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Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Antoine WIERTZ

Monument Antoine Wiertz, réalisé par Victor De Haen, 30 août 1908.

Les signes de la présence d’Antoine Wiertz (1806-1865) à Dinant sont nombreux. L’artiste avait conservé un rapport particulier avec sa ville natale et, à son décès, une trentaine de ses toiles ainsi que son cœur embaumé furent légués à la cité mosane. L’idée d’élever à sa mémoire un monument de prestige fit l’objet d’une souscription publique. En raison du peu de succès rencontré, elle fut abandonnée : Le Triomphe de la Lumière, cette statue de 45 mètres de haut dont avait rêvé Wiertz, ne verra jamais le jour tout en haut du rocher qui surplombe la Meuse et la ville, devant la Citadelle. En 1905, la revue Wallonia reprend une idée de Henry Carton de Wiart qui suggère que les collections du musée Wiertz, à Ixelles, soient exposées à Dinant, dans une salle permanente, qui pourrait prendre place dans une fabrique en amont du pont principal qu’il faudrait exproprier. Finalement, c’est à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Wiertz que la décision est prise par de réaliser un projet plus modeste, mais néanmoins d’envergure : un Comité présidé par Jules Leblanc est mis en place (1906) pour définir le monument et choisir le statuaire.

Le monument inauguré le 30 août 1908 est l’œuvre du sculpteur bruxellois Victor de Haen (1866-1934) qui signe là un imposant ensemble. Posée sur un piédestal haut de 5 mètres et constitué de blocs bruts de rochers du pays, la statue en bronze (haute de 3 mètres) montre Wiertz debout, en plein travail, un pinceau dans la main droite, sa palette de couleurs dans l’autre. Le visage du peintre paraît inspiré et prêt à s’attaquer à une des immenses toiles dont il avait le secret. S’étant attaché à représenter les plis d’une cappa florentine dans laquelle est drapé le peintre, le sculpteur de Haen a placé des livres à ses pieds, ainsi qu’une tête de cheval renversée sur la partie arrière. En contre-bas, une femme vêtue d’un voile très léger (un bronze lui aussi de trois mètres) semble à la fois prendre la pose et être en train de sculpter un petit sanglier, qu’elle tient dans sa main gauche levée, tandis qu’elle tient son outil dans la main droite. En étant fort attentif, on distingue sur la face avant du rocher, sculptée dans la pierre, la mention suivante :


A
WIERTZ


Entouré de végétations maîtrisées, l’ensemble monumental constitue en lui-même une sorte de rond-point, situé aujourd’hui à quelques mètres des bords de la Meuse et à deux pas de l’Athénée. L’attitude donnée par le sculpteur correspond assez bien au surnom de Wiertz, « le philosophe au pinceau », ainsi qu’à son côté un peu fantasque, voire théâtral.

Artiste excessif et complexe, surdoué sans aucun doute, Antoine Wiertz (1806-1865) exalte les sujets antiques de manière grandiloquente. Marginal, isolé volontaire, « seul portraitiste wallon vraiment romantique » (Vandeloise), Wiertz signe de multiples portraits qu’il ne respecte pas lui-même, considérant qu’il s’agit pour lui simplement de gagner sa vie. Ses croquis et préparations sont multiples, de même que les textes d’un artiste finalement très cérébral, comme en témoignent ses œuvres « sociales » voire « politiques » des années 1850 inspirées par son amour de la justice et sa croyance dans le progrès. Pamphlétaire (Napoléon aux enfers), son génie frôle parfois la folie. Outre ses fresques et ses portraits, Antoine Wiertz était aussi sculpteur comme en témoigne son projet Le Triomphe de la Lumière qui n’est pas sans évoquer la plus tardive statue de la Liberté de Bartholdi.

Quant à Victor de Haen, il n’a jamais connu Wiertz, étant né l’année qui avait suivi le décès du Dinantais. Fils du sculpteur Jacques Philippe de Haen, il reçoit une longue formation à l’Académie de Bruxelles (1882-1892) et surtout le Prix de Rome 1894. Œuvrant sur le chantier de la décoration du Botanique, à Bruxelles, avec Charles Van der Stappen et Camille Meunier notamment, ainsi que sur le chantier de l’arcade du Cinquantenaire, de Haen excelle dans les portraits, les bustes et les figures, qu’ils soient parfaitement ressemblants ou allégoriques. Auteur de plusieurs monuments aux victimes de la Grande Guerre (Saint-Trond par ex.), il signe une production personnelle de rares bronzes en petits formats fort appréciés, d’inspiration Art nouveau.

L’inauguration du monument Wiertz fut à l’image du personnage : compliquée et, à l’inverse d’un tel événement, discrète ; certes, le ministre des Beaux-Arts s’était fait représenter et, au nom des autorités locales, le bourgmestre Ernest Le Boulengé a pris la parole devant un public local nombreux – il discuta la question de savoir si Wiertz était païen ou chrétien et conclut en faveur du second –.  Certes, une fanfare entonna la Brabançonne depuis un bateau « Dinant-Tourisme » ancré au milieu du fleuve et des coups de canon furent tirés. Mais un différend était né entre le statuaire et le Comité patronnant l’initiative. Plusieurs motifs avaient envenimé leurs relations, si bien que le sculpteur ne fut point invité à l’inauguration. L’atmosphère s’en trouva plombée.

La question de l’emplacement fut un premier problème. Le statuaire bruxellois avait conçu son œuvre et ses proportions en fonction d’un environnement précis : la petite place proche de la vieille collégiale. Mais les Dinantais en décidèrent autrement et choisirent la place de Meuse où, indépendamment de maisons sans style, s’élevait un kiosque à la taille une demi fois plus grande que la statue, provoquant (selon de Haen) un sentiment d’écrasement, tandis que la profondeur de la vallée de la Meuse n’offrait aucun repère et rendait le monument étriqué (toujours selon de Haen). 

Monument Antoine Wiertz (Bouvignes, Dinant)

Par ailleurs, les Copères exigèrent du sculpteur qu’il couvre au minimum d’un voile la poitrine dénudée de la jeune femme placée au pied du maître ; un ministre intervint même dans la discussion afin que la représentation soit « chaste et sage ». Enfin, le Comité dinantais exigea que Wiertz porte un chapeau à la Rubens. Dans la description laissée par Gérard Harry (Figaro, 30 août 1908), le Wiertz statufié et inauguré le dimanche 30 août 1908 est décrit comme coiffé d’un feutre provoquant à la Rubens, le maître idéalisé par l’artiste dinantais. Cependant, de chapeau, de Haen ne voulait pas et il a tenu tête…

Plusieurs années plus tard, la statue Wiertz va quitter son emplacement originel sur le quai de Meuse, en contrebas de la tour Montfort, environnement que plusieurs cartes postales de l’Entre-deux-Guerres ont immortalisé. Le monument est déplacé à l’autre bout de la ville, sur la même rive de la Meuse, mais 4 kilomètres plus loin, à Bouvignes.

Sources

Guv VANDELOISE, La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, 506-514
Serge LE BAILLY DE TILLEGHEM, Louis Gallait (1810-1887). La gloire d’un romantique, Bruxelles, Crédit communal, 1987, p. 14-15
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 135
Histoire de la Wallonie (L. GENICOT dir.), Toulouse, 1973, p. 393
Jacques STIENNON, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 128
Wallonia, t. XIII, 1905, p. 258-259
Le Figaro, 30 août 1908 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k288199b/f3.textePage.langFR)
La Meuse, 29 et 31 août 1908 ; L’Indépendance belge, 10 septembre 1908 ; Het Laatste Nieuws, 1er et 7 septembre 1908 ; L’Avenir du Luxembourg, 2 et 6 septembre 1908
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 353

 

Place de Meuse (30 août 1908) puis square du 13e de Ligne (date inconnue)
5500 Bouvignes (Dinant)

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Paul Delforge

Emplacement de la maison natale d’André Delchef, démolie lors de la rénovation de la Société libre d’Émulation ; la plaque commémorative avait déjà disparu – Google

Plaque André DELCHEF

Plaque commémorative André Delchef, réalisée à l’initiative de l’Union des Femmes de Wallonie, 15 mars 1935.  

