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Delneufcour Pierre (François Joseph)

Révolutions

Mons 04/01/1756, Mons 08/04/1827

Personnalité controversée au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Pierre Delneufcour n’a pas manqué d’initiatives : considéré comme le fondateur du premier journal montois (1786), il a été le porteur de la demande du Hainaut/département de Jemappes d’un rattachement à la France en 1793. Chargé de multiples fonctions politiques aux temps troubles des changements de régime, il s’est constitué une fortune substantielle, avant de poursuivre des activités dans le secteur industriel. Son anticléricalisme affirmé lui vaudra une inimitié tenace, qui ne se limite pas à ses contemporains, et qui est alimentée par une série d’autres circonstances.

D’origine modeste, Pierre Delneufcour ne manque pas d’ambition et son activité de clerc auprès d’un avocat montois lui permet de s’initier au droit public et administratif, avant de s’inscrire à la Faculté de Droit de Louvain (1782). Vers 1785-1786, il exerce comme avocat au Conseil souverain du Hainaut, sous le régime autrichien ; dans le même temps, il lance un journal hebdomadaire, Annonces et avis pour le Hainaut, qui est le premier imprimé à Mons (1786). Il en est le principal rédacteur durant les six mois de son existence.

En 1789, la révolte des provinces contre les réformes de Joseph II est l’occasion pour Delneufcour d’afficher ses sympathies pour les vonckistes. Attaqué par les milieux conservateurs, voire réactionnaires du Hainaut, l’avocat trouve des alliés lors de l’arrivée des troupes françaises conduites par Dumouriez. Nommé par acclamation administrateur provisoire de Mons (8 novembre 1792), membre de la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité, il contribue à l’abolition des anciens États et au recrutement de soldats pour la République. En opposition avec les membres de l’« Assemblée générale des représentants du Peuple souverain du Hainaut Belgique » qui prônent la reconnaissance d’une république indépendante (pro-Dumouriez et de tendance catholique romaine), Delneufcour se montre un partisan de l’annexion à la France (pro-Convention) : au nom de la Société des Amis, il est délégué à Paris pour demander à la Convention d’accepter le Hainaut comme 85e département, sous le nom de Jemappes (janvier 1793), mission qu’il accomplit quelques semaines plus tard et qui reçoit le soutien de la Convention (mars) ; par ailleurs, président de l’Assemblée générale de l’Administration provisoire montoise, il est parmi les plus ardents Montois qui contribuent à l’adoption du vœu d’annexion à la France formulé le 11 février 1793. Sans conteste, il apporte tout son énergie à la cause républicaine. 

Au moment de la seconde restauration autrichienne, les « révolutionnaires » hennuyers fuient à Paris et emmènent avec eux leurs différends qui s’ajoutent à l’atmosphère de la Terreur, où intrigues et dénonciations se multiplient. Entre les Montois réfugiés, l’heure est aux règlements de compte et il est bien malaisé de discerner le vrai du faux.

Membre actif de la Société des Jacobins (montagnards) de Jemappes et de celle des réfugiés belges où il plaide l’annexion de la Belgique à la France, Delneufcour échappe in extremis à une condamnation pour trafic de faux assignats ; fort de ses soutiens parisiens, il n’hésite pas à se venger de ses adversaires. Cette escalade entre Hennuyers coûtera la vie au frère de Delneufcour, Alexandre, fusillé, à Mons, après un jugement sommaire, sur base d’une dénonciation pour fabrication de faux assignats (29 juillet 1794). Président des Réfugiés de Jemappes à Paris, Pierre Delneufcour rentre à Mons sur les pas des vainqueurs de Fleurus, quelques jours après l’exécution de Robespierre et de celle de son frère. À nouveau, il échappe in extremis à un sort similaire, tandis que ses adversaires sont écartés de toutes les nouvelles fonctions publiques. À l’inverse, nanti d’un certificat de civisme, Pierre Delneufcour devient l’un des représentants officiels des Français républicains sur la place de Mons, et un des éléments chargés d’organiser la nouvelle administration de la Province Belgique (1794). 

Membre de l’Administration centrale et supérieure de la Belgique, membre du Conseil du Gouvernement, il est en charge des finances et de la police. Sous le Directoire, il devient commissaire du Directoire Exécutif près le tribunal civil de Mons (décembre 1795), puis administrateur du département de Jemappes (novembre 1796). Commissaire près le tribunal correctionnel et près l’administration centrale du département, Delneufcour ne jouit guère du soutien et de l’estime de la bourgeoisie montoise et ce n’est qu’à la faveur du coup d’État du 19 fructidor qu’il parvient à se faire désigner au Conseil des Anciens, puis, en 1799, au Corps Législatif comme député du département de Jemappes. Entre 1797 et 1804, son activité y est très discrète. Retiré de la politique, il devient juge de paix du canton de Mons-nord et juge au tribunal de première instance (1806), mais, désormais, c’est l’industrie qui retient son attention.

Sa position privilégiée au sommet de l’administration départementale semble lui avoir permis de tirer des profits personnels lors de la vente des biens nationaux (à partir de 1797). Devenu en quelques années un important propriétaire foncier, il a aussi acquis des participations dans des charbonnages (comme l’Agrappe, à Frameries) et sa fortune s’est assurément faite en reniant les idées que le « révolutionnaire » professait jadis. Avec son fils, jeune ingénieur, il mettra à profit d’autres circonstances – le blocus continental imposé contre le Royaume-Uni – pour installer, dans le département de Jemappes, l’une de ses premières « usines » destinées à raffiner le sucre des betteraves (1812-1813). Toujours avec l’aide de son fils ingénieur, il installera aussi une fabrique d’huile et de savon, à Mons, en introduisant une innovation : pour la première fois, une machine à vapeur est en effet utilisée dans ce type de fabrication. À la fin du régime français et au début du régime « hollandais », les réflexions qu’il publie sur différentes questions d’intérêt public souffrent assurément de crédibilité en raison du comportement antérieur de leur auteur (certaines brochures qui lui sont attribuées semblent d’ailleurs plutôt l’œuvre de son fils). Nouveau riche et « parvenu » grâce à ses fonctions politiques, Pierre Delneufcour Sr n’a pas fini de susciter les passions autour de son nom, de ses idées et de ses actes.

