il développe un modèle industrielle similaire à celui du Congo, sous la coupole de la Compagnie internationale d’Orient. Les mines, le rail, la métallurgie, l’électricité, l’éclairage, les tramways constituent quelques-uns des secteurs d’activités de « l’explorateur wallon » que l’on retrouve encore au Canada où sa Compagnie construit au début du XXe siècle l'un des plus grands complexes industriels de production de papier, la Belgian Pulp and Paper Cy.

Le buste Albert Thys qui est inauguré à Dalhem le 30 mai 1948 est dû au ciseau de Charles Samuel, décédé depuis 10 ans. Cela n’a rien d’étonnant puisque le buste fut offert par Gilbert Périer, le petit-fils du général. Les premiers contacts pour le monument ont eu lieu durant l’été 1947 et l’objectif était clairement de faire coïncider l’événement au 50e anniversaire de la création du chemin de fer du Congo. Quant au buste en bronze de Dalhem, il porte la date de 1915, et que Samuel a réalisé un autre buste, en marbre celui-là, vers 1919. Ces œuvres correspondent à la période de maturité de l’artiste.
Pour y arriver, Charles Samuel avait emprunté un chemin un peu particulier. Son avenir paraissait en effet tracé pour un tout autre horizon. Son père, agent de change d’origine hollandaise établi à Bruxelles, lui avait ouvert les portes d’une banque, mais le jeune homme préférait les dessins aux chiffres. Ami de l’orfèvre Philippe Wolfers, le père introduisit alors le fils dans l’atelier du maître et la carrière artistique de Charles Samuel fut d’emblée placée sous les meilleurs auspices. Encadré par le bijoutier Wolfers, le médailliste Wiener et les sculpteurs Jaquet et Van der Stappen, notamment, il fréquente l’Académie de Bruxelles dans les années 1880 et est embrigadé très tôt sur des chantiers de décoration (hôtel de ville de Bruxelles). Il présente aussi des œuvres personnelles lors de Salons et y remporte diverses récompenses d’importance, avant d’être honoré du Prix Godecharle 1886. Les commandes publiques lui arrivent (monument Uylenspiegel à Ixelles en 1894, Frère-Orban à Bruxelles, Fauconnier à Thuin, etc.). Bruxelles reste son principal terrain de travail, même s’il expose des œuvres plus personnelles en Flandre ou en Wallonie, comme à l’Exposition universelle de Liège, en 1905. Après la Grande Guerre, il est appelé à réaliser le nouveau Coq du monument de Jemappes (1922), ainsi que plusieurs monuments aux victimes de la Grande Guerre. L’artiste se fait plus rare et, en 1934, des raisons de santé le poussent à s’installer sur la Côte d’Azur. Toute sa vie, il a signé de nombreux bustes ; il a ainsi figé pour l’éternité des personnalités du monde politique ou judiciaire, Anna Boch, Fernand Khnopff, la reine Elisabeth, ainsi que le général Albert Thys déjà mentionné.

 

Musée royal de l’Afrique (Tervueren), Fonds Cornet, n°406, 407, 408, 409, 410, 411, 415
Jean-François POTELLE (dir.), Les Wallons à l’étranger, hier et aujourd’hui, Charleroi, Institut Destrée, 2000, p. 135
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 580
Jean DUSART, Albert Thys : créateur de la ligne de Chemin de fer Matadi-Léopoldville, Paris, 1948
Georges DEFAUWES, Albert Thys, de Dalhem au Congo dans http://www.dalhem.be/WEBSITE/_Download/PDFDivers/AlbertThys_Defauwes.pdf (s.v. novembre 2013)
http://www.bel-memorial.org/names_on_memorials/display_names_on_mon.php?MON_ID=2182 
http://www.bel-memorial.org/cities_liege_2/dalhem/dalhem_mon_thys.htm (s.v. juillet 2013)
Judith OGONOVSZKY, Charles Samuel, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 550-553
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 396

Ancienne place du Marché
rue Albert Thys
4607 Dalhem

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Charles de GAULLE

Monument à la mémoire de Charles de Gaulle, réalisé par les architectes Charles Vivroux et Jean Burguet, 21 juin 1980.