Afin de commémorer le centenaire de la naissance d’André Delchef, une plaque commémorative est inaugurée, le 15 mars 1935, sur la façade la maison natale de celui qui fait figure de précurseur dans le mouvement dramatique wallon. En 1858, en effet, était jouée à Liège une pièce de théâtre en wallon, Li Galant dè l’siervante, dont le succès fut tel qu’il stimula la création de nouvelles œuvres en wallon : en quelque sorte, André Delchef avait fait œuvre de pionnier, ouvrant la route aux Édouard Remouchamps, Henri Simon et autre Théophile Bovy.
Issu de la petite bourgeoisie liégeoise, André Delchef est d’abord un fabricant d’armes, accaparé par ses affaires, et qui fit de l’écriture un hobby. Il n’avait que 23 ans lorsqu’il composa Li Galant dè l’siervante, pièce qui est jouée au Théâtre royal de Liège et qui est couronnée par la toute jeune Société liégeoise de littérature wallonne. Comédie en deux actes et en vers, la pièce se veut une peinture de mœurs mettant en scène des bourgeois et leurs domestiques, dans leur quotidien. Jouées par des comédiens amateurs, les premières représentations séduisent tant par le recours au parler wallon que par la limpidité de l’intrigue et le caractère des personnages. Salué par toute la critique pour cette première œuvre, André Delchef demeurera toujours « l’auteur du Galant » malgré l’écriture de nombreuses autres pièces. Premier président de l’Association des Auteurs dramatiques wallons (1857-1899), André Delchef est aussi l’auteur d’une Histoi¬re de la Littérature wallonne à Liège de 1830 à 1880. Mais en 1858, sa pièce de théâtre en wallon fondée sur l’observation des mœurs du temps, il avait inauguré un genre nouveau : en un siècle, pas moins de 5.000 pièces wallonnes seront écrites et jouées.
Le centième anniversaire de Delchef (décédé en 1902) est l’occasion d’honorer le personnage, mais aussi le foisonnement de l’art dramatique wallon. L’initiative en revient à sa fille, Marguerite Horion-Delchef, par ailleurs présidente de l’Union des Femmes de Wallonie. Aujourd’hui disparue, la plaque apposée sur la façade de la maison natale indiquait :

ICI EST NÉ LE POÈTE
ANDRÉ DELCHEF
QUI FIT REVIVRE
LE THÉÂTRE WALLON
AVEC LI GALANT DÈ L’SIERVANTE
1835-1902 

Source

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
La Vie wallonne, juin 1935, CLXXIX, p. 305-309
L’Action wallonne, 15 mars 1935, n°3, p. 3
Wallonia, 1910

Emplacement de la maison natale d’André Delchef, démolie lors de la rénovation de la Société libre d’Émulation

 

Rue des Carmes 6 
4000 Liège

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Monument Maréchal FOCH

Maréchal de France, Ferdinand Foch (1851-1929) a été le commandant en chef des troupes alliées sur le front de l’ouest durant la Première Guerre mondiale. Né à Tarbes, aux portes des Pyrénées, il fait ses études à Lyon, puis chez les Jésuites à Metz au moment où éclate la guerre de 1870. Chassé par les troupes allemandes, il achève ses études à Nancy, mais conserve un vif ressenti de la situation vécue alors. Engagé dans l’infanterie en 1870, il ne combat pas, mais reste dans l’armée en intégrant Polytechnique (1871), puis l’École supérieure militaire où il est nommé professeur (1895-1901). Chargé des cours d’histoire militaire, de stratégie et de tactique, il devient surtout l’un des théoriciens français de l’offensive, s’inspirant de Clausewitz et de Napoléon. En 1907, promu général de brigade, cet officier d’État-major prend le commandement de l’École de Guerre jusqu’en 1911, année où il est nommé général de division, avant d’être élevé au rang de général commandant de corps d’armée (1913). 

Quittant une vie parisienne trépidante pour commander le 20e corps d’armée de Nancy lors de l’attaque allemande d’août 1914, Ferdinand Foch prend une part active dans la bataille de Lorraine, dans celle de la Marne et dans la course à la Mer. Les multiples batailles qu’il commande alors sont l’occasion de mettre en application ses théories sur l’attaque à outrance et la contre-attaque. En 1914, elles se révèlent payantes, malgré les milliers de morts enregistrés dans les rangs français. Nommé commandant en chef adjoint de la zone Nord, aux côtés du général Joffre (octobre 1914), Foch tombe en disgrâce après les échecs répétés enregistrés en 1915 et 1916 ; il est relevé de ses fonctions dans l’armée du Nord (décembre 1916). Quand Lyautey devient le nouveau ministre de la Guerre, Foch est rapidement rappelé et affecté dans l’armée de l’Est, avant de s’occuper du front italien pendant plusieurs mois. Fin mars 1918, Foch se voit confier le commandement en chef du front de l’Ouest et la coordination des armées alliées, avec le titre de généralissime. Cette fois, le succès est au rendez-vous : les offensives des armées allemandes sont bloquées au début de l’été et c’est en tant que maréchal de France qu’il mène l’offensive générale qui contraint l’Allemagne à demander un armistice. L’homme de la victoire de 1918 est élevé à la dignité de maréchal du Royaume-Uni et de Pologne et est élu à l’Académie française. En 1919, il devient le président du Conseil supérieur de la Guerre. Couvert de décorations jusqu’à son décès en 1929, le maréchal Foch a donné son nom à des dizaines de lieux en France comme à l’étranger ; nombreux sont aussi les monuments en son honneur, souvent de grande taille, comme c’est le cas à Spa. 


Signataire de l’acte d’Armistice à Rethondes, le maréchal a suivi de près les négociations des traités de paix (1919-1921). Il eut dès lors plusieurs occasions de se rendre à Spa pour des réunions de Commissions et pour la Conférence de Spa qui s’y tint en 1920. Il eut de nombreux entretiens avec le plénipotentiaire allemand Erzberger. Quelques mois après le décès du « vainqueur de 14-18 », les autorités spadoises décident de lui consacrer un monument. Elles confient sa réalisation à Pierre de Soete (1886-1948), à la fois médailleur et sculpteur bruxellois.

Monument au Maréchal Foch


Mis au travail dès l’âge de 8 ans, de Soete a fait « mille métiers » avant de se retrouver dans l’atelier de polissage de la Compagnie des Bronzes à Bruxelles (1900). « Promu » à l’atelier des monteurs, il voit passer entre ses mains des sculptures des Dillens, Meunier et autre Jef Lambeaux. Autodidacte habile et observateur, il veut devenir sculpteur, s’aidant d’une brève initiation au dessin à l’Académie de Molenbeek. En 1911, une fonderie de bronze d’Anderlecht lui confie la direction de l’un de ses départements, mais ni ses nouvelles fonctions ni la Grande Guerre ne le détournent de sa passion pour la sculpture. Sollicité au sortir de la Grande Guerre à la réalisation de monuments aux victimes du conflit mondial, il se consacre exclusivement à la sculpture à partir de 1924 ; deux ans plus tard, le monument aux héros de l’Air de 14-18 (porte Louise à Bruxelles) constitue sa première réalisation majeure. Désormais, il répond aux commandes officielles (bustes, médailles, portraits), tout en poursuivant une œuvre personnelle faite d’œuvres de petite taille d’inspiration très variée, parfois fort originale, dans un style très classique. Signataire de quelques monumentales réalisations publiques faisant penser à la statuaire officielle des régimes autoritaires des années 1930, il clamait n’appartenir à aucune école, à aucun cénacle, et n’avoir que sa conception personnelle comme guide. Auteur d’effigies pour l’industrie automobile (Minerva, Ford), il est aussi celui qui signe le monument demandé par le bourgmestr

e de la ville de Dinant, Sasserath, pour commémorer les martyrs civils de 1914, à la fois ceux de Dinant et tous ceux de la Belgique (estimés alors à 23.700). Présenté au début des années 1930, son premier projet est à la fois assez complexe et gigantesque. Il s’articule autour d’une main géante, levée vers le ciel, signifiant que, sur l’honneur, les Dinantais jurent qu’aucun franc-tireur n’a tiré sur les soldats allemands. La commission qui entoure le bourgmestre libéral fait quelques suggestions à l’artiste qui simplifie son œuvre. Inaugurée en août 1936 sur la place d’Armes, l’œuvre définitive, intitulée Furore Teutonico, se présente sous la forme de deux doigts levés (le majeur et l’index), le pouce étant replié vers l’annulaire et l’auriculaire. L’ensemble du monument reste considérable : 25 mètres de large, près de 10 mètres de haut. Après la Campagne des 18 Jours de mai 1940, des Panzers s’empresseront de détruire ce monument qui ne sera jamais reconstruit.