Sources

Roger DARQUENNE, dans Biographie nationale, t. 38, col. 158-165
Albert MILET, Un jacobin montois, P.-F.-J. Delneufcour (1756-1827), dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Mons, 1999, t. 78, p. 159-221
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut: la Faculté Polytechnique de Mons, 1990, p. 10-11
Mémoires et publications de la société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, Année 1844-1845, Mons, Hoyois, 1844, p. 185-186
Albert MILET, La journée montoise du 11 février 1793, dans Annales du Cercle Archéologique de Mons, Mons, 1999, t. 78, p. 223-255

Delchef André

Culture, Lettres wallonnes

Liège 15/03/1835, Liège 04/07/1902

Compositeur de la pièce de théâtre Li Galant dè l’siervante, André Delchef est considéré comme un précurseur du mouvement dramatique wallon. Jouée pour la première fois en 1858, sa pièce remporte un tel succès qu’elle stimule d’autres créations en wallon ; en 1885, Tâtî l’ Périqui de Remouchamps symbolise l’envol d’un théâtre wallon dont on dénombre, en un demi-siècle, des centaines de productions différentes, aux qualités variables.

Issu de la petite bourgeoisie liégeoise, André Delchef n’avait pas vocation à faire carrière dans la littérature wallonne. Fabricant d’armes, à la tête d’une activité qui se transmettait de père en fils, il se rend très régulièrement en France pour son commerce et il est accaparé par ses affaires. Écrire en wallon ne devait être pour lui qu’un délassant passe-temps, comme la musique où la chanson qu’il poussait souvent. Couronnée par la toute jeune Société liégeoise de littérature wallonne, sa première œuvre, Li Galant dè l’siervante, lui imposera des obligations. 

Jouée au Théâtre royal de Liège (mars 1858), sa comédie en deux actes et en vers est accueillie également avec ferveur par le public qui apprécie cette peinture de mœurs mettant en scène des bourgeois et leurs domestiques, dans leur quotidien. Elle s’inspire du vaudeville parisien, mais le recours au parler wallon, la limpidité de l’intrigue et le caractère des personnages valent à André Delchef une réputation définitive. D’aucuns le surnomment le Labiche liégeois.

Démentant l’expression wallonne selon laquelle au trwèzin me côp, on veut lès maîsses, aucune autre composition de Delchef ne pourra égaler la première, même si Lès deûs néveûs (1860) et Pus vîs, pus sots ! (1863) présentent d’indéniables qualités. Introduit dans tous les cercles wallons de l’époque, André Delchef est le premier président de l’Association des Auteurs dramatiques wallons (1882-1899) et aussi l’auteur d’une Histoi¬re de la Littérature wallonne à Liège de 1830 à 1880. Auteur de paroles d’opéras et de plusieurs chansons, Delchef composa un chant patriotique wallon, couronné au concours de la Société liégeoise de Littérature wallonne.

Amoureux de la France, favorable à l’émancipation de la femme, lauréat de concours de tirs, major de la garde civique de Liège, le patron de la firme « André Delchef et Cie » est le père de Marguerite Horion-Delchef, qui sera, notamment, la présidente de l’Union des Femmes de Wallonie.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 74
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. III et IV
Marguerite HORION-DELCHEF, La Vie wallonne, juin 1935, CLXXIX, p. 305-309
L’Action wallonne, 15 mars 1935, n°3, p. 3
Wallonia, 1910
La Meuse, 1858-1914
Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 434-435

Œuvres principales au théâtre

Li Galant dè l’siervante (1858)
Lès deûs néveûs (1860, médaille d’or au concours de littérature wallonne) 
Pus vîs, pus sots ! (1863)
Li Narenne dè curé d’Moitrou (1875)
Jambe dè Bois (1876)
Pauline Closon (1882)
L’Orphéon de Gembloux (1887)
Li Canne dè Méd’cin (1890)
Nos petits borgeû (1900)

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Delaby Philippe

Culture, Bande dessinée

Tournai 21/01/1961, Barry 29/01/2014

Créée en 1998, la série de bandes dessinées Murena invite le lecteur à revisiter le temps, celui de la Rome de Néron et à y suivre l’ascension de Lucius au cœur du pouvoir impérial et de la société romaine. Scénarisée par Jean Dufaux et représentée par Philippe Delaby, cette saga reçoit un accueil exceptionnel, tant parmi les amateurs du 9e Art qu’auprès des spécialistes de l’Antiquité. Maintes fois récompensé, Philippe Delaby collaborait aussi avec Jean Dufaux sur la série La Complainte des Landes perdues, où il avait succédé aux dessins de Rosinski depuis 2004. Victime d’une crise cardiaque en 2014, le dessinateur de Wallonie picarde disparaît au moment où son talent était tant attendu dans le dernier cycle de ces séries à succès.

Inscrit à l’école Don Bosco à Tournai, dans les années 1970, le jeune Delaby a été repéré par un de ses professeurs, le caricaturiste Serdu, qui décèle chez lui un véritable don pour le dessin et l’incite à s’inscrire dans une école spécialisée. À l’école des Beaux-Arts de Tournai, sa ville natale, où il s’inscrit en 1975, Delaby est initié à tous les genres, et c’est à la bande dessinée qu’il décide de consacrer son talent. Lauréat d’un concours organisé à Mons (1979), il est accueilli par la maison d’édition du Lombard et il fait paraître ses premières planches dans le Journal de Tintin en 1987. Passionné par l’Histoire, il n’hésite pas à faire voyager ses lecteurs de l’Antiquité au Moyen-Âge, alternant fantastique et faits réels.