Au lendemain du décès de Charles de Gaulle, le 10 novembre 1970, la section de Verviers de Wallonie libre prend la décision de rendre hommage à l’Homme de l’Appel du 18 juin, référence historique de la création du mouvement wallon. À l’initiative de Jules Nissenne, Joseph Gélis et Robert Moson, des contacts sont pris tant au niveau local qu’en France (André Malraux, le maire de Colombey-les-deux-Églises, la fondation Charles de Gaulle, le Cabinet des Estampes de Paris, etc.), afin que le projet respecte le testament politique de l’ancien président de la République. Philippe de Gaulle marque son soutien inconditionnel à l’initiative en rappelant que son père fut blessé, le 15 août 1914, à Dinant. Mais ce n’est pas la participation de Charles de Gaulle à la Grande Guerre, ni son rôle militaire dans l’Entre-deux-Guerres que veulent honorer les Verviétois, encore moins son parcours politique durant la IVe République, la fondation du RPF, son retour en 1958, la guerre d’Algérie, sa présidence de la Ve République ou le référendum du 27 avril 1969. C’est « l’homme du 18 Juin », celui des Forces Françaises libres et de la résistance opiniâtre de 1940 à 1945 qu’ils veulent honorer.


Le Comité provisoire qui est mis en place à l’entame des années 1970 éclate cependant en raison des différends qui opposent les associations patriotiques. Prenant seul en mains les opérations (1979), Jules Nissenne choisit un emplacement à quelques dizaines de mètres de son domicile et du Grand hôpital de Verviers, au parc de la Tourelle, mais se heurte cette fois à la ville de Verviers qui refuse d’autoriser l’érection d’un monument et, de facto, son patronage à l’initiative.

Monument Charles de Gaulle


Alors que le Comité du Souvenir Charles de Gaulle - Verviers qui s’est constitué autour de J. Nissenne se tourne vers d’autres communes de l’arrondissement, on assiste à un revirement du côté du Conseil communal de la Cité lainière. Ayant inscrit la proposition à un ordre du jour du Conseil, un membre de l’opposition veut « tester » la solidité de la coalition en place ; finalement, le projet reçoit l’aval communal, mais sans soutien financier. C’est une souscription publique qui permet sa réalisation par les architectes Charles Vivroux (1890-1985) et Jean Burguet, tous deux expérimentés, actifs au XXe siècle, et appartenant à des familles d’architectes/sculpteurs bien connus dans l’est de la Wallonie.


Le 21 juin 1980, le monument est officiellement inauguré : il s’agit d’une stèle en granit de 3,3 mètres de haut ; sur la face principale, sous une Croix de Lorraine gravée, se trouvent un médaillon en bronze de 40 cm de diamètre à l’effigie de Charles de Gaulle et l’inscription :

« Charles de Gaulle
Appel du 18 juin 1940 »

Sur les faces latérales, on peut lire :

« Honneur et Patrie » et
« Hommage à la Résistance »

Sur la face arrière est inséré le fac-similé de l’Appel du 18 juin. Le médaillon a été réalisé d’après un dessin du peintre verviétois Albert Dummers.


En juin 1982, l’îlot est officiellement dénommé square Charles de Gaulle et l’Union française de Verviers prend l’initiative de l’hommage entre 1982 et 1987. À partir de 1988, le Comité du Souvenir Charles de Gaulle prend le relais, par fidélité envers la Résistance, par reconnaissance envers le chef de la France libre, et par engagement wallon. Depuis 2008, la ville de Verviers prend le relais des militants wallons, suite au décès de Joseph Gélis (2007), le dernier du trio des principaux protagonistes de ce mémorial, depuis la disparition de Jules Nissenne (1907-1991) et Robert Moson (1925-1995). Leurs noms sont gravés au pied du monument.
 