Moins polémique en apparence, le monument Foch que Pierre de Soete réalise à la même époque résistera quant à lui au temps. Contrairement au monument dinantais, son inauguration, en juillet 1932, n’est pas boycottée par les autorités officielles. Ce vendredi-là, à Spa, le prince Léopold et « la » Maréchal sont aux premières loges, parmi les autres personnalités, pour dévoiler la statue en pierre de France qui représente le vainqueur de 14-18. Elle résistera à la période agitée de 40-45 et continue de constituer, à l’une des entrées de Spa, le monument le plus spectaculaire de la ville thermale. En commandant cette statue, les autorités spadoises voulaient commémorer les nombreuses visites du maréchal Foch à Spa entre la fin de 1918 et 1920.

 

 

Herman FRENAY-CID, Le maréchal Foch « Bourgeois de Spa » en 1932 et l’abdication de Guillaume II en 1918, dans Histoire et Archéologie spadoises, mars 1983, n°33, p. 23-28
Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, t. 1, Bruxelles, CGER, 1990, p. 132
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 451
https://store.geolives.com/static/newsletters/printer.pdf (s.v. mai 2014)
Rétrospective Pierre de Soete : Galerie Georges Giroux, Bruxelles, du 18 février au 4 mars 1950, Bruxelles, 1950

Avenue Reine Astrid
Place du Maréchal Foch
4900 Spa

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Paul Delforge

Paul Delforge

Mémorial Robert GREGOIRE

Mémorial Robert Grégoire, réalisé par Paul Du Bois, avec un buste de Jean Van Neste et un bas-relief signé Robert Mermet datant de 1937, 4 juillet 1935. 

À l’entame de l’avenue de la Libération, à Aywaille, au bout de la chaussée à laquelle on accède depuis le pont sur l’Amblève, à hauteur du parc Jules Thiry, un imposant monument bénéficie de la largeur de l’espace public pour rendre un hommage « national » aux motards, et en particulier à Robert Grégoire (1901-1933). Natif d’Aywaille, ce dernier s’était pris de passion pour les compétitions de motocyclette au lendemain de la Grande Guerre. Après avoir remporté ses premiers bouquets sur sa propre machine, le garagiste devient « pilote d’usine » lorsque Saroléa l’engage à la fin des années 1920. Le succès est toujours au rendez-vous. Champion de Belgique expert en 500 cc en 1932 et 1933, Grégoire décroche plusieurs records du tour sur circuit en compétition et un record du monde, celui du kilomètre en départ arrêté. Cette quête de la vitesse pure coûtera la vie à Robert Grégoire, victime d’un accident lors des essais sur le circuit de Francorchamps le 21 juillet 1933.


La disparition tragique du pilote aqualien frappe fortement les esprits. Très vite, avec le soutien d’Édouard Grégoire, le père du pilote, la « Royale Ligue motoriste Ourthe et Amblève » décide d’élever une stèle à la mémoire de Robert Grégoire. Un Comité est mis en place, présidé par Lambercy et Thomas notamment. Au début du mois de juillet 1935, la stèle est inaugurée en présence de nombreuses délégations belges et étrangères, des autorités locales et du président des clubs motocyclistes de Belgique (Lamborelle). Il est vrai que depuis la disparition de Robert Grégoire, l’élite des motocyclistes belges a été décimée : Noir et Paul Demeuter se sont tués en course en juillet 1934 et Antoine Lambert en 1935. La destination du monument Grégoire a par conséquent sensiblement évolué au cours de sa réalisation et l’inauguration est l’occasion de rendre hommage à l’ensemble des pilotes récemment décédés.


À ce moment, en juillet 1935, le monument réalisé par Paul Du Bois se présente sous la forme d’une haute stèle en pierre bleue surmontée d’un buste en bronze représentant un motocycliste. Sur la face de la stèle côté Amblève, une allégorie féminine pleure les disparus en tendant vers le haut une branche végétale ; à la hauteur de la main tendue apparaît la mention :


A NOS
CHAMPIONS
MOTOCYCLISTES


IN MEMORIAM

 

Mémorial Robert Grégoire (Aywaille)

Sur la face avant du monument (l’orientation est donnée par rapport à la position du visage du buste), en contrebas, un bas-relief réalisé dans la pierre montre une moto de course légèrement de face, avec un pilote au guidon et le numéro 1. Tout en haut de cette face du monument, le nom de ROBERT GREGOIRE a été gravé lui aussi dans la pierre. Volontairement, le sculpteur qui a réalisé le buste ne lui a pas donné les traits d’un pilote connu ; il ne s’agit donc pas de Robert Grégoire. Ce buste est l’œuvre du sculpteur liégeois Jean Van Neste.


Formé à la sculpture à l’Académie de Liège, Jean (André) Van Neste (Grivegnée 1883-date de décès inconnue) a fait carrière dans la sculpture, tout en se lançant dans la peinture en autodidacte. Retenu prisonnier dans les camps allemands pendant la Première Guerre mondiale (il séjournait à Munster en mars 1915), Van Neste représentera les conditions de sa captivité, ainsi que des portraits de prisonnier dans quelques tableaux. Son œuvre peint privilégie cependant les paysages, les fleurs et les natures mortes, voire quelques scènes villageoises. Comme d’autres sculpteurs, il eut diverses commandes de monuments aux morts de la Grande Guerre dont principalement celui de Spa.


En 1935, lors de l’inauguration, un bas-relief en bronze a déjà été apposé à mi-hauteur, dans le prolongement de la végétation sculptée sur la face côté Amblève : lui aussi œuvre de Jean Van Neste, il représente Paul Demeuter. Par la suite, d’autres bas-reliefs viendront s’ajouter au « Mémorial aux glorieux pionniers du Sport Motocycliste belge » ; ainsi, dès 1937, y trouve-t-on celui de Robert Grégoire, réalisé par Robert Mermet.
Après la Seconde Guerre mondiale, avec le soutien de la Fédération motocycliste de Belgique, la RLMOA s’occupera de l’entretien, de la restauration et d’un nouvel aménagement du monument qui se transforme en un mémorial dédié à tous les motocyclistes décédés en course, tout en honorant les victimes des deux guerres mondiales. Autour du monument, un espace rond est circonscrit par la construction d’un mur en moellons ; à ses extrémités, le demi-cercle bâti supporte un casque de motard reposant sur des feuilles de lauriers, tandis que débordent du mur une demi-roue et la partie arrière d’une moto. À deux endroits dans la partie haute du muret en moellons, une pierre bleue a été gravée au nom de :


LA
FEDERATION MOTOCYCLISTE BELGE
A SES HEROS


DE
BELGISCHE MOTORIJDERS BOND
AAN ZIJN HELDEN


ainsi que la mention             1914–1918         1940–1945


À l’arrière du socle principal, la liste des noms de motocyclistes décédés au cours de compétitions belges est apposée ; le nom des délégués officiels décédés au cours de compétition apparaît aussi. Cette nouvelle inauguration se déroule le 8 juin 1958.


Daté de 1937, le bas-relief représentant Robert Grégoire est dû au ciseau du sculpteur français Robert Mermet (Paris 1896 – Cusset 1988). Avant la Grande Guerre, alors qu’il n’avait que 14 ans, il intègre l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris ; après l’Armistice, il se retrouve en Belgique où il va réaliser l’essentiel de sa carrière. Inscrit à l’Académie de Bruxelles à partir de 1921, il bénéficie des conseils de Montal, son professeur de dessin, et il fait ses armes dans l’atelier de Paul Du Bois. Lauréat du Grand concours triennal de sculpture de l’Académie de Bruxelles en 1923, héritier de Rodin et de Gimond, Mermet va signer de très nombreux bustes, pour des notables bruxellois fortunés, mais aussi un buste d’Einstein et un autre du docteur Schweitzer. Il est cependant peu présent dans l’espace public wallon ; son travail se rencontre néanmoins à Bioul (monument Vaxelaire), à Charleroi (le « révolté » sur un palais de l’industrie) et à Aywaille. Au moment de l’invasion allemande de mai 1940, il trouve refuge non loin de Vichy, à Cusset précisément où il installe définitivement son atelier. Là, outre un monument aux morts inauguré en 1953, le statuaire est régulièrement invité à réaliser le buste de maires ou d’écrivains (comme Émile Guillaumin), tout en formant de jeunes élèves (comme Georges Jeanclos). D’inspiration, il réalise aussi de nombreux nus, de petite taille, qui ne sont pas sans rappeler certaines œuvres de Paul Du Bois. D’ailleurs, si la présence de bas-reliefs de Mermet dans la cité aqualienne peut s’expliquer par la véritable passion qu’il nourrissait pour la moto, il est tout aussi vraisemblable qu’elle soit motivée par les liens qui unissaient le « jeune » sculpteur à son maître, Paul Du Bois, auquel il faut sans aucun doute attribuer le mémorial Grégoire.