Après avoir illustré plusieurs récits souvent historiques, son premier album dans le registre de l’heroic fantasy sort, en 1993, avec Jean-Luc Vernal au scénario ; la même équipe invite ensuite à suivre les aventures d’un jeune Gaulois, dans Bran. Quant au prix Clio, au Salon de l’Histoire de Paris, il couronne son Richard Cœur de Lion (1994, avec Duval au scénario). D’autres récompenses honorent le talent et le perfectionnisme de ce dessinateur de Wallonie picarde, apprécié d’un public qui contribue surtout au succès de la série Murena, réalisée avec Jean Dufaux et éditée chez Dargaud. La complicité du duo tournaisien-bruxellois contribue à relancer le genre du « grand péplum » ; loin des aventures d’Alix, la saga romaine Murena s’adresse davantage à un public adulte ; son dessin donne à voir la violence et la complexité d’une société ancienne, loin des clichés traditionnels, et à s’interroger sur le monde actuel. La censure se mêlera parfois de la fulgurance du dessinateur. Naviguant entre Agrippine, Britannicus, Claude et Néron, le parcours imaginé pour Lucius Murena devait compter une quinzaine d’albums ; entamant un nouveau cycle, le neuvième album sera cependant le dernier de Delaby. Murena sera désormais entre les mains du dessinateur italien Theo. Quant à la saga fantastico-médiévale La Complainte des Landes perdues, entamée en 1993 et dont il avait repris, en 2004, le dessin au grand Rosinski, elle se poursuivra également, sous la main de Jeremy Petiqueux, son jeune collaborateur, qui termina le dernier album de Delaby, d’abord, de Béatrice Tillier, ensuite, pour réaliser le troisième cycle.

En 2012, Debaty avait été l’un des initiateurs du Festival de la BD de Rumes, localité dont il avait été fait citoyen d’honneur. En 2007, avec Dufaux, il avait été récompensé par le Prix de la Société des gens de lettres de France qui couronnait un album de bandes dessinées, pour la première fois depuis sa création, en 1838, par Victor Hugo et Honoré de Balzac.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse, dont Vers l’Avenir, La Libre, Le Soir, 29, 30 et 31 janvier 2014, Le Soir, 11 septembre 2015
http://www.bedetheque.com/auteur-5068-BD-Delaby-Philippe.html (s.v. février 2016)

Distinctions

Prix du Festival de Boulogne-sur-Mer 1997
Prix de la Société des gens de lettres de France 2007
Grand Prix Saint Michel 2011
Citoyen d’honneur de Rumes 2011
Crayon d’or au 23e festival de BD de Middelkerke 2013

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Dejardin Auguste-Joseph

Culture, Lettres wallonnes

Liège 12/05/1819, Bruxelles 10/09/1895

Pendant de nombreuses années, Auguste-Joseph Dejardin a écrit des poésies en wallon ; sa production a été intense, mais ce notable – il exerça comme notaire – ne destinait pas ses compositions littéraires au grand public. Il consentit à trois exceptions. En 1842, paraît Li fleûr des Batlî del Moûze ; en 1856, à l’occasion d’un banquet offert à l’ingénieur Mueseler, il compose une wallonnade ; enfin, en janvier 1888, il autorise de rendre public Les Flamingants, une chanson politique.

La défense opiniâtre du wallon était un passe-temps de premier ordre pour ce fils de notaire, aussi fortement attaché à la ville de Liège. Il y avait fait ses études au Collège, avant d’être nommé notaire à Esneux, puis d’être appelé à Liège, où il devient le notaire de la ville.

Plutôt que de mettre en avant ses propres œuvres, Auguste-Joseph Dejardin a entrepris de collationner des chansons et poésies wallonnes anciennes et de publier, en 1844, avec François Bailleux, un recueil reprenant les meilleurs textes antérieurs à 1830 : il en a sélectionnés trente-six. Vingt-cinq ans plus tard, il rend aussi public, sous forme de dictionnaire, des spots et proverbes en wallon : en concurrence avec Defrecheux, Delarge et Alexandre, son dictionnaire reçoit la médaille d’or de la Société liégeoise de Littérature wallonne (1869) ; vingt-deux ans plus tard, ayant poursuivi sa quête, une seconde édition pouvait paraître avec un contenu doublé.

Ardent défenseur du wallon, Dejardin est l’un des fondateurs de la Société liégeoise de Littérature wallonne, le 27 décembre 1856, dont il devient le vice-président en 1869. En 1878, il succède à Charles Grandgagnage à la présidence et reste en fonction jusqu’en juin 1895, imprimant aux travaux de la Société un essor considérable. 

Dans les Annuaires de la Société, il dresse le fameux Calendrier liégeois et, en 1887, il établit la table des matières des numéros de son Bulletin. En 1886, témoignage de sa préférence pour les travaux discrets et de longue haleine, il fait paraître un Examen critique de tous les dictionnaires wallons puis, en 1889, une concordance des chants populaires du pays de Liège avec ceux des provinces de France. Membre effectif de la Société Franklin (1869-1882), il avait noué des liens particuliers avec l’abbé Renard, écrivain wallon de Nivelles, et ses amis du Brabant.

