Thorn Jean-Baptiste
Révolutions
Remich 17/03/1783, Mons 23/03/1841
En 1832, durant plus de six mois, celui qui est à la fois sénateur et gouverneur de la province de Luxembourg est enlevé et retenu prisonnier dans la forteresse de Luxembourg par des hommes aux ordres du roi Guillaume Ier. Opposant à l’autoritarisme du prince d’Orange, révolutionnaire en 1830, Jean-Baptiste Thorn sera finalement libéré au terme d’un bras de fer diplomatique, à haute valeur symbolique, opposant les Pays-Bas à la Belgique. Nommé gouverneur du Hainaut, Thorn attache son nom notamment à la création de la future Faculté polytechnique du Hainaut.
Natif du duché de Luxembourg, alors composante de Pays-Bas dépendants de la cour impériale de Vienne, Jean-Baptiste Thorn accomplit des études à Trèves et à Luxembourg au temps du régime français. Docteur de l’École de Droit de Paris (1805), il est inscrit comme avocat à Luxembourg lorsque le régime napoléonien s’effondre et que les alliés cherchent dans la société civile des personnalités pour asseoir le régime nouveau. Membre du conseil de Régence de la cité-place forte de Luxembourg (1814-1819) et commissaire de district (1814-1815), Thorn est élu, en 1819, membre de la députation des États, représentant du Luxembourg, alors à la fois division administrative du Royaume-Uni des Pays-Bas, mais aussi territoire relevant de la Confédération germanique.
Connu pour son franc-parler, J-B. Thorn entre en différend avec le gouverneur de sa province et ce dernier s’en ouvre au roi Guillaume Ier. Dès 1825, une modification du règlement relatif à l’élection aux États introduit l’incompatibilité entre le métier d’avocat et l’exercice du mandat de député aux États… Manifestation de l’arbitraire du prince, cette vexation incite davantage encore Thorn à contester le pouvoir central « hollandais ». En 1830, ce Luxembourgeois est l’un des plus actifs artisans de la Révolution qui fait émerger le nouveau royaume de Belgique. Élu au Congrès national en novembre 1830 dans la circonscription d’Esch-sur-Halzette, le député met ses compétences de juriste au service de l’écriture de la Constitution belge, tout en acceptant de prendre la tête du gouvernement provincial luxembourgeois. Il rallie les Luxembourgeois à la Révolution et maintient l’ordre autour de la place forte de Luxembourg toujours gardée par un général prussien et occupée par des centaines de soldats favorables au régime orangiste.
Opposé à l’exclusion perpétuelle des Nassau de tout pouvoir en Belgique, favorable à la candidature de Léopold de Saxe-Cobourg, il était surtout un farouche partisan de la séparation des pouvoirs entre l’État et l’Église, le défenseur des libertés les plus larges et favorable à inscrire dans la Constitution le droit de résistance aux actes illégaux de l’autorité.
Élu par les Luxembourgeois en août 1831, il siège au Sénat jusqu’en 1840. Il s’y montre l’un des plus ardents défenseurs de la « Grande Belgique », refusant toute (rétro)cession des territoires du Limbourg et du Luxembourg. Opposant farouche du Traité des XVIII articles, malgré les menaces et les intimidations qui agitent tout l’ancien duché, le sénateur Thorn est lui-même victime d’un enlèvement dans ses propriétés de Schoenfelz, quand des hommes à la solde de la famille d’Orange le capturent (avril 1832), le retiennent prisonnier dans la forteresse et tentent de l’emmener aux Pays-Bas pour le juger comme criminel d’État. Soutenu par une forte mobilisation de la population et objet de nombreuses discussions au Parlement belge, Thorn est finalement échangé contre un certain Pescatore, arrêté par la Belgique en raison de ses menées orangistes (novembre 1832).
Premier gouverneur de la province de Luxembourg (1830-1834), Thorn est ensuite désigné à la tête du Hainaut pour y succéder à J-A. De Puydt (1834-1841). Il s’agissait dans une certaine mesure d’éloigner « l’ancien otage » d’un territoire qui, en 1839, par l’imposition du Traité des XXIV Articles, était amputé de la Belgique. En plus des réalisations en faveur des pauvres et des malades, le gouverneur contribue à l’entente entre les partis, au développement des lignes de chemin de fer et à celui de l’enseignement, en particulier à la formation d’ingénieurs capables de répondre aux besoins d’une industrie en plein essor, qu’il s’agisse des mines ou de la métallurgie. Ayant instruit le dossier en 1836, Jean-Baptiste Thorn obtient le soutien du Conseil provincial pour la création d’une « École provinciale des Mines du Hainaut ». Les premiers cours sont dispensés, à Mons, dès 1837, et la direction de l’établissement est confiée, notamment, à Théophile Guibal et à Adolphe Devillez. L’École des Mines de Mons était née.
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Charles TERLINDEN, dans Biographie nationale, t. 25, col. 133-139
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut : la Faculté Polytechnique de Mons, 1990, p. 12-15
L’Indépendance belge, 20 avril 1832, 24 et 27 mars 1841, 21 avril 1841
Thomas Charles
Socio-économique, Entreprise
Opont 17/04/1947
Même s’il a quitté l’aventure après quelques années, Charles Thomas restera toujours l’un des deux fondateurs de la société de rénovation puis de construction de maisons « Thomas & Piron », considéré en 2015 comme le n°1 dans la construction de maisons clé sur porte en Wallonie, ainsi qu’au grand-duché de Luxembourg. Maçon indépendant, Charles Thomas ne devait apporter qu’une aide ponctuelle, en 1974, au jeune Louis-Marie Piron qui s’était mis en tête de rénover une maison familiale, sans avoir de grandes connaissances dans le métier. De la bonne entente entre les deux hommes allait naître une SPRL, en février 1976, qui se spécialise dans la rénovation de maisons dans la région de Paliseul. Le carnet de commandes est bien garni et, avec la collaboration de Bernard Piron au début des années 1980, la société prend de l’expansion. En 1988, elle prend même la forme d’une Société anonyme, tout en proposant désormais des maisons clés sur porte. L’aventure entrepreneuriale « Thomas&Piron » était lancée. La petite PME wallonne n’allait plus cesser de grandir.
