
Lanners Bouli
Culture, Cinéma
Moresnet-Chapelle 20/05/1965
À la veille de la 48e cérémonie de remise des César du cinéma (24 février 2023), un film, La Nuit du 12, réalisé par Dominik Moll, est présélectionné dans onze catégories. Au palmarès final, ce film remporte sept statuettes, dont celle du meilleur acteur dans un second rôle attribué à Bouli Lanners, préféré à François Civil, Micha Lescot, Pio Marmaï et Roschdy Zem. Quelques jours plus tard, l’acteur wallon reçoit pour le même rôle le Magritte 2023 du meilleur acteur, ainsi que deux autres statuettes : le Magritte du meilleur film et celui de la meilleure réalisation saluent en effet le travail du réalisateur Bouli Lanners qui signe, avec Nobody has to know, son cinquième long métrage.
Aimant rappeler de profondes racines familiales ardennaises, voire gaumaises, celui qui est né Philippe Lanners, son identité officielle à l’état-civil, a vécu sa jeunesse à La Calamine où ses parents se sont installés en raison des aléas de la vie. Alors que leur famille respective n’avait pas été épargnée par la Seconde Guerre mondiale, son père, douanier, est muté à la frontière allemande et sa mère travaille de l’autre côté de la frontière, malgré des ressentiments profonds à l’égard de ceux qui ont détruit des vies et des biens de leur famille lors de l’Occupation, puis de l’offensive von Rundstedt. Rendant fréquemment visite à sa grand-mère à Bastogne, le jeune garçon qui vit au cœur de la région des trois frontières prend conscience de l’identité particulière qui est la sienne ; par sa maîtrise spontanée du français, de l’allemand, du plattdeutsch ou du wallon selon les circonstances, il soulève aisément les barrières, et aspire à vivre ailleurs. En découvrant un jour par hasard des toiles impressionnistes (1977), il se passionne pour la peinture et entend poursuivre des humanités artistiques, mais l’autorité parentale le contraint à suivre une orientation scientifique au Collège Notre-Dame, à Gemmenich, avec une septième année de mathématiques préparatoire à l’examen d’entrée aux études d’Ingénieur civil.
Quand il arrive à Liège au milieu des années ’80, c’est cependant à l’Académie royale des Beaux-arts que s’inscrit Philippe Lanners, avec l’intention de faire de la bande dessinée ; il y rencontre notamment Jacques Charlier et Léon Wuidar, des professeurs qui l’intéressent, mais l’expérience tourne court, en raison de son absentéisme. Commence alors une vie faite de petits boulots, de débrouille et de dérives. Il lui faudra dix ans pour surmonter le traumatisme généré par ses années passées chez les pères Oblats, en particulier par son professeur de mathématiques.
Dans cette vie dissolue, Lanners croise la route des Snuls ; régisseur, accessoiriste de plateau, faisant la cantine sur les tournages, il se retrouve occasionnellement devant la caméra, avant de devenir peu à peu un personnage récurrent et populaire dans la bande de joyeux drilles qui animent chaque semaine cette émission d’humour sur Canal+ Belgique (1989-1993). Tournant des seconds rôles dans la série allemande Tatort, il fait des apparitions dans Les Carnets de Monsieur Manatane (auprès de Benoît Poelvoorde) et dans l’univers déjanté de la présipauté de Groland, ce monde où évoluent notamment Benoît Delépine et Gustave de Kervern. En 1990, celui que tout le monde surnomme Bouli joue un petit rôle celui d’un gangster, dans Toto le héros de Jaco Van Dormael.
Au milieu des années 1990, Bouli Lanners se lance lui-même dans la réalisation de très courts-métrages de fiction : Les Sœurs Vanhoof (1995) et Non Wallonie ta culture n’est pas morte (1996) ; il ne s’agit pas ici d’un hymne à la Wallonie. Dans une forme de surréalisme assumé et sur le ton de la dérision, le jeune réalisateur détourne en effet les images de films de famille étrangers à son vécu, retrouvés et achetés sur des brocantes. Dans le premier court métrage, il mêle les morceaux de pellicule retrouvés à des films pornographiques, avec humour et provocation. Dans le second, en utilisant le principe de la voix hors champ, il commente en direct, avec une ironie mordante, son propre voyage imaginé de Manhattan à Seraing, où il revient pour assister au concert d’accordéon d’un ami d’enfance…, avant de finalement décider de rester en Wallonie.