 


Paul DELFORGE, Essai d’inventaire des lieux de mémoire liés au Mouvement wallon (1940-1997), dans Entre toponymie et utopie. Les lieux de la mémoire wallonne, (actes du colloque), sous la direction de Luc COURTOIS et Jean PIROTTE, Louvain-la-Neuve, 1999, p. 285-300
Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 1116

 

Square de Gaulle

4800 Verviers

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Mémorial Maurice DESTENAY

Mémorial Maurice Destenay, réalisé par Marceau Gillard, 29 septembre 1975 ; circa 1976.

Située place des Carmes, du côté du bâtiment de l’Athénée de Liège Ie un mémorial est dédié à Maurice Destenay (Tilleur 1900 – Liège 1973), personnalité libérale importante de la vie politique liégeoise puisqu’après avoir été député et échevin, il devient le bourgmestre de la plus grande ville de Wallonie de l’époque, en l’occurrence entre 1963 et 1973. Très vite après sa disparition, ses amis se réunissent pour lui ériger un monument qui prend place dans l’espace public. Avec un médaillon réalisé sobrement par Marceau Gillard (Louvroil 1904 – Liège 1987), le mémorial Destenay est inauguré en 1975 en même temps que son nom est attribué à l’un des grands boulevards de la cité.

Ayant connu la Grande Guerre durant son adolescence, Maurice Destenay mène une carrière d’instituteur durant tout l’Entre-deux-Guerres, tout en exerçant des responsabilités au sein du Parti libéral ; mobilisé en 1939-1940, ce lieutenant est fait prisonnier de guerre à la suite de la Campagne des 18 Jours et va connaître une captivité de 5 ans similaire à celle de près de 65.000 autres Wallons de sa génération. Actif dans l’action wallonne, il va mener une carrière politique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. 

Ancien président des Jeunesses libérales, opposant affirmé au retour de Léopold III, le député de Liège ne devient pas ministre, mais, désigné à la présidence nationale du Parti libéral (1954-1958), il se flatte d’avoir été l’un des auteurs du fameux Pacte scolaire. Sans doute est-ce la raison de sa désignation comme Ministre d’État en 1966. Conseiller communal (1952), échevin de l’Instruction publique et des Sports (1953-1964), il prend plusieurs initiatives depuis l’hôtel de ville de Liège pour défendre la Wallonie et la langue française. Fédéraliste affirmé, défenseur des Fourons au début des années 1960, il remplace Auguste Buisseret à la tête de la ville de Liège tout en continuant à affirmer des positions wallonnes. Il est le dernier maire libéral de la cité liégeoise, qui s’est largement agrandi après la fusion des communes de 1976.

Durant son maïorat, la ville de Liège était entrée dans une période de grands travaux, selon un plan directeur faisant la part belle aux grandes voies de pénétration vers le centre-ville. Dès lors, le nom de Destenay fut donné à la nouvelle avenue reliant le bord de Meuse au boulevard d’Avroy. Son mémorial y fut aussi inauguré à un endroit particulièrement visible, à l’heure des Fêtes de Wallonie. Cette visibilité s’est singulièrement restreinte quand d’importants travaux justifièrent son déplacement et son installation à hauteur de la place des Carmes, devenue zone piétonne en 1975. La stèle en pierre bleue originale n’a subi aucun changement au cours de ce transfert. Avec ses lignes droites et très simples, la stèle accueille un médaillon réalisé par Marceau Gillard et porte l’inscription suivante :

M. DESTENAY
BOURGMESTRE
           DE LIÈGE
MINISTRE  D’ETAT
  1900-1973

Mémorial Maurice Destenay

En 1974 déjà, Gillard avait reçu commande d’une médaille présentant le profil droit de Maurice Destenay ; Jean Lejeune l’avait jugée « digne des médailleurs liégeois du grand siècle » ; pour le mémorial, il adapte son œuvre et livre une stèle de facture très classique, répondant parfaitement au genre officiel que constitue l’exercice auquel il s’est déjà livré ou se livrera encore pour représenter ou honorer Hector Clockers, Edmond Cathenis, Jean Lejeune, Edgard Scauflaire, Constant Burniaux, Jules Jaumotte et d’autres encore, soit dans l’espace public, soit dans l’espace fermé de cimetières.