Pourtant, à ce moment, Charles Thomas renonce à ses parts dans l’actionnariat de T&P, tout en continuant à apporter sa contribution à l’aventure. Chef d’équipe, il est d’abord chargé de la formation des jeunes recrues (1985-1995). Ensuite, il est nommé responsable de la qualité des chantiers (1995-2005), avant de terminer sa carrière au service après-vente (2005-2012). Dans ces deux dernières fonctions, il est l’homme à tout faire, assurant le suivi des éventuels problèmes sur n’importe quel chantier, fini ou en cours.
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse dont Le Soir, 15 septembre 2000, 16 novembre 2006, La Meuse, 16 mai 2013
Thiry Michel
Culture, Lettres wallonnes
Liège 12/01/1814, Liège 25/04/1881
En 1858, une plaquette anonyme interpelle les amateurs érudits de la langue wallonne. En wallon et rimés, un recueil intitulé Caprices wallons présente d’incontestables qualités tant d’écriture que d’observations psychologiques de la vie quotidienne. Identifié, son auteur, Michel Thiry, devient l’un des auteurs les plus primés de la jeune Société liégeoise de Littérature wallonne avec ses tableaux de mœurs dialogués, ses contes facétieux et ses chansons. En 1859 encore, sa satire Ine copène so l’mariège consacre à tout jamais la place de Michel Thiry dans le mouvement dialectal wallon.
Élevé dans un milieu bourgeois aisé, Michel Thiry a bénéficié d’une bonne instruction au cours de ses études au Collège de Liège ; il s’apprêtait à prendre la succession de son père, exploitant d’une brasserie en Outre-Meuse (Liège), quand, subitement, ses parents disparaissent, laissant une activité commerciale qui a fait faillite (1839). Contraint de supporter la charge de cinq frères et sœurs, le jeune homme se fait engager comme manœuvre au service des chemins de fer. En l’occurrence, il est affecté sur le chantier de construction du plan incliné du Haut-Pré, à la sortie de Liège (fin années 1830, début 1840). Gravissant progressivement les échelons, il devient tour à tour surveillant (1838), puis conducteur mécanicien, affecté à la machine du Haut-Pré (1843). Promu dans le comité de direction de la toute nouvelle gare des Guillemins, il devient chef de station (1844), avant d’être nommé inspecteur (1862). Il accepte de poursuivre sa carrière au sein de l’administration des chemins de fer de l’État, mais à condition de rester à Liège ; en 1879, il est nommé directeur de service, en même temps qu’il voit disparaître les câbles qui tiraient les trains sur le Plan incliné. Du fait de sa physionomie évoquant irrésistiblement Napoléon III, le chef de gare Michel Thiry était un personnage très connu des Liégeois au milieu du XIXe siècle, son œuvre en wallon contribuant à sa notoriété.
Ayant observé attentivement ses contemporains au cours de ses diverses expériences de vie, Michel Thiry en tire des portraits subtils dans l’exercice d’écriture en wallon auquel il s’adonne dès les années 1840. Sa peinture des mœurs liégeoises est à la fois une intéressante et instructive immersion dans cette époque et un ravissement littéraire. Ainsi, dans Caprices wallons, le lecteur est baigné dans l’atmosphère de Liège et dans l’ambiance du chemin de fer, une innovation technologique pour l’époque.
Satire dialoguée de 412 vers, traitant le thème du mariage, Ine copenne so l’mariège attire sur « le chef de gare » toute l’attention de la nouvelle Société liégeoise de Littérature wallonne ; la médaille vermeil lui est remise, tandis que sa composition – considérée comme sa meilleure œuvre – sert longtemps de référence aux défenseurs d’une littérature wallonne de qualité. Ine cope di grandiveûs (1860), On voyèdje à conte-coûr (1860) et Li mwert di l’octrwè (1861, qui traite de l’abolition de l’octroi en juillet 1860) témoignent de l’inspiration féconde et très sociale de Michel Thiry. Poète inspiré, il est aussi conteur et, dans On Coirbâ franc Lîgeois (1868), il exprime son amour du sol natal, Liège et le pays wallon. Les prix et récompenses accompagnent pratiquement toutes les compositions de Thiry qui, jusqu’en 1869, séduit une Société liégeoise de Littérature wallonne qui s’est empressée d’en faire un membre titulaire.
Son insatisfaction professionnelle face à l’inertie du système aura des répercussions sur son inspiration littéraire ; il continue à écrire en wallon, mais ne publie plus guère. Plusieurs textes – contes et pièces en wallon, mais aussi un texte en français intitulé Bureaucratie – seront retrouvés après son décès et la Société liégeoise de Littérature wallonne en rassemblera certains dans son Annuaire.