Si l’on ne trouve nulle trace de signature de Paul Du Bois sur le monument (ni d’ailleurs dans les biographies qui sont consacrées à l’un et dans les brèves descriptions consacrées à l’autre), il suffit de quelques « arguments » pour se convaincre qu’il en est bien l’auteur. Au-delà de sa naissance à Aywaille et de sa proximité avec Mermet, Paul Du Bois vient d’achever un monument Lenoir à Arlon (1931) qui le lie au monde des moteurs automobiles. Dans le style du monument, on reconnaît la griffe de l’artiste wallon qui recourt volontiers à une allégorie féminine pour mettre davantage en évidence son sujet. C’est particulièrement évident dans le cas d’Aywaille. Sous réserve d’éléments contraires, il semble par conséquent que, dans une production déjà abondante, il faille ajouter le « Mémorial Grégoire » d’Aywaille à l’œuvre de celui qui fut formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1877-1884), qui fut l’élève de Louis François Lefèbvre, de Jean-Joseph Jaquet et d’Eugène Simonis, avant de profiter des conseils de Charles Van der Stappen.


Ouvert à l’avant-garde sans renier son attachement à la Renaissance, membre-fondateur du groupe bruxellois d’avant-garde le Cercle des XX, puis de la Libre Esthétique, Paul Du Bois excelle dans les portraits quand lui parviennent les premières commandes officielles de la ville de Bruxelles. Sans abandonner des œuvres de son inspiration qui sont remarquées et primées lors de Salons et d’Expositions à l’étranger, il réalise le monument Félix de Mérode (Bruxelles, 1898) qui symbolise le début de son succès. En 1900, il est nommé professeur à l’Académie de Mons (1900-1929) et, deux plus tard, il est chargé du cours de sculpture ornementale (1902-1905), puis de sculpture d’après l’antique (1905-1910) à l’Académie de Bruxelles où il reste en fonction jusqu’en 1929. En 1910, il succède à Charles Van der Stappen à l’École des Arts décoratifs. Vice-président du jury d’admission des œuvres pour le Salon des œuvres modernes de l’Exposition internationale de Charleroi (1911), Du Bois signe plusieurs monuments commémoratifs dans l’espace public de Wallonie et on lui doit aussi des bijoux, des médailles (dont celle de l’Exposition universelle de Liège en 1905). Né Paul Dubois, il avait très tôt changé la graphie son nom (en Paul Du Bois) afin d’éviter d’être confondu avec… son célèbre homonyme français.

 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, dont Le Soir, 31 mai 1991
Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 111-112
http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Circuit_de_Spa-Francorchamps_fatal_accidents (s.v. décembre 2014)
René HENRY, Aywaille – Chronique illustrée du XXe siècle, Liège, Dricot/PAC Aywaille, s.d., p. 94-95, 104-107
http://racingmemo.free.fr/M%20HISTOIRE/M-HIST%201934.htm (s.v. avril 2015)
Les Mermet d’hier et d’aujourd’hui, bull. n°17, mars 2007, sur http://www.mermet.asso.fr/IMG/pdf_bulletin17.pdf (s.v. avril 2015)
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 517
Paul Du Bois 1859-1938, édition du Musée Horta, Bruxelles, 1996
Anne MASSAUX, Entre tradition et modernité, l’exemple d’un sculpteur belge : Paul Du Bois (1859-1938), dans Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1992, t. XXV, p. 107-116
Anne MASSAUX, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 4, p. 142-145
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. II, p. 672

Avenue de la Libération 1
Promenade Jean d’Ardenne
4920 Aywaille

carte

Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Plaque Georges LAPORT

Plaque commémorative Georges Laport, réalisée par l’architecte H. Moureau, avec l’aide de J. Maréchal et R. Parmentier, 4 mai 1952.

Sous le patronage des autorités locales, une plaque commémorative est inaugurée dans la cour de l’École communale de Fraiture. Don des carrières de la Belle Roche, la pierre est dédiée à

GEORGE LAPORT
NÉ À FRAITURE EN 1898
HOMME DE LETTRES
HISTORIEN DES TRADITIONS POPULAIRES
RÉSISTANT MORT AU CAMP D’EXTERMINATION
ALLEMAND DE DACHAU EN 1945

L’initiative en revient au Comité provincial liégeois d’Action et de Vigilance et au Comité patriotique de Comblain-au-Pont. Avocat général et membre du musée de Comblain, Georges de Froidcourt a rédigé le texte de la dédicace. L’architecte H. Moureau a conçu la répartition du lettrage sur la plaque qu’a gravée J. Maréchal et peinte R. Parmentier, un ancien prisonnier de guerre. D’autres associations apportent leur soutien en raison des multiples activités développées par George Laport.

Maître de carrières, George Laport est avant tout connu comme homme de lettres, critique d’art et folkloriste. Depuis cinq générations, les Laport ont leur ancrage au bord de l’Amblève et ses parents sont propriétaires de nombreuses terres à Fraiture où l’exploitation des carrières est la principale activité. En dehors de ce métier, Laport s’intéresse particulièrement à son terroir. Co-fondateur du Musée de Comblain-au-Pont, il en sera le président. Il préside aussi l’Association libérale de Comblain. Mais ses écrits le font connaître au-delà de Comblain. Trésorier et bibliothécaire du jeune Musée de la Vie wallonne, délégué de la société des Écrivains ardennais (1932), membre titulaire de la Société de Littérature wallonne, membre de la Commission nationale de folklore (1937), correspondant wallon pour des revues étrangères, auteur d’articles très documentés dans La Vie wallonne, il signe plusieurs ouvrages qui deviennent de véritables références comme Folklore des paysages en Wallonie (1929), Les Quatre Fils Aymon et la Forêt d’Ardenne, ou Les Contes populaires wallons (1932). Celui qui avait d’abord écrit sur les carrières de l’Ourthe et de l’Amblève signera aussi un ouvrage sur Marcellin Lagarde (1927) et un autre sur Théroigne de Méricourt (1931).

Pionnier de l’enquête orale, il rassemble nombre de témoignages et légendes qui, sans lui, auraient disparu. C’est notamment le cas pour l’histoire de Bertrix, mais aussi pour les contes et légendes de la région de Comblain. Par ailleurs, George Laport présidait aussi avec intelligence la Société du Vieux Liège lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata. L’historien des traditions populaires entra rapidement en résistance. Mais le 4 juin 1942, il est arrêté par la GFP et, condamné pour ses actes de résistances à l’occupant, il est déporté à Dachau où il semble être décédé en 1945.

Les associations patriotiques placent tous leurs espoirs dans la présence permanente du message gravé dans la pierre au cœur d’un établissement scolaire tourné vers les jeunes générations. Cette plaque ne sera pas la seule dédiée à George Laport, par ailleurs défenseur de la nature et de l’environnement notamment au sein de l’Association de Défense de l’Ourthe. C’est ainsi, notamment, que l’on retrouve le nom de George Laport, associé à celui d’autres victimes de la Seconde Guerre mondiale, sur une plaque commémorative insérée dans le mur de la ferme de la rue de l’Entente. 

Sources 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres. L’Album du Centenaire. 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 77, 130, 142, 211
Bulletin de l’Association de Défense de l’Ourthe et de ses affluents, avril-juin 1952, n°151, p. 80-81.
 

Plaque Georges Laport (Fraiture (-sur-Amblève)

Rue A Vi Tiyou 10
4140 Fraiture (-sur-Amblève)

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Buste McAULIFFE Anthony

Alors que les forces alliées semblaient avoir libérer définitivement les villes wallonnes en septembre 1944, l’Allemagne hitlérienne tente une contre-offensive à hauteur de l’Ardenne à partir du 16 décembre 44. L’attaque surprise du maréchal von Rundstedt vise les ponts de la Meuse et à séparer les armées anglaises des forces américaines pour reprendre le port d’Anvers. 

