Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam
Buste Ernest DURAY
Buste Ernest Duray, réalisé par Hector Brognon, septembre 1953
Malgré l’importance de la colombophilie en Wallonie, il est rare qu’un monument rende explicitement hommage à une personnalité ayant consacré une partie de son temps à cette activité. C’est cependant le cas à Écaussinnes, où le buste élevé en l’honneur d’Ernest Duray, dans l’angle des rues Noires Terres et Camille Duray évoque aussi d’autres aspects de cette personnalité marquante. Conseiller communal de Soignies de 1911 à 1952 avec une interruption entre 1921 et 1926, Ernest Duray a aussi siégé à la Chambre, comme représentant libéral de Soignies (1939-1945), avant de devenir sénateur provincial du Hainaut pendant quelques mois (1949-1950). Issu d’une famille d’industriels, Ernest a été l’un des patrons des « Usines Émile Duray ». Si le buste honore principalement Ernest, l’ensemble du monument est un hommage à la famille Duray, en particulier à Émile, son fondateur, ainsi qu’à tous ceux qui ont contribué à sa réussite industrielle. Réalisé par Hector Brognon (1888-1977), le monument Duray présente cette autre particularité d’être à la fois individuel (face avant) et collectif (face arrière du socle).
Sur la face avant, apparaît la mention suivante :
ERNEST DURAY
INDUSTRIEL
CONSEILLER COMMUNAL
DÉPUTÉ
SÉNATEUR
COLOMBOPHILE
tandis qu’au dos, la dédicace est davantage circonstanciée :
1950
75E ANNIVERSAIRE
DES USINES
ÉMILE DURAY
HOMMAGE
À LEUR FONDATEUR,
À SES FILS
CAMILLE
OSCAR
ARTHUR
ERNEST
ET AUX EMPLOYÉS ET
OUVRIERS QUI SE SONT
DÉVOUÉS POUR ELLES
Fils cadet d’Émile Duray (1841-1908) et, comme son paternel et tous ses frères, Ernest (1877-1955) est natif de Houdeng-Goegnies. Il a suivi les seuls cours de l’École moyenne lorsqu’il commence à travailler, vers 1891, dans l’atelier familial de chaudronnerie et de constructions mécaniques. Depuis 1875, cet atelier est situé à Écaussinnes-d’Enghien. Dans les années 1890, Ernest y prend la direction du bureau de dessin et du pointage des ouvriers. Poursuivant les cours dominicaux de l’École industrielle de La Louvière, Ernest se voit confier, en 1898, la direction de la brasserie que son père vient de fonder. Le nouveau breuvage connaît un certain succès dans la région. Au décès du patriarche, les frères Camille, Arthur et Ernest créent une société en commandite, « Les Ateliers Duray » (1908) ; spécialisée dans la métallurgie, elle est dirigée par Camille, tandis qu’Ernest, n°2 de la société, reste responsable de son département spécifique qui s’appelle désormais « Brasserie Duray fils ». Quand éclate la Grande Guerre, tous les outils de production des Duray sont démantelés. Après l’Armistice, la remise en marche des affaires est laborieuse ; face à la concurrence, la brasserie Duray doit fermer (1937). Mais l’activité métallique connaît, quant à elle, le succès, principalement en raison de commandes coloniales. En 1934, « Les Ateliers Duray » deviennent la Société anonyme « Usines Émile Duray », en conservant un très fort ancrage familial. Après l’indépendance du Congo, l’entreprise périclite et disparaîtra en 1981.
S’il apparaît comme un industriel, Ernest Duray se consacre cependant de plus en plus à la politique. Quand, en octobre 1911, il se présente parmi les candidats du cartel libéral-socialiste formé pour renverser la majorité catholique, et qu’il est élu conseiller communal, il est engagé dans les milieux libéraux depuis une dizaine d’années. Il a contribué au développement de groupements politiques (Jeune Garde libérale, Société de Secours, etc.) et se montre un ardent défenseur de l’école publique (trésorier de la Ligue de l’Enseignement à partir de 1912). Renforçant ses activités politiques dans les années 1930, il est premier suppléant à la Chambre en 1932 et le siège de député de Soignies lui échappe en 1936 pour quelques voix à peine. Élu le 2 avril 1939, il n’aura guère l’occasion de siéger. Après l’invasion de mai 1940, il se réfugie en France, dans le Puy de Dôme avant de rentrer à Écaussinnes dès la fin 1940. Responsable de l’Association libérale démocratique de Soignies, il ne parvient pas à retrouver un siège à la Chambre et achève sa carrière parlementaire au Sénat.
Parallèlement à ses activités industrielles et politiques, Ernest Duray cultiva un loisir pour lequel il se passionna dès ses 12 ans : la colombophilie. Avec le temps, il s’imposa comme un spécialiste dans ce sport, participant à de multiples concours. Champion et éleveur, responsable de sociétés, il publie en 1943 ses Souvenirs de cinquante années de pratique du sport colombophile.
Le buste d’Ernest Duray a été réalisé par le sculpteur et architecte Hector Brognon (Bois d’Haine 1888 – Bois d’Haine 1977). Professeur à l’École industrielle et commerciale d’Écaussinnes, il jouit d’une solide réputation dans le Hainaut, en raison notamment de ses nombreuses réalisations comme ses bustes et statues, ainsi que pour les monuments aux morts et aux héros des deux guerres sur les places publiques (comme celui d’Écaussinnes-d’Enghien, sur la Grand-Place) ou dans les cimetières (les « Martyrs de Tamines » en 1926, ou le bas-relief Ernest Martel en 1939). La pierre bleue d’Écaussinnes n’a plus de secret pour celui qui a été surnommé récemment « le Rodin de Bois d’Haine » et qui a aussi signé le monument dit de Marguerite Bervoets à La Louvière et a participé à la décoration des frontons et panneaux de l’hôtel de ville de Charleroi (côté rue de Turenne et rue Dauphin). Le buste d’Ernest Duray est signé par Brognon et clairement daté de 1953. L’idée d’un tel buste est née en 1950, lors du 75e anniversaire de la création de la société. Le souvenir de cet anniversaire est inscrit sur le socle en granit de Bretagne. Ce socle et les inscriptions gravées en lettres colorées – aujourd’hui difficilement lisibles – sont dus à l’entreprise Caudier-Rembaux d’Écaussinnes.
L’inauguration de l’ensemble s’est déroulée en septembre 1953, en présence d’Ernest Duray.
Sources
Informations aimablement communiquées par la bibliothèque d’Écaussinnes et le Cercle d’Information et d’Histoire locale (l’abbé Jous et son frère)
Philippe VERHEYEN, Ernest Duray, une vie consacrée à l’industrie et à la politique belge, dans Le Val Vert. Bulletin trimestriel édité par le Cercle d’Information et d’Histoire Locale des Ecaussinnes et Henripont, Ecaussinnes-Lalaing, 1989, n°65-68, en particulier n°67, p. 66
Claude BRISMÉ, Histoire des Écaussinnes, recueil n°15 du Cercle d’information et d’histoire locale, 2010
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 155
Guy SYMOENS, Hector Brognon (1888-1977) le Rodin de Bois d’Haine, dans Les Cahiers du Grand Manage, 2009, n°56
Jean-Jacques HEIRWEGH, Patrons pour l’éternité, dans Serge JAUMAIN et Kenneth BERTRAMS (dir.), Patrons, gens d’affaires et banquiers. Hommages à Ginette Kurgan-van Hentenryk, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2004, p. 435, 439-440
Angle des rues Camille Duray et Noires Terres
7190 Écaussinnes
Paul Delforge