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 225-226
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 75
Maurice PIRON, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie, poètes et prosateurs, Liège (Mardaga), 1979, p. 162-168
La Meuse, 21 février 1894
J-E. DEMARTEAU, Michel Thiry, sa vie et ses travaux, dans Annuaire de la Société liégeoise de Littérature wallonne, Liège, 1884, p. 67-101 et quelques textes inédits, p. 102-121
La Meuse, 28 avril 1881
Tacheny Jules
Sport, Motocyclisme
Mettet 28/04/1907, Floreffe 16/07/1984
Au milieu de l’Entre-deux-Guerres, les sociétés wallonnes de motocyclettes ont une notoriété internationale, grâce notamment aux résultats sportifs enregistrés par une génération exceptionnelle de pilotes de vitesse. Que ce soit sur une Gillet, une FN ou une Saroléa, ils sont quelques-uns à se distinguer sur les rares circuits qui existent alors en Europe : aux côtés des Robert Grégoire, René Milhoux, Noir et autre Pol Demeuter, Jules Tacheny inscrit son nom dans la légende de ce sport particulièrement périlleux.
Après avoir connu l’occupation allemande et la période de reconstruction comme nombre de jeunes enfants wallons de sa génération, Jules Tacheny est attiré par la mécanique automobile et par ces engins motorisés à deux roues alors en plein développement. Une FN 350 sera sa première moto et l’objet des premières expériences du pilote-mécanicien. Dès 1927, il crée un club, l’Union motor Entre Sambre et Meuse, qui, très vite, organise des courses sur des circuits tracés autour de Mettet. Jusqu’en 1937, le Grand Prix de l’Entre-Sambre-et-Meuse aura lieu sur un circuit dont le tracé évolue, comme d’ailleurs le statut du GP devenu international en 1935. Après la Seconde Guerre mondiale, il connaîtra une nouvelle jeunesse, grâce principalement à Jules Tacheny qui donnera son nom à un circuit qui deviendra un espace privé et permanent.
Mais le jeune pilote namurois n’en encore qu’à ses débuts, en 1928, quand il participe à sa première course, avec succès. Remarqué par le staff technique officiel de la FN, il est engagé par l’usine liégeoise. Celle-ci entend briller dans les Grands Prix d’Europe de vitesse pure, en plus des courses d’endurance. Introduit dans cette équipe dès 1931, Jules Tacheny doit apprendre le métier, tout en contribuant à l’amélioration de la fiabilité des moteurs. C’est ainsi qu’en relai avec René Milhoux, il va rouler pendant 12 heures sur le circuit de Montlhéry et y établir la bagatelle de 41 records du monde sur la même journée. La moyenne de 138 km/h au cours de la demi-journée est celui qui impressionne le plus (1931). Prix Fernand Jacobs 1931 du sportif belge le plus méritant, Jules Tacheny pose les premiers jalons de ses succès en Grand Prix 1932 en classant sa FN en 3e position en Allemagne (500cc).
Face aux « anglaises », les Saroléa, Gillet et FN ont fort à faire dans les GP européens. Si Demeuter (FN) remporte un premier succès, à Assen, en 1934, le seul des FN, le prix payé pour égaler les « anglaises » est considérable : après Grégoire (1933), ce sont Noir et Demeuter qui se tuent en course peu de temps après. Au terme de la saison suivante, la FN se retire de la compétition. Ayant couru une année en experts, Jules Tacheny fait de même, fort de plusieurs bouquets remportés en sénior ou dans les nombreuses courses organisées en pays wallon. Il va se consacrer à son commerce, en tant qu’agent officiel FN. En 1937, il fait construire un nouveau garage à l’entrée de Mettet.
Après la Seconde Guerre mondiale, il accepte la présidence de l’Union motor ESM, relance l’organisation du Grand Prix (1947) et reprend la compétition sur une FN d’abord, une Norton ensuite. Entrecoupée de chutes et de convalescence, sa carrière de pilote s’achève définitivement en 1952 ; la direction du circuit de Mettet et l’exploitation de son garage l’occuperont jusqu’à ses derniers jours. Grâce à ses nombreuses relations dans le milieu du sport moteur, le « garagiste » namurois sera représentant officiel pour Austin, Hudson et Jaguar, importateur des motos Norton (1952), Royal Enfield (1956), avant de devenir le premier à importer les japonaises Honda en Belgique et au Luxembourg (1959).
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 167
Gilbert GASPARD, Les Demoiselles de Herstal: la motocyclette liégeoise des origines à 1940, Liège, éd. Vaillant-Carmanne, 1975, p. 128-168
Johnny, Thierry et Freddy TACHENY, L’Épopée moto, Bruxelles, Renaissance du livre, 2008
http://www.jules-tacheny.be/site.php (s.v. mai 2016)
Swennen René
Culture, Littérature, Militantisme wallon
Jemeppe-sur-Meuse 05/01/1942, Liège 31/01/2017
Avocat, romancier, écrivain engagé, René Swennen est un partisan déclaré d’un avenir meilleur pour la Wallonie au sein de la République française. Identifiant une série de symptômes qui conduisent à la fin de la Belgique, il invite ses contemporains à réfléchir sérieusement à leur devenir, de manière autonome ou dans le cadre de la France. Pour sa part, il est partisan du rattachement de la Wallonie à la France, après une négociation juridique entre la Région Wallonie d’une part, la France et l’Union européenne d’autre part.
Docteur en Droit de l’Université de Liège (1965), cet étudiant de la génération d’Antoine Duquesne, Jean-Maurice Dehousse, Urbain Destrée et autre Jean Gol s’inscrit comme avocat au barreau de Liège et arrive à la revendication wallonne par d’autres chemins que ses condisciples, émules, de près ou de loin du professeur François Perin. En 1980, alors que la première phase de la régionalisation a été péniblement acquise, dix ans après l’inscription de l’article 107 quater dans la Constitution, l’avocat publie à Paris un ouvrage politique, Belgique requiem, qui provoque des remous dans l’opinion. Établissant le constat de la dislocation inéluctable de la Belgique, dans un avenir qu’il estime proche, il explique pourquoi il est sérieux de plaider en faveur du rattachement de la Wallonie à la France. En 38 petites histoires, classées alphabétiquement par mots-clés, il dissèque un être étrange, « le Belge, cette anomalie historique qu’a tuée le nationalisme flamand ». Essai politique pour les uns, pamphlet pour les autres, cet opus aura deux suites, en 1999 et 2009, sous-titrées suite et fin ?, dans lesquels l’auteur analyse les situations politiques du moment et confirme son choix, en regrettant le temps perdu en atermoiements et en affaiblissement de la Wallonie.
