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Dewandre Paul

Socio-économique, Entreprise

Charleroi 10/02/1866, Charleroi 03/03/1953

Par sa mère Jenny de Haussy (1830-1907), Paul Dewandre est l’un des petits-fils de François Philippe de Haussy (1789-1869), premier gouverneur de la Banque nationale (1850) ; par son père, le sénateur Barthel Dewandre (1822-1893), il est le petit-fils de Henri Dewandre (1790-1862), qui fut membre du Congrès national en 1830-1831, et un lointain cousin du sculpteur et architecte liégeois François-Joseph Dewandre (1758-1835). Par son mariage, en 1891, avec Élise Audent (1871-1947), Paul Dewandre se lie avec la famille du bourgmestre de Charleroi, Jules Audent (1834-1910), par ailleurs aussi financier, industriel et propriétaire immobilier. Son frère, Franz (1851-1925), avocat, plusieurs fois bâtonnier de Charleroi, sera par ailleurs échevin de la ville de Charleroi. 

Ingénieur des mines, diplômé de l’École des Mines de Liège, Paul Dewandre se fera plus discret que ses aïeuls, menant une carrière d’homme d’affaires et d’industriel dont la mémoire collective ne retient généralement que le fait qu’il était l’une des plus grosses fortunes du pays. Le nom de Paul Dewandre se retrouve en effet davantage dans des compositions de conseils d’administration qu’en première page des journaux. Seule sa passion pour l’automobile le fait sortir de l’ombre. Régulièrement, lors des tout premiers salons consacrés aux véhicules à moteur, bien avant la Grande Guerre, il représente sa société auprès des grandes personnalités de l’époque. Les voitures Germain, qui sortent des Ateliers du même nom, installés sur la commune de Monceau-sur-Sambre, sont en effet du ressort d’une Société anonyme où Paul Dewandre apparaît comme « ingénieur-directeur », du moins à partir de 1907.

Autrefois spécialisés dans la construction des rails et wagons de chemin de fer, les Ateliers Germain ont été pionniers dans la construction automobile en créant un département spécifique avant le début du XXe siècle. Dès ce moment, le nom des Dewandre apparaît dans le Conseil d’administration à côté de l’énigmatique Auguste Germain, et d’importants industriels comme le patron de Cockerill, Adolphe Greiner, des armuriers liégeois, des lainiers verviétois, ou du célèbre Julien Dulait, le « père des ACEC ». C’est un vrai projet industriel wallon qui se construit autour de l’automobile à ce moment. Paul Dewandre ne figure pas parmi les premiers actionnaires ; son arrivée coïncide avec une augmentation de capital et l’apport d’une convention signée avec la Vve Émile Levassor, en 1907. À partir de ce moment, les Ateliers Germain vont disposer de « la propriété exclusive de tous les brevets belges et de perfectionnements que M. Daimler pourrait prendre ou déposer quant aux perfectionnements qu’il pourrait apporter à ses moteurs et à ses voitures automobiles ou à ses tricycles à pétrole ; etc. ». Le Conseil d’administration s’élargit alors à Gottlieb Daimler, président de la Motoren Daimler Gesellschaft et administrateur de la SA des anciens établissements Panhard et Levassor. Le brevet Panhard-Levassor pour la voiture et le brevet Daimler-Phoenix pour le moteur sont des gages de succès pour la Germain. La SA des Ateliers Germain s’impose comme l’un des plus importants constructeurs d’automobiles du pays, reconnu pour la fiabilité, l’élégance et la puissance de modèles qui se diversifient. Avec le chevalier de Spirlet, Paul Dewandre est le représentant de la marque. À la veille de la Grande Guerre, Germain propose sept modèles différents et exporte énormément vers l’Angleterre. 

S’il a pu investir dans le secteur automobile, Paul Dewandre le doit certes à ses activités, mais aussi à la fortune paternelle constituée de participations dans d’importantes sociétés diversifiées : Compagnie du chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand ; Compagnie des Charbonnages de Piéton ; Comptoir d’escompte de la Banque nationale à Charleroi ; SA des Laminoirs, Hauts-Fourneaux, Forges, Fonderies et Usines de la Providence à Marchienne-au-Pont et, déjà dans les années 1880, les Ateliers Germain… L’invasion allemande d’août 1914 met un violent coup d’arrêt à la dynamique de toutes ses activités.

Un épisode particulier témoigne alors de la puissance de Paul Dewandre. En deux jours (21 et 22 août), l’envahisseur allemand a montré toute sa puissance de frappe et sa détermination dans « la bataille de Charleroi ». Tous les ponts sur la Sambre sont pris, hormis ceux de la Ville basse, et il apparaît que les forces françaises se retirent. De surcroît Liège est tombée et Bruxelles est occupée. Afin d’éviter à Charleroi davantage de destructions et de morts, une délégation composée notamment du bourgmestre Devreux et du député-échevin Buisset se rend auprès des officiers allemands. Moyennant le paiement de 10 millions de francs-or, dont 2 à verser immédiatement en espèces, de nouvelles destructions et victimes sont épargnées au pays de Charleroi (traité de Couillet, 23 août). Tous les notables contribuent à rassembler les montants exigés, en particulier Paul Dewandre. Alors que le 22 août, les bureaux des Ateliers Germain se sont envolés en fumée au cours de l’avancée allemande du côté de Monceau, il réunit dans l’urgence près d’un demi-million de francs belges en titres de rente. Charleroi ne subit plus de dommages.

Après la Grande Guerre, Paul Dewandre reprend ses multiples activités, mais les ateliers Germain ne rimeront jamais plus avec construction automobile ; ils renouent avec la production de matériel ferroviaire, ainsi qu’avec une gamme importante de moteurs industriels et de moteurs marins. Administrateur de sociétés - des Forges de la Providence, de la Faïencerie impériale et royale de Nimy, de la Faïencerie de Maastricht, de la Boulonnerie de Liège, de la Glace Pure (dont il a été le fondateur –, Paul Dewandre est entré dans le Conseil d’administration de la Fabrique de Fer de Charleroi en 1911 ; à partir d’avril 1929, il en devient le président et le restera jusqu’à son décès en 1953. Par ailleurs, il préside aussi aux destinées des Charbonnages du Petit Try, de la SA Ferrociment, de la Fabrique de Fer de Maubeuge. Il est aussi administrateur de la compagnie d’assurances Union et Prévoyance avant la Grande Guerre et il la préside dans l’Entre-deux-Guerres.

Ayant hérité de la maison de Jules Audent (1910), le couple Paul Dewandre/Elise Audent avait réaménagé entièrement l’hôtel particulier du centre de Charleroi qui abritera le consulat d’Italie de 1958 à 2013. Il était aussi propriétaire de la « Maison au Bois » à Leernes.