Né en France de parents wallons, Marceau Gillard arrive à Liège avec sa famille en 1914. Au sortir de la Grande Guerre, il suit les cours de dessin à l’Académie de Liège avant d’opter aussi pour la sculpture, où il devient l’élève d’Oscar Berchmans. Il se distingue par plusieurs prix durant sa formation (1918-1928). Restaurateur de tableaux (dans les années 20), décorateur de théâtre, il devient professeur dans le réseau provincial liégeois (1931-1949) à Seraing, puis à Huy ; après la Seconde Guerre mondiale, il succède à Oscar Berchmans quand il devient professeur de sculpture à l’Académie de Liège (1949-1970). Membre de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, Gillard fait partie du groupe « Pointes et Bosses », sous-section figurative de l’association présidée par Marcel Florkin. Aspirant à la réalisation de grands formats, il répond surtout à des commandes officielles et privées, émanant principalement de la région liégeoise. Associé notamment à la décoration du Pont des Arches (« Naissance de Liège » – 6 mètres) et du Pont Albert Ier, il signe l’imposant monument d’hommage aux victimes de Grâce-Berleur, tuées lors des événements de la Question Royale. À Huy, il signe le monument aux prisonniers politiques de la Seconde Guerre mondiale. 

 

Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 482-483
Joseph TORDOIR, Des libéraux de pierre et de bronze. 60 monuments érigés à Bruxelles et en Wallonie, Bruxelles, Centre Jean Gol, 2014, p. 193-196
Jean-Patrick DUCHESNE, Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 626-627
Joseph PHILIPPE, Marceau Gillard dans l’École liégeoise de sculpture, Liège, 1991
Jean BROSE, Dictionnaire des rues de Liège, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977, p. 125

Avenue Destenay
Place des Carmes
4000 Liège

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Statue Francon

Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques. Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser la toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius, une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs destinés à raconter l’histoire liégeoise. Dès la mi-octobre 1880, 27 des 42 statues sont achevées, validées par la Commission et placées à leur place respective. Francon est parmi celles-ci.

Placée logiquement selon l’évolution chronologique, avant les princes-évêques Rathier et Wazon, la statue de Francon est l’une des 42 personnalités retenues, selon le critère d’avoir marqué l’histoire de la principauté de Liège. Elle se situe sur la partie supérieure gauche de la façade occidentale. L’évêque Francon (date inconnue – Liège entre 901 et 906, voire 911) est reconnu comme un bel esprit de son temps, formé dans l’entourage de Charles le Chauve avant de devenir moine à l’abbaye de Lobbes : il y poursuit ses études, avant de faire profiter l’école de l’abbaye de ses connaissances qui touchent à la fois aux saintes écritures, à la littérature profane, à la musique et à la poésie. Il contribue à donner à l’abbaye de Lobbes ses lettres de noblesse, cette école disposant d’une solide réputation au sein d’un diocèse de Liège dans lequel Lobbes et sa région sont versés vers 888. C’est en 856 que Francon succède à Hartgar à la tête de ce diocèse ; il contribue à la forte effervescence intellectuelle de Liège ; sa direction de l’école de la cathédrale Saint-Lambert la hisse au rang des plus réputées. Dans le même temps, il contribue à faire de Liège le siège du diocèse. Contemporain des invasions normandes, l’évêque Francon ne peut cependant pas se consacrer exclusivement à la valorisation des activités de l’esprit. À la tête de milices armées, il parvient, non sans mal, à mettre un terme aux invasions meurtrières et destructrices à l’entame des années 890 (bataille de Louvain, 891). Durant son long règne à la tête du diocèse (de 856 à sa mort au début du Xe siècle), Francon fait aussi bénéficier à l’Église de Liège d’une forte extension de ses frontières avec l’acquisition pacifique de l’abbaye de Lobbes, de la région du futur marquisat de Franchimont et de l’abbaye de Fosses-la-Ville, notamment. Avec un tel bilan à son actif, Francon se devait de figurer parmi les personnalités les plus remarquables de l’histoire de la principauté de Liège.