Laissant à d’autres le soin de faire de la politique, Auguste-Joseph Dejardin sursoit à sa ligne de conduite habituelle quand, en décembre 1887, un projet de loi est déposé au parlement, visant à imposer l’emploi du flamand aux officiers à l’armée. Durant quelques semaines, les débats sont très vifs et la savante Société liégeoise de Littérature wallonne adopte même à l’unanimité une pétition de protestation qu’elle adresse au Sénat. À titre personnel, Dejardin compose la chanson Les Flamingants qui est alors interprétée à plusieurs reprises lors de meetings ou de banquets.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
La Meuse, 9 janvier 1888 ; La Meuse, 11 et 13 septembre 1895
Joseph DEFRECHEUX, dans Annuaire de la Société liégeoise de Littérature wallonne, Liège, 1895
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 7-8
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 70

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Dehousse Constant

Culture, Lettres wallonnes

Liège 18/06/1879, Liège 1957

Au tournant des XIXe et XXe siècles, la foule accourt en masse pour assister aux spectacles qui se donnent sur les scènes wallonnes de Liège et entendre en particulier les textes écrits par le jeune Constant Dehousse et interprétés par les vedettes de l’époque, dont Eugène Demoulin. Chansonnier, Constant Dehousse alimente régulièrement les journaux et revues dialectales comme Li Clabot et Li Spirou, à Liège, ou Fré Cougnou à Verviers. Ses œuvres de jeunesse, produites essentiellement entre 1897 et 1905, paraissent cependant devoir rester sans suite.

Comptable à l’usine Cuivre et Zinc de Liège, le jeune compositeur est bien occupé par ses activités professionnelles, ainsi que par sa vie familiale. Père de Fernand Dehousse (1906-1976), il ne renoue avec la littérature wallonne qu’au lendemain de l’Armistice. Noss Pèron accueille alors plusieurs de ses articles en wallon, des portraits d’artistes, avant qu’un prix décerné par le Caveau liégeois, en 1921, n’affranchisse définitivement Constant Dehousse. Malgré quinze années de mutisme, il n’a rien perdu de ses qualités de chansonnier, comme en témoignent plusieurs recueils parus dans les années 1920. Au contraire, il a élargi sa palette : désormais, il signe des comédies, des opérettes et autres opéras comiques très prisés dans l’Entre-deux-Guerres. Quand il ne s’inspire pas des airs français existants, il trouve en Marcel Batta le compositeur le plus habile à mettre en musique son œuvre wallonne abondante et de qualité, mais aussi en Louis Lavoye, professeur au Conservatoire de Liège, celui qui compose les airs de quatre opéras en un acte : Neûre èt Blonde, Vochal l’amoûr, Les noces d’ôr et Li vèrt solé (entre 1927 et 1929).

Sources

Paul COPPÉ et Léon PIRSOUL, Dictionnaire bio-bibliographiques des littérateurs d’expression wallonne (1622-1950), Gembloux, Duculot, 1951, p. 99
Charles STEENEBRUGGEN, Livre d’or de l’Association des auteurs dramatiques, chansonniers et compositeurs wallons de Belgique, Liège, 1936.
Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 420
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 126-127

Defrecheux Joseph

Culture, Lettres wallonnes

Liège 16/04/1853, Liège 9 (ou 14)/03/1921

En 1889, avec Eugène Monseur et Maurice Wilmotte, Joseph Defrecheux est l’un des fondateurs de la Société du folklore wallon. Trois ans plus tard, avec Oscar Colson et Georges Willame, il participe à la création de la revue Wallonia (décembre 1892), Recueil mensuel de littérature orale, croyance et usages traditionnels dont le premier numéro porte la date de janvier 1893. À l’origine exclusivement tournée vers le folklore et l’ethnographie, elle se tournera, à partir de son centième numéro, en 1901, davantage vers toutes les manifestations culturelles wallonnes, qu’elles soient artistiques ou littéraires, parfois politiques. Avant la Grande Guerre, elle s’était imposée comme la principale référence wallonne, générant dans son sillage de nombreuses autres initiatives. Second fils du poète Nicolas Defrecheux, Joseph Defrecheux témoigne ainsi de son engouement pour la littérature orale et le folklore, puis pour les études littéraires, artistiques et ethnographiques portant sur la Wallonie. Il contribue à la prise de conscience culturelle de la Wallonie, dans la fin du XIXe siècle, qui sous-tend son émergence politique.

Après une candidature en Philosophie et Lettres à l’Université de Liège, Joseph Defrecheux est attaché pendant quelques mois à l’administration communale de la ville de Liège. Ensuite, il entre dans les services administratifs de l’Université de Liège où il accomplit sa carrière : successivement aide-bibliothécaire (1875), sous-bibliothécaire (1902), il termine bibliothécaire principal (1920). Membre titulaire de la Société liégeoise de Littérature wallonne (1887), là aussi il sera le bibliothécaire-archiviste (1891-1907) de l’association dont il devient le vice-président (1907).

Auteur de plusieurs travaux de linguistique et de folklore sur le pays wallon – il s’intéressa aux noms wallons d’animaux et recueillit tant des proverbes que des chansons en wallon –, Joseph Defrecheux consacre l’essentiel de ses efforts au maintien du vieil idiome et à son illustration littéraire. Dès le début des années 1890, avec son frère, Charles, et avec Charles Gothier, il contribue à l’écriture et à la publication (en 1895) d’une Anthologie des Poètes wallons qui sera longtemps une référence pour aborder l’histoire de la Littérature wallonne ; d’autres auteurs wallons auront droit, par la suite, à une biographie de Joseph Defrecheux. Membre du Club des Wallons, il fait partie de jurys décernant des récompenses aux meilleures chansons, ou pièces de théâtre en wallon (1892) ; membre du comité de lecture de la Fédération wallonne (1895), membre d’honneur du Caveau liégeois et de l’Association des Auteurs dramatiques et Chansonniers wallons, il collabora aussi au journal Le Réveil wallon.