Sources

L’Indépendance belge, 23 décembre 1907 ; L’Indépendance belge, 29 décembre 1907 ; La Gazette de Charleroi, Journal de Charleroi, L’Indépendance belge, avant 1914
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 151
Annexes du Moniteur belge, 12 novembre 1897, n°3999, p. 429-436 ; n°4481, p. 991-996
http://gw.geneanet.org/bwautier?lang=fr&m=N&v=DEWANDRE 
http://gw.geneanet.org/bwautier?lang=fr&pz=alicia+sixtine+angele+christine&nz=wautier&ocz=0&p=paul+joseph+marie+alexis&n=dewandre 
Reconstruire la ville sur la ville. Recyclage des espaces dégradés. Rapport intermédiaire de la subvention 2004-2005, Namur, MRW, 2005, p. 60
Pierre MASSET, Histoire de Monceau-sur-Sambre, Frameries, Dufrane-Friart, 1901, p. 159
Jean-Louis DELAET, Le Pays de Charleroi dans la tourmente, dans La bataille de Charleroi, 100 ans après, Académie Royale de Belgique (Actes de colloque, Charleroi, 22 et 23 août 2014), coll. « Mémoires de la Classe des Lettres - Collection in-8° / IV-VII » (no 2097),‎ 2014, p. 55-77
Albert DULAIT, Remember. Souvenirs de guerre, de défense devant les tribunaux de campagne allemands et de captivité en Allemagne, Bruxelles, Albert Dewit, 1919

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Delneufcour Pierre (Joseph)

Socio-économique, Entreprise

Mons 30/06/1788, Mons 26/02/1855

Dans la première moitié du XIXe siècle, Pierre Delneufcour est un ingénieur des mines qui, par ses connaissances, va contribuer au développement et à l’expansion des exploitations houillères du pays wallon, en particulier dans les bassins du Couchant et du Centre.

À Paris, capitale de la République dont la citoyenneté lui avait été attribuée en 1795, le jeune Delneufcour poursuit des études d’ingénieur ; dans la capitale de la Première République puis du Consulat, il suit en fait son père, Pierre-François-Joseph, qui représente le département de Jemappes au Conseil des Anciens puis au Conseil législatif. À son retour dans le département de Jemappes, il s’intéresse aux activités industrielles de son père, devenu notamment actionnaire du charbonnage de l’Agrappe, à Frameries ; il dirige cette exploitation et, à partir de 1815, il y introduira la lampe Davy, une première, qu’il s’efforcera de perfectionner. L’esprit d’entreprise et d’innovation anime alors l’ingénieur : au moment du blocus continental imposé contre le Royaume-Uni, le jeune Delneufcour se lance dans la création de la première sucrerie du département de Jemappes qui raffine le sucre des betteraves (1812) ; la première du pays wallon avait vu le jour peu de temps auparavant à Liège. Par ailleurs, il est aussi à l’origine d’une fabrique d’huile et de savon, à Mons, où il introduit une importante innovation : pour la première fois, une machine à vapeur y est en effet utilisée dans ce type de fabrication.

À plusieurs reprises, sous le régime désormais hollandais, sans qu’il soit toujours permis de distinguer la part du père et celle du fils, Delneufcour lance l’idée de projets à réaliser et en développe les motivations, qu’elles soient techniques ou économiques. Ainsi, à diverses reprises (1816-1818), plaide-t-il en faveur de la construction d’un canal qui permettrait de relier Mons à l’Escaut ; présentant des notes et des cartes, il se fait alors le porte-parole de plusieurs pétitionnaires, généralement des patrons charbonniers. Dans une brochure publiée en 1816, il évoque les effets d’un impôt sur le charbon de terre, et suggère la création d’une administration des mines et celle, à Mons, d’une École destinée aux ingénieurs.

Quand l’Administration des mines est mise sur pied, Delneufcour y est engagé. L’ingénieur y fera toute sa carrière, tout en continuant à apporter des innovations : par exemple, un procédé pour améliorer l’extraction du charbon. Promu ingénieur sous le régime hollandais, il est nommé en 1831 à la direction du corps des ingénieurs des mines dans le premier district : ses services en faveur de la révolution de 1830 ont été appréciés : sous-lieutenant de la garde nationale depuis 1813, il a formé la compagnie d’artillerie de la garde urbaine de Mons et l’a commandée durant les Journées de Septembre 1830. Ayant abandonné ses activités industrielles propres dans les années 1820, Delneufcour achèvera sa carrière dans l’administration en 1853, au rang d’ingénieur de Ière classe, niveau auquel il avait été nommé en 1839.

Convaincu que l’extraction sous-terraine peut se poursuivre sans limite et sans danger, il a fait partie des ingénieurs qui, sous la conduite de Ph. Van der Maelen, dressent la carte des concessions houillères du Couchant (1849). Son apport au secteur des mines est tel que, lors de sa mise à la retraite, tous les exploitants des mines du Couchant et du Centre lui rendront un hommage appuyé. Vice-président du Comité de Salubrité publique (1849-1855), membre de la Chambre de Commerce de Mons (1847-1855), membre de la commission provinciale du Hainaut de statistique (1851-1855), membre fondateur de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut (1833-1855), il fut aussi le vice-président de la Commission administrative du Musée communal de Mons, fondé en 1839.

Sources

Roger DARQUENNE, dans Biographie nationale, t. 38, col. 165-168
Albert MILET, Un jacobin montois, P.-F.-J. Delneufcour (1756-1827), dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Mons, 1999, t. 78, p. 159-223
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut: la Faculté Polytechnique de Mons, 1990, p. 10-11
Mémoires et publications de la société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, Année 1844-1845, Mons, Hoyois, 1844, p. 185-186
La Meuse, 2 avril 1875 ; Indépendance belge, 11 janvier 1847, 20 novembre 1849, 6 février 1851, 4 octobre 1853, 6 août 1855 ; Gazette de Charleroi, 7 août 1891

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de Thier-Ziane (chevalier) Charles