C’est autour de Bastogne que la bataille décisive se déroule au cours d’un hiver particulièrement terrible. Dans la neige et le brouillard, les soldats alliés paraissent au bord de la rupture. Le 22 décembre, la ville de Bastogne est à ce point encerclée par la 5e Panzer Armée que des émissaires allemands proposent au commandant américain de la 101st Airborne Division « Screaming Eagles » de déposer les armes. Soufflée par le général Kinnard, la réponse du commandant Anthony Mc Auliffe deviendra célèbre : Nuts ! Il n’est pas question de reddition. 

Dans les heures qui suivent, les conditions climatiques s’améliorent. Le ravitaillement arrive. Et les troupes qui résistent depuis plusieurs jours reçoivent finalement l’aide de l’aviation avant que la division blindée de George Patton entre dans la ville le 26 décembre, créant un couloir de communication entre les défenseurs de Bastogne et les renforts. La bataille de Bastogne entre dans l’histoire. 

Dans les années qui suivent la Libération, une série de monuments sont érigés à Bastogne en l’honneur des libérateurs. Celui de Mc Auliffe est l’un des tout premiers. Il est inauguré en présence du militaire américain. Celui-ci reviendra en 1950 pour l’inauguration du Mardasson. Il est vrai qu’en 1949, sur décision du conseil communal, il avait reçu le titre de « citoyen d’honneur de Bastogne » et qu’en 1947 la grand place locale a été rebaptisée place McAuliffe. 

Ces exemples témoignent des échanges étroits établis entre les États-Unis et les diverses autorités belges. Ainsi, voit-on en juillet 1946, l’ambassadeur de Belgique aux États-Unis, le baron Silvercruys, remettre solennellement au président Truman un coffret contenant un peu de terre provenant du champ de bataille de Bastogne. C’est dans ce contexte que la sœur du dit ambassadeur, Suzanne Silvercruys-Stevenson (1898-1973), sculpte un buste en l’honneur de McAuliffe qui va trouver une place de choix, au cœur de Bastogne.  

Monument du (général) Anthony McAuliffeInauguré en présence du « héros de Bastogne », le buste va être étroitement associé au char américain Sherman M4, figé sur son socle 

à partir de 1948. Le buste du militaire se trouve alors juste devant le char. Par la suite, le buste est déplacé dans un endroit moins visible, situation que n’apprécie pas le héros américain qui le fait savoir. Le buste est alors ramené à l’angle de la place, dans l’environnement immédiat du Sherman, et y demeurera quels que soient les aménagements successifs de la dite place.

Originaire de Washington, diplômé de West Point en 1918, Anthony McAuliffe (1898-1975) accomplit l’essentiel de sa carrière dans l’armée américaine (1918-1955). L’épisode de Bastogne ne constitue qu’une étape – certes la plus glorieuse – dans son impressionnant parcours. En juin 1944, il a été parachuté sur la Normandie, lors du Débarquement et il a aussi participé à l’opération Market Garden. C’est en l’absence de Maxwell D. Taylor retenu par une réunion aux États-Unis que McAuliffe s’est retrouvé à la tête de la 101e Division pour répondre à l’offensive allemande. « Sa » guerre en Europe ne s’achèvera qu’en mai 1945. De retour aux États-Unis, il occupe plusieurs postes de commandement avant d’être promu général, le 1er mars 1955. Retiré de l’armée en 1956, il poursuit des activités à l’American Cyanamid Corporation.

Quant à Suzanne Silvercruys, elle a connu une destinée marquée par la Première Guerre mondiale. Fille du président de la Cour de Cassation de Bruxelles, elle est adolescente quand éclate la Grande Guerre. Après la mort d’Edith Cavell, elle fuit la Belgique, passant par les Pays-Bas et l’Angleterre avant de se réfugier aux États-Unis. À Philadelphie, elle témoigne une première fois des horreurs et des destructions de la guerre en Europe et ses propos sont repris par de nombreux journaux. 

Le gouvernement belge lui demande alors de parcourir son pays d’accueil pour faire connaître le drame qui se joue en Europe et collecter des fonds pour les secours belges. Après la guerre, restée en Amérique, cette Limbourgeoise (elle est née à Maaseik) sort diplômée de la Yale University (Beaux-Arts, en 1928) et de la Temple University (Lettres). 

Dans les années 1930, elle participe à des compétitions d’art, consistant à réaliser des sculptures esthétiquement réussies en un minimum de temps. Mais c’est surtout en réalisant le buste de plusieurs personnalités importantes que l’artiste se fait un nom. La sculptrice signe notamment celui de Herbert Hoover (bibliothèque de Louvain), du gouverneur du Canada, d’acteurs (Katryn Hepbrun), de hauts militaires, etc. Mariée à un lieutenant-colonel américain, Edward Ford Stevenson, Suzanne Silvercruys compose aussi des œuvres d’inspiration plus personnelle. En 1968, elle réalise la statue Noccalula qui, avec ses 9 mètres de haut, représente une fille Cherokee avant son saut légendaire au-dessus des chutes d’eau de Gadsden. Écrivain, conférencière, engagée politiquement, celle qui milite en faveur du Parti républicain et est surnommée « Suzanne of Belgium » est considérée comme une artiste américaine. 

Sources

- Maison du Tourisme du Pays de Bastogne - Guy Blockmans OPT 
- Suzanne SILVERCRUYS, en collaboration avec Marion Clyde MCCARROLL, Suzanne of Belgium ; the story of a modern girl, New York, 1932 
- Suzanne Silvercruys, A Primer Of Sculpture, New York, 1942  

Place McAuliffe 
6600 Bastogne

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Gabrielle PETIT

Place Clovis, au pied de l’église Saint-Brice, à Tournai, un monument d’hommage à la résistante Gabrielle Petit est inauguré en mai 1924 par les autorités locales. Afin de marquer l’importance de l’événement, la reine Elisabeth a tenu à être présente à cette occasion. Toute la ville de Tournai est par conséquent mobilisée, et le monument réalisé par Paul Du Bois est à la hauteur de l’héroïne tournaisienne et nationale qui est honorée.

Monument Gabrielle Petit

Gabrielle Petit

Née à Tournai en 1893, Gabrielle Petit est apparentée, par son père Jules Petit, à la famille Bara, qui lui vient en aide matérielle pour ses études. Par conséquent, son exécution par les Allemands, au Tir national à Bruxelles, le 1er avril 1916, n’a pas échappé à l’opinion publique qui s’est scandalisée du comportement de l’occupant.

La jeune fille avait achevé ses études au couvent des Sœurs de l’Enfant-Jésus, à Brugelette, quand éclate la Première Guerre mondiale, et elle multipliait les petits boulots pour survivre. Son mariage était sa préoccupation principale quand son fiancé, Maurice Gobert, un jeune sous-officier, est mobilisé, tandis que Gabrielle Petit s’engage comme infirmière. Contre sa volonté, Gabrielle Petit perd définitivement le contact avec son petit ami. 

C’est en cherchant désespérément à le retrouver qu’elle est recrutée par les services de renseignements alliés et envoyée en mission en Belgique occupée (juillet 1915). L’espionne parvient à fournir diverses informations à caractère militaire, tout en s’occupant du passage de civils aux Pays-Bas, mais elle est repérée. Malgré les précautions prises à la suite d’une première alerte, Gabrielle Petit est finalement démasquée sous son faux nom de Mlle Legrand. 

Arrêtée en janvier 1916, elle est condamnée le 3 mars et fusillée le 1er avril. Son dévouement et son sort tragique marquent l’opinion publique, d’autant qu’une série d’anecdotes et faits romancés viennent alimenter la légende autour de la jeune femme.

Dès les premiers jours de l’Armistice, plusieurs initiatives sont prises : funérailles nationales (mai 1919), décorations, attribution de son nom à des rues, pose de plaques commémoratives (Tournai, 1919) et construction de monuments. Gabrielle Petit est élevée au rang d’héroïne nationale belge. Après Bruxelles (1923), Tournai (1924) honore à son tour celle qui fera l’objet d’un film en 1928 et d’une littérature abondante dans l’Entre-deux-Guerres.