Assurément, le sculpteur Jules Halkin (Liège 1830 – Liège 1888), chargé de le représenter sur la façade du Palais provincial de Liège, n’a retenu que la seule facette de la résistance aux invasions normandes. Dans le groupe Francon-Rathier-Wazon, il représente Francon, le regard fier, tel un chevalier, une longue épée à la main et figée dans le sol, à la différence de Rathier et Wazon qui paraissent moins « guerriers ». De facture sérieuse, la statue est réalisée avec un souci d’art et de différenciation et témoigne de la qualité de la sculpture liégeoise du XIXe siècle dont Jules Halkin est un illustre représentant.
C’est dans sa ville natale que Halkin accomplit l’essentiel de sa carrière. Il y a suivi les cours de Gérard Buckens à l’Académie des Beaux-Arts, avant qu’une bourse de la Fondation Darchis ne lui permette de séjourner à Rome pendant plusieurs mois (1851-1853). Il parfait ensuite sa formation en France et en Allemagne. Au début des années 1860, il trouve facilement des acheteurs privés pour plusieurs de ses premières réalisations essentiellement d’inspiration religieuse (Vierge, chemin de croix, bas-reliefs, etc.), avant de participer au chantier de décoration du palais provincial de Liège : là il signe huit statues et bas-reliefs dont « l’assassinat de Saint-Lambert », « la sortie des Franchimontois » et un « Notger répandant l’instruction ». Le sculpteur réalise encore un Saint-Lambert pour la cathédrale Saint-Paul et un chemin de croix en pierre de France pour l’église Saint-Jacques (1862-1865). Ses bustes en bronze et en marbre trouvent aussi de nombreux amateurs auprès de bourgeois de la Cité ardente, qu’ils soient industriels, intellectuels ou artistes eux-mêmes. Sa notoriété, Jules Halkin la doit surtout à sa sculpture monumentale du Cheval de halage (1885) qui partage avec le Torè de Mignon l’espace des Terrasses de Liège.

Sources 

Liliane SABATINI, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 436-437
Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 79
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html (s.v. août 2013)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 676
Isabelle VERHOEVEN, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996 
Alphonse LEROY, Francon, dans Biographie nationale, t. 7, col. 263-267
La Meuse, 2 octobre 1880 et ssv.

 

Statue Francon (Liège)

Palais provincial
Face à la place Notger
4000 Liège

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Paul Delforge

Paul Delforge

Stèle Richard HEINTZ

Stèle Richard Heintz, réalisée par Adelin Salle, 22 septembre 1935. 

Au décès de Richard Heintz, en mai 1929, ses amis forment un comité pour mieux faire connaître son œuvre et lui rendre durablement hommage (1930). Une grande rétrospective est organisée à Liège à la fin du printemps 1931, avant que le comité n’inaugure, le 22 septembre 1935, une série de lieux de mémoire dont un monument dans le village de Sy-sur-l’Ourthe. C’est dans ce hameau, en effet, que le peintre avait découvert les paysages qui l’inspiraient le plus. Ayant pris résidence à Nassogne, il se rendait souvent sur les bords de l’Ourthe, mais aimait aussi s’inspirer des horizons qu’offraient Stoumont, sur les bords de l’Amblève, ainsi que Redu, les sources de la Lesse et les forêts de Nassogne.