Socio-économique, Entreprise

Liège 13/05/1875, Spa 06/12/1966

Depuis des siècles, l’eau de Spa assure la notoriété de la cité ; ce sont à la fois les bains et l’eau qui est embouteillée qui assurent la célébrité d’une ville qui devient le salon de l’Europe au XVIIIe siècle. Une série de mesures sont alors prises pour protéger les sources aquifères et, peu avant la Grande Guerre, la SA Compagnie fermière des Eaux et des Bains de Spa voit le jour. Après les hostilités et alors que les « Grands » de ce monde négocient notamment à Spa les conditions d’un retour à la Paix, la Compagnie fermière se transforme en « Spa Monopole » à l’initiative du chevalier de Thier-Ziane (avril 1921). L’intervention du banquier et industriel liégeois est à l’origine de l’aventure industrielle du groupe Spadel, l’une des sociétés phares de la Wallonie du XXIe siècle.
Descendant d’une ancienne famille noble de la principauté de Liège, fils d’un magistrat (conseiller à la Cour d’Appel de Liège), Charles de Thier semble avoir effectué des études commerciales, avant d’entrer au Comptoir Musin (1900), banque liégeoise qui fusionne avec la maison de change Fontaine et avec la firme G. Bosson et Cie, en 1910, pour donner naissance à la Caisse liégeoise de Change et de Banque, installée dans le Passage Lemonnier. De Thier en est d’emblée l’administrateur délégué. C’est à ce titre qu’il est chargé de sauver la Compagnie fermière des Eaux de Spa, laissée sans direction suite à l’invasion allemande d’août 1914. Après l’Armistice, Charles de Thier parvient à doter de 2,5 millions de francs le capital une nouvelle société, Spa Monopole, dont il prend le contrôle et la direction.

Les eaux de Spa connaissent alors une nouvelle vie. La source Reine est exploitée ; une nouvelle usine voit le jour ; un logo « Pierrot à saute-mouton » est créé (1924) ; un Spa citron (1925) précède les « pastilles de Spa » (1927) ; conservant l’exploitation des cures, la société transforme l’établissement thermal et met en avant les vertus curatives de l’eau de Spa ; un Institut d’hydrologie médicale voit le jour (1931) ; la revue Spa médical et historique est diffusée à partir de 1935 ; à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la production journalière de bouteilles n’a plus rien de comparable à ce qui se faisait au début de l’investissement du chevalier de Thier. Cette expansion, la société spadoise la doit cependant à l’arrivée d’un nouvel administrateur, en 1923, l’industriel bruxellois Ernest du Bois dont la participation au capital de la société ne va cesser d’augmenter dans l’Entre-deux-Guerres. Accédant à la présidence de la société en 1949, de Thier conserve ce titre jusqu’à son décès en 1966, mais la nouvelle génération des du Bois a déjà repris en main l’avenir de Spa Monopole.

Administrateur de sociétés, Charles de Thier, marié à Gabrielle Ziane (1875-1919), avait aussi été l’un des fondateurs des Tramways Est-Ouest de Liège (1898), ce qui l’a placé parmi les administrateurs de la nouvelle société des Tramways liégeois en 1927, et à la vice-présidence de la nouvelle société des Tramways unifiés en 1951. Entré en 1936 dans le capital de la société Finance et Industrie, dirigée par Ernest du Bois, Charles de Thier était aussi administrateur de la Générale immobilière.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Léon Maurice CRISMER, La fabuleuse histoire des Eaux de Spa, Spa, 1983
Valérie MONTENS, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 138-139
http://www.spadel.com/groupe/historique (s.v. mai 2016)

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de Ryckman Lambert

Culture, Lettres wallonnes, Politique, Socio-économique, Entreprise

Liège 07/1664, Liège 23/03/1731

Issu d’une famille patricienne, licencié ès loi et avocat, Lambert de Ryckman allait, au gré des circonstances et alliances, intégrer la sphère politique et le monde des affaires. Son père fut bourgmestre de Liège. Lui, voyageant dans l’Empire durant la deuxième moitié des années 1680, est attiré par la carrière des armes ; il est alors appelé par l’empereur à devenir représentant de la Cité de Liège au sein du Conseil ordinaire de la principauté, en 1692. Conseiller de l’électeur de Bavière, cet homme de loi et politique devient industriel, mais Jean Haust retient surtout qu’il fut un écrivain de grand talent.

« […] la production dialectale des XVIIe-XVIIIe siècles est en général une littérature de circonstance […] L’anonymat est d’usage […], lié au mode de diffusion de pièces qui ne circulent que sur feuilles volantes ou en placard à colonnes. […] Chaque œuvre est ponctuelle ; elle répond à une situation qui d’ordinaire ne se renouvelle pas » (PIRON). Par son Éloge des vertus admirables des aiwes di Tongue, « la reine des satires wallonnes » ainsi que Jean Haust qualifie cette pasquèye, Lambert de Ryckman discrédite les vertus de la fontaine minérale tongroise dite de Pline, car mentionnée dans son Histoire naturelle. Ainsi que l’attestent les nombreuses copies qui circulèrent jusqu’au XIXe siècle, le succès de ce placard de 382 octosyllabes à rimes plates a été considérable. « Sans rien en laisser paraître, l’auteur entendait de la sorte ruiner les espérances médico-touristiques de la bourgade thioise, jalouse du prestige de Spa » (PIRON). Lambert de Ryckman est également l’auteur d’un éloge resté inédit d’un prêtre marguiller, rédigé à l’occasion des vingt ans de celui-ci à la paroisse de Saint-Adalbert de Liège.

Sources

Maurice YANS et Maurice PIRON, dans Biographie nationale, t. 37, col. 705-709
Maurice PIRON, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie (poètes et prosateurs), Liège, Mardaga, 1979, p. 26-34
Maurice PIRON, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres. Arts. Culture, t. II, p. 116 ; 118
Martine WILLEMS, dans Bruno DEMOULIN (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 149

Œuvres principales

Eloge des vertus admirables des aiwes di Tongue, pasquèye (1700)
Pasqueye so l’an jubilé di M. Adam Simonis, doyin des marlis dè l’veye di Lîge (fin du XVIIe siècle)

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D'Andrimont (dit aussi Jules et orthographié Dandrimont) [Henri] Julien

Politique, Socio-économique, Entreprise

Liège 27/10/1834, Liège 21/07/1891

De Julien d’Andrimont, la mémoire collective retient généralement qu’il fut le premier parlementaire à parler en wallon au Sénat, voire qu’il fut le plus jeune bourgmestre du pays depuis l’indépendance, quand il accéda à la tête de la ville de Liège, le 20 août 1867.

Issu d’une ancienne famille d’industriels du pays de Liège, Julien d’Andrimont est de la génération des patrons des années 1860-1880 qui cherchent à élargir leur réseau en s’engageant en politique, sur le plan local comme sur le plan national. En l’occurrence, jeune ingénieur civil diplômé de l’École des mines de l’Université de Liège, il devient le directeur-gérant du Charbonnage du Hasard, à Micheroux, en 1858, et fait ses débuts en politique dès 1860. Il suit ainsi les traces de son père, Joseph Julien (1814-1886). On a souvent écrit que pour éviter la confusion entre le père et le fils, Julien se faisait appeler Jules. Dans la presse de l’époque, c’est cependant le prénom de Julien qui est le plus couramment utilisé et celui que nous utiliserons.

