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Mali Henri

Socio-économique, Entreprise

Amsterdam 28/03/1774, Verviers 28/10/1850

Dans l’histoire de la Wallonie, l’Amstellodamois Henri Mali joue un rôle singulier. C’est en effet à sa sagacité que l’industriel verviétois Simonis doit d’avoir été mis en contact avec William Cockerill, et de l’avoir convaincu de se rendre dans ce pays wallon où ses innovations vont révolutionner la société.

Actifs dans le secteur textile, à Verviers, depuis 1680, les Simonis développent des activités prospères tant dans le travail que dans le commerce de la laine. Au décès de Jacques Joseph Simonis (1717-1789), Jean-François (1769-1829), le cadet de la famille mieux connu sous le nom d’Ywan Simonis, lui succède, de même que sa sœur Marie-Anne (1758-1831), épouse de J-Fr. de Biolley. Pour ces industriels, les temps sont difficiles. Les événements révolutionnaires perturbent leurs activités ; la situation de leurs affaires s’aggrave surtout durant l’hiver 1794-1795. 

Ils décident alors de se réfugier dans le nord de l’Allemagne. Là, continuant à s’intéresser à leur métier, les Simonis observent les techniques utilisées dans la fabrication du textile et décident de les intégrer dans certaines de leurs activités quand ils rentrent finalement à Verviers (1797). Conscients des avantages à tirer de la recherche de nouveaux débouchés et des techniques observées au nord de l’Allemagne, Ywan Simonis, sa sœur Marie-Anne et son beau-frère Jean-François Biolley, s’attachent les services d’un jeune Amstellodamois, Henri Mali, qui devient leur délégué et prospecteur dans les villes hanséatiques (1797).

Pourtant attaché à la célèbre maison Hoop et Cie à Amsterdam, Henri Mali relève le défi de la maison Simonis. Dès 1798, il croise la route d’un mécanicien anglais dont les idées nouvelles n’ont pas réussi à trouver preneur auprès des Russes, des Suédois et des Allemands. Au nom des Simonis, Henri Mali propose un contrat à William Cockerill, mais la perspective d’une embauche chez un petit industriel, installé dans une petite ville alors française, n’enthousiasme guère le sujet britannique. En 1799, à bout de ressources, il finit cependant par se laisser convaincre par Mali et se rend sur les bords de la Vesdre ; ses frais sont pris en charge par les Simonis qui installent le mécanicien dans une dépendance de leurs ateliers. Pépite découverte par Mali, Cockerill brise le secret des récentes inventions anglaises et apporte à Verviers des techniques révolutionnaires ; elles procurent aux usines Simonis et Biolley des longueurs d’avance par rapport à la concurrence.

Si William Cockerill rompt les liens avec Verviers pour poursuivre sa carrière, avec ses fils, du côté de Liège et Seraing, Henri Mali reste, quant à lui, indéfectiblement attaché à la famille Simonis durant toute son existence. Après quelques années de prospection, il a fini par s’installer à Verviers et il y fonde une famille dont trois fils s’avèreront aussi entreprenants que le père. Ses compétences commerciales contribuent au développement des activités des plus importants patrons du textile verviétois. À son décès, en 1850, après 53 ans de service, Henri Mali avait le statut de « chef de bureau dans la maison Simonis ».

Sources

L’Indépendance belge, 5 novembre 1850
Paul LÉON, dans Biographie nationale, t. XLIII, col. 651-660
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 145-146
Pierre LEBRUN, L’industrie de la laine à Verviers pendant le XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, Liège, 1948, p. 234-241
Paul HARSIN, La Révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1954, coll. Notre Passé, p. 98
Portraits verviétois (Série L-Z), dans Archives verviétoises, t. III, Verviers, 1946
Yvan SIMONIS, Transmettre un bien industriel familial pendant six générations (1750-1940). Une étude de cas en Belgique. Premiers résultats, dans Les Cahiers du Droit, 1992, vol. 33, n°3, p. 735-737 (consulté sur http://www.erudit.org/revue/cd/1992/v33/n3/043162ar.html?vue=resume)
http://gw.geneanet.org/bengos?lang=fr&pz=pascaline+edouardine+beatrice+marie+ghislaine&nz=gosuin&ocz=0&p=henri&n=mali (s.v. mai 2016)

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Maassen Henry

Culture, Poésie

Liège 24/11/1891, Liège 07/04/1911

En dépit de sa disparition particulièrement précoce – il n’avait pas encore atteint l’âge de 20 ans – Henry Maassen a marqué son temps, frappant les esprits par sa fantaisie, sa créativité et son originalité. « On regrette en fermant ses livres que les destins précoces aient empêché de mûrir ces moissons riches d’espérances », écrivait Julien Flament en avril 1911.

Ses parents étaient des descendants de bateliers d’origine hollandaise. Le père était armateur et tenaient ses affaires sur les quais de Coronmeuse, à Liège. C’est là que se déroulent les vingt années de Henry Maassen. En 1910 et en 1911, ce Wallon est comparé à Verhaeren quand il écrit trois minces recueils de vers (Les marches arides, Les Sanglantes, Vers d’ombre), qui sont tour à tour un hymne à la Campine, une vision plus sombre de cette région sablonneuse et enfin la description d’une Campine quelque peu inquiétante. Malade, il avait passé de longs mois de convalescence dans cette partie du Limbourg. Par ailleurs, il signe quatre ouvrage de critique : Manuel à l’usage des Gens de lettres, Le Théâtre contemporain, La poésie paroxyste et Le décalogue des Intellectuels wallons. Enfin, il lance une revue littéraire, La Sauterelle verte..., restée introuvable. Chaque fois que l’on a voulu se saisir du premier numéro, il a fait faux bond… En fait, Maassen n’a eu le temps que d’en élaborer le projet éditorial.