Apparaissant dans de petits rôles au cinéma, dans des courts métrages ou des téléfilms portés par des réalisateurs belges et français, Bouli Lanners joue dans La Dinde (1997) de Sam Garbarski, Le Signaleur (1997) et Les Convoyeurs attendent (1999) de Benoît Mariage, avec lequel il jouera aussi dans L’Autre (2003) et Cowboy (2007). Mobilisant toutes ses énergies autour d’un projet de court métrage, il se reconstruit en écrivant et en réalisant Travellinckx, un road-movie à travers des paysages de Wallonie, en super 8 noir et blanc. Avec de fortes références autobiographiques, ce premier court métrage élaboré, dédié à son père, connaît un certain succès dans les festivals où il est présenté, suscitant aussi la curiosité à l’étranger par l’évocation de l’évasion de Marc Dutroux. Avec le soutien du producteur Jacques-Henri Bronckart (Versus Production) et d’élise Ancion qui devient son épouse, Bouli Lanners est à la croisée des chemins et saisit toutes les occasions pour se faire un nom dans le cinéma, comme acteur, et sans abandonner la réalisation de courts puis de longs métrages. Le succès est au rendez-vous pour celui qui a fait d’une péniche sur la Meuse liégeoise sa résidence principale.
En 2001, traitant du sujet du racisme dans un milieu rural, le court métrage Muno est sélectionné à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs et reçoit le Grand Prix du Jury 2003 du festival du cinéma européen de Lille. Son premier long métrage, Ultranova (2004) décroche le Prix 2005 de la Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai (CICAE), dans le cadre du festival de Berlin. En 2008, son rôle de ravisseur dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster (2008) de Samuel Benchetrit lui vaut le Prix Raimu 2008 du comédien dans un second rôle, et son personnage (chantant notamment du Johnny Hallyday à la fin de la réception) dans Rien de personnel (2009), une comédie de dupes en entreprise de Mathias Gokalp, est couronné d’un prix au festival Jean Carmet de Moulins 2009.
Partageant l’affiche du film Où est la main de l’homme sans tête (2007), des frères Malandrin, avec Cécile de France, l’acteur-réalisateur tourne en Wallonie, durant l’été 2007, son deuxième long métrage de fiction, Eldorado, où l’on retrouve des extraits de films de famille (comme dans ses deux courts métrages de 1995 et 1996). Burlesque et surréaliste, aux couleurs saturées, ce road movie social touchant au western, dans lequel il joue l’un des deux rôles principaux, est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2008. Il y décroche le prix Regards jeunes, le prix du Label Europa Cinemas du meilleur film européen et le prix de la critique internationale (FIPRESCI). En 2009, son film est nommé pour le César du meilleur film étranger.