« Exemple de réussite technique » (CAULIER-MATHY), dirigé aussi par son frère Léon (1836-1905), le Charbonnage du Hasard devient Société anonyme en 1882. À partir de 1873, Julien d’Andrimont devient aussi l’administrateur délégué de la SA des chemins de fer de Hesbaye-Condroz, tout en ayant des parts dans une série de sociétés actives dans le domaine ferroviaire, dans l’énergie, le secteur bancaire ou de l’industrie lourde, en pays wallon, comme dans le bassin de la Ruhr. En 1883, s’inspirant du modèle allemand, Julien d’Andrimont invite les patrons liégeois à se réunir au sein de l’Association charbonnière du pays de Liège, dont il est le premier président. Représentant typique des chefs d’entreprise wallons convaincus d’une expansion industrielle permanente en raison de leurs investissements, d’Andrimont a accordé une attention proactive et constante à tous les procédés neufs susceptibles d’améliorer ses outils de production.

Conseiller communal de Liège (1860-1891), conseiller provincial élu dans le canton de Fléron (1864-1870), il devient, à 33 ans, le bourgmestre de Liège, au moment de la retraite de Ferdinand Piercot. Il est ainsi le plus jeune à accéder à cette fonction depuis 1830. En fait, sa jeunesse doit aider à réconcilier les antagonismes qui divisent la famille libérale, largement majoritaire au conseil communal de Liège. Membre de l’Association libérale de Liège (qu’il présidera en 1885 et 1886), d’Andrimont reste bourgmestre jusqu’en mai 1870 : malgré un bilan apprécié, il décide de démissionner en raison des litiges importants qui continuent de diviser sa famille politique, malgré ses efforts. Candidat à la Chambre des Représentants, il est élu député de Liège – il remplace Charles Lesoinne –, selon le système censitaire jusqu’en février 1878 ; à ce moment, il fait son entrée au Sénat (1878-1891), en remplacement de Charles Grandgagnage récemment décédé. Au Parlement, il se fait le porte-parole de sa ville de Liège, de son université et des intérêts du monde industriel.

Ses multiples activités procurent à Julien d’Andrimont une autorité telle qu’il est choisi pour faire fonction de bourgmestre au cours de l’année 1885, avant d’être finalement désigné par le roi et de reprendre la fonction le 22 février 1886. En juin 1885, de nouvelles bisbrouilles entre libéraux ont eu raison du collège présidé par Julien Warnant ; la dissension a porté sur la question de l’enseignement religieux dans les écoles. En tant que doyen du conseil communal cette fois, d’Andrimont fait fonction de bourgmestre, avant d’obtenir le soutien de tous les libéraux (2 mars). Les événements vont lui apporter un soutien définitif inattendu.

En effet, quelques jours plus tard, Liège est le théâtre d’une  manifestation qui va dégénérer et provoquer une terrible déflagration sociale à travers la Wallonie. Destiné à commémorer le quinzième anniversaire de la Commune de Paris, le rassemblement prévu au cœur de Liège se transforme en insurrection (18 mars). Face à une foule incontrôlée de plusieurs milliers de personnes, le bourgmestre use de toute son autorité pour rétablir l’ordre (19-20 mars) ; il n’a pas besoin d’aide extérieure, mais le débrayage va toucher d’autres endroits : Seraing, le bassin de Charleroi, le Borinage, le Namurois, Dinant, le Tournaisis, Sprimont… Tandis que le tribunal correctionnel de Liège inflige de lourdes peines qui doivent être exemplaires, l’armée et des pelotons de gendarmerie seront envoyés dans ces autres villes. Au cours de ce terrible « printemps wallon de 1886 », on dénombre des morts, des blessés, des arrestations. Pour Julien d’Andrimont, le bilan se solde par un renforcement de son autorité et une popularité accrue auprès de la bourgeoisie. Par son action au sein de comités ou d’associations de bienfaisance, d’Andrimont jouissait d’une réelle sympathie auprès des populations ouvrières ou nécessiteuses.

Président de la Société La Légia (1866-1891), d’Andrimont s’est fait aussi une réputation d’organisateur de grands concours de chant et de manifestations festives de prestige. Membre actif de la Société liégeoise de Littérature wallonne, Julien d’Andrimont pratique régulièrement la langue wallonne à laquelle il accorde une attention toute particulière, sans toutefois souhaiter qu’elle supplante la langue française. Comme nombre de ses contemporains en pays wallon, il considère que le wallon possède depuis longtemps une littérature propre et il place les parlers wallons au même rang que ceux de Flandre, soit juste en dessous de la langue française, qu’il estime la langue commune à tous les Belges. C’est ainsi qu’il faut comprendre son intervention, en wallon, le 19 mai 1886, en pleine séance du Sénat ; répliquant à deux élus qui se sont exprimés en flamand, il rejette le projet d’une Académie de Littérature flamande à établir à Gand. Relevant la qualité et l’humour de l’intervenant, ainsi que ses deux longues citations, l’une de Li côparèye de Simonon et l’autre du Leyîz-m’plorer de Defrecheux, la presse libérale salue l’interpellation du « bourgmestre de la ville de Liège, capitale de la Wallonnie (sic) ».

Mais l’humour cède vite la place à l’exaspération à l’égard des revendications flamandes de l’époque ; elle prend une forme organisée puisqu’en novembre 1888, Julien d’Andrimont crée une « Fédération wallonne », qui s’apparente à l’une des toutes premières associations du Mouvement wallon. Farouchement opposé à l’imposition de la langue flamande comme seule langue judiciaire dans les provinces flamandes (1888), le bourgmestre-sénateur et industriel de Liège figure parmi les tout premiers adhérents du congrès wallon de 1890, première manifestation d’importance d’un Mouvement wallon encore balbutiant.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
La Meuse, 30 avril 1870 ; 20 mai 1886 ; 23 novembre 1889 ; 24 juillet 1891, et supplément des 25 et 26 juillet 1891
Sophie JAMINON, dans Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 393
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 138-139
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 86-87
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 179
Jean BROSE, Dictionnaire des rues de Liège, Liège, Vaillant-Carmanne, 1977, p. 105
Maurice YANS, dans Biographie nationale, t. 29, col. 83-84

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Cognioul Jules

Socio-économique, Entreprise

Marcinelle 1872, Marcinelle 01/10/1952

Si le nom de Jules Cognioul est définitivement associé à sa chanson En Wallonie et, par conséquent, s’il est rangé parmi les chanteurs du pays wallon, la vie du Carolorégien ne doit pas être réduite à ce qui n’était chez lui qu’une passion. Ainsi est-il d’abord, pendant un demi-siècle, l’un des deux responsables de la fonderie familiale, active à Marcinelle. Avec ses trois frères, il fut aussi l’un des pionniers du cyclisme en Wallonie au tournant des XIXe et XXe siècles ; en 1905, il fut membre-fondateur du « Charleroi Cyclist Union ». Amateur de la langue wallonne, il est encore membre fondateur du Cercle wallon de Charleroi.