En raison de sa portée symbolique, le monument tournaisien ne pouvait être confié qu’à un artiste confirmé et reconnu. Aidé par l’architecte Joseph Van Neck (1880-1953), le sculpteur Paul Dubois  (Aywaille 1859 – Uccle 1938) s’emploie à immortaliser la jeune femme. Le piédestal en pierre de France comporte trois parties ; le centre s’élève comme la base d’un obélisque qui incorpore un débord rectangulaire où est gravée la dédicace.

VOUS ALLEZ VOIR
COMMENT
UNE FEMME BELGE
SAIT MOURIR

Gabrielle Petit

 

Latéralement, deux ailes de renfort encadrent la colonne centrale, tandis qu’un large espace est créé à l’avant-plan, avec deux marches d’accès. Lors de l’inauguration, cet espace sera couvert d’un nombre considérable de gerbes et de couronnes de fleurs. Sont encore gravées les mentions suivantes sur le côté droit :

née à Tournay
le 20 février 1893
et sur le côté gauche :
fusillée
le 1 avril 1916
 

On ne voit plus guère l’erreur factuelle du sculpteur, qui avait gravé 1915 au lieu de 1916. On retrouve aussi les armoiries de Tournai sur la partie avant et inférieure du monument.

Quant à la statue en bronze proprement dite (fondue par la Compagnie nationale des Bronzes), elle représente une jeune fille debout, portant des vêtements communs de l’époque, qui donne l’impression d’aller de l’avant, tandis qu’une autre jeune fille, ailée, l’accompagne en lui déposant un baiser sur le front. Surmontant Gabrielle Petit, l’autre femme paraît la guider, son bras gauche tendu vers l’avant, semblant à la fois protecteur et indicateur du chemin à suivre. Le sculpteur a multiplié les effets de drapé sur ses deux personnages et a donné une indiscutable originalité à l’ensemble de son œuvre tournaisienne.
 

Le sculpteur Paul Dubois

Originaire d’Aywaille, où il grandit dans un milieu de la petite bourgeoisie, Paul Dubois dispose d’une aisance suffisante pour bénéficier d’une formation de 7 ans à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles (1877-1884), où il est tour à tour l’élève de Louis François Lefèbvre, de Jean-Joseph Jaquet et d’Eugène Simonis, avant de profiter des conseils de Charles Van der Stappen. 

Condisciple de Rombeaux, Rousseau et Bonnetain, notamment, Paul Dubois remporte le prix Godecharle 1884 qui le place d’emblée parmi les sculpteurs les plus prometteurs de sa génération. C’est de cette époque que remonte cette signature – Du Bois – qui doit lui permettre de se distinguer de son parfait homonyme français, voire de Fernand Dubois.

Son œuvre, variée et abondante (près de 200 sculptures), ne démentira pas cette entrée remarquée parmi les sculpteurs de son temps. Après 3 années passées à visiter les musées d’Europe, l’artiste wallon installe son propre atelier à Bruxelles, avec Guillaume Van Strydonck. Ouvert à l’avant-garde sans renier son attachement à la Renaissance, membre-fondateur du groupe bruxellois d’avant-garde le Cercle des XX, puis de la Libre Esthétique, il excelle dans les portraits quand lui parviennent les premières commandes officielles de la ville de Bruxelles. 

Sans abandonner des œuvres de son inspiration, qui sont remarquées et primées lors de Salons et d’Expositions à l’étranger, il réalise le monument Félix de Mérode (Bruxelles, 1898) qui symbolise le début de son succès. En 1900, il est nommé professeur à l’Académie de Mons (1900-1929) et, deux plus tard, il est chargé du cours de sculpture ornementale (1902-1905), puis de sculpture d’après l’antique (1905-1910) à l’Académie de Bruxelles où il reste en fonction jusqu’en 1929. En 1910, il succède à Charles Van der Stappen à l’École des Arts décoratifs. Vice-président du jury d’admission des œuvres pour le Salon des œuvres modernes de l’Exposition internationale de Charleroi (1911), il signe plusieurs monuments commémoratifs à Bruxelles et en Wallonie (Alfred Defuisseaux à Frameries en 1905, Antoine Clesse à Mons en 1908, Frère-Orban à Liège en 1931, de la Chanson wallonne à Tournai en 1931), ainsi que des bijoux, des médailles (dont celle de l’Exposition universelle de Liège en 1905) et des sculptures allégoriques variées. C’est donc à un artiste confirmé qu’est confiée la réalisation du monument Gabrielle Petit à Tournai en 1924.




Jacky LEGGE, Tournai, tome II : Monuments et statues, Gloucestershire, Éd. Tempus, 2005, coll. Mémoire en images, p. 55, 69-72
Pierre DECOCK, dans Biographie nationale, t. 43, col. 576-585
Judith OGONOVSZKY, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 374-378
Anne MASSAUX, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 4, p. 142-145
Paul Du Bois 1859-1938, édition du Musée Horta, Bruxelles, 1996
Anne MASSAUX, Entre tradition et modernité, l’exemple d’un sculpteur belge : Paul Du Bois (1859-1938), dans Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1992, t. XXV, p. 107-116
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. 1, p. 517-518.

Place Clovi
7500 Tournai

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Mémorial Félicien ROPS

Mémorial Félicien Rops, 17 septembre 1933.
Réalisé par l’architecte Jules Lalière et le sculpteur Armand Bonnetain.

Depuis 1912, les membres namurois de l’association des Amis de l’Art wallon piaffent d’impatience à l’idée de pouvoir inaugurer à Namur un édifice commémoratif digne du talent de Félicien Rops. Malgré un parcours semé d’embuches, l’objectif est atteint quand, le 17 septembre 1933, est dévoilé le monument Rops dans le parc Louise-Marie. Il s’agit d’une réalisation à la fois simple et très originale puisqu’a été reproduit à Namur l’escalier que Félicien Rops lui-même avait imaginé, dessiné et réalisé dans son jardin de la Demi-Lune, à Essones, près de Paris. À l’arrière de cette maison qu’il habitait, à la fin de sa vie, Rops se fit aider par ses deux jardiniers ; il utilisa les pierres ramassées sur place et construisit l’escalier qui relier deux des terrasses de ce jardin garni de roses, qui dévale de la route de Fontainebleau vers la Seine. « Cet escalier à double révolution encadre une muraille où s’enchâsse un vivant médaillon [dû au] sculpteur Armand Bonnetain ». Il trouve très bien sa place dans le cadre arboré du parc aménagé entre 1874 et 1880 et dédié à Louise-Marie d’Orléans.

S’inscrivant dans le cadre des Fêtes de Wallonie, l’inauguration de « l’escalier Rops » attira la grande foule ; en l’absence de Jules Destrée, Armand Rassenfosse – vice-président du Comité du monument Rops – remet officiellement le monument à la garde de la ville de Namur qui l’accepte, via Louis Huart, son bourgmestre.

Pour les amis de Félicien Rops, cette inauguration scelle définitivement une initiative qui remonte à 1912. Au sein des Amis de l’Art wallon, association constituée au lendemain des deux grands salons artistiques organisés par Jules Destrée dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi en 1911, l’affirmation d’un art wallon passe obligatoirement par l’élévation d’un monument Rops dans l’espace public de Wallonie. Les ambitieux projets ayant été remisés en raison de la Grande Guerre, un autre obstacle se mit sur la route du « monument Rops » après l’Armistice. La section de Liège des Amis de l’Art wallon s’était mobilisée autour d’un projet tout aussi ambitieux, en l’honneur de César Franck. Le centenaire de sa naissance, en 1922, devait donner naissance à un monument que l’on ne voulait pas concurrencer. L’échec de l’initiative des Liégeois raviva le projet des « Namurois » qui posèrent un premier acte concret, en 1925, par l’accrochage d’une plaque commémorative sur la maison natale de Félicien Rops. D’autres projets furent alors élaborés, mais seul le monument inauguré en 1933 aboutira, même si ses initiateurs regrettèrent vivement ne pas avoir réussi à récolter tous les fonds nécessaires à la réalisation d’un imposant bas-relief qui aurait été la reproduction d’un frontispice bien connu de Rops, La Femme et la Chimère, qui aurait parfaitement symboliser son œuvre.