Souhaitant jouer un rôle phare dans les lettres françaises, Henry Maassen s’est ingénié à établir une correspondance suivie avec tout ce qui a un nom dans le monde de la poésie en 1910. Wallon de cœur, il l’écrit dans le Décalogue des intellectuels wallons..., publié chez Thone, en 1911. Dénonçant les défenseurs du flamingantisme, rejetant l’épithète « belge » accolé à la littérature française de Belgique, opposé à l’apprentissage obligatoire du flamand par les Wallons, il souligne la qualité de la renaissance littéraire de Wallonie qui se manifeste surtout à Paris. Dans le dixième commandement de son Décalogue, il proclame son intention de fonder la Jeune École française de Wallonie. Il invite tous les intellectuels wallons à y adhérer et à se grouper autour de sa revue, La Sauterelle verte. Celle-ci doit servir à convaincre de l’intérêt de défendre la langue française tant dans la classe bourgeoise que populaire. Dénonçant « l’Âme belge », il déplore la concentration à Bruxelles des revues littéraires et prône le boycott des music-halls prussiens et des gouvernantes allemandes… De cette revue ambitieuse, aucun numéro n’a jamais paru.

Signataire du Manifeste de Fondation du Futurisme, lancé en 1909 par Marinetti, créateur de l’École paroxyste, Henry Maassen écrit, en 1911, quelques lignes que Jules Destrée, l’éveilleur de la conscience wallonne, n’aurait pas reniées.

Sources

La Meuse, 26 août 1910, 7 septembre 1910 et 5 janvier 1911
Le Quotidien, 12 juin 1915 (contenant la citation de J. Flament, directeur du Cri de Liège)
La Vie wallonne, I, 1974, n°345, p. 5-28
Victor MARTIN-SCHMETS, Maassen Henry, thèse de doctorat, Toulouse, 1969
Victor MARTIN-SCHMETS, Henry Maassen, la sauterelle verte et le Houx, dans Aspects de la littérature française de Belgique, dans La Licorne, publication de l’Université de Poitiers, 1986, n°12, p. 149-158
Victor MARTIN-SCHMETS, dans Robert FRICKX et Raymond TROUSSON, Lettres françaises de Belgique. Dictionnaire des œuvres, t. II, La poésie, Paris-Gembloux, Duculot, 1988, p. 315

© Portrait de René Lyr par James Ensor

Lyr, né René Vanderhaegen René

Culture, Poésie, Militantisme wallon

Couvin 15/11/1887, Uccle 8/10/1957

Originaire, par sa famille, de la région de Valenciennes via la commune de Hastière où son trisaïeul trouva refuge en 1789, René Vanderhaegen fait ses humanités à Chimay. Son père, instituteur en chef à Couvin, n’apprécie pas sa vocation littéraire ni d’ailleurs ses idées socialistes voire anarchistes. En dépit des espérances familiales, l’adolescent s’émancipe. Installé à Bruxelles, dès 1905, il dispense des cours de français aux étudiants étrangers qui fréquentent l’Université libre de Bruxelles, il taquine la muse et, au contact des écrivains de son temps – il côtoie notamment Destrée, Mockel et Desombiaux –, s’adonne à la poésie. Pour ne pas causer trop de déplaisir à ses parents, il signe ses premiers écrits de divers pseudonymes ; lorsque ses textes sont réunis en un même recueil de vers, Chant du rêve (1908), Paul Bay, par plaisanterie, propose comme signature La Lyre. Avant l’édition, La Lyre se transforme en René Lyr, signature de tous ses recueils, parus surtout après la Seconde Guerre mondiale, dont Le livre enfin le tien (1949), Fleurs de mon jardin (1957), Provence (1957), Mythologie (1957), etc.

Intéressé par l’activité des artistes wallons, en particulier des musiciens, il se penche sur leur histoire et contribue à leur promotion, écrivant des articles et des livres, tout en étant actif au sein de la Société des Amis de l’Art wallon, ainsi qu’à la Fédération des Artistes wallons. En 1911, René Lyr écrit les paroles et la musique d’un Chant des Wallons, orchestré par Jean Noté et Paul Gilson ; il est primé au concours du Cercle verviétois de Bruxelles, mais ne sera pas retenu par la postérité, même si l’Assemblée wallonne promeut cette œuvre au début des années 1920.

Enseignant avant la Grande Guerre, il exerce cette activité lorsqu’il est réfugié en Gironde de 1914 à 1918. Après l’Armistice, il est à la fois musicologue, critique d’art, journaliste, puis directeur des services d’information et de propagande des Expositions universelles de Bruxelles (1935), Paris (1937) et New York (1939, pavillon belge). En 1939, il est encore directeur des services de presse et de propagande, ainsi que conseiller technique des Fêtes et de la Musique, lors de l’Exposition internationale de l’Eau, qui se tient à Liège. Après la Libération, ce Wallon de Bruxelles est nommé à la tête du Musée instrumental du Conservatoire de Bruxelles (1946-1957). Compositeur de ballets et d’opéras, il est aussi conseiller artistique auprès de l’Office national du Tourisme.