En l’absence de conservatoire et de cours de chant dans le pays de Charleroi, Cognioul découvre très tôt, par lui-même, qu’il dispose à la fois d’une bonne voix et d’une belle aisance sur scène. Il se produit sur diverses tribunes pour le plaisir, avant de prendre cette activité plus au sérieux, quand, en 1889, l’un de ses concerts connaît un franc succès au sein du groupe les Buttoëres, société à but philanthropique. Il compose ou arrange de nombreuses chansons et les interprète ; il reprend aussi certains succès, mais en s’efforçant toujours de leur apporter un supplément d’âme et d’originalité. Espérant faire carrière dans la chanson à Paris, il s’apprête à partir en tournée à travers la France (1898), lorsque ses frères l’enjoignent de s’intéresser davantage à l’entreprise familiale. La scène sera désormais un hobby pour celui qui prend en charge le volet commercial de la fonderie de cuivre installée à Marcinelle.

Depuis 1805, et l’installation d’un atelier de chaudronnerie en cuivre avec fonderie à Charleroi, les Cognioul sont bien connus dans le val de Sambre ; en 1864, à la deuxième génération, une nouvelle usine voit le jour à Marcinelle-Villette, avec fonderie, atelier de parachèvement et chaudronnerie. C’est cette entreprise que, deux générations plus tard, Jules et son frère Édouard prennent en main, succédant à leur père et à leur oncle. Médaille d’or à l’Exposition universelle de Charleroi en 1911, la société Cognioul et sa vingtaine d’ouvriers prospèrent dans l’entre-deux-guerres, occupant près d’une centaine de personnes avant la Seconde Guerre mondiale. En 1950, recevant l’Ordre de la Couronne, le patron organise un banquet à l’intérieur de l’usine, réunissant des personnalités et tous les membres du personnel. C’est l’occasion pour lui d’évoquer le rôle de son frère Édouard (décédé pendant la guerre), fondeur en quête d’une qualité irréprochable pour les produits Cognioul, que lui, Jules, s’est employé à vendre sur tous les marchés.

C’est par conséquent un patron-chanteur qui va connaître le succès sur les planches pendant de nombreuses années. Cognioul exprime d’abord ses talents musicaux lors de banquets de cercles d’art, de sociétés industrielles et commerciales, auprès de groupements professionnels comme les magistrats, les militaires, etc. Très régulièrement, avant la Grande Guerre, les œuvres caritatives bénéficient des retombées financières des « tournées » de Cognioul (Œuvre du Vestiaire des Écoles de Bois d’Haine, Université populaire de Haine-St-Pierre, Association des Anciens de l’École industrielle supérieure de Charleroi, Œuvre des Nourrissons, etc.). Chanteur comique, il trouve un juste équilibre, évitant de tomber dans le burlesque ou le trivial.

S’il interrompt ses spectacles au début de la Grande Guerre, il reprend progressivement ses activités de divertissement en adaptant son répertoire aux circonstances. Lors de manifestations destinées à venir en aide aux prisonniers, combattants, invalides, veuves ou orphelins, ses chansons glissent un message patriotique et se veulent des soutiens à la résistance au temps de guerre. C’est d’ailleurs sous l’occupation allemande que Cognioul croise la route d’Orsini Dewerpe.

Jusque-là, le chanteur était accompagné au piano par son épouse ; à partir de 1916, il trouve en Orsini Dewerpe un comparse complice qui fera de la paire Cognioul-Dewerpe un duo musical très prisé pendant tout l’Entre-deux-Guerres. Orsini Dewerpe enrichit le répertoire du chanteur de compositions particulièrement adaptées tant à la voix et au style de Cognioul qu’au public et à l’époque. Sous l’occupation allemande, Dewerpe, sous le pseudonyme de Schaunard, signe une petite dizaine de textes à la fibre patriotique ; certaines indisposent la censure ; toutes connaîtront un franc succès au moment de l’Armistice. Dans l’Entre-deux-Guerres, Cognioul est servi par d’autres chansons écrites par son accompagnateur musical : En Wallonie, Le Vin de France, La Wallonne, Pour quelques cheveux blancs, Wallons chantons, À la Française, Joli château du temps jadis, etc., Dewerpe dédie aussi à Jules Cognioul On n’est jamais vieux quand on chante. Quant à la chanson En Wallonie, elle est dédiée à Paul Pastur qui fut un grand ami d’enfance de Jules Cognioul, lorsque, en culottes courtes, ils sillonnaient les prairies du quartier de la Villette. Le père Pastur tenait une tannerie, celui de Cognioul, on l’a vu, une fonderie. Plus tard, un des fils de Paul Pastur épousera une fille de Jules Cognioul.

Jusqu’en 1943, année de la disparition de Dewerpe, le duo reste solidement uni et cette complicité liée à leur talent explique le succès d’un spectacle solidement rôdé. Entre les deux guerres, l’associatif sollicite en permanence le duo Cognioul-Dewerpe. Les trésoriers des associations wallonnes, cercles d’officiers, harmonies, Fédération des Anciens Combattants, ou des Invalides, les œuvres en faveur des enfants, des pauvres, des vieillards, etc. doivent beaucoup aux spectacles organisés grâce aux deux artistes bénévoles. Ami de Maurice Des Ombiaux, Cognioul partage avec l’écrivain tant son intérêt pour la Wallonie que pour le bien manger. L’aide apportée par Cognioul aux œuvres françaises, sans distinction, lui vaudra, en 1925, la Médaille d’argent de la Reconnaissance française. En 1919, Cognioul est nommé membre à vie de la Commission d’Assistance publique de Marcinelle. Bénéficiant des progrès de la technique, la voix de Jules Cognioul passa sur les ondes radiophoniques et fut enregistrée sur quelques disques qui restent rares néanmoins.