Sources

Annuaire de la Société de Littérature wallonne, 1921-1922, p. 61
Alain CLARA, La Presse d’action wallonne (1918-1940), mémoire de licence en histoire, Université de Liège, 1980-1981
Jules DESTRÉE, Wallons et Flamands…, p. 90
Maurice PIRON, dans Biographie nationale, t. 29, col. 523-525
La Vie wallonne, avril 1921, p. 370-375
Wallonia, t. 10, 1902, p. 52 et 304 ; 1912, p. 818

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de Tombeur Charles

Culture, Littérature

Saint-Josse-ten-Noode 04/08/1864, Schaerbeek 11/10/1887

Alors étudiant en médecine à l’Université libre de Bruxelles, Charles de Tombeur donne un élan prodigieux à la « Wallonie », dans les années 1880. Sa disparition subite en 1887 l’empêchera de développer les multiples projets dont il était porteur ; méconnu, son nom reste néanmoins attaché à l’émergence de la Wallonie.

Avec les années 1880, la Belgique voit fleurir une génération de jeunes écrivains désireux de bouleverser les codes en vigueur. Nombreux sont les auteurs et romanciers wallons qui travaillent la veine régionaliste, tandis que des poètes wallons s’engagent dans l’aventure symboliste. Réagissant contre la vogue du réalisme, ce courant inaugure une renaissance de l’idéalisme, parfois marquée par une quête mystique que d’aucuns qualifieront de nébuleuse.

À la jonction entre ces courants, Charles de Tombeur nourrit le nouvel idéal poétique en créant, avec Hector Chainaye et André Fontainas, la revue La Basoche (1884-1886). Quelques semaines auparavant, il avait ressuscité la revue L’Étudiant qu’il va diriger en 1884, avant de devenir le directeur de La Basoche (1884-1886). Au fur et à mesure des numéros, Tombeur et Chainaye inscrivent La Basoche dans un cadre régionaliste. 

Dans le même temps, via Hector Chainaye, Charles de Tombeur découvre une autre revue symboliste, L’Élan littéraire (1885-1886), fondée et dirigée par Albert Mockel, associé à un petit groupe d’étudiants de l’Université de Liège, membres du cercle universitaire L’Élan. Outre Chainaye et Mockel, on y rencontre notamment Louis Jottrand, Ernest Mahaim, Fernand Séverin et Iwan Gilkin. Au sein de cette équipe, on sent chez les uns la volonté de ne se consacrer qu’à la littérature, chez les autres d’y ajouter une dimension plus politique, notamment par rapport aux revendications flamandes en matière linguistique. Informé par Chainaye des intentions de Mockel et de Chainaye d’introduire davantage de questions culturelles voire d’affirmation régionale, Charles de Tombeur – que Mockel fait naître à Huy – encourage les Liégeois à franchir le pas : « Arborez un son clair, sonore, wallon, devenez nos félibres... Wallonnie (sic) pour toujours, n’est-ce pas Chainaye ? », écrit-il dans La Basoche (t. II, p. 192). Dans ses souvenirs, Albert Mockel raconte en effet que son intention était de reprendre à son compte la revue du cercle universitaire et d’en changer le titre. Cela se passe en février 1886 :
«  (…) j’avais résolu d’en changer le titre. Mais le petit recueil aurait pu s’appeler la Terre wallonne ou la Revue wallonne aussi bien que La Wallonie. Un confrère né à Huy et fixé à Bruxelles, notre ami Charles de Tombeur, connaissait par Hector Chainaye mes projets : il les appuya d’un conseil dans sa revue La Basoche (mars 1886) : Soyez nos Félibres et WALLONNIE avant tout ! Cette note me décida, et l’on peut dire par conséquent que le mot Wallonie doit surtout à Charles de Tombeur sa diffusion actuelle. Ma part de responsabilité se limite à l’orthographe. Le mot étant inusité, je crus pouvoir l’alléger d’une n : Wallonie, cela paraissait plus logique que Wallonnie ; c’était surtout plus élégant et cela seul, au fond, importait dans une revue d’art. (...) ».

Résolument wallonne et symboliste, la nouvelle revue de Mockel s’ouvrira à de grands poètes symbolistes français, tels que Mallarmé, ainsi qu’aux poètes flamands d’expression française tels que Maurice Maeterlinck ou Charles Van Lerberghe. Elle connaîtra un succès exceptionnel durant son existence, entre 1886 et 1892. On n’y trouve pas d’article de Tombeur à propos duquel les informations restent bien rares. Critique théâtral et artistique du National Belge, il entre comme secrétaire de rédaction à La Réforme, journal républicain et anticlérical pour lequel il était déjà chroniqueur parlementaire.

L’encouragement de Tombeur à Albert Mockel fut décisif. « À cette époque, rapporte Mockel, le mot Wallonie était si peu usité que plusieurs personnes nous demandèrent ce qu’il signifiait. On ne connaissait pas d’autres expressions que « le pays wallon ».

Sources

Jean-Luc DE PAEPE, La réforme, organe de la démocratie libérale (1884-1907), Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1972, Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, Cahiers n°64, p. 144
Paul DELFORGE, Philippe DESTATTE, Micheline LIBON (dir.), Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000-2001, 3 vol.
Arnaud PIROTTE, L’apport des courants régionalistes et dialectaux au mouvement wallon naissant. Une enquête dans les publications d’action wallonne de 1890 à 1914, Louvain, Collège Érasme, 1997
Alain CLARA, La Presse d’action wallonne (1918-1940), mémoire de licence en histoire, Université de Liège, 1980-1981
Wallonia, t. 17, 1909, p. 172-173
Marie-José MOREAU, Les revues du mouvement régionaliste wallon. 1858-1914. Contribution à leur inventaire et à leur description, s.l., 1972, manuscrit inédit
Paul ARON et Pierre-Yves SOUCY, Les revues littéraires belges de langue française de 1830 à nos jours. (Edition revue, corrigée et augmentée), Editions Labor, 1998 
A-H. BOSSENS, Littérature et combat régionaliste. L’apport d’écrivains d’expression française au mouvement wallon 1884-1914, mémoire de licence, Louvain-la-Neuve, 1997.
André FONTAINAS, Mes souvenirs du symbolisme, Paris, 1928 (réédité à Bruxelles en 1991)