Quittant l’indépendantisme wallon des années 1970-1980 (Front démocratique wallon, Indépendance-Wallonie et Front pour l’Indépendance de la Wallonie) pour embrasser la cause du rattachement à la France dès 1986, René Swennen est l’un des auteurs et signataires d’un mémorandum du Mouvement wallon pour le retour à la France (1989), texte qui servira de base au Manifeste sur la Wallonie française (avril 1990). Pour défendre ses idées, il se présente régulièrement comme candidat lors des élections régionales et fédérales, depuis les années 1990, notamment sur les listes du Rassemblement-Wallonie-France.
Au-delà des idées politiques qu’il défend, l’ouvrage Belgique requiem vaut par la qualité de son écriture. Il n’est dès lors pas étonnant de retrouver René Swennen parmi les écrivains wallons de la fin du XXe siècle et du début du troisième millénaire. À ses activités d’avocat et de militant rattachiste, René Swennen ajoute en effet une passion pour le roman historique. Entreprenant systématiquement un impressionnant travail de recherche dans le passé, l’écrivain inscrit résolument ses récits dans la grande histoire et veille à ce que ses fictions la transcendent : en témoignent Dom Sébastien, roi du Portugal (1979), Palais-Royal (1983), La Nouvelle Athènes (1985), Les Trois Frères (Grasset, 1987), Le Roman du linceul (Gallimard, 1991), Le Soleil et le Mousquetaire, suivi de La Nuit de la Saint-Nicolas (1999), Cinq nô occidentaux (1999), La Disparition de John (2008), L’Ombre de Palerme (2012). Le Prix Rossel a récompensé Swennen, en 1987, pour ses Trois frères. En 1988, il a reçu le Prix des Quatre Jurys.
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Centre d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement wallon, projet Encyclopédie 2000
https://www.servicedulivre.be/Auteur/swennen-ren%C3%A9
Steinbach Jules
Socio-économique, Entreprise
Malmedy 20/09/1841, Ingenbohl-Brunnen (Suisse) 18/08/1904
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, au cœur de la Wallonie prussienne, une papeterie assure la prospérité de Malmedy et de ses alentours. Plus de 500 personnes y travaillent sous la direction de Jules Steinbach, fils cadet de Henri (1796-1869) et petit-fils de Henri-Joseph (1758-1829), fondateur de la dynastie.
Après avoir bénéficié d’une solide formation chez les Jésuites, Jules Steinbach est associé à la gestion de l’entreprise paternelle, mais ce n’est qu’au décès du patriarche que les trois frères prennent véritablement la mesure de l’importance des activités développées sur les bords de la Warche : ayant acquis en Angleterre une des machines les plus performantes de l’époque, la papeterie Steinbach rivalise en qualité avec les meilleurs sur tous les marchés d’Europe. Avec ses deux frères – Victor (1836-1905), ingénieur des Arts et Manufactures que ses activités conduisent en Lorraine pour s’occuper de l’exploitation des Hauts-fourneaux de Jarville, et Alphonse (1830-1913) rappelé de Liège où il vivait jusqu’alors –, Jules Steinbach prend la direction des affaires familiales et, dès 1873, une société de droit allemand, Steinbach et Cie, est fondée pour consolider les acquis et surtout affronter de nouveaux défis.
Parcourant les routes d’Europe, à l’affut de toutes les innovations introduites dans son secteur d’activité, Jules Steinbach entretient un vaste réseau de contacts avec des techniciens et amplifie la dynamique de modernisation qu’avait lancée son père. Il n’hésite pas à installer de nouvelles machines à Malmedy ; les activités prennent une dimension internationale plus grande encore. Déjà réputée pour la qualité de son papier dessin, la gamme des produits Steinbach s’élargit, dès 1870, à la fabrication de papiers photographiques. Depuis 1844, grâce à la calotypie, il est désormais possible de produire des images sur papier et Henri Steinbach propose déjà des supports papiers adaptés dans les années 1850.
Depuis Berlin, où il est installé en tant que représentant officiel pour la vente des appareils Kodak, Raymond Talbot, originaire de Malmedy, attire l’attention de Jules Steinbach sur la qualité supérieure pour la photographie que présente le papier réalisé à base de chiffons sur les bords de la Warche. Grâce aux conseils de Talbot, Jules Steinbach va tirer profit de cet avantage technique et, avec les progrès de la photographie, la production lancée en 1876 à Malmedy connaît un succès considérable. En 1878, la spécificité technique du papier mis au point par Steinbach est récompensée d’une médaille d’or et d’un diplôme d’honneur à l’Exposition internationale du Papier de Berlin. La success-story de Jules Steinbach ne fait que commencer ; à la fin du siècle, il a adapté ses variétés de papier aux différents procédés utilisés par les émulsionneurs. Par ailleurs, pour asseoir son monopole sur le marché des produits photographiques et contrer une concurrence américaine, la société malmédienne n’hésite pas à s’associer à la société française « Blanchet frères et Kléber » (installée à Rives, dans l’Ysère) : ensemble, elles constituent la GEPACO (pour The General Paper Corporation), dont le siège est fixé à Bruxelles (1898, dissoute en 1934).