L’inauguration de « l’escalier Rops » qui doit encore se couvrir de rosiers grimpants est alors l’occasion pour les orateurs (principalement Charles Delchevalerie) de rappeler que le « Grand Namurois » est un artiste wallon des plus exceptionnels. Peintre, aquafortiste, dessinateur, illustrateur et graveur, Félicien Rops (Namur 1833 – Essonnes 1898), le provocateur, le compositeur du Pornocratès, n’avait pourtant pas consenti beaucoup d’efforts pour éviter de tomber dans un purgatoire justifié seulement par la pudibonderie de son temps. Les esthètes de l’art wallon ne s’y étaient cependant pas trompés ; ils avaient rapidement reconnu dans l’œuvre de Rops des qualités exceptionnelles qu’il fallait absolument partager avec le plus grand nombre, tout en faisant de Rops un représentant majeur de l’art produit en Wallonie.

Dans les milieux artistiques que fréquente le jeune Rops alors qu’il est inscrit aux cours de Droit de l’Université libre de Bruxelles au milieu du XIXe siècle, on a très vite reconnu le talent du caricaturiste et du lithographe. Illustrateur des Légendes flamandes (1858) de Charles de Coster, il est poussé par Charles de Groux et Constantin Meunier. Maîtrisant toutes les techniques (vernis mou, pointe sèche, aquatinte), il excelle dans la gravure à l’eau-forte qu’il a étudiée à Paris. Illustrateur de Baudelaire (Épaves en 1866, et les poèmes condamnés des Fleurs du mal), Rops devient l’un des illustrateurs les plus recherchés de la capitale française où il s’installe définitivement en 1874, sans renoncer à voyager à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il en ramène d’éblouissants paysages ; mais à côté de cette peinture à l’huile, le dessinateur continue d’affoler les bourgeois bien-pensant par ses thématiques provocatrices. Membre du Groupe des XX, Félicien Rops a encore croisé la route d’Armand Rassenfosse (1886). De leur profonde amitié naissent une technique particulière de gravure et un vernis mou transparent, au nom évocateur, le « Ropsenfosse ».

Loin de ces techniques, mais faisant preuve d’une créativité indéniable, l’architecte Lalière et le sculpteur Bonnetain intègrent hardiment le mémorial Rops dans le parc Louise-Marie. Proche ami de Jules Destrée, Armand Bonnetain (Bruxelles 1883 – Uccle 1973) signe un médaillon présentant le profil droit de Félicien Rops. Ce médaillon en bronze est enchâssé dans une large plaque de marbre où se lit la dédicace : 1833-1898, Félicien Rops. Quant à Jules Lalière, il adapte à Namur l’œuvre parisienne de Rops.

Médailleur-statuaire, ce fils d’un chef-coq de nationalité française ne prend la nationalité belge qu’en 1926. Ancien élève de Constant Montald, Bonnetain s’adonne d’abord à la peinture avant d’être happé par la sculpture à la suite des cours de Charles Van der Stappen qui l’initie plus particulièrement à l’art de la médaille. Contemporain des Anto Carte, Paul Delvaux, René Magritte et Edgar Tytgat, de Pierre Theunis et Marcel Rau, Armand Bonnetain se spécialise dans le seul genre de la médaille. Du portrait de l’épouse de Van der Stappen, en 1902, à la représentation du compositeur Léopold Samuel, sa dernière réalisation en 1968, Bonnetain signe près de trois centaines de médailles, réalise des bas-reliefs, parfois de grande taille, ne réalisant des bustes exceptionnellement que pour ses amis (comme celui de Jules Destrée en 1913). Comme l’écrit François de Callataÿ, « Bonnetain s’inscrivit comme l’héritier de la tradition renaissante du portrait en médaille, qui fait correspondre au portrait physique du droit celui moral du revers ». S’il est le plus souvent adepte du format rectangulaire, il signe à Namur un médaillon arrondi pour Félicien Rops. Il s’intègre dans une pierre rectangulaire beaucoup plus large qui prend place au milieu de l’escalier réalisé par Jules Lalière (Lambusart 1875 – Namur 1955). Formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles dans les années 1890, il sera désigné architecte-urbaniste de la ville de Namur en 1946, nomination consacrant une intense activité d’un demi-siècle dans la capitale wallonne. Installé dès le début du XXe siècle à Namur, il y réalise trois maisons de maître « Art Nouveau » avant de mener la construction de son propre hôtel particulier inspiré par Victor Horta. Le succès qu’il rencontre avant-guerre dans la vallée mosane ne se dément pas quand sonne l’heure de la reconstruction. Si son plan d’aménagement de la Grand’ Place de Namur n’est pas retenu, il obtient des commandes privées (cinéma « Renaissance », maison de François Bovesse, hôtel du Château de Namur à la Citadelle) ou plus sociales (Cité Renaissance à Saint-Servais) où s’expriment des styles fort différents. S’étant consacré aussi à la restauration de monuments anciens, il entre sans surprise comme membre effectif de la Commission royale des Monuments et des Sites (Section Monuments) en 1937. En tant qu’architecte, Lalière apporte une contribution remarquée à deux monuments commémoratifs : le mémorial du massacre de Tamines (avec Mascré, en 1920) et son « escalier Rops » (avec Bonnetain).

Sources

Wallonia 1912, p. 561
La Vie wallonne, 15 août 1921, n°12, p. 573
La Vie wallonne, 15 octobre 1925, LXII, p. 81
La Vie wallonne, 15 décembre 1925, LXIV, p. 133-146
La Vie wallonne, octobre 1933, CXLVIII, p. 66-68
Maurice KUNEL, dans Biographie nationale, t. 33, col. 627-631
François DE CALLATAŸ, Armand Bonnetain, dans Nouvelle Biographie nationale, t. IX, p. 54-58
Marc SIMON, Jules Lalière, dans Nouvelle Biographie nationale, t. III, p. 211-212
Anne-Françoise GOFFAUX, Bernard WODON, Répertoire des architectes wallons du XIIIe au XXe siècle, Namur, 1999, Études et documents, série Aménagement et Urbanisme n°4, p. 99

 

Mémorial Félicien Rops – © Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Parc Louise-Marie
5000 Namur

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Plaque Léon TRESIGNIES

Plaque commémorative au caporal Léon Trésignies, à l’initiative des autorités locales, c. 2012.

Pendant plusieurs années, la façade de la maison natale de Léon Trésignies, à Bierghes (Rebecq) présentait, entre les deux fenêtres du premier étage, légèrement à droite au-dessus de la porte d’entrée, une plaque commémorative dédiée à ce soldat héros de la Grande Guerre. Il s’agissait d’un marbre blanc stylisé sur sa partie supérieure, où étaient gravées deux palmes, en haut à gauche et à droite, et la mention suivante, au centre :


AU
CAPORAL
TRESIGNIES
NÉ À BIERGHES
LE 26 MARS 1886
HOMMAGE ET RECONNAISSANCE
1914 – 1918


La rue du village, où se situait la maison natale, fut d’ailleurs rebaptisée à son nom. Pendant plusieurs années aussi, la maison figurait sur le parcours d’une promenade rendant hommage aux héros de la localité (Rebecq Historical Association). Vers 2009-2010, la bâtisse a été rasée et de nouvelles maisons ont été construites. La plaque commémorative, quant à elle, a été préservée et apposée sur le monument aux morts des deux guerres de Bierghes, située à hauteur du rond-point de la place Léopold Nuttinck et de la rue caporal Trésignies. Construit en briques, le monument aux morts présente en effet la particularité d’être composé de trois parties relativement distinctes mais réunies : au centre, la partie la plus haute, est dédiée aux victimes de la Grande Guerre ; la partie de droite aux victimes de 1940-1944 et celle de gauche accueille la plaque en marbre blanc, en dessous de laquelle a été placé un médaillon avec la photographie du visage de Trésignies.
Ouvrier aux chemins de fer, ce natif de Rebecq a été mobilisé en août 1914 comme de nombreux autres jeunes Wallons de sa génération. Il a rejoint directement la 2e compagnie, 3e bataillon du 2e Chasseur à pied. Arrivé à hauteur du canal de Willebroeck, bloqué par les Allemands, il a fait la preuve d’un courage tel que le statut de héros lui a été immédiatement attribué. Il s’est en effet porté volontaire pour plonger dans le canal et tenter d’actionner le mécanisme du pont-levis. Repéré par les Allemands, il est abattu sur place (26 août 1914). Il est cité à l’ordre du jour de l’Armée belge le 15 septembre 1914 : « Au caporal Trésignies, le héros de Pont-Brûlé, il honora son régiment, l’armée et la nation ». Très vite, il devient le héros du Pont-Brûlé, un héros de la résistance nationale auquel de nombreux hommages seront rendus après l’Armistice, grâce à l’initiative de la Ligue du Souvenir ; tandis qu’une souscription est lancée dans toute la Belgique pour un monument à élever à hauteur du Pont-Brûlé et que Charleroi lui rend aussi hommage, sa commune natale ne pouvait faire moins que d’apposer une plaque commémorative sur sa maison natale et de continuer d’honorer sa mémoire : outre la présence de la plaque sur le monument aux morts et par conséquent les hommages annuels, le caporal a été au centre d’une exposition, en 2014, organisée au Moulin d’Arenberg, dans le cadre du centième anniversaire de la Grande Guerre.

