De Dorlodot Eugène Charles
Socio-économique, Entreprise
Bruxelles 01/02/1823, Carlsbad (Tchéquie) 25/07/1891
Depuis la fin du XVIIe siècle, le nom des Dorlodot est associé à l’industrie du verre à Charleroi. Depuis dix générations, cette famille de maîtres-verriers est installée en bord de Sambre où prospère l’établissement du Faubourg. Cependant, depuis les années 1820, le nom des Dorlodot est cité à côté de celui des Cartier d’Yves, Huart-Chapel, Puissant et autres Houyoux en raison des investissements considérables réalisés pour moderniser le secteur de la métallurgie et leur contribution à la révolution industrielle dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Sur son site d’Acoz et Bouffioulx, Eugène de Dorlodot est à la tête d’une entreprise qui n’a rien à envier à celle des Cockerill. C’est à la gestion de ces hauts-fourneaux et laminoirs ultra-modernes pour l’époque qu’est associé Eugène-Charles, son fils aîné.
Très jeune, il s’impose comme un chef d’entreprise particulièrement audacieux et très heureux dans l’ensemble de ses choix. On vante « ses capacités intuitives d’administration, de fabrication et surtout de négoce » au point d’être entouré d’une véritable aura, et que ses concurrents calquent leurs stratégies sur ses initiatives.
À partir de 1858, Eugène Charles est seul à bord des forges d’Acoz qui atteignent leur apogée vers 1870, comptant davantage d’ouvriers que Cockerill par exemple, et produisant davantage de tonnes d’acier que les usines liégeoises. Craignant un trop grand isolement de ses usines d’Acoz, il déplace une partie de leurs activités vers le cœur du bassin houiller du Hainaut, et surtout à proximité des axes de communication fluviaux et ferroviaires ; choisissant Châtelineau, il y construit le plus grand laminoir du bassin de Charleroi (1870-1872).
Comme son père, auquel il succède comme bourgmestre d’Acoz en 1869, Eugène Charles de Dorlodot est aussi attiré par la politique. En août 1870, il remplace à la Chambre des représentants Dominique Jonet, ce maître verrier qui est le demi-frère de son cousin Léopold. Député de l’arrondissement de Charleroi, E-C. de Dorlodot est membre du parti catholique et aspire au renouvellement de son mandat, en juin 1874. L’échec politique qu’il essuie alors est souvent présenté comme la raison de son départ jugé précipité de Charleroi. Ce n’est qu’en 1877 qu’il abandonne ses fonctions de bourgmestre d’Acoz.
En fait, depuis quelques années, il fait l’objet d’une pressante sollicitation de la part d’un groupe d’investisseurs français qui lui proposent de prendre la direction d’un projet industriel dans le nord de la France. Étant engagé dans son projet industriel personnel à Châtelineau et investi de responsabilités politiques à la Chambre, il hésite jusqu’au moment où il perd son mandat parlementaire. Sa décision est alors prise. Cédant les entreprises familiales à la SA des Forges d’Acoz (fondée en 1872), il se désintéresse de toutes ses activités industrielles dans le pays de Charleroi pour prendre la direction des Aciéries de France, qui doivent comprendre hauts-fourneaux, laminoirs, ateliers, mines de fer, charbonnages, lignes ferroviaires et canaux dans le nord de la France. En acceptant le management du projet français, il a posé ses conditions ; contre la garantie qu’il apporterait le succès, il obtient les pleins pouvoirs et une participation plantureuse aux bénéfices.
C’est en s’entourant d’une partie de son ancien personnel wallon, tant des employés que des ouvriers, qu’il organise toutes les activités des Aciéries de France (1881), transférant de l’autre côté de la frontière à la fois un précieux savoir-faire et une réputation de patron exceptionnel dont bénéficient les Aciéries d’Isbergues, les Forges et Laminoirs de Grenelle, ainsi que les Mines et Usines de la régie d’Aubin. Lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1889, les spécialistes français reconnaissent « le rôle immense de la Société des Aciéries de France dans la métallurgie de notre pays. Grâce à M. de Dorlodot, l'industriel le plus hardi et le plus heureux peut-être de notre temps, l'acier a pu être livré à la consommation à son prix minimum. C'est lui qui a pour ainsi dire, terminé l'œuvre de Bessemer, en en tirant les dernières conséquences au point de vue humain. Le nom de Dorlodot restera lié désormais à cette étape métallurgique décisive, maintenant franchie ».
Contrairement à ce que disent certains travaux, Eugène Charles n’est pas l’époux de la fille du sénateur catholique Sylvain Pirmez ; mais le mariage, en 1852, de Marie Pirmez-Bastin avec son frère, Charles Auguste Joseph de Dorlodot (1830-1902), témoigne des liens étroits qui unissaient milieux industriels et politiques au XIXe siècle. Marié en 1844 à sa cousine Amélie Marie Mathilde de Dorlodot (1823-1903), Eugène Charles disparaît sans laisser de descendance.
Sources
Revue du Conseil économique wallon, n°40, septembre 1959, p. 68-69
Revue du Conseil économique wallon, n°54-55, janvier-avril 1962, p. 80-81
La Belgique héraldique, t. IV, p. 13-19
Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 164
Jean-Luc DE PAEPE, Christiane RAINDORF-GÉRARD (dir.), Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, 1996, p. 131
Francis LAUR, Les mines et usines en 1889. Étude complète sur l’exposition universelle de 1889, Paris, 1890
Paul Delforge