Même si l’installation d’une fabrique de cellulose (1882-1897) se solde par un échec, Steinbach ne recule pas devant les risques de l’innovation et des investissements ; en 1889, il rachète les bâtiments d’un concurrent malheureux et, pendant dix ans, y produit du papier albuminé « Enamel », toujours destiné aux reproductions photographiques. Les activités de Steinbach et Cie profitent pleinement tant de la recherche de qualité et d’innovation de son patron que de la position géographique particulière de l’entreprise malmédienne, installée aux frontières de la Prusse et de la Belgique, et surtout au voisinage de régions en pleine expansion. Les Steinbach sont présents aussi bien à Berlin, qu’à Liège ou en Lorraine. Ainsi, Jules Steinbach détient des participations financières diversifiées, étant administrateur dans des sociétés wallonnes et allemandes dans les secteurs du charbonnage et de la métallurgie.
Dans la cité de Malmedy, il occupe aussi de multiples responsabilités ; il succède notamment à son père dans les fonctions de membre du Conseil de la Ville, de conseiller à la Chambre consultative du Commerce, et comme premier député du Cercle, puis comme membre des États du Cercle pour les industriels, puis de la première Diète du Cercle (1888-1904). À ce titre, il se préoccupe de défendre l’usage du français ; il fait notamment partie d’une délégation qui dépose une requête en ce sens, à Berlin, en 1899. Par ailleurs, Jules Steinbach est aussi administrateur de l’orphelinat (1874), avant d’en devenir le directeur gérant (1882-1904), et le vice-président de la Caisse de Secours des ouvriers des Fabriques. On lui attribue d’avoir fait preuve de grandes largesses à l’égard des nombreuses œuvres qui le sollicitent (notamment pour la construction de l’hôpital Saint-Joseph) et, malgré le caractère déjà fort avancé de la législation sociale prussienne, d’avoir instauré un système particulièrement favorable à ses ouvriers (caisse de maladie, pension, etc.).
Témoignages de sa grande fortune, les nombreuses villas qu’il fait construire pour ses filles, l’aménagement du Châtelet, voire la nouvelle rue qu’il fait tracer en 1898 et qui modifie quelque peu la vie du centre-ville de Malmedy au début du XXe siècle. Quant à l’hôtel de maître qu’il y fait construire, il en confie la réalisation au jeune architecte Fritz Maiter en 1899 ; édifice au hall de marbre blanc et à la façade qui oppose briques rouges et pierre blanche, le tout couronné d’un campanile bulbeux, cet ensemble est achevé en septembre 1901. L’industriel Steinbach en fera don à la ville, qui l’utilisera comme hôtel de ville, en imposant sur la façade une inscription latine au fronton (civibus), contrairement à la volonté du Landrat. C’est en villégiature, au bord du lac des Quatre-Cantons, que Jules Steinbach décède en 1904.
Sans doute attirés par les activités de Steinbach, deux industriels verviétois installeront une nouvelle papeterie à l’ouest de Malmedy en 1909. Les deux activités, celle de Steinbach et celle du Pont-de-Warche seront réunies au sein du groupe Intermills.
Sources
Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, Histoire du papier. Sa fabrication. Les papeteries de Malmedy, Malmedy, Association des Historiens belges du Papier, 1988
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-1996, t. 56, p. 33-37
Steinbach Henri-Joseph
Socio-économique, Entreprise
Malmedy 11/03/1758, Malmedy 01/07/1829
À la fin de l’Ancien Régime, quand Malmedy et Stavelot formaient encore une principauté abbatiale, les moines bénédictins de Malmedy étaient à la tête d’une petite entreprise de production de papier et surtout de carton. Certes vouées essentiellement à la vie religieuse, les abbayes – nombreuses en pays wallon – jouent en effet un rôle déterminant dans la vie économique. Au bord de la Warche, la papeterie abbatiale de Malmedy existe depuis 1753. Elle reste la propriété des moines jusqu’en 1795 et l’annexion de la principauté à la France.
Au moment des événements révolutionnaires et surtout de la confiscation, puis de la vente des biens du clergé, un duo de trafiquants liégeois se porte acquéreur des biens des Bénédictins (1797), avant de les revendre, en mai 1801, à trois Malmédiens, dont Henri-Joseph Steinbach. Celui-ci est le fondateur de la dynastie familiale des industriels du papier qui se succèdent à Malmedy tout au long du XIXe siècle.
Les Steinbach sont de longue date installés à Malmedy ; la tannerie est leur activité principale. Le désordre provoqué par les événements révolutionnaires des années 1789-1790 et les passages de troupes qui en résultent conduisent une branche des Steinbach à installer ses activités de fabrication de cuir à Andenne, dans le comté de Namur (1793). L’autre branche, dite Steinbach de la Saulx, reste en bordure de la Warche. Fils d’un ancien bourgmestre de Malmedy, Henri-Joseph Steinbach s’adapte rapidement au régime nouveau et devient d’ailleurs commissaire dès le début du régime français (1795). Spécialisé dans la tannerie, l’entrepreneur a fort à faire avec la concurrence locale. Il élargit par conséquent ses activités avec l’acquisition de la papeterie fondée au XVIIIe siècle par dom André Vecqueray. En 1806, quand il parvient à racheter les parts de ses deux associés, J-F. Darimont et Fr-H. Neuray, il devient le seul propriétaire de la Papeterie Steinbach, ainsi que de l’église abbatiale, des terres et biens dépendant du monastère. Déjà à ce moment, il ne parvient à rencontrer la demande émanant des manufactures verviétoises du textile tant la demande est forte.