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de Thier-Ziane (chevalier) Charles

Socio-économique, Entreprise

Liège 13/05/1875, Spa 06/12/1966

Depuis des siècles, l’eau de Spa assure la notoriété de la cité ; ce sont à la fois les bains et l’eau qui est embouteillée qui assurent la célébrité d’une ville qui devient le salon de l’Europe au XVIIIe siècle. Une série de mesures sont alors prises pour protéger les sources aquifères et, peu avant la Grande Guerre, la SA Compagnie fermière des Eaux et des Bains de Spa voit le jour. Après les hostilités et alors que les « Grands » de ce monde négocient notamment à Spa les conditions d’un retour à la Paix, la Compagnie fermière se transforme en « Spa Monopole » à l’initiative du chevalier de Thier-Ziane (avril 1921). L’intervention du banquier et industriel liégeois est à l’origine de l’aventure industrielle du groupe Spadel, l’une des sociétés phares de la Wallonie du XXIe siècle.
Descendant d’une ancienne famille noble de la principauté de Liège, fils d’un magistrat (conseiller à la Cour d’Appel de Liège), Charles de Thier semble avoir effectué des études commerciales, avant d’entrer au Comptoir Musin (1900), banque liégeoise qui fusionne avec la maison de change Fontaine et avec la firme G. Bosson et Cie, en 1910, pour donner naissance à la Caisse liégeoise de Change et de Banque, installée dans le Passage Lemonnier. De Thier en est d’emblée l’administrateur délégué. C’est à ce titre qu’il est chargé de sauver la Compagnie fermière des Eaux de Spa, laissée sans direction suite à l’invasion allemande d’août 1914. Après l’Armistice, Charles de Thier parvient à doter de 2,5 millions de francs le capital une nouvelle société, Spa Monopole, dont il prend le contrôle et la direction.

Les eaux de Spa connaissent alors une nouvelle vie. La source Reine est exploitée ; une nouvelle usine voit le jour ; un logo « Pierrot à saute-mouton » est créé (1924) ; un Spa citron (1925) précède les « pastilles de Spa » (1927) ; conservant l’exploitation des cures, la société transforme l’établissement thermal et met en avant les vertus curatives de l’eau de Spa ; un Institut d’hydrologie médicale voit le jour (1931) ; la revue Spa médical et historique est diffusée à partir de 1935 ; à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la production journalière de bouteilles n’a plus rien de comparable à ce qui se faisait au début de l’investissement du chevalier de Thier. Cette expansion, la société spadoise la doit cependant à l’arrivée d’un nouvel administrateur, en 1923, l’industriel bruxellois Ernest du Bois dont la participation au capital de la société ne va cesser d’augmenter dans l’Entre-deux-Guerres. Accédant à la présidence de la société en 1949, de Thier conserve ce titre jusqu’à son décès en 1966, mais la nouvelle génération des du Bois a déjà repris en main l’avenir de Spa Monopole.

Administrateur de sociétés, Charles de Thier, marié à Gabrielle Ziane (1875-1919), avait aussi été l’un des fondateurs des Tramways Est-Ouest de Liège (1898), ce qui l’a placé parmi les administrateurs de la nouvelle société des Tramways liégeois en 1927, et à la vice-présidence de la nouvelle société des Tramways unifiés en 1951. Entré en 1936 dans le capital de la société Finance et Industrie, dirigée par Ernest du Bois, Charles de Thier était aussi administrateur de la Générale immobilière.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Léon Maurice CRISMER, La fabuleuse histoire des Eaux de Spa, Spa, 1983
Valérie MONTENS, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 138-139
http://www.spadel.com/groupe/historique (s.v. mai 2016)

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de Louvrex Mathias-Guillaume

Académique, Droit

Liège 15/11/1665, Liège 13 ou 15/09/1734

Jurisconsulte comme son père, dont il hérite aussi du titre de « noble écuyer du Saint-Empire », Mathias Guillaume de Louvrex jouissait d’une solide réputation, en principauté de Liège et en dehors, en raison de son expertise en matière de droit civil et de droit canon. Consulté régulièrement par des avocats « étrangers », il s’était également fait un nom par la valeur de ses jugements et décisions. En éditant, entre 1714 et 1735, quatre volumes d’un impressionnant Recueil des édits, règlements, privilèges, concordats et traités du pays de Liège et du comté de Looz, son principal ouvrage, il laisse une trace durable de ses intenses activités. Consulté par les juristes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, moment où il devient obsolète, son Recueil devient une source précieuse pour les historiens à partir du XIXe siècle.

Formé à Liège par les Jésuites anglais, avant d’entamer des études de Philosophie et de Droit à l’Université de Louvain, Louvrex est couvert d’éloges quand il achève sa formation en Droit à l’Université de Pont-à-Mousson (1687). Avocat à la cour de l’official de Liège, il s’y forge rapidement un nom. La sagesse de Louvrex est certainement cause de son élection en tant que bourgmestre de Liège en 1702, à un moment où la cité est tour à tour occupée par les troupes de Louis XIV, puis par celles de l’empereur. Il s’était pourtant gardé d’entrer en politique.

Désigné négociateur, Louvrex confirme l’étendue de ses talents, puisqu’il amène les belligérants à respecter la fameuse « neutralité liégeoise ». Les nouvelles conditions n’ont plus rien de commun avec les anciennes, mais elles s’avèrent réellement efficaces. S’appliquant tant à la cité de Liège (1702) qu’à l’ensemble de la principauté (1703), elles apportent – moyennant des charges financières nouvelles – une réelle tranquillité au pays de Liège, propice au développement du commerce et de l’industrie pendant plusieurs années.