Sources

René DEMEURE, Une vie en chansons. Jules Cognioul. Chantre de Wallonie. 1872-1954, Charleroi, [1963]
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 107-108

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Cavens Jean-Hubert

Socio-économique, Entreprise

Malmedy 01/03/1762, Spa 12/06/1833

C’est au milieu du XVIIe siècle qu’un ancêtre de Jean-Hubert Cavens est venu s’installer à Malmedy, bourgade alors déjà réputée pour son industrie du cuir. Mathias Peter Cavens était originaire de Baasem, dans la seigneurie de Cronenbourg, à une quarantaine de kilomètres de Malmedy, et son mariage avec une représentante de la famille d’Arimont va donner naissance à une dynastie qui exercera une forte influence sur la vie de la petite principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy. Marchands, tanneurs, propriétaires fonciers, bienfaiteurs des pauvres, prêtres, ces bourgeois exercent aussi diverses fonctions publiques (commissaire, bourgmestre par exemple). On rencontre aussi un Jean-Godefroid Cavens (1725-1800), religieux bénédictin à Malmedy sous le nom de dom Henri, devenu responsable de la fabrique de carton et de papier de l’institution religieuse au milieu du XVIIIe siècle.

Représentant de la sixième génération des « Cavens de Malmedy », Jean-Hubert marque les esprits de ses concitoyens au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Associé aux affaires familiales, l’industriel dispose très tôt de sa propre tannerie et, sous le régime français, sa production annuelle est déjà fort importante. Héritant de participations dans la tannerie de son père, Louis Cavens (1732-1823) – bourgmestre de Malmedy en 1771 et considéré comme l’un des principaux tanneurs de la cité –, il est aussi intéressé, par sa femme, à l’activité de la fabrique de drap Cavens et Cie. Homme d’affaires dynamique, imposant sa haute stature dans les négociations, J-H. Cavens saisit les opportunités du moment (notamment les fournitures aux armées) pour étendre ses activités et en développer de nouvelles : ainsi est-il propriétaire d’une foulerie, d’un moulin à farine, d’un moulin à huile et d’un four à chaux, tout en s’intéressant au secteur de la papeterie et, en tant que commissionnaire, en occupant une série de tisserands à domicile. Important propriétaire foncier, il dispose à la fois de « maisons » autour de Malmedy, de bois et de prairies où il pratique l’élevage tant de bovins que de nombreux moutons. À son échelle, il fait partie des premiers acteurs de la révolution industrielle en train de prendre naissance en pays wallon.

En 1815, il ambitionne d’ailleurs d’établir une foulerie moderne qu’il mettrait à disposition des fabricants drapiers locaux et prévoit la récupération des déchets à transformer en engrais ; d’autres intérêts sont en jeu (ceux de la papeterie Steinbach notamment) et Cavens se contentera de rénover son ancienne foulerie. Après Waterloo, Malmedy est passé sous régime prussien et les difficultés économiques ne manquent pas en raison de la fermeture des frontières des Pays-Bas. Cavens y trouvera un nouvel adjuvant et, signe de la qualité de sa production, une médaille d’argent lui sera décernée à l’exposition de Berlin de 1822.

Peu intéressé par l’exercice d’une fonction publique, Jean-Hubert Cavens se fait mécène en soutenant financièrement les études de jeunes Malmédiens et en transformant l’ancien « Cabinet littéraire » en une nouvelle Société littéraire ; il se montre philanthrope par l’engagement d’ouvriers dans ses propriétés en période de crise et, surtout, celui qui disparaîtra sans postérité fait un don pour construire une maison d’orphelins au cœur de la ville de Malmedy (1830).

Située place de Rome, la maison du Bureau de Bienfaisance, dite « Maison Cavens » se transforme en un impressionnant orphelinat inauguré deux ans après le décès de J-H. Cavens. Transformée en internat pour l’Institut Notre-Dame en 1954, la maison est acquise par la ville de Malmedy en 1968 qui l’affecte à des activités culturelles (musée, bibliothèque), avant qu’elle ne devienne, après rénovation, un centre d’affaires pour les indépendants et les institutions publiques.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Maurice LANG, Généalogie de la Famille Cavens, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 51-146, surtout p. 137-146
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1983, t. 47, p. 140

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Bivort Henri (Joseph)

Socio-économique, Entreprise

Jumet 20/09/1809, Jumet 14/01/1880

Un ancêtre papetier, originaire de Namur, avait acquis la concession de plusieurs veines de charbon à Charleroi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Associé à la famille Puissant notamment, il avait fondé la Société Notre-Dame au Bois de Jumet, mieux connue par la suite sous le nom d’Amercœur. Implantée désormais à Jumet, la famille Bivort y déploie ses activités dans le domaine des mines et du commerce des fers. À la troisième génération, trois fils s’orienteront l’un, Clément (1819-1875) vers le secteur des charbonnages, l’autre, Édouard (1814-1886) vers la prêtrise, tandis que l’aîné, Henri-Joseph, fait fortune dans le domaine de la verrerie, une activité pratiquée à Jumet depuis plusieurs générations.

Associé à l’entrepreneur allemand Auguste Bennert (1811-1884), Henri Joseph Bivort rachète, en 1845, la Société de Charleroi pour la fabrication du Verre et de la Gobeleterie, constituée en 1836 avec le soutien de la Banque de Belgique et qui a été mise en liquidation. Ses installations produisaient déjà du verre au début du XVIIIe siècle et avaient été acquises par la famille Houtart en 1785. Henri Bivort semble avoir appris le métier du verre et franchi patiemment toutes les étapes du métier au sein de ladite Société de Charleroi, avant de la reprendre grâce à la fortune familiale et à l’apport technique de Bennert. Il s’agit par conséquent pour les deux entrepreneurs de donner une nouvelle vie à une activité traditionnelle.

Dans un premier temps, les « Verreries Bennert & Bivort » produisent surtout du verre plat ; beaucoup plus tard, elles s’orienteront dans la fabrication de bouteilles. Attentif aux perfectionnements techniques de son temps, introduisant rapidement l’emploi des fours à gaz, s’occupant personnellement de la formation des ouvriers verriers, Henri Bivort concourt dans les expositions internationales et y reçoit plusieurs prix. À l’occasion de l’exposition internationale de Sidney, où une médaille de bronze est décernée à la verrerie de la Coupe, La Gazette de Charleroi n’hésite pas à écrire que « cet établissement, le plus important du monde entier pour la fabrication du verre à vitre, se maintient parfaitement à la hauteur de sa réputation internationale ».

Après le retrait de Bennert en 1877, Henri Bivort dirige seul la société jusqu’à son décès. Son fils, Joseph (1854-1902), lui succède et donne à la verrerie de la Coupe une expansion plus considérable encore, toujours tournée vers l’exportation. À l’entame du XXe siècle, elle a étendu son implantation au cœur de Jumet, où elle occupe sept hectares de terrain. Continuant à pratiquer le soufflage à la bouche du verre à vitre, un millier d’ouvriers assurent alors une production annuelle dépassant les trois millions de m².