Fabriquant des papiers de qualité variée (pour l’écriture, l’emballage des denrées alimentaires, du tabac…) et de carton à lustrer les étoffes de laine et de soie pour l’industrie textile, Henri-Joseph donne l’impulsion aux activités de l’industrie papetière, dont héritera son fils (Nicolas-Henri-Ignace). Son mariage avec Albertine Monique Josèphe de la Saulx lui a permis de sceller une alliance avec une autre importante famille de Malmedy, les Cavens, dont faisait partie le dernier directeur de la papeterie des Bénédictins, dom Henri Cavens.
Sources
Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-96, t. 56, p. 33-37
Anne RENARD, L'industrie de la tannerie à Stavelot et Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1984
Denise NOËL, Contribution à l'histoire religieuse des cantons de Stavelot et de Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1951
Steinbach Henri
Socio-économique, Entreprise
Malmedy 16/03/1796, Malmedy 17/03/1869
Jusqu’en 1795, Malmedy et Stavelot forment une principauté abbatiale, avant de se fondre dans le département de l’Ourthe. Certes voués à la vie religieuse, les moines installés au bord de la Warche ont aussi développé des activités économiques nombreuses – moulin à grain, scierie et surtout papeterie – qu’ils abandonnent précipitamment quand le régime français se met en place. Confisqués et nationalisés, les biens du clergé sont mis en vente un peu partout ; à Malmedy, la papeterie abbatiale est achetée par deux Liégeois (1797) qui s’empressent de faire un bénéfice en revendant les anciennes propriétés des Bénédictins à trois Malmédiens, dont Henri-Joseph Steinbach. Après avoir racheté leurs parts à ses associés (1806), Steinbach, seul maître à bord, est le fondateur de la dynastie familiale des industriels du papier qui se succèdent à Malmedy tout au long du XIXe siècle.
Son fils, Nicolas-Henri-Ignace Steinbach, prend seul la direction de l’entreprise en 1832 et va donner aux affaires familiales un nouvel élan. Dans un premier temps, il poursuit la fabrication de cartons destinés à l’industrie du drap, en l’occurrence du carton poli destiné à presser les étoffes fines, soieries et draperies. La production est fort importante et, après avoir été écoulée sur les marchés de proximité (Verviers, Eupen, Montjoie), est désormais exportée sur tous les marchés d’Europe (Autriche, Russie, Suède, Espagne).
Henri Steinbach continue aussi à vendre des papiers de qualité variée, mais il est conscient de devoir moderniser ses outils de production. Aussi, dans un second temps, il abandonne ses activités traditionnelles pour se spécialiser dans des produits de qualité supérieure : en 1841, il fait l’acquisition, en Angleterre, auprès de la firme The Bryan Donkin Company Ltd, d’une toute nouvelle machine à papier à table plate. Mue par une machine à vapeur, cet outil est capable de fabriquer du papier mince ou renforcé, d’une largeur de 140 cm, en continu. Déjà très performante, la machine anglaise est améliorée dans les ateliers malmédiens et permet à la société Steinbach d’offrir une qualité équivalente aux meilleurs produits venant d’Outre-Manche. C’est à une véritable révolution à laquelle on assiste, l’ère de la fabrication manuelle avec tous ses accessoires étant abandonnée.
D’autres machines suivront et, en peu de temps, à l’intérieur du Zollverein, la papeterie malmédienne est un des leaders du marché. Reconnaissant à l’égard de l’industriel, le gouvernement prussien nomme Henri Steinbach commissaire d’État lors de la première Exposition universelle de Paris, en 1855.
Sur le plan local, s’inscrivant dans la tradition familiale, Henri Steinbach exerce diverses responsabilités importantes. Membre du Conseil de la Ville depuis 1823, bourgmestre-adjoint pendant douze ans à titre honorifique, conseiller de la Chambre consultative du Commerce, il siège à l’Assemblée du Cercle et, en 1855, il succède à son beau-frère, Ernst von Frühbuss, comme premier député des États du Cercle.
Trois filles et trois garçons naîtront du mariage de Henri Steinbach avec Eulalie Cavens. Les trois hommes, Alphonse (1830-1913), Victor-Hubert-Marie (1836-1905) et Jules (1841-1904) resteront actifs dans la papeterie, mais c’est le cadet qui reprendra principalement les activités familiales.
Sources
Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Walter KAEFER, Histoire du papier. Sa fabrication. Les papeteries de Malmedy, Malmedy, Association des Historiens belges du Papier, 1988
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-96, t. 56, p. 33-37
Anne RENARD, L'industrie de la tannerie à Stavelot et Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1984
Servais Jean-Claude
Culture, Bande dessinée
Liège 22/09/1956
Dans un monde de la bande dessinée où les créateurs wallons sont nombreux, Jean-Claude Servais impose un nouvel univers au début des années 1980. La Tchalette (1982), Isabelle (1983) et surtout le personnage de Violette attirent l’attention sur ce jeune dessinateur à la sensibilité régionaliste affirmée. Certes, il inscrit résolument ses personnages dans le cadre privilégié de l’Ardenne, en particulier la Gaume, mais en signant, en 1983, le Manifeste pour la Culture wallonne, il donne un sens politique particulier à sa démarche artistique.
Diplômé de la section des arts graphiques de l’Institut Saint-Luc, à Liège (1976), le jeune Servais se fait très vite remarquer chez Dupuis, obtenant de publier ses premières planches sous le format « Carte blanche » que réserve le journal Spirou aux nouveaux talents. Hésitant entre l’école de Marcinelle et celle de Bruxelles, les débuts sont prometteurs, mais la confirmation tarde à venir. Se refusant d’être le dessinateur d’une seule maison d’édition, il s’attache surtout à Gérard Dewamme, un professeur de français qu’il a rencontré durant son service militaire, et à ses scénarios pour la majorité des albums qui paraissent dans les années 1980 : trois épisodes en noir et blanc de Tendre Violette (Casterman), trois Saisons de la vie (Lombard), ainsi que Les voyages clos (Glénat). Leur route se sépare ensuite. Après une brève expérience avec Julos Beaucarne (L’appel de Madame la Baronne, 1989), Jean-Claude Servais va désormais scénariser lui-même les histoires qu’il dessine, comme c’était déjà le cas, en 1988, avec Almanach album où se mêlent légendes et sorcellerie.