À la suite de cet accord, l’éminent jurisconsulte liégeois est invité à siéger au sein du Conseil privé du prince-évêque (1703-1726), Joseph-Clément de Bavière et ses successeurs. En 1713, il est encore envoyé comme diplomate pour défendre les intérêts de la principauté, lors de la négociation du Congrès d’Utrecht, qui aboutira au Traité du même nom et à une série d’autres dits de la Barrière (Rastadt, Anvers), destinés à en finir avec l’état de guerre permanent dans lequel l’Europe vivait depuis plusieurs années.

L’avocat deviendra magistrat au moment où il est nommé par le prince au Tribunal des Échevins (1709-1734). Succédant au fils de Sébastien Laruelle, il est l’un des quatorze « échevins » inamovibles de la Souveraine Justice, dont la compétence s’étend à la cité et à l’ensemble de la principauté de Liège.

Bien que fortement occupé à la publication de son Recueil, Louvrex se consacre aussi à l’histoire de Liège. Depuis les travaux éclairés de Jean Chapeaville et de Barthelemy Fisen, la principauté ne dispose plus de bons chroniqueurs-historiens pour relater les événements marquants de son temps. Jean-Erard Foullon s’est éteint, quant à lui, en 1668, en laissant inédite une Historia Leodiensis qui s’interrompt à l’année 1612. Convaincu par son ami et éditeur, le baron de Crassier, de mener le projet de Foullon à bonnes fins, Louvrex met son expertise et son approche critique au service de l’écriture des événements qui se sont déroulés entre 1612 et 1689, le baron Crassier parachevant le troisième volume de ce triptyque paru entre 1735 et 1738. Bien que ne partageant pas ce point de vue, Alphonse Le Roy a fait observer que Polain doutait de la contribution de Louvrex et de Crassier à cette écriture, jugeant qu’il était impossible que des patriciens, proches du prince-évêque, accordent autant d’importance aux actes des partisans des droits du peuple contre les empiètements du prince.

Plusieurs années après le décès de Louvrex, le catalogue de sa bibliothèque, qui était exceptionnelle, a été imprimé au moment de sa mise en vente (1792). Livres et manuscrits de valeur furent achetés par le dernier prince-évêque de Liège, le comte de Méan, plus tard archevêque de Malines.

Sources

Alphonse LE ROY, Mathias de Louvrex, dans Biographie nationale, t. 12, col. 512-516
Simone DAVID-CONSTANT, Mathias de Louvrex, dans Nouvelle Biographie nationale, t. II, p. 114-119

prince de Ligne Charles-Joseph

Culture, Littérature, Militaires, Politique

Bruxelles 23/05/1735, Vienne 13/12/1814

Par les armes ou par la plume, Charles-Joseph de Ligne a mené une carrière brillante et remarquée en une période de grands bouleversements. Militaire, diplomate, écrivain, Charles-Joseph, prince de Ligne, a servi plusieurs cours impériales et princières. Surnommé « L’Enchanteur de l’Europe » ou encore « le dernier des hommes d’esprit », « le charmeur de l’Europe », « prince wallon et européen », le mondain a brillé dans les salons et l’écrivain a multiplié les publications, les unes consacrées à l’art de la guerre, les autres à ses mémoires, mais aucun fait d’armes remarquable n’est attaché au militaire.

C’est dans la prestigieuse résidence princière de Beloeil qu’il a grandi. C’est de là, dans ce « Versailles belge », qu’il a assisté aux faits de guerre qui agitent le pays wallon au milieu du XVIIIe siècle (bataille de Fontenoy, sièges de Tournai, Ath, Mons et Bruxelles), avant d’entrer comme enseigne dans le régiment d’infanterie wallonne dit de Saxe-Gotha, dont son père – Claude-Lamoral II, prince de Ligne (1685-1766) – est le propriétaire (1752) ; il est en garnison à Mons. Avec rang de capitaine, il participe ensuite à la Guerre de Sept ans (1757-1762), dont il conte toutes les péripéties qu’il a vécues, dans Mon journal de la guerre de Sept ans. Général-major (1763), il fréquente la cour de Vienne où, en 1751, il avait été fait chambellan ; il y devient l’un des conseillers du futur empereur Joseph II. À la tête de la fortune familiale (1766), ce cosmopolite mène un train de vie fastueux, à Vienne, à Paris et à Bruxelles, où l’ancienneté de sa famille le place au premier rang de la noblesse du pays. Les fêtes qu’il organise sont particulièrement courues.

« Prince de Ligne, d’Amblise et du Saint-Empire romain, marquis de Ville, seigneur de Fauquemberg, seigneur de Belœil et, en cette qualité, pair du comté de Namur, seigneur d’Antoing, et comme tel premier ber de Flandre, seigneur de Jaumont, de Herzelles, de Baudour, et comme tel pair, maréchal et sénéchal de Hainaut » (WAUTERS), comte d’Empire du cercle de Westphalie (1770), seigneur souverain de Fagnolles, grand d’Espagne de Ière classe, lieutenant général et colonel du régiment wallon de Saxe-Gotha, qui prit le nom de Ligne (1771), chevalier de la Toison d’or, il siège de droit aux États-Généraux des Pays-Bas, tout en fréquentant assidument les cours royales. En correspondance avec les grands esprits de son temps, se mêlant aux intrigues du moment, fréquentant les salons et les salles de spectacles, il accorde à l’écriture un temps toujours plus large, s’éloignant progressivement des récits de guerre pour traiter des plaisirs de la haute société.