Représentant de l’arrondissement de Bruxelles à l’Assemblée wallonne de 1919 à 1940, secrétaire général des Amitiés françaises (1921), René Lyr milite en faveur d’une Grande Belgique au lendemain de la Grande Guerre. Celui qui avait contribué à l’aide aux prisonniers entre 1914 et 1918 entre en résistance quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Secrétaire national du Front de l’Indépendance pendant quatre années, résistant par la presse clandestine, il préside aussi Wallonie indépendante, mouvement créé en 1944. Défenseur de la thèse fédéraliste lors du Congrès national wallon de Liège (20 et 21 octobre 1945), il est membre du Comité permanent du Congrès national wallon de 1947 à 1957, année de sa disparition. Co-fondateur de L’Alliance française en Belgique, dont il est élu président en 1945, il siège à son Conseil général à Paris.

Si l’on cherche davantage d’informations biographiques au sujet de René Lyr, il convient de lire attentivement ses très nombreux écrits ; il y laisse régulièrement filtrer des informations autobiographiques, même si une part importante de son œuvre est constituée de biographies consacrées à ses amis artistes. Entre 1949 et 1957, il publie annuellement des recueils de poèmes dont la qualité est reconnue. L’Académie française lui décerne le Prix Verlaine, pour La Présence intérieure, en 1957, quelque temps avant son dernier voyage.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 1051-1052
La Vie wallonne, 15 février 1939, CCXXII, p. 133-139 ; 1958, n°281, p. 73-74
https://maisondelapoesie.be/poetes-list/lyr-rene/ 

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Albert Lovegnée né Albert Van Helelrijck

Culture, Littérature, Militantisme wallon

Huy 19/04/1916, Seraing 23/10/1993

Connu en littérature sous le nom d’Albert Lovegnée, Albert Van Hemelryck a produit une œuvre abondante de poète, de prosateur, d’érudit. Grand Prix du Prince de Monaco pour son œuvre française, il a été le gardien reconnu de la vieille langue liégeoise dont il connaissait parfaitement le lexique et dans laquelle se coulait l’inspiration la plus intime de ses poèmes. Auteur prolixe et pourtant méconnu, cet ouvrier fut par ailleurs un militant wallon actif.

Issu d’un milieu aisé – son père tient un commerce florissant à Huy –, Albert Van Hemelryck étudie à l’Athénée et accomplit son service militaire dans sa ville natale (1936). Mobilisé en mai 1940, il tente de rejoindre l’Angleterre avant de se retrouver en Normandie où il vit quelque temps dans une ferme. De retour en Wallonie, il rencontre, dans la Résistance, Dieudonné Boverie qui sera un fidèle compagnon tout au long de son existence. Résistant dans la région de Huy-Waremme, il se cache à Liège pendant un an et partage son refuge avec un professeur français de Philologie classique qui lui donne le goût des langues anciennes. Déjà auteur de quelques écrits de jeunesse qui sont détruits dans l’incendie de sa maison à la Libération, Albert Van Hemelryck deviendra progressivement un écrivain et un poète qui emploiera tout aussi bien la langue wallonne que la langue française, sous le pseudonyme d’Albert Lovegnée.

Exerçant le métier de pontier aux fours à chaux à l’Espérance Longdoz de 1949 à 1973, il trouve un rythme d’écriture dans cet emploi exigeant qui lui accorde une heure de repos toutes les deux heures. Durant les cinq dernières années de sa carrière professionnelle, il sera chargé de la conservation des archives du Musée du Fer et du Charbon, qui dépend alors de la société Cockerill.

L’Héritier du Sable le révèle en 1962 mais c’est surtout L’oratorio vermeil, publié en 1969 sous les auspices du Centre culturel wallon, qui reçoit les éloges de la critique. Robert Goffin préface cette œuvre considérée comme une magnifique préface à la libération de la Wallonie. Grand Prix du Prince de Monaco pour son œuvre française, il reçoit le Prix biennal de littérature wallonne de la ville de Liège pour L’Ogive du plus haut Sang (1974) et pour son œuvre en wallon, dont il assure d’ailleurs souvent lui-même la traduction française. Gardien de « la vieille langue liégeoise », Albert Lovegnée publie, à partir de 1978, une quinzaine de recueils dans la collection de la « Défense et l’Illustration de la Langue du Pays de Liège » (DILPL), dont le premier s’intitule L’Heure des loups.

