Les abbayes du VIIe au IXe siècle

L’introduction du christianisme se réalise par vagues successives. Il s’agit d’abord d’un phénomène urbain ; le culte est attesté aux IIIe et IVe siècles par la présence des premiers évêques à Trèves et à Tongres notamment. Il se répand ensuite dans les campagnes à partir des grandes voies de communication, des garnisons romaines placées sur le Rhin, voire de certains grands domaines agricoles. Le ralliement de Clovis au christianisme romain favorise l’expansion rapide de la religion ainsi reconnue officiellement (VIe - VIIe siècles). Les nombreuses abbayes fondées entre Moselle et Meuse soutiennent cette 2e grande vague de christianisation. Les églises essaiment dans les campagnes.
Bon nombre de grandes familles franques font don de terres et de biens aux missionnaires, si bien que les abbayes disposent rapidement de vastes terres et de richesses qui en font aussi un lieu de pouvoir. La plupart des abbayes seront le berceau de nouvelles agglomérations. Au cours des VIIIe et IXe siècles, il n’est pas rare (c’est un euphémisme) que les abbayes soient régies par des laïcs. Dans le but évident de rompre le caractère héréditaire des successions d’abbaye et d’en maîtriser le pouvoir, l’empereur Otton Ier impose une réforme monastique qui lui permet, désormais, de désigner lui-même les abbés, pour les affaires spirituelles, et, à côté de lui, un avoué, gestionnaire du volet temporel (Xe siècle).


Références
Delm ; deMoAbb ; FrPtP99 ; TrauLxb95


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Liège sous Notger, évêque et prince (972-1008)

Empereur d’Occident, se proclamant héritier des Romains et de Charlemagne, Otton Ier utilise son droit de nommer les évêques à des fins politiques. En attribuant aux évêques des charges comtales, l’empereur évite la dispersion de son patrimoine. Bien que Saxon et non carolingien, Otton accorde de l’importance à ses terres les plus occidentales. Comme les « (…) principautés territoriales du Hainaut, de Louvain-Brabant, du Limbourg, du Luxembourg et de Namur se sont édifiées au préjudice de l’autorité royale », la principauté liégeoise sera construite « par la volonté des rois – particulièrement ceux de la dynastie des Otton – désireux d’enrayer le processus d’hérédité ou, ce qui revient au même, de confiscation, par les princes territoriaux laïcs, des hautes charges publiques » (Histoire de la Wallonie, p. 113).
Véritable incarnation du système ottonien, Notger, par ailleurs formidable personnalité politique de son époque, peut être considéré comme le fondateur de la principauté de Liège. Désigné évêque de Liège par Otton Ier en 972, il obtient d’Otton II la confirmation de l’immunité des possessions de l’Église de Liège (980) ; en d’autres termes, soustraites à une charge comtale, plusieurs possessions (à Huy, Maastricht, Namur, Dinant, Tongres, Marchienne-au-Pont, Theux, etc.) dépendent de la seule autorité de l’empereur. En déléguant son pouvoir à la cathédrale saint-Lambert et à son titulaire, l’empereur transforme de facto l’évêque, en l’occurrence Notger, en un comte ayant droit de haute justice, de lever le tonlieu, de battre monnaie, d’établir des marchés et de dresser des fortifications. En 985, Notger reçoit en donation le comté de Huy, d’autres suivront. Les pouvoirs de l’évêque et du prince se rejoignent pour régler le spirituel et le temporel sur un territoire. La principauté de Liège devient le modèle de ce que l’on appellera l’« Église impériale ottonienne » (Reichskirche).


Références
AzKG-94 ; DHGe14 ; HW04-113-114 ; LJGdLg48 ; Meuse-Rhin10


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L’Europe à la fin du Xe siècle

À la veille d’un nouveau millénaire, la frontière occidentale du royaume de Germanie contourne et englobe le territoire qui deviendra plus tard la Wallonie. Sous l’apparence de grands ensembles se cachent en fait une multitude de petits découpages territoriaux, caractéristique de l’époque féodale.

Référence
Duby46


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Les ponts sur la Meuse jusqu’en 980

