Ensemble monumental à la mémoire de Roger de le Pasture, réalisé par Marcel Wolfers, 20 septembre 1936.
Longtemps considéré comme un peintre flamand, sous le nom de Rogier Van der Weyden, Roger de le Pasture commence à être mieux connu depuis la moitié du XIXe siècle, moment où deux Tournaisiens – Charles-Barthélemy Dumortier et Alexandre Pinchart – établissent que son lieu de naissance est à Tournai, sous le nom de Roger de le Pasture. Au début du XXe siècle, cependant, ce lieu d’origine n’en fait pas un artiste de Wallonie, ses œuvres continuant d’être présentées comme appartenant à l’école flamande (dans le sens ancien de cet adjectif), mais aussi comme réalisées par un artiste flamand (dans le sens politique acquis par l’adjectif à la fin du XIXe siècle). C’est en s’interrogeant sur l’existence d’un art wallon, exercice pratique tenté en 1911 dans le cadre de l’Exposition internationale de Charleroi, que Jules Destrée va accorder une place toute particulière à Roger de le Pasture.
Étudiant l’œuvre de l’artiste tournaisien du XVe siècle sous toutes ses coutures, l’esthète Jules Destrée y voit un peintre essentiellement wallon, figure de proue d’une « école » dont la création en 1912 et l’activité de la société des « Amis de l’Art wallon » doivent encore démontrer l’existence. Cité dans la Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre (août 1912), Roger de le Pasture se devait d’être honoré dans sa ville natale, et la Cité des Cinq Clochers comme partie prenante de la Wallonie. Avant la Grande Guerre, la revue Wallonia et les Amis de l’Art wallon s’y emploieront en collaboration avec les autorités locales et quelques érudits. Dans l’Entre-deux-Guerres, une initiative plus spectaculaire est prise à l’initiative de Jules Destrée et un imposant monument est inauguré au pied de la cathédrale, sur la place Vieux Marché aux Poteries.
À l’entame des années 1930, Jules Destrée publie une forte synthèse sur Roger de le Pasture – van der Weyden et, dans la perspective de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1935, le projet d’ériger un monument est confié à Marcel Wolfers (1886-1976). Son œuvre sera placée devant le Palais de l’Art Ancien lors de l’Exposition de 1935, puis offerte à la ville de Bruxelles ; cachée pendant la Seconde Guerre mondiale, elle restera dans les collections de l’hôtel de ville de Laeken. Parallèlement, Jules Destrée suggère qu’une « réplique » trouve place à Tournai. Dès 1934, il prend contact avec le bourgmestre Henri Carton et, très vite, pour acquérir l’œuvre s’associent « les Amis du Hainaut », la Société de l’Art wallon, la société historique de Tournai, le ministère de l’Instruction publique et les autorités tournaisiennes. Par rapport à l’œuvre présentée à Bruxelles, seule la couleur des émaux diffère sur la statue « tournaisienne » qui est inaugurée le 20 septembre 1936, dans le cadre des Fêtes de Wallonie. La presse locale affirme que les couleurs correspondent à celles du tableau de Pasture.
L’œuvre installée à Tournai en 1936 sera fortement détériorée par les bombardements allemands que subit la cité en mai 1940 ; la polychromie de Wolferts disparaît. Une rénovation récente s’est inspirée des couleurs du tableau peint par de le Pasture en 1435. Pour retrouver les couleurs choisies par Wolfers pour l’expo de 1935, il faut se référer à l’œuvre restaurée en 2012 qui se trouve à la maison communale de Laeken.
Le célèbre orfèvre bruxellois Marcel Wolfers transpose dans un ensemble en bronze émaillé le tableau de Roger de le Pasture présentant Saint Luc en train de peindre le portrait de la Vierge à l’Enfant. L’œuvre est spectaculaire et singulière. Sur un large socle en pierre bleue, quatre volumes rectangulaires se succèdent formant une sorte de long escalier. Sur la marche la plus basse, à gauche, Luc agenouillé est en train de représenter la Vierge allaitant Jésus, assise sur le cube le plus haut. La polychromie étonne, surtout sous les rayons du soleil. Au centre du socle en pierre bleue, a été gravée l’inscription :
ROGER DE LE PASTURE
DIT VAN DER WEYDEN
NE A TOURNAI EN 1399
MORT A BRUXELLES EN 1464
Marcel Wolfers est le fils de Philippe (1858-1929) et le petit-fils de Louis (1820-1892) Wolfers, maîtres-orfèvres établis à Bruxelles depuis la fin du XIXe siècle ; ils y possèdent et gèrent les ateliers « Wolfers frères » qui emploient une centaine de personnes et qui vont se spécialiser aussi dans la joaillerie et les arts décoratifs au début du XXe siècle en s’inscrivant résolument dans le courant de l’Art nouveau. Marcel Wolfers poursuit la tradition familiale en matière d’orfèvrerie et de sculpture, dans l’ombre de l’exceptionnel talent paternel, tout en innovant et en devenant l’un des meilleurs laqueurs du monde. Sans possibilité de vérifier l’information, on affirme qu’il avait retrouvé le secret des laques bleues perdu depuis les Ming.
Sculptant aussi bien la pierre que le bois, Marcel Wolfers a réalisé notamment le Chemin de croix de l’église de Marcinelle, ainsi que les monuments commémoratifs de la guerre à Louvain, Jodoigne et Woluwe-Saint-Pierre, sans oublier l’impressionnante statue du Cheval dit Wolfers, à La Hulpe. En orfèvrerie, le milieu de table Ondine, acquis en 2003 par la Fondation roi Baudouin, est une pièce exceptionnelle réalisée pour impressionner les visiteurs étrangers lors de l’Expo de 1958.
Sources
Marnix BEYEN, Jules Destrée, Roger de le Pasture et « les Maîtres de Flémalle ». Une histoire de science, de beauté et de revendications nationales, dans Philippe DESTATTE, Catherine LANNEAU et Fabrice MEURANT-PAILHE (dir.), Jules Destrée. La Lettre au roi, et au-delà. 1912-2012, Liège-Namur, Musée de la Vie wallonne-Institut Destrée, 2013, p. 202-217
Wallonia, 1913, p. 543-550
Jacky LEGGE, Mémoire en images : Tournai, t. II : Monuments et statues, Gloucestershire, 2005, p. 52-53, 97-98
Marcel Wolfers. Sculpteur-Laquer, Bruxelles, 1970
Marcel Wolfers. Ondine, pour l’Expo 58, Bruxelles, Fondation roi Baudouin, 2006
Anne-Marie WIRTZ-CORDIER, Nouvelle Biographie nationale, t. III, p. 304-312
Suzette HENRION-GIELE et Janine SCHOTSMANS-WOLFERS, dans Jacques VAN LENNEP (dir.), La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 616-618
La dynastie des Wolfers, maîtres de l’argent, exposition présentée au Design Museum de Gand, janvier-avril 2007
Françoise URBAN, Marianne DECROLY, Redécouverte d’un bronze laqué monumental de Marcel Wolfers, dans Association professionnelle de conservateurs-restaurateurs d’œuvres d’art, asbl, Bulletin, 2013, 4e trimestre, p. 21-28