En 1992, Virton lui inspire La Petite Reine (1992) allusion au monde des abeilles, un monde très particulier car les insectes ont un instinct de tueur... Chez Casterman, Servais fera encore paraître dans les années 2000 de nouvelles aventures de Tendre Violette, sans Dewamme, mais avec des couleurs, celles apportées, depuis Fanchon, en 1998, par Raives, pseudonyme d’un Guy Servais qui n’a pas de lien de parenté directe avec Jean-Claude.
Avec Lova (1 et 2, 1992 et 1993), coloré par Émile Jadoul, Jean-Claude Servais retrouve Dupuis, l’éditeur de ses tout débuts, même si l’entreprise s’est profondément transformée depuis son départ de Marcinelle pour Bruxelles, puis Paris. C’est là qu’il fait paraître la série La mémoire des arbres, soit une douzaine d’albums produits entre 1994 et 2004, avec deux rééditions (Isabelle et La Tchalette). Parfois inspirées de faits divers réels, les histoires envoutent le lecteur dans l’univers de Servais, l’Ardenne étant une sorte de personnage récurrent. Au rêve, à l’amour et au fantastique (Iriacynthe, 1982, Pour l’amour de Guenièvre, 1992, Déesse blanche, déesse noire, 2001-2002), Servais oppose souvent des histoires de meurtre et de contrebande.
En dehors de la bande dessinée proprement dite, outre des contributions à des scripts télévisuels fondés sur ses bandes dessinées, il prend plaisir à écrire les scénarios du Labyrinthe de Durbuy 2007 et 2008, ou à scénariser un opéra folk, Champenois, l’Homme des Bois (2008). En 2009, les grottes de Han sont le théâtre d’une pièce féérique dont il écrit la première partie ; en 2011, un spectacle musical, Le Dernier Brame, est présenté au château de Laclaireau et, en 2012, c’est au théâtre que Servais invite à suivre Capiche et Violette. Autour de son dessinateur fétiche, la Gaume crée une série de lieux de mémoire (fresques, lieu d’exposition) qui sont les étapes d’un parcours Servais (communes de Chiny et Florenville).
Séduit par l’évocation romancée du passé et renouant ainsi avec un genre qu’il avait connu en 1977, chez Tintin, quand il prépara deux belles Histoires de l’Oncle Paul jamais publiées, il consacre un diptyque à l’abbaye d’Orval, en 2009-2010, et à Godefroid de Bouillon, en 2012-2013. En 2014, abandonnant pour la première fois la Gaume, J-C. Servais lance son héros sur les traces de son grand-père et l’emmène sur les chemins qui mènent à Saint-Jacques de Compostelle.
En 2018, Jean-Claude Servais a été élevé au rang d’Officier du Mérite wallon.
Sources
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
http://www.jc-servais.be
Servais (magistrat) Jean
Académique, Droit
Huy 25/09/1856, Finnevaux 30/11/1946
Après des humanités classiques à l’Athénée de Bruxelles, un doctorat en Philosophie et Lettres (1874) et un second en Droit (1877) à l’Université libre de Bruxelles, Jean Servais, jeune et brillant avocat auprès de la Cour d’appel de Bruxelles, va mener une double carrière, l’une dans la magistrature, l’autre dans l’enseignement, en marquant durablement l’organisation judiciaire du pays. Conseiller à la Cour de Cassation, procureur général à la Cour d’appel de Bruxelles, il avait été nommé Ministre d’État pour son rôle durant la Première Guerre mondiale et au lendemain de l’Armistice.
Fondateur et directeur, de 1886 à 1890, de la Revue de Droit belge, nommé substitut du procureur général en 1894, ensuite conseiller à la Cour de Cassation, ce jurisconsulte d’origine liégeoise est choisi en 1906, par l’Université libre de Bruxelles, comme professeur extraordinaire. Éminent pénaliste, il est cependant chargé d’enseigner les lois organiques du notariat, avant de se voir confier les « Éléments de l’organisation judiciaire, de la compétence et de la procédure civile » (1907) et d’être nommé professeur ordinaire à l’été 1908. La Grande Guerre le surprend dans une série de travaux scientifiques en matière de droit qu’il interrompt pour se consacrer aux activités du Comité national de Secours et d’Alimentation. Il est un membre actif du Comité provincial de Namur, province dans laquelle il dispose, depuis quelques années, d’une vaste propriété située à Finnevaux.