À l’heure des routes, autoroutes et voies ferroviaires ultrarapides, l’importance du passage d’un fleuve ou d’une rivière paraît plus que secondaire. Pourtant, la possibilité de traverser un cours d’eau a conditionné pendant des siècles la circulation des gens et des marchandises et influencé durablement l’aménagement du territoire. Dès l’époque romaine, les routes qui sont construites suivent le cours des rivières et des fleuves. Les points de traversée ne sont pas fréquents. Outre certains « passages d’eau » généralement en barque, il n’existe que quatre ponts sur la Meuse (peut-être y avait-il encore un cinquième à hauteur d’Andenne). L’importance de cet enjeu se lit par exemple dans le nom de lieu : ainsi Maastricht doit-elle son nom à trajectum ad Mosam (mosa trajectum) « traversée de la Meuse », seul pont construit sur la route Tongres-Cologne. Un autre pont traverse la Meuse à hauteur d’Ombret, sur la liaison routière Tongres-Arlon. Un troisième pont est attesté à hauteur de Dinant, sur la route Bavay-Trèves. Quant au pont que l’on situe à hauteur de l’actuelle Charleville-Mézières, cités fusionnées situées de part et d’autre du fleuve, il a défini la première dénomination du lieu, à savoir Arcae Remorum, Arches (sur la Meuse). Il était situé sur la route reliant Reims à Cologne. Ces constructions paraissent avoir subsisté à ces différents endroits jusqu’au Xe siècle, complétés par d’autres passages d’eau moins élaborés.

Références
Fan01 cartes I, III, IV et VIII


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Les biens de l’Église de Liège au Xe siècle

Faisant partie du diocèse primitif de Tongres, la petite cité de Liège acquiert un statut tout neuf quand l’évêque Lambert y est assassiné en l’an 700. Successeur de Lambert, Hubert y fait édifier une basilique et, en 800, sous Charlemagne, Liège devient siège épiscopal, celui-ci ayant déjà migré précédemment de Tongres à Maastricht. C’est désormais depuis Liège que l’évêque, représentant local du pape, exerce un pouvoir spirituel et moral sur l’ensemble d’un diocèse qui a conservé les mêmes dimensions que l’ancienne civitas tungrorum. Progressivement, il va aussi exercer un pouvoir temporel sur les terres que lui offrent princes et seigneurs. Au Xe siècle, les donations sont nombreuses et les possessions de l’Église de Liège – sous forme de biens ou de droits – sont situées le long de l’axe Sambre-et-Meuse ; elles confèrent à l’évêque une position prestigieuse.

Références
AzKG-94 ; HPLg-16-31 ; LJGdLg48 ; Meuse-Rhin10


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Le comté de Louvain au Xe siècle

Concernant l’organisation initiale et les premières années d’existence du comté de « Brabant », les sources sont rares et les conjectures restent fortes. Il semble néanmoins que c’est de Louvain, où étaient établis des membres de la famille Régnier, que vint l’impulsion. Avec le soutien du roi de France, les Régnier continuent à contester violemment le pouvoir impérial. En 977, l’empereur Otton II est forcé de rendre aux fils de Régnier III les terres qui lui avaient été confisquées. Lambert Ier reçoit ce qui deviendra le comté de Louvain (première mention en 1003). Jusqu’au XIe siècle, cette région était restée sans nom. La dynastie qui y prend racines, dans un espace situé entre le pagus Bracbantiensis et le pagus Hasbania, se prévaudra d’une double filiation, celle des Régnier et celle des Carolingiens, que lui contesteront ses voisins.

Références
Col ; ErCoverBbt ; VuBrbt69


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Le comté de Namur aux IXe et Xe siècles

Héritier du pagus Lomm(ac)ensis, le comté de Namur est attribué par l’empereur à Gislebert, comte de Masau. La fille de ce dernier épouse un nommé Bérenger déjà propriétaire de larges possessions dans le Condroz (début du Xe siècle). À partir de 974, s’appuyant sur sa forteresse, Namur s’impose comme le chef-lieu du comté.

Références
Er-Cover ; HHWH24 ; MoDic2a ; MoDic2z


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Espace mosello-mosan confié à Sigefroid (959)

Dès le début de la période carolingienne, au cœur de l’espace entre Meuse et Moselle, propriété des Pépinides, Arlon a perdu l’importance qu’elle avait sous l’empire romain. D’autres centres se sont créés. Rayonnent surtout deux grandes abbayes (saint-Willibrord à Echternach et saint-Maximim à Trèves) qui disposent elles-mêmes d’importantes propriétés dans l’Ardenne et l’Eifel et qui s’étendent jusque dans l’espace wallon actuel. Lieu de chasse et de résidence des Carolingiens (Thionville), cette zone comprise entre Meuse, Moselle et Rhin, entre les cités épiscopales de Verdun, Liège, Cologne, Trèves et Metz comprend encore l’abbaye impériale de Prüm et celles de Stavelot-Malmedy, Mouzon et Saint-Hubert.
Ayant subi les dévastations normandes (IXe siècle), cette région située à cheval sur les deux Lotharingie (Xe siècle) voit émerger Gislebert, de la famille des Régnier, qui est le propriétaire des principaux biens et domaines, abbayes comprises. Il est cependant éliminé par le roi de Germanie, Otton Ier (939). Émerge alors un autre clan, les d’Ardenne, fondateurs de l’abbaye d’Hastière et petits propriétaires de terres éparses entre Meuse inférieure et Moselle. Les ramifications des d’Ardenne sont multiples et conduisent même parfois à des confrontations intrafamiliales. Mais la présence de ce nom parmi les évêques voire archevêque, les comtes et les ducs en dit long sur l’importance prise progressivement par le clan d’Ardenne, dont l’influence dépasse l’espace géographique désigné par ce nom. Bénéficiant de la confiance de celui qui est désormais empereur, Sigefroid est un membre du clan qui se voit confier des charges comtales et d’avoué sur les deux grandes abbayes d’Echternach et de Trèves. Il prend la place de Gislebert.
En 963, il devient le propriétaire d’un éperon rocheux, le « Lucilinburhuc », où il fait construire un château. Situé sur le plateau de l’Alzette, le château de Luxembourg est sa seule réelle propriété quand il fait construire trois églises et délimite ainsi un espace protégé où peut se développer une vie religieuse, économique et administrative. Il inaugure un lignage qui va faire souche, avec la bénédiction de l’empereur germanique. La maison d’Ardenne devient la maison de Luxembourg.