Interpellé par l’aspect politique de la question wallonne, Albert Van Hemelryck participe à la Grande Grève de l’hiver ‘60-’61, et adhère au Mouvement populaire wallon. Habitant Flémalle-Haute, il entre en contact avec André Cools avant de rompre brutalement avec le Parti socialiste belge lorsque les communes fouronnaises sont déplacées dans la province du Limbourg. Par l’intermédiaire de Victor Van Michel, il s’affilie alors au Parti d’Unité wallonne et plaide définitivement en faveur de l’indépendance d’une république wallonne. Président de la régionale de Liège du Front wallon (1964), responsable des sections d’entreprise de la fédération liégeoise, membre-fondateur de la société Renaissance wallonne (décembre 1964), il renonce à se présenter à Liège, en mai 1965, laissant le terrain politique au seul Parti wallon des Travailleurs de François Perin. Par contre, il emmène une liste sénatoriale dans l’arrondissement de Tournai-Ath-Mouscron… au nom du Rassemblement pour la Défense des Libertés démocratiques. Chroniqueur littéraire du journal Forces wallonnes, vice-président de la Société des Amis de l’Art en Wallonie, co-fondateur du Rassemblement wallon (1968), co-fondateur, avec Jacques Rogissart, du journal La Cognée, au ton poétique et effervescent (1969-1974), celui qui signe des pseudonymes « Lancelot de Javel » ou « plume au vent » et « Albert Lovegnée » apporte aussi des articles à Wallonie libre, prend part à des conférences et tient des meetings. Prix de Wallonie libre 1985, Albert Lovegnée est encore membre de l’Union wallonne des Écrivains et des Artistes. C’est là qu’il publie des études consacrées à Louis Hamal (1978), à Olbert de Leernes (1979), à Renier de Huy. Le père des plus beaux fonts du monde (1981), à Godefroid de Huy (1985) et au Wallon Rogier del Pasture (1986). Il est encore l’auteur d’une étude sur la Sidérurgie et les Wallons au XVIe siècle (Musin, 1977) et sur Le Wallon Guillaume Dufay (Institut Jules Destrée, 1980).

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. III, p. 1590-1591

© Autoportrait réalisé en 1970

Lizène Jacques

Culture

Ougrée 05/11/1946, Liège 30/09/2021

Représentant de l’art nul et artiste de la médiocrité, chantre de l’autodérision, auto-proclamé « Petit maître Liégeois du XXe siècle », représentant d’une avant-garde radicale et persiffleuse, Jacques Lizène ne cache pas vouloir faire de l’art pour agacer, par subversion, par dérision, par plaisir. 

Aux antipodes de la mode, de la norme, des canons esthétiques et de ce qui doit plaire, il use de tous les objets, de toutes les matières, de tous les supports et de toutes les techniques pour provoquer un art alternatif et antisystème. Derrière le sourire apparent, le questionnement permanent porte sur la société, le sens de l’existence, le vrai le faux, le laid le beau. Déjà, en 1969, le titre de l’une de ses premières expositions, inaugurant la galerie Yellow Now, s’intitulait : « Il faut abolir l’idée du jugement ».

Amateur d’art ayant décidé d’être collectionneur au début des années 1960, Jacques Lizène veut devenir artiste, mais constate avec effroi qu’il est arrivé fort tardivement sur un marché où la concurrence est rude : Léonard de Vinci, Picasso, Magritte et bien d’autres l’ont précédé. Néanmoins, celui qui a quand même suivi des cours à l’Académie de Liège (diplômé en 1967 et premier prix de peinture murale) décide de se lancer et de créer tour à tour l’Art d’attitude, puis l’Art Stupide. Au début des années 1970, il est d’ailleurs le seul fondateur de l’Institut de l’Art Stupide, dont il est resté le membre unique, malgré le nombre considérable de projets que se propose de mener l’artiste en 1971, ainsi qu’en témoigne son autobiographie (Lizène, p. 20-28). 

Artiste de la médiocrité autoproclamée et auto-recherchée, il est aussi son propre historien de l’art ; c’est d’ailleurs ce dernier qui lui décerne le titre de « Petit maître Liégeois du XXe siècle, artiste de la médiocrité et de la sans importance » (1971). Malgré un plaidoyer totalement désintéressé de l’impétrant, les éditions Larousse resteront sourdes à l’introduction de cette « célébrité » dans leur dictionnaire (1994).

Peu soucieux – officiellement – d’une reconnaissance qui ne l’intéresse que mollement, Jacques Lizène revendique sa médiocrité depuis 1964 (L’Art syncrétique et les Petits dessins médiocres). Exposé à plusieurs reprises par l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie dans les années 1960 parmi les jeunes artistes de Wallonie, il poursuit sa quête personnelle dans trois projets des années 1970 ; ainsi, Morcellements de cimaises et objets tombants et donnant l’impression d’entrer dans le sol (1970), organisé dans les salles de l’APIAW, fait l’effet d’une bombe, dont les secousses se ressentent encore dans Sculptures génétiques (1971) et Lotissement de cimaise (1975).

Animateur du Cirque Divers, il y ajoute une certaine gaieté dès ses débuts, vers 1977, et contribue à faire du Cirque « le grand jardinier du paradoxe et du mensonge universel ». S’il s’éloigne très vite de la petite équipe des fondateurs, il revient souvent sur scène, car il est aussi « chanteur médiocre » et ce, malheureusement, depuis plusieurs années. Il en a pris conscience au début des années 1970 et il cultive cette facette de sa personnalité, elle aussi dépourvue de talent ; en témoignent plusieurs dizaines de compositions, qu’il interprète volontiers dans son Minable Music-Hall, sur les routes de Wallonie et de France, avant de passer sur les ondes de la RTBf dans la célèbre émission Radio Titanic de Jacques Delcuvelerie.