Nommé gouverneur militaire de la ville de Mons (1778), il retire les bénéfices de la charge sans avoir besoin d’en assumer les contraintes ; ses comédies, descriptions de Belœil, recueils de poésies, mélanges de littérature, et quand même quelques mémoires militaires se succèdent, témoignant de l’esprit et de l’érudition de leur auteur. Néanmoins, en 1784, quand il est nommé commandant en chef des Pays-Bas, une mission d’importance l’attend : forcer la république des Provinces-Unies au retrait du traité de la Barrière et à la réouverture du commerce maritime pour Anvers. Quand le premier objectif est atteint, Joseph II se contente de compensations pour le second et, de militaire, le prince de Ligne redevient diplomate, voire courtisan, lors d’une longue mission en Russie, où il est admis dans le cercle fermé de Catherine II (1787-1788), avant de reprendre les commandes d’un corps d’armée autrichienne, quand l’empire de la tsarine est attaqué par les Turcs (1789). Il sera nommé commandeur de l’ordre de Marie-Thérèse pour son rôle dans le siège de Belgrade.

Éloigné des événements qui se jouent dans les provinces belges (1789-1790), le prince de Ligne  est attaché aux institutions d’Ancien Régime et mesure l’intérêt des réformes de Joseph II, despote éclairé ; il ne souscrit nullement aux idéaux révolutionnaires qui se diffusent depuis Paris. Après sa mission en Russie, il retrouve Vienne et sa cour avec bonheur et ne souhaite guère s’en éloigner, même quand les empereurs Léopold II puis François II le désignent pour occuper les fonctions de grand bailli et de capitaine général de la province du Hainaut, lors des deux restaurations autrichiennes (1791-1792, 1793-1794). Après la bataille de Fleurus, le prince de Ligne est forcé à l’exil ; il se retire définitivement à Vienne, avec son épouse, Marie-Françoise de Liechtenstein et leurs trois filles ; sa fortune a fondu, même s’il vit dans son hôtel particulier de la Mölkerbastei, actuel n°87, avec un nombre important de gens de maison, et s’il possède encore une bâtisse sur le Kalhenberg. À aucun moment, dans les guerres menées contre la France, on ne fait appel à ses services. Aigri, d’humeur maussade et faisant preuve d’un esprit ironique, voire mordant en société, il ne bénéficie plus des faveurs de la cour. Loin de sa propriété de Beloeil et d’autres biens désormais placés sous séquestre par la République française, il se consacre aux seuls plaisirs de l’écriture.

À partir de 1795, signant un contrat avec un éditeur, il entreprend de publier ses Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires, soit une collection de 34 volumes quand il s’arrête en 1811. Il y reprend certains écrits anciens, se fait biographe et autobiographe, poète ou dramaturge, mémorialiste et romancier, prodigue de conseils militaires, de théâtre, voire même de jardinage… Le succès de certains ouvrages lui procure quelques honneurs, en souvenir des services du passé et de sa fidélité aux Habsbourg : capitaine des Trabans de la Garde impériale (1807) et feld-maréchal honoraire (1808). Cherchant un refuge pour son fils, Mme de Staël, exilée de France, trouvera auprès du prince de Ligne un secours précieux, voire davantage. Sans doute cette situation explique-t-elle ce compliment de Mme de Staël au sujet du prince de Ligne : « Le seul étranger qui, dans le genre français, soit devenu modèle plutôt qu’imitateur ». Ce compliment se trouve dans sa préface de Pensées et réflexions, ouvrage publié en 1809 et qui s’avère un coup littéraire exceptionnel, remettant le Maréchal-Prince de Ligne dans la lumière, en tant qu’écrivain. Deux siècles plus tard, l’ensemble de son œuvre fera l’objet d’une édition critique.

De son vivant, son retour en grâce connaît son paroxysme au moment de la chute de l’empire napoléonien. Réunis en congrès à Vienne, les diplomates redécouvrent l’esprit et la gaité de ce personnage de près de quatre-vingts ans, qui les divertit en même temps que sa mémoire leur apporte moultes renseignements « politiques ». Ayant contracté un funeste refroidissement, ce mondain lettré quitte alors brutalement la compagnie des plus importants princes d’Europe. Les circonstances placent tout le gotha sur le chemin de son cortège funèbre.

Les avis sont partagés lorsqu’il s’agit d’évaluer l’écrivain, dont plusieurs œuvres sont publiées à titre posthume à différentes époques. Auteur prolifique, il a écrit comme il a vécu en cour, avec esprit, souvent avec finesse et fulgurance, mais de façon décousue, cauteleuse, voire superficielle, et sur des sujets dont la légèreté n’ouvre pas nécessairement les portes de la postérité. Du romancier, on retient sans conteste ses Contes immoraux, ou Conversations de Bélial ou le bon diable, même si son œuvre la plus connue reste l’inclassable Coup-d’Œil sur Beloeil. De ses récits sur ses voyages se dessine un homme curieux et ouvert aux autres cultures. Ses écrits « militaires » restent cependant une source incontournable pour appréhender cette longue période où s’achève l’Ancien Régime, voire pour connaître l’ordre de la Toison d’or, ou pour comprendre l’art de la guerre ; en l’occurrence, ses conseils pratiques firent autorité jusqu’à la Grande Guerre.

Sources

Roland MORTIER, dans Nouvelle Biographie nationale, t. X, p. 127-132
Jeroom VERCRUYSSE, Bibliographie des écrits relatifs au prince de Ligne (1749-2004), Bruxelles, 2006
Alphonse WAUTERS, dans Biographie nationale, t. 12, col. 130-195
Fernand LEURIDANT, Galerie beloeilloise. Esquisses biographiques, Bruxelles, Annales prince de Ligne, 1936
Raymond QUINOT, Charles-Joseph de Ligne, prince wallon et européen, Charleroi, Institut Jules Destrée, s.d., coll. Figures de Wallonie
Nicolas PEETERMANS, Le Prince de Ligne ou un écrivain grand seigneur à la fin du XVIIIe siècle, Liège, Renard, 1857