Références
AzKG-94 ; DHGe14 ; ErCover ; TrauLxb86 ; TrauLxb92


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Les comtés féodaux (959)

Le traité de Meerssen ne fige pas le processus de décomposition de l’État carolingien. Plusieurs partages marquent encore la fin du IXe siècle et le début du Xe siècle, rendant cependant un statut à ce que l’on appelle la Lotharingie, qui, depuis 925, est un duché constitutif du royaume de Germanie. Les difficultés rencontrées pour gouverner cette contrée conduisent à sa division en deux parties, selon un axe est-ouest : dès 959, on parle de Basse et de Haute-Lotharingie, la première étant bientôt renommée Lothier et la seconde Lorraine. Sous cette appellation, les divisions ou les regroupements de comtés se poursuivent.
« C'est seulement au XIe siècle qu'en Wallonie le principe de l'hérédité de la charge comtale se généralise et que les comtés carolingiens sont purement et simplement appropriés par ceux, membres de la classe aristocratique, à qui le roi avait confié une mission publique. Les comtes vont donc tenter d'accumuler un grand nombre de charges, fiscs, avoueries, tonlieux, taxes, etc. pour se constituer un domaine personnel et une puissance territoriale ».
En fait, l’État carolingien « (…) donne naissance aux multiples entités territoriales, (et) ne s’arrête pas à ce niveau géopolitique. Les comtés ou pseudo-duchés, à leur tour, sont atteints par le même phénomène de contestation et de fractionnement. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, des seigneuries dites banales (ban signifie le pouvoir de commander et de punir) s’imposeront autour d’un château nouvellement construit, ou lorsqu’un membre de l’aristocratie, détenteur d’un domaine, usurpera les pouvoirs du roi, voire du comte. Incapable de réduire ces seigneurs, les princes – qui parfois l’étaient devenus quand leurs ancêtres s’étaient arrogés les pouvoirs d’un roi – établiront des rapports de féodalité, les biens des vassaux étant protégés en contrepartie du service militaire à cheval ».
Concernant la précision des frontières, elle reste relative, même si elle tend à s’améliorer ; on ne passera de la « frontière-zone » à la « frontière-ligne » qu’au XIIIe siècle.


Références
Ar69 ; GuerB ; Haspinga ; MoDic ; Nonn ; PhDHW ; RolCha ; VDKR ; www_cm0999_ard ; www_cm0999_cz ; www_cm0999_MA


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La scission de la Lotharingie (959)

Afin de contrôler les « grands » de Lotharingie dont il connaît l’esprit d’indépendance, Henri Ier a cherché une union durable notamment avec la famille des Régnier. Force est cependant de constater la défiance des « grands » à l’égard du roi et bientôt de l’empereur. Dès 953, Brunon (frère d’Otton), nommé duc de Lotharingie, tente de rétablir l’autorité. En 959, la Lotharingie est scindée en deux : au sud, la Haute Lotharingie qui lèguera son nom à la Lorraine ; au nord, la Basse Lotharingie dans laquelle s’inscrit l’espace wallon actuel, hormis Tournai. Le titre de duc de Basse-Lotharingie sera attribué jusqu’en 1190. Le dernier titulaire sera Godefroy VII, landgrave de Brabant (1143-1190). À la Diète de Schwäbisch Hall, l’exercice du pouvoir ducal de Basse-Lotharingie est limité aux territoires et fiefs impériaux des comtes de Louvain. Le titre honorifique de duc de Lothier (qui fait référence à un territoire beaucoup plus réduit que la Basse-Lotharingie) se transmet aux successeurs des ducs de Brabant jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

Références
Duby110 ; Duby4 ; GaMa ; H49 ; SchnJ649 ; VdEss03 ; VuBrbt44 ; www.cm1000 ; www_cm1001


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