« Auteur » de Rupture (1970) – une vasectomie volontaire conçue comme une création artistique interne, qui transforme son corps en œuvre d’art –, il atteint le sommet de son art, avec l’aide de comparses, lors de sa dernière grande installation au milieu des années 1970, malgré une année 1976 difficile (Lizène, p. 36). Ce pataphysicien, disciple de Jarry, produit ensuite une succession de re-remakes d’un niveau jamais égalé, car jamais revendiqué, revisitant sans cesse ses peintures à la matière fécale, ses sculptures génétiques, ou ses tribulations photographiques ou vidéo. En 2003, invité à apporter sa contribution à l’année Simenon, il crée une pipe géante, pleine d’originalité, mais qui est censurée.
Plus d’une quarantaine d’expositions sont aussi montées, en Wallonie comme à l’étranger, Lizène étant accueilli aussi bien au Centre Pompidou qu’au Musée national de Szczecin (Pologne), au Muhka d’Anvers ou à Venise. En mai 2016, lors de l’ouverture du Musée de la Boverie rénové et désormais consacré aux Beaux-Arts de Liège, une œuvre de Lizène trouvera paradoxalement place dans la Rotonde. Mais s’agit-il d’un paradoxe ?

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Jacques Lizène. Petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle, artiste de la médiocrité, Atelier 540, 1991, t. II
Nancy DELHALLE, Jacques DUBOIS (dir.), Jean-Marie KLINKENBERG (coll.), Le tournant des années 1970. Liège en effervescence, Liège, Impressions nouvelles, 2010
Marta LISOK, Jean-Michel BOTQUIN, Guy SCARPETTA, Jacques Lizène. Remakes, Galeria Sztuki Katowicach, Atelier 340 et L’Usine à Stars, Galerie Nadja Vilenne, 2011
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 225-226
Jacques PARISSE, Situation critique. Mémoires d'un critique d'art de province, Liège, Adamm éd., 2000, p. 202-205
http://www.rfi.fr/europe/20111206-jacques-lizene-art-nul-mediocre-attitude-belgique-humour-inventeur-centre-pompidou-metz-passage-retz-desastre (s.v. mai 2016)

Libert Marie-Anne

Culture, Botanique

Malmedy 07/04/1782 (baptême), Malmedy 13/01/1865

À une époque où l’émancipation de la femme n’en était encore qu’à ses balbutiements, Marie-Anne Libert a été une botaniste éminente, que ses travaux et ses découvertes ont fait sortir de l’ombre de son mari, le médecin verviétois Simon Lejeune. En 1862, cette Malmédienne était admise comme membre honoraire de la toute jeune Société royale de Botanique de Belgique.

Marchand tanneur à Malmedy, bourgmestre en 1786, Henri-Joseph Libert (1731-1808) voulait pour sa fille, avant-dernière de douze enfants, une parfaite éducation. Des cours d’allemand et de musique lui sont prodigués à Prüm où elle séjourne en pensionnat et où elle découvre surtout les mathématiques et la géométrie. Dès son retour à Malmedy, sa ville natale, alors municipalité française, la jeune fille se passionne de surcroît pour la botanique. 

Autodidacte, elle compare la flore de son environnement immédiat avec des livres anciens. Se familiarisant avec la langue latine, conseillée par un jeune médecin de Verviers, le docteur Simon Lejeune qui deviendra son mari, elle acquiert rapidement une très grande connaissance de la végétation variée des Hautes Fagnes. Elle apporte ainsi une aide majeure à Simon Lejeune qui, en 1806, a été chargé, par le préfet du département de l’Ourthe, d’établir le descriptif complet du règne végétal de la circonscription. Publié en 1811-1813, La Flore des environs de Spa de Lejeune contient de nombreuses informations collectées par Marie-Anne Libert.

À l’époque, les botanistes classent les espèces végétales selon deux grandes catégories : celles dont les organes reproducteurs sont visibles (les phanérogames) et celles où ils sont cachés. Ayant fait le tour de la première catégorie, la jeune femme entreprend d’identifier les plantes cryptogames, abondantes dans sa région. Ses importantes découvertes alimentent les quatre fascicules de la collection de Plantae Cryptogamicae quas in Arduenna collegit M-A Libert où apparaît son patronyme. D’autres études paraissent, dans le même temps, auprès de plusieurs sociétés savantes de l’époque, et assoient une réputation qui déborde largement les frontières de la Prusse. Sa description détaillée du champignon responsable de la maladie de la pomme de terre retient particulièrement l’attention. Elle est en effet l’une des premières à identifier la responsabilité du mildiou, dans un mémoire publié en 1845 ; en 1876, le mycologue allemand Anton de Bary en fera la démonstration, tout en renommant le champignon Phytophthora infestans. Pionnière des végétaux cryptogamiques en pays wallon, entretenant une correspondance avec de nombreux savants de son temps, Marie-Anne Libert s’intéresse aussi au règne animal et à l’histoire.

Née dans un village faisant encore partie de la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy et devenue citoyenne de Prusse, Marie-Anne Libert se penchera sur le passé de la principauté de Liège, sur celui de la Wallonie malmédienne, et écrira quelques articles d’histoire et d’archéologie, avec moins de réussite cependant qu’en botanique.

Sources

La Vie wallonne, IV, 1964, n°308, p. 263-264 ; III, 1965, n°311, p. 203-206
André LAWALRÉE, J. LAMBINON, F. DEMARET et consorts, Marie-Anne Libert (1782-1865). Biographie, généalogie, bibliographie, (préface de R. BOUILLENNE), Liège, 1965
Catherine JACQUES, dans Dictionnaire des femmes belges, Bruxelles, Racine, 2006, p. 375-376
François CRÉPIN, dans Biographie nationale, t. 12, col. 91-94
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot – Malmedy – Saint-Vith, Malmedy, 1980, t. 44, p. 80-81
Maurice LANG, Libertiana. Des Libert liégeois à Malmedy. Mélanges offerts à l’occasion du centenaire Marie-Anne Libert aux membres de Malmedy-Folklore et aux souscripteurs des Tablettes d’Ardenne et Eifel, Malmedy, Famille et Terroir, 1985

Lefrancq Marcel-G.