Contrairement aux structures politiques de la Belgique, l’occupant allemand n’a pas modifié l’organisation judiciaire et les tribunaux poursuivent leurs activités. Partisan d’une ferme résistance aux mesures imposées, Jean Servais n’ignore pas la politique de séparation administrative mise en place par les Allemands, et qui s’accélère durant l’été 1917. À l’instar de parlementaires restés au pays, les magistrats sont alors près de 500 à signer une pétition contre la transformation des institutions belges. Par la Flamenpolitik, l’occupant a suscité la constitution du Raad van Vlaanderen. Sorte de parlement informel de la Flandre, le Raad prend de plus en plus d’autonomie, même par rapport à l’occupant, et proclame l’indépendance de la Flandre (fin 1917). Le 1er février 1918, des affiches collées sur les murs de Bruxelles rendent publique cette proclamation d’indépendance. Parmi les vives réactions que cet événement suscite, on note une démarche de parlementaires restés au pays auprès du procureur général près de la Cour d’Appel de Bruxelles : ils demandent que les chefs activistes soient arrêtés. Éconduits une première fois, ils insistent et suggèrent à la Cour d’Appel de lancer une procédure exceptionnelle, fondée sur un décret impérial du 20 avril 1810. Finalement, le 7 février, à l’unanimité, les membres de la Cour d’Appel de Bruxelles forcent le procureur du roi à se saisir d’une requête engageant des poursuites contre les membres du Raad pour haute trahison. Le lendemain, August Borms et Pieter Tack sont arrêtés, mais leur appel à l’aide de l’occupant les rend à la liberté (9 février). Quatre magistrats bruxellois sont par contre arrêtés, comme le réclame le Raad, dont trois sont déportés en Allemagne. Leurs collègues de la Cour de Cassation, dont Jean Servais qui était parmi les plus déterminés, démissionnent par solidarité, avec le soutien du gouvernement du Havre (15 février). Ensuite, c’est toute la magistrature qui se solidarise et décide de se mettre en chômage, embarrassant sérieusement les services du gouvernorat général, obligé de mettre en place de nouvelles juridictions civiles et pénales, à un moment important du conflit militaire. À von Falkenhausen qui contestait aux tribunaux belges le droit de défendre le pouvoir dépossédé, la Cour de Cassation oppose la thèse de la séparation des pou¬voirs et donc l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique (25 février). Un journal suisse parle alors du « coup d’État de la magistrature belge ».
Un mois à peine après l’Armistice, témoignage de son rôle discret mais décisif dans la résistance à l’occupant, Jean Servais est désigné aux fonctions de procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles avec comme mission de « reconstituer la vie judiciaire sous toutes ses formes, liquider l’arriéré de guerre, faire renaître la discipline dans l’action répressive, châtier les collaborateurs de l’ennemi, promouvoir les réformes de structure indispensables » (BEKAERT). Il est choisi par le ministre Émile Vandervelde, jadis un redoutable adversaire à la Cour d’assises du Brabant. À la manœuvre pendant dix ans, en charge de gros procès pour faits de collaboration, Jean Servais va aussi « instruire » vers le parlement des projets et des réformes qui modèleront l’organisation judiciaire pendant plusieurs générations : outre son influence sur la loi relative à la police judiciaire des parquets (1919) et à la défense sociale des délinquants et des « handicapés » (1930), il inspire notamment l’abrogation de l’article 310 du Code pénal sur le délit de grève. Parallèlement, il succède à Adolphe Prins comme professeur du Droit pénal et de la Procédure pénale à l’Université libre de Bruxelles (1919-1926). Administrateur de l’Université (1925), il la préside en 1928, quand il accède à la retraite dans la magistrature.
Nommé ministre d’État en 1926, président de l’Union belge de Droit pénal (1928-1933), docteur honoris causa de l’Université de Paris (1939), il ajoute un commentaire au Code pénal de Nypels et contribue à l’édition des Codes et lois spéciales les plus usuelles en vigueur en Belgique, dits « Codes Servais-Mechelynck », dont les rééditions actualisées se poursuivent ; sans être exhaustif, il dirige aussi la Revue de droit pénal et de criminologie, et réorganise la Pasicrisie. « L’ensemble de l’œuvre de Jean Servais trahit un sens avisé des réalités, qui préfigure ce que devrait être aujourd’hui la position du ministère public dans la société » (BEKAERT).
Bien que retraité de ses principales fonctions depuis 1933, ce libéral ouvert à toutes les opinions demeure une personnalité écoutée et respectée. Dans les années 1930, fort de son expérience de 14-18, il contribue à définir, au sein de la « Commission permanente de la mobilisation de la nation », l’attitude de toutes les administrations en cas de nouvelle occupation étrangère. Durant la seconde occupation allemande, le Ministre d’État reste fidèle à Léopold III et, au sortir de la guerre, dans la délicate Question royale, le roi empêché de reprendre ses fonctions demande que soit confiée à Jean Servais la présidence de la Commission chargée d’enquêter sur la conduite royale depuis 1936. Rendant notamment publique la note Pierlot sur la période 40-45, le Commission n’apportera pas d’apaisement dans la crise royale. Ce sera cependant la dernière mission de Jean Servais.
Sources
Léon CORNIL, « Éloge de Jean Servais », dans Journal des Tribunaux, 1946, p. 621-622
Hermann BEKAERT, dans Biographie nationale, t. 33, col. 646-650
Finnvaux, le milieu villageois, dans http://www.finnevaux.be/histoire_01.php (s.v. mai 2016)
Mélanie BOST, Un exercice discret de purification. L’autoépuration de la magistrature belge après la Première Guerre mondiale, dans BEG-CHTP, n°24, 2011, p. 65-96
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. III, p. 167 ; t. IV, p. 337
André DE STAERCKE, Mémoires sur la Régence et la Question royale, Bruxelles, Racine, 2003, p. 167
Jan VELAERS, Herman VAN GOETHEM, Leopold III, de Koning, het Land, de Oorlog, Tielt, Lannoo, 1994
Jules GERARD-LIBOIS et José GOTOVICH, L’an 40 La Belgique occupée, Bruxelles, CRISP, 1971, p. 78, 79, 191
Christine MATRAY, Février 1918. Quand la magistrature résistait par la grève, dans Juger. Justice et Barbarie 1940-1944, n° 6-7, 1994
Adolphe RUTTEN, Les grands orateurs belges depuis 1830. Recueil de discours avec notices biographiques, Bruxelles, de Boeck, 1954, p. 267-270
Paul DELFORGE, La Wallonie et la première guerre mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008