Natif de Herstal, en 1871, Heintz avait fait ses premiers pas artistiques à l’Académie de Gand (1887), avant de parfaire sa formation à l’Académie de Liège (1888-1892). La Mer du Nord, l’Ardenne et l’Italie (où il séjourne de 1906 à 1912 grâce à une bourse de la Fondation Darchis) sont ses premiers modèles. Ses explorations lui permettent de découvrir les secrets des jeux de la lumière et il commence à créer ses propres couleurs. Considéré comme « impressionniste par sa recherche de la sensation du moment, il se distingue cependant des principaux représentants français par sa technique plus large et sa palette plus grasse et souvent plus sombre, ses bleus profonds notamment » (Parisse). Sa manière de peindre est aussi plus impulsive. S’il ne professe pas à l’Académie de Liège, Heintz est considéré comme un maître à peindre, et ses disciples sont nombreux. De tempérament solitaire, il trouve à Sy son paradis. Il y revient régulièrement et, pour s’en rapprocher encore davantage, décide d’habiter à Nassogne de 1926 à 1929. C’est au bord de l’Ourthe qu’en mai 1929 la mort viendra le surprendre alors qu’il recherchait la meilleure lumière pour son prochain tableau.
Dans un premier temps, le Comité Richard Heintz (que préside Olympe Gilbart, aidé d’Armand Rassenfosse comme vice-président de Jules Bosmant comme secrétaire) envisage d’ériger un mémorial sur la Roche Noire. Pour des raisons techniques, le Comité opte finalement pour le hameau de Sy, à hauteur de la route de Filot. C’est là qu’une stèle en pierre bleue portant un médaillon est inaugurée le 22 septembre 1935, période des Fêtes de Wallonie, en présence de nombreux amis du peintre, de personnalités des mondes politiques et culturels liégeois et wallons. Dans ses discours, Olympe Gilbart classe Richard Heintz « parmi les peintres qui expriment avec la plus loyale tendresse la terre wallonne » et souligne que « son » comité a voulu « honorer celui qui a traduit avec la plus totale sincérité toutes nos émotions devant les arbres, les eaux et les rochers des Ardennes ».


Sollicité pour figer dans le marbre la personnalité du « peintre de Sy », le statuaire Adelin Salle relève le défi par un monument sobre. La stèle arrondie en pierres bleues supporte un médaillon de grande taille, en bronze, présentant le profil droit de Richard Heintz. Ayant été formé à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, sa ville natale, après avoir travaillé quelques années dans la forge paternelle, Adelin Salle s’avère un portraitiste doué (Zénobe Gramme et César Franck) qui, comme nombre de ses collègues sculpteurs, est fortement sollicité au lendemain de la Grande Guerre pour réaliser des monuments aux victimes du conflit mondial (par ex. le monument aux lignes assyriennes du Sart-Tilman). Dès cette époque, il fait preuve d’un style classique qu’il n’abandonnera jamais. Outre des compositions allégoriques et divers sujets religieux, Adelin Salle n’est pas encore très connu quand il est sollicité pour le mémorial R. Heintz. Mais une certaine notoriété l’attend en 1937 quand il est fait appel à lui sur le chantier du Lycée de Waha et lorsqu’il signe une statue en marbre blanc, représentant en pied la reine Astrid présentant le prince de Liège. Après la Seconde Guerre mondiale, l’architecte Georges Dedoyard lui confie une partie de la décoration du pont des Arches (1947-1948). S’il est aussi nommé professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Liège de 1944 à 1949, Adelin Salle ne connaît pas l’aisance, lui qui ne vit que pour son art qu’il pratique quotidiennement dans son atelier de Cointe. Il s’éteint à Tilff en juillet 1952, localité où il avait signé un coq très reconnaissable sur le monument aux morts.


 

Stèle Richard Heintz

 

Sources



La Vie wallonne, août 1929, CVII, p. 294-296
La Vie wallonne, octobre 1931, CXXXV, p. 62-67
La Vie wallonne, octobre 1935, CLXXXII, p. 59-62
La Vie wallonne, IV, n°260, 1952, p. 305
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 689-690 et t. II, p. 394
Une certaine idée de la Wallonie. 75 ans de Vie wallonne, Liège, 1995, numéro spécial de La Vie wallonne, t. LXIX, p. 148
Jacques PARISSE, Richard Heintz 1871-1929. L’Ardenne et l’Italie, Liège, éd. Mardaga, 2005
Liliane SABATINI, Le Musée de l’Art wallon, Bruxelles, 1988, collection Musea Nostra
W. LEMOINE, dans Biographie nationale, t. 35, col. 370-373
Serge ALEXANDRE, dans Musée en plein air du Sart Tilman, Art&Fact asbl, Parcours d’art public. Ville de Liège, Liège, échevinat de l’Environnement et Musée en plein air du Sart Tilman, 1996

Route de Filot
4190 Sy

carte

Paul Delforge