Culture, Photographie

Mons 09/10/1916, Vaudignies Chièvres 15/11/1974

Surnommé le « Man Ray du Hainaut » par certains critiques, Marcel-G. Lefrancq est un photographe autodidacte qui a poursuivi une expérience artistique tout à fait singulière, proposant tantôt des compositions et photomontages surréalistes, tantôt des portraits de qualité et des instantanés poétiques de Mons. Après avoir participé à l’expérience du Groupe surréaliste du Hainaut, il participe à l’aventure Cobra. Par ailleurs, passionné d’art et d’archéologie, il apporte une forte contribution à la préservation des monuments et œuvres d’art du Hainaut ; poète, il laisse une œuvre moins connue et quelques textes en wallon sont publiés dans la revue No Catiau.

Passionné très jeune par la photographie, Marcel Lefrancq est un autodidacte dont les tout premiers clichés datent de 1932, moment où il est encore étudiant à l’Athénée de Mons. Trouvant ses sujets dans son environnement immédiat (la famille, les fêtes populaires, les rues de Mons, etc.), il pratique rapidement l’art de la contre-plongée et du contre-jour qui caractériseront définitivement son style. Inspirées par le modernisme architectural de l’Exposition universelle de Bruxelles, des photographies de 1935 en témoignent ; à ce moment, il achève ses études d’ingénieur commercial à l’Institut Warocqué à Mons. Sans doute influencé par le groupe Rupture auquel il adhère à la même époque, il alterne le photomontage et le collage, avec la captation d’impressions insolites dans le quotidien des rues de Mons. Quand le groupe Rupture implose, Lefrancq, proche du poète Dumont, poursuit sa route au sein du Groupe surréaliste de Hainaut, tout en collaborant à la revue L’invention collective de René Magritte et Raoul Ubac (1940). Alors que les bruits de canons tonnent à l’horizon (1939), Marcel Lefrancq adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et, dans le même temps, il est engagé par l’IRPA, l’Institut royal du Patrimoine artistique, afin de dresser un inventaire photographique des œuvres d’art du pays.

Résistant durant la Seconde Guerre mondiale, il est arrêté pendant six semaines en raison d’une dénonciation anonyme (1943) et, en septembre 1944, il se joint comme interprète volontaire aux troupes américaines. Renouant avec les surréalistes hennuyers une fois la paix revenue, Marcel-G. Lefrancq ouvre son propre studio photographique à Mons, à l’enseigne de La Lanterne magique. Orphelin des surréalistes du Hainaut (le groupe est dissous en 1946), il participe à l’émergence du groupe Haute Nuit (1947), avec Achille Chavée, Armand Simon et Louis Van de Spiegele notamment ; c’est à ce moment que le poète publie Aux mains de la Lumière. Images et poèmes (1948), seul recueil édité de son vivant.

Cherchant à la fois à unir les surréalistes « belges » et à affirmer le caractère révolutionnaire du surréalisme, il se rapproche de Christian Dotremont (1949), et lie son groupe à l’expérience Cobra (1949-1952). Comme en témoignent plusieurs manifestes dont il est le signataire ou rédacteur, la démarche artistique de Marcel-G. Lefrancq (le « -G. » ajouté à son prénom constitue son nom d’artiste) est résolument un engagement politique. Son œuvre s’expose, seule ou collectivement, ou illustre les textes de ses amis poètes et écrivains. Présent à l’exposition L’Apport wallon au surréalisme (organisée par l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, à Liège, en 1955, durant le deuxième Congrès culturel wallon), Marcel-G. Lefrancq n’exposera plus pendant une douzaine d’années, avant qu’une série de manifestations rétrospectives sur le surréalisme, au tournant des années 1960 et 1970, ne remettent en lumière ses créations.

Passionné de préhistoire, fouilleur lui-même (notamment à Spiennes), Lefrancq a été l’un des fondateurs de l’Association des Amis du Musée de la Préhistoire de Mons (1953), fut adjoint à la présidence de la Société préhistorique du Hainaut. En 1970, il apporte une forte contribution à la réussite de l’exposition L’art naïf en Hainaut et, en 1973, à L’archéologie de la région de Mons.

Sources

Émile POUMON, dans La Vie wallonne, I, 1975, n°349, p. 40
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. III, p. 294 ; t. IV, p. 172
Georges VERCHEVAL, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
Léon KOENIG, Marcel HAVRENNE (dir.), L’Apport wallon au surréalisme : peinture, poésie [exposition] Liège, Musée des Beaux-Arts, 13 octobre - 12 novembre 1955, exposition organisée par la Commission des Beaux-Arts de l’Association pour le progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, Liège, 1955
Aliénor DEBROCQ, « Les développements de l’œil ». De la photographie surréaliste à la photographie Cobra, dans L’image comme stratégie : des usages du médium photographique dans le surréalisme. Colloque, Paris, 2009, 
Marcel G. Lefrancq Palais des Beaux-Arts, Charleroi, 1982, Mons, 1982
Xavier CANONNE (dir.), Marcel Lefrancq (1916-1974) : aux mains de la lumière, Charleroi, Musée de la Photographie, 2003
Xavier CANONNE, Marcel-G. Lefrancq. Le surréalisme du quotidien. Musée national d’Art de Roumanie, Bucarest, 2014, http://www.wbi.be/fr/events/event/marcel-g-lefrancq-surrealisme-du-quotidien-bucarest#.Vt1FrfnhA4Q

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Le Ray Adolphe

Culture, Lettres wallonnes

Hollain (Antoing) 10/04/1810, Tournai 13/12/1885

Même s’il écrit en wallon picard, l’auteur des Cheonq clotiers a fait connaître son œuvre maîtresse aux quatre coins de la Wallonie, où chacun apprécie les paroles de cette chanson, interprétée sur un vieil air breton et écrite en 1838, soit bien avant Les Tournaisiens sont là (1860) d’Adolphe Demée. Mais derrière le chansonnier, il y a surtout une forte personnalité qui n’hésite pas à donner une forme concrète à ses idéaux politiques.