Maître-verrier prospère, chevalier de l’ordre de Léopold pour les services rendus à l’industrie, croix de la Légion d’honneur (1879), conseiller communal catholique de Jumet (1848-1854, 1859-1866), Henri Bivort se fera construire un château à la mesure de sa fortune, entouré d’un vaste parc (1870). Dans le quartier de la Bruhaute, seul le parc – devenu public – a survécu aux outrages du temps.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, dont La Gazette de Charleroi, 19 janvier 1880, p. 2-3
Jean-Louis DELAET, Clément Bivort, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 55-56
http://www.charleroi-decouverte.be/index.php?id=413 (s.v. mai 2016)

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Bivort (de la Saudée) Clément

Socio-économique, Entreprise

Jumet 01/10/1819, Fontaine l’Évêque 18/09/1875

Directeur général de la SA Charbonnages de Monceau-Fontaine, Clément Bivort était, au moment de son décès, à la tête de l’une des deux plus importantes sociétés du bassin charbonnier de Charleroi ; avec 9 sièges d’exploitation, elle employait alors 4.000 ouvriers mineurs. Vice-président de l’Association charbonnière des bassins de Charleroi et de la Basse-Sambre, Clément Bivort était par conséquent un patron wallon important au milieu du XIXe siècle et dont l’engagement catholique ne se limitait à la politique.

Un ancêtre papetier, originaire de Namur, avait acquis la concession de plusieurs veines de charbon dans le pays de Charleroi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Associé à la famille Puissant notamment, il avait fondé la Société Notre-Dame au Bois de Jumet, mieux connue par la suite sous le nom d’Amercœur. Implantée désormais à Jumet, la famille Bivort y déploie ses activités dans le domaine des mines et du commerce des fers. À la troisième génération, trois fils s’orienteront l’un vers la verrerie, un autre vers l’exploitation charbonnière et le troisième vers la prêtrise. L’aîné, Henri-Joseph (1809-1880), fonde la verrerie de la Coupe avec l’entrepreneur allemand Auguste Bennert. Chanoine honoraire de la cathédrale de Tournai, le cadet, Édouard (1814-1886), devient le premier curé de la paroisse de Gohyssart (Jumet) qui va bénéficier des largesses financières de ses deux frères, Henri-Joseph et Clément.

Jeune stagiaire à la division métallurgique de la SA des Hauts Fourneaux, Usines et Charbonnages de Marcinelle et Couillet, Clément est repéré par les cadres de la Société générale : en 1842, il est chargé de la direction de la SA des Charbonnages de Monceau-Fontaine et il ne va cesser d’en accroître la production (en associant la concession du Martinet en 1855 et celle du Bois des Vallées à Piéton vingt ans plus tard) et les bénéfices. Dans le même temps, il exerce aussi la direction de la Société d’Amercœur, propriété relevant pour moitié de sa famille.

Conseiller communal de Monceau-sur-Sambre (1846-1860), puis conseiller provincial du Hainaut, élu dans le canton de Fontaine-l’Évêque (1860-1875), membre du Cercle catholique de Charleroi, Clément Bivort consacre une partie de sa fortune et de son temps à la défense de ses fortes convictions catholiques. Patron paternaliste, il est farouchement hostile aux idées socialistes et agit pour que les œuvres chrétiennes disposent d’un monopole dans l’encadrement moral et matériel de la classe ouvrière. Membre fondateur de la Société Saint-Vincent de Paul à Charleroi (1855), fondateur du cercle ouvrier Saint-François-Xavier, il finance la construction de l’église de Gohyssart, « véritable phare catholique au cœur d’un quartier ouvrier comptant une importante population protestante » (1865), celle d’une école des frères maristes à Jumet (1871), d’une école primaire à Monceau-sur-Sambre (1873) et d’une autre à Forchies-la-Marche.

Membre de la Commission administrative de la Caisse de Prévoyance pour ouvriers mineurs du bassin de Charleroi (1861), il est l’un des fondateurs de la Fédération des Sociétés ouvrières catholiques (1867). À cette occasion, il avait été aidé par un industriel alors installé à Saint-Nicolas-Waes, Gustave de Jaer, qui le pousse à prendre la présidence. C’est chose faite en 1871, année où la Fédération regroupe 40 sociétés et est activement soutenue par Mgr Dechamps, parce qu’elle est un moyen de lutter contre l’influence de l’Association internationale des Travailleurs (AIT). Président de la Fédération de 1871 à son décès, en 1875, Clément Bivort est aussi le vice-président de la Ligue nationale belge. Peu avant sa disparition, il soutenait le projet de créer un nouveau journal catholique à Charleroi.

Disposant d’une solide fortune, Clément Bivort avait acheté l’ancien château de Fontaine-l’Évêque, ainsi que son parc, et avait fait procéder à leur restauration.

Sources

Le journal de Bruxelles, 20 septembre 1875 ; L’Union de Charleroi, Courrier de l’Escaut, 21 septembre 1875 ; Le Bien public, 26 septembre 1875, p. 2
Jean-Louis DELAET, Clément Bivort, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 55-56
Éliane GUBIN et Jean-Pierre NANDRIN, La Belgique libérale et bourgeoise. 1846-1878, dans Nouvelle Histoire de Belgique, Bruxelles, Complexe, 2005, p. 146
Emmanuel GÉRARD et Paul WYNANTS (dir.), Histoire du Mouvement ouvrier chrétien en Belgique, Louvain, LUP, 1994, t. 2, p. 20, Kadoc-Studies 16
http://www.charleroi-decouverte.be/index.php?id=413 (s.v. mai 2016)

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Behr Frédéric-Louis

Socio-économique, Entreprise

Maastricht 1805, Liège 09/02/1863

L’existence d’une extraction de charbon à hauteur de Seraing est attestée depuis le XVIe siècle ; son propriétaire abandonne cependant le site à la suite des événements de 1789 et on enregistre une reprise sous le régime français vers 1795. Le 25 juillet 1811, est créée la Société charbonnière de la Nouvelle Espérance, détentrice de la concession de Hinchamps. 

En 1825, un important investissement est consenti avec l’installation d’une pompe à vapeur afin de favoriser l’exhaure des eaux, tandis qu’une autre machine sert à l’extraction : dès 1829, la cote de -400 mètres est dépassée. C’est à cette époque, en 1828 précisément, que Frédéric-Louis Behr – couramment appelé Fritz Behr par ses contemporains – entre dans la société, avec son frère Charles (1799-1853), en apportant un important capital ; rapidement, il va en prendre le contrôle. Ainsi commence une ère de prospérité exceptionnelle pour une des plus importantes sociétés métallurgiques wallonnes, l’Espérance-Longdoz.