Sources
 

http://www.1914-1918.be/photo.php?image=photos/tresignies/tresignies_02.jpg 
http://www.bel-memorial.org/names_on_memorials/display_names_on_mon.php?MON_ID=1154  (s.v. juillet 2015)
Yves VANDER CRUYSEN, Un siècle d’histoires en Brabant wallon, Bruxelles, Racine, 2007, p. 51-52
Raymond GILON, Les Carnets de la mobilisation 38-40, Liège, Dricot, s.d., p. 308
Arthur DELOGE, Le caporal Trésignies, le héros du Pont-Brûlé, Bruxelles, ACJB, 1922
Camille BUFFIN, La Belgique héroïque et vaillante, Paris, 1916, p. 117-119

Plaque Léon Trésignies (Bierghes)

Rue Caporal Trésignies
Ensuite place Léopold Nuttinck, c. 2012
1430 Bierghes

carte

Paul Delforge

Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Roland de LASSUS

Statue à la mémoire de Roland de Lassus, réalisée par Barthélemy Frison, 23 mai 1853.


Au milieu du XIXe siècle, Mons, chef-lieu du Hainaut, n’a pas encore décidé quelle serait la première statue érigée dans l’espace public. L’initiative d’un tel monument n’est pas politiquement neutre. Jeune État né d’une révolution, la Belgique cherche à asseoir son autorité auprès des masses en mettant en évidence « ses » héros du passé. Déjà quelques « peintres d’histoire » ont commencé à s’inspirer d’événements du passé « belge » et les parlementaires ont décidé « d’honorer la mémoire des grands hommes belges » en encourageant toute initiative pour que fleurissent des statues dans l’espace public. D’emblée s’imposent comme « héros nationaux » : Pépin de Herstal, Thierry d’Alsace, Baudouin de Constantinople, Jean Ier de Brabant, Philippe le Bon et Charles Quint. Tandis que l’hôtel de ville de Bruxelles se couvre de près de 300 statues (entre 1844 et 1902), la façade du nouveau Palais provincial de Liège en accueille une quarantaine (entre 1877 et 1884). Chef de Cabinet, en charge de l’Intérieur (1847-1852), Charles Rogier invite chaque province à élever un monument digne des gloires nationales dans son chef-lieu. Dans le Hainaut, Roland de Lassus sera le premier personnage historique statufié dans l’espace public.


Ce natif de Mons est considéré comme la plus grande figure de la musique de la deuxième moitié du XVIe siècle. Enfant de chœur à l’église Saint-Nicolas de Mons, sa voix a enchanté plusieurs grandes cours d’Europe. Parti très tôt pour l’Italie, il se rend ensuite en Angleterre, se fixe un moment à Anvers, avant d’être engagé comme ténor par le duc de Bavière (1556) et d’être nommé maître de chapelle à Munich (1563-1594). Compositeur prolifique, il ne cesse d’alimenter les plus importants éditeurs d’Europe, à l’heure où l’imprimerie en est à ses débuts. En étant le premier à « commercialiser » ses « chansons » et sa musique religieuse, de Lassus sort des sentiers battus et, partout, il est accueilli comme « le prince des musiciens ». Sa notoriété n’avait pas échappé à Philippe Bosquier (Mons 1562, Avesnes 1636) : écrivain et prédicateur montois, ecclésiastique cultivé, personnage introduit auprès de plusieurs cours d’Europe, Bosquier fut le premier à suggérer aux magistrats de Mons, dans le premier tiers du XVIIe siècle, d’élever une statue de bronze en l’honneur de Roland de Lassus. À l’époque, il ne fut pas écouté.


Deux siècles plus tard, lors du Salon de Mons (juin 1846), un jeune sculpteur tournaisien présente quatre bustes, dont celui de Roland de Lattre, nom que le poète, bibliothécaire et polémiste montois Adolphe Mathieu (1804-1876) tente d’imposer pour désigner le Roland de Lassus. En ce milieu du XIXe siècle, les autorités locales nourrissent en effet plusieurs projets de monument et les défenseurs de Roland de Lassus se mobilisent. Ainsi, en 1849, une souscription est lancée par un jeune cercle de musique, la Société Roland de Lattre. En novembre 1850, un modèle en carton est présenté aux Montois ainsi qu’à une Commission appelée à décider de l’emplacement et du sujet. Le projet va passionner les Montois car, dans le même temps, un projet concurrent s’affiche : une statue dédiée à Baudouin de Constantinople. Finalement, avec le soutien de la Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut, la ville de Mons organise « un concours pour l’érection d’une statue en bronze honorant « Roland de Lattre » (1532-1594) » et c’est le jeune sculpteur tournaisien présent à Mons en 1846 qui l’emporte : apprenti-mouleur à la Manufacture de faïence de Tournai, Barthélemy Frison (1816-1877) a déjà été distingué par plusieurs prix à la suite de la formation en sculpture qu’il a suivie à l’Académie de Tournai. Remarqué à Paris où il suit une formation dans l’atelier privé de Ramey-Dumont, il y expose et reçoit des lauriers de l’Académie des Beaux-Arts ; diverses œuvres monumentales pour la ville de Paris lui permettent de vivre de son art dans la capitale française.


En 1851, le projet de Frison est retenu et, en juin 1852, la commission se rend à Paris pour examiner le modèle exécuté par l’artiste. La fonte est réalisée à Paris, chez Carnot en janvier 1853 et le 23 mai, il est inauguré en grandes pompes. La Grand Place de Mons a été abandonnée : la statue est installée sur la place du Parc. Sur le piédestal, une inscription rappelle que de Lassus a été :


« Prince des Musiciens de son temps »


La réalisation montoise procure une notoriété nouvelle à l’artiste : Barthélemy Frison poursuit sa carrière entre Paris et Tournai. Ses œuvres – le plus souvent en marbre – rencontrent beaucoup de succès lors des Salons et Expositions, tout en recevant des commandes officielles à Tournai, à Bruxelles comme à Paris. Ainsi, en 1866, il réalise le buste du violoniste Amédée Frison pour le cimetière Sud de Tournai.


Le premier monument public de la ville de Mons suscite cependant railleries et ricanements. Certains ne reconnaissent pas de qualités au musicien, d’autres s’amusent à ne retenir que quelques taches dans la vie du personnage, alors que l’on se moque aussi de l’orthographe « Roland Delattre » gravée dans le socle de la statue, car l’école favorable à « Roland de Lassus » a déjà démontré la justesse de ses arguments.


Aujourd’hui, ce monument a disparu. La statue a en effet été fondue par l’occupant allemand, dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale. Un autre existe cependant, situé au pied de la collégiale Sainte-Waudru ; il s’intitule « Cantoria » et l’hommage au musicien est gravé dans la tranche du socle de quelques centimètres qui soutient le bronze de trois choristes réunis pour interpréter une partition de Roland de Lassus.

 


Ferdinand LOISE, dans Biographie nationale, t. 11, col. 386-418
Alphonse WAUTERS, Mathieu, dans Biographie nationale, t. 14, col. 33-44
J-B. VAN DEN EEDEN, dans Biographie nationale, t. 44, col. 439
J. DELECOURT, dans Biographie nationale, t. 2, col. 741
Jean WUILBAUT, Mons 1853-1868. Controverses autour de la statue de Baudouin de Constantinople, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, Mons, 1988, t. 73, p. 1-45
Serge LE BAILLY DE TILLEGHEM, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 402-403
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 593
La Vie wallonne, III-IV, 1970, n°331-332, p. 546-547

Place du Parc
7000 Mons

carte

Paul Delforge