Natif d’Antoing, Adolphe Le Ray est en fait le fils d’un teinturier qui a quitté Rennes pour établir son industrie dans l’ouest du pays wallon. Après Hollain, c’est finalement à Tournai que s’établit cette famille aux origines bretonnes, en 1826. Membre d’une compagnie de garde communale, le jeune Le Ray compose ses premières chansons dès 1830, et ravit un large public en 1838, avec ses Cheonq clotiers, succès confirmé en 1840 avec son Jésus passant par Tournai. Alors que la littérature dialectale wallonne n’a pas encore véritablement éclos, les chansons d’Adolphe Le Ray constituent un phénomène étonnant ; rapidement adoptée comme l’hymne du Tournaisis, Les Cheonq clotiers raconte le départ difficile pour Paris d’un teinturier qui veut trouver fortune dans la capitale française ; sa déchirure par rapport aux cinq clochers tournaisiens est d’autant plus tenace que ceux de Notre-Dame lui rappellent sans cesse un pays, où il s’en retourne finalement, pour ne plus le quitter, y retrouvant ses amis, de la bonne bière et les cinq clochers.

Cette historiette ne ressemble en rien au parcours personnel d’Adolphe Le Ray. À Paris, où, il est vrai, il s’est rendu, il a fréquenté les jeunes milieux socialistes et il s’est reconnu dans les idées de Fourier et de Victor Considérant. Après avoir manifesté contre Louis-Napoléon Bonaparte (juin 1849), Considérant n’évite l’arrestation qu’en se réfugiant en Belgique. De là, il nourrit le projet de créer un phalanstère au Texas et il est rejoint dans son aventure par Adolphe Le Ray. Le teinturier abandonne ses affaires, pourtant prospères, pour prendre part à l’expédition (1852). L’expérience du phalanstère de la Réunion tourne cependant au désastre et Le Ray se retrouve tout seul au milieu des Amériques, à pratiquer n’importe quel métier pour subsister. À la Nouvelle-Orléans, il parvient à se refaire une situation comme teinturier, de quoi lui permettre de réunir les fonds pour son retour à Tournai (1857). Complètement ruiné, il y relance une activité de teinturerie, en intégrant les procédés nouveaux qu’il a appris aux États-Unis.

En dépit de ses désillusions politiques, il se laisse convaincre par ses amis du parti libéral tournaisien de se présenter comme candidat au scrutin municipal de 1863. Après ballotage, il crée la surprise et entre au conseil communal, en même temps que Léopold Fontaine. Il ne sollicite pas sa reconduction en 1869 à la grande satisfaction du parti catholique qui ne voyait en lui qu’un chansonnier licencieux. C’est pourtant à lui qu’avait été confiée la cantate de la Princesse d’Espinoy, interprétée en 1863, lors de l’inauguration de la statue de Christine de Lalaing, sur la Grand-Place de Tournai. Membre de la Société des orphéonistes, Le Ray a renoué avec les rimes en français comme en wallon picard, sans se soucier de publier ses chansons. Seuls ses amis s’occupèrent de réunir en deux recueils les productions en dialecte de Tournai de ce fils de Breton, « pionnier » du socialisme français et de la chanson wallonne.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
L’Indépendance belge, 17 décembre 1885 ; Le Courrier de l’Escaut et Journal de Charleroi, 21 mars 1851
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 154-162
Gaston LEFEBVRE, Biographies tournaisiennes des XIXe et XXe siècles, Tournai, Archéologie industrielle de Tournai, 1990, p. 169-170
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. II, p. 471

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Jean d'Ardenne né Léon Dommartin

Culture, Journalisme

Spa 11/09/1839, Paris 23/08/1919

Journaliste, considéré comme l’un des tout premiers correspondants de guerre de l’histoire, Léon Dommartin est principalement connu sous son pseudonyme de Jean d’Ardenne qui renseigne d’emblée de son intérêt pour la nature du pays wallon. Auteur de plusieurs guides touristiques à grand succès, il était un ardent défenseur des monuments, des paysages et des sites à une époque où la Révolution industrielle commençait à transformer drastiquement la Wallonie, et avant que la Première Guerre mondiale n’ajoute sa quote-part.