Présenté comme un « (…) descendant de la ligne directe du baron Adam Behr (1629), chambellan de Gustave-Adolphe, roi de Suède », fils du général Frédéric-Louis Behr, de religion protestante, ce natif de Maastricht, alors chef-lieu du département français de la Meuse inférieure, accomplit de brillantes études à l’Université de Liège. Bien qu’il se voit offrir une chaire de professeur au terme de son doctorat en Droit, Fr-L. Behr est davantage attiré par l’industrie et la politique, décline l’offre du gouvernement et se lance dans les affaires.

Co-fondateur de la Société du Charbonnage d’Ougrée avec ses deux frères, Jacques-Louis et Charles-Frédéric (1829), Frédéric-Louis Behr acquiert, toujours en 1829 et avec son frère Jacques et les frères Michiels, la moitié des parts d’un des concessionnaires de l’Espérance (soit près de 15%), tandis que la société ouvre un nouveau siège, celui de Morchamps ; il sera bientôt relié par une voie ferrée au site d’Hinchamps. Les circonstances sont cependant défavorables : la Révolution de 1830 a comme conséquence la fermeture du marché « hollandais », tandis que la concurrence des charbons anglais et prussiens s’accentue. Prenant exemple sur leurs voisins, les Cockerill, les dirigeants de l’Espérance décident de valoriser leur charbon en faisant construire un four à coke (1834). Avec John Cockerill d’ailleurs, les frères Behr fondent la SA des Charbonnages et Hauts Fourneaux d’Ougrée (1835), mais surtout, le 27 juillet 1836, avec le concours de la Banque de Belgique, Fritz Behr franchit une nouvelle étape dans le développement de ses activités : en transformant le charbonnage liégeois en Société anonyme des Charbonnages et Hauts-fourneaux de l’Espérance, il se place sur les marchés de l’exploitation charbonnière, de la production de coke et de fonte, et de la fabrication métallique.

Sous la direction de Frédéric-Louis Behr, la nouvelle société ouvre deux hauts fourneaux en 1838 et 1839 et introduit d’importantes innovations. Les besoins en charbon nécessitent une extension de la concession que refusent les concurrents de Marihaye et des Six-Bonniers ; en 1840, une importante concession est accordée sous les communes d’Alleur, Rocourt et Voroux-les-Liers ; en 1853, un troisième site d’extraction est ouvert, baptisé « Fanny », le prénom de l’épouse de Fr-L. Behr. Au milieu du XIXe siècle, la société de l’Espérance s’est imposée comme l’un des principaux fournisseurs de coke. En rachetant la fabrique de fer blanc Dothée et Cie, elle développe le secteur de l’affinage de fonte produite en masse. Effectué quelque mois avant la disparition de Fr-L. Behr, cet investissement permettra à la Société de pallier l’épuisement des veines carbonifères et de se positionner, par la suite, dans la fabrication exclusive de produits laminés. Au moment de sa disparition, Behr laisse à ses successeurs une unité de production totalement intégrée et un véritable complexe sidérurgique en devenir : en 1877, la Société anonyme métallurgique d’Espérance-Longdoz voit le jour, après avoir vendu tous ses charbonnages à la Société anonyme des Charbonnages de Marihaye. 

À côté des importantes activités industrielles qui l’ont vraisemblablement épuisé, Fritz Behr s’est investi en politique, tout en siégeant activement à la Chambre de commerce de Liège (1848-1859). Installé à Seraing en 1837, il entre au conseil communal deux ans plus tard et y siège jusqu’en 1848, contribuant – notamment de ses deniers personnels – à l’amélioration de la voirie et à la création de l’école industrielle, bien qu’il ne partageât pas les idées de la majorité en place. Pendant une douzaine d’années, il préside aussi le Comité d’inspection des enfants trouvés et abandonnés du canton de Seraing. Co-fondateur et président de l’Association libérale de Seraing (1838-1863), il est aussi élu au Conseil provincial de Liège dès 1842 et reste en charge jusqu’à son décès, tout en étant membre de la Députation permanente depuis 1860. Apprécié pour ses connaissances, son esprit d’entreprise et commercial, pour son aisance oratoire et ses qualités d’écriture, Fr-L. Behr est désigné par le gouvernement belge lorsque les négociations du traité de commerce avec le Zollverein entrent dans une phase décisive. La contribution du « chargé d’affaires » est appréciée par les deux parties, car Behr est nommé Chevalier de l’ordre par Léopold, tandis que le roi de Prusse lui confère l’Aigle rouge.

Co-fondateur et premier président du « Comité de l’Association des Charbonnages  de la province de Liège », aussi appelée « Union des Charbonnages liégeois » (1847-1860), vice-président de l’Association des maîtres de forges (1850-1863), vice-président de l’Association pour la défense du travail national (1856-1863), il prend également une part prépondérante dans la création du canal Liège-Bois-le-Duc via Maastricht sa ville natale ; au-delà du rapport qu’il rédige en 1845, il participe personnellement à toutes les réunions nécessaires pour promouvoir un projet qui lui tient autant à cœur que le développement des voies ferroviaires.

Ses funérailles, organisées conjointement par les autorités communales de Liège et de Seraing, furent suivies par une foule particulièrement nombreuse, composée des ouvriers de ses usines et de badauds, en présence de la plupart des financiers et industriels, des principales personnalités politiques de la province et de la ville, ainsi que par le gouverneur de la Banque nationale. Le cortège a conduit le défunt du quartier de Longdoz jusqu’au cimetière communal de Seraing.

Sources

La Meuse, 12 février 1863
Suzy PASLEAU, Industries et populations : l’enchaînement des deux croissances à Seraing au XIXe siècle, Genève, Droz, 1998, coll. Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fasc. CCLXXV, p. 72
Mémorial de la Province de Liège, 1836-1986, Liège, 1987, p. 173
Arrêté royal du 13 janvier 1840, dans Pasinomie, Bruxelles, 1840, p. 105-106.
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 218
Claude GAIER, Huit siècles de houillerie liégeoise, p. 205
Léon WILLEM, 450 ans d’Espérance. La S.A. métallurgique d’Espérance-Longdoz de 1519 à 1969, Liège, éd. du Perron, 1990, Technologie et tradition industrielle, p. 26-46
Hervé DOUXCHAMPS, La famille Lamarche. Des Xhendremael-Coninxheim à l’industrie liégeoise, Bruxelles, Office généalogique et héraldique de Belgique, 1974, p. 148
Annuaire statistique et historique belge, Bruxelles-Leipzig-Gand, 1864, p. 317
https://www.industrie.lu/SocieteMetallurgiqueEsperanceLongdoz.html (s.v. décembre 2023)