Durant ses études au Collège de Herve (1852-1858), Léon Dommartin développe à la fois le goût de l’écriture et celui de la nature. S’il œuvre un temps dans la libraire familiale Au point du jour, installée à Spa, sa ville natale, il s’oriente ensuite vers le journalisme. Fondateur du journal satirique Le Bilboquet qui ne vit que quelques mois (1864-1865), et où il défend Baudelaire, Dommartin prend ensuite ses quartiers à Paris, où il entame sa carrière dans un petit journal intitulé Gazette des étrangers. Avec le marquis Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, il fonde en 1867 une publication hebdomadaire, La Revue des Lettres et des Arts à l’existence elle aussi éphémère et où il est chroniqueur musical. C’est à partir de ce moment qu’il transforme progressivement un amour romantique de la nature en un engagement que l’on pourrait qualifier d’écologique. En 1868, il entre au Gaulois et c’est pour ce journal qu’il suit avec attention la Guerre franco-prussienne de 1870. Il accompagne l’armée de Mac Mahon jusqu’à la débâcle de Sedan et ses reportages en font l’un des tout premiers correspondants de guerre de l’histoire. C’est au cours de ces événements qu’il croise la route de Lemonnier à Bouillon, avant de rentrer à Paris où il est témoin des événements de la Commune. Sa plume défend des idées républicaines et très libérales, pourfend les milieux cléricaux et conformistes, en maniant volontiers l’ironie. En 1870, sa sympathie va manifestement au peuple parisien.

Critique littéraire de Paris-Journal entre 1871 et 1874, il prend ensuite la direction de Bruxelles, s’installe à Ixelles et entre à la rédaction de la Chronique : il en devient le rédacteur en chef en 1896 et le restera jusqu’en 1914. Il sera aussi nommé bibliothécaire à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Grand voyageur, il parcourt l’Europe comme l’Afrique du Nord ou de l’Ouest, se rend à la mer du Nord ou séjourne en bord de Meuse dans la colonie d’artistes d’Anseremme, avec Rops et ses amis. Il fondera d’ailleurs L’Art libre avec Félicien Rops.

Le nom de plume Jean d’Ardenne, qui lui survivra, trouve son origine dans la publication, en 1881, d’un guide de L’Ardenne qui fera date et connaîtra plusieurs éditions, pour tenir compte de l’évolution des moyens de circulation et de l’évolution de l’offre touristique. Six ans plus tard, ses Notes d’un vagabond (1887) sont également fort appréciées. Ses descriptions des paysages bucoliques de Wallonie sont autant d’invitations au voyage. Le regard qu’il pose sur « son » Ardenne l’entraîne aussi à prendre fait et cause pour sa préservation, plus particulièrement à s’investir dans la défense des arbres, des sites et des maisons présentant un intérêt patrimonial.

Face au développement de l’industrie, il est l’un des premiers à attirer l’attention sur la nécessité de préserver la qualité des paysages. Dans une mesure certaine, il pourrait être qualifié de pionnier de l’écologie : dans ses articles, il dénonce en effet, par exemple, les rectifications des rives de la Haute-Meuse, l’introduction du chemin de fer dans la vallée de la Lesse, l’implantation de papetiers le long de l’Amblève, les pollutions des rivières par l’industrie, l’abattage des arbres pour permettre l’élargissement des routes ou des canaux, etc. En décembre 1891, il fonde la Société nationale pour la Protection des Sites et des Monuments en Belgique que présidera l’industriel Jules Carlier. En 1895, Léon Dommartin est encore parmi les fondateurs du Touring Club de Belgique destiné à faire connaître le pays auprès des visiteurs étrangers. Au moment de l’Exposition universelle de Liège, en 1905, une « Fête des Arbres » en Wallonie est organisée, le 25 juillet (Esneux) ; avec Léon Souguenet, Dommartin contribue à l’organisation de cette première ; à cette occasion, il est d’ailleurs élu à la présidence de la Ligue des Amis des Arbres.

Après sa mort survenue au lendemain de la Grande Guerre, Dommartin inspirera la création de nombreux cercles et associations de défense de la nature, comme l’Association pour la défense de l’Ourthe, Les Amis de l’Ardenne, le Comité de Défense de la Nature, etc.

Sources

Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres. L’Album du Centenaire. 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 14, 38
Joseph MEUNIER, Léon Dommartin, dans La Vie wallonne, mars 1935, CLXXV, p. 179-185 

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Jamar Joseph

Politique

Melin 1845, Gobertange (Melin-Jodoigne) 19/08/1914

Lors de l’invasion allemande d’août 1914, l’envahisseur commet un certain nombre d’exactions à l’encontre des civils dans les villages de Wallonie : incendies, pillages, exécutions sommaires, etc. À de nombreuses reprises, des bourgmestres, représentants les plus proches des habitants, voire des prêtres, sont froidement exécutés. On en dénombre surtout dans les provinces de Liège, Namur et Luxembourg ; dans l’arrondissement de Nivelles, Joseph Jamar est le seul « mayeur » passé par les armes. Son exécution s’est déroulée le 19 août 1914, à Melin, près de Jodoigne.

En cette journée d’août 1914, l’avancée de l’armée allemande n’était guère entravée, dans cette région, un régiment de cavalerie belge en retraite ne mettant guère en difficultés le bataillon de soldats allemands. Pourtant, l’envahisseur fait chercher le bourgmestre de Mélin, par ailleurs exploitant de la ferme des Trois Tilleuls. Aussitôt arrêté, il est aligné devant un mur et laissé pour mort par la soldatesque prussienne. Rien ne justifiait cet acte, ni d’ailleurs de fusiller Joseph Delhasse et Joseph Durinkx, autres citoyens du village, ni d’incendier des maisons. Le bilan était bien lourd pour ce hameau du Brabant wallon victime de la politique de terreur de l’armée allemande.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, L’Avenir, août 2014