Alors qu’il prête volontiers sa voix aux créations animées de Stéphane Aubier et Vincent Patar, Bouli Lanners est un comédien fidèle au cinéma de certains réalisateurs français : Gustave Kervern et Benoît Delépine lui font confiance depuis Aaltra (2004) jusqu’à Effacer l’historique (2020), en passant par Louise-Michel (2008), Mammuth (2010) ou Le Grand soir (2012) ; Albert Dupontel lui confie le rôle de Youssouf dans Enfermés dehors (2006), puis le choisit pour interpréter notamment le personnage d’un médecin dans Adieu les Cons (2020), puis d’un entraîneur (Second Tour, 2023). Il retrouve aussi Benchetrit dans Chien (2018), puis dans Cette musique ne joue pour personne (2021). À l’affiche d’Astérix aux Jeux olympiques (2007), il apprécie de retrouver Benoît Poelvoorde, notamment aussi dans Rien à Déclarer (2010) de Dany Boon. Au casting De Rouille et d’os (2012) de Jacques Audiard, il remporte le Magritte 2013 du meilleur second rôle. Chef des Normands, Olaf Grossebaf, dans Astérix et Obélix. Au service de sa majesté (2012), Lanners joue aussi sous la direction de Bertrand Blier (Convoi exceptionnel, 2019), de Dominik Moll (La Nuit du 12, 2022), conscient qu’il réalise Un métier sérieux (2023) de Thomas Lilti (pour lequel il avait participé aux saisons 2 et 3 de Hippocrate) et qu’il peut véhiculer des messages importants comme dans Une affaire de principe (2024) où il incarne José Bové. En 2017, partageant l’affiche avec Olivier Gourmet, il tourne Tueurs, de François Troukens et Jean-François Hensgens, film présenté à la Mostra de Venise 2017, premier thriller noir du cinéma wallon qui s’inspire fortement de l’énigme judiciaire belge que demeure l’affaire des Tueurs du Brabant (série de crimes et de holdups violents non élucidés qui coûta la vie à une trentaine de personnes entre 1982 et 1985). Pour ce rôle, il est nommé au Magritte 2019 du meilleur acteur dans un second rôle.
Derrière la caméra et cosignant le scénario avec élise Ancion, le réalisateur revient en 2011 avec Les Géants, plaçant l’Ardenne parmi les acteurs de ce drame qui montre deux jeunes adolescents livrés à eux-mêmes durant les grandes vacances. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2011, le 3e film de Lanners reçoit le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et le prix Art Cinema Award, remis par la Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai. Mais ce n’est pas tout. Bayard d’or de la meilleure photographie et du meilleur acteur au FIFF de Namur 2011, Les Géants est nommé douze fois aux Magritte 2012 et repart avec cinq statuettes, le Magritte du meilleur film, de la meilleure image, de la meilleure musique originale, de la meilleure actrice dans un second rôle et surtout le Magritte du meilleur réalisateur. Plus difficile, Les Premiers, les Derniers sort en 2016. Ce drame minimaliste, mettant en scène deux chasseurs de primes (Lanners et Dupontel) à la recherche d’un téléphone mobile, fait une nouvelle razzia sur les récompenses : huit fois nommé aux Magritte 2017, il repart avec cinq statuettes, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Bouli Lanners, et des meilleurs costumes pour élise Ancion. Auparavant, ce film tourné en partie sur le site de l’ancienne gare de triage de Montzen avait déjà séduit en 2016 les jurys à Berlin (prix Label Europa Cinemas), Cognac (POLAR) et Cabourg (Swann d’or).
C’est en écosse et en anglais qu’il tourne l’essentiel de son cinquième long métrage, Noboby Has to Know – L’Ombre d’un mensonge (2021), où il joue un fermier devenu amnésique, aux côtés de Michelle Fairley. En compétition aux Magritte 2023 face au Close de Lucas Dhont, Lanners repart avec le Magritte du meilleur film et celui de meilleur réalisateur. Et un troisième Magritte 2023 l’attend aussi, pour son interprétation de Marceau dans La Nuit du 12, de Dominik Moll.
Comédien, scénariste, metteur en scène et réalisateur, Bouli Lanners reprend le pinceau, en 2018, en installant un atelier dans sa nouvelle maison liégeoise, pour le plaisir de l’art et sans aucune intention d’exposer. Professeur à l’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion (Insas, à Bruxelles), il laisse la réalisation de côté, au moment du décès de son beau-père, Nicolas Ancion, créateur et animateur du théâtre de marionnettes Al Botroûle. Avec sa compagne, il crée sur les hauteurs de Liège, un nouveau théâtre et de nouveaux spectacles de marionnettes locales, sous le nom de Théâtre de la Couverture chauffante.
Réalisateur
Court métrages
Les Sœurs Vanhoof (1995)
Non Wallonie ta culture n'est pas morte (1996)
Travellinckx (1999)
Le Festival de Kanne de Belgique (2001)
Welcome in new Belgique (2001)
Muno (2001)
Longs métrages
Ultranova (2001)
Eldorado (2008)
Les Géants (2011)
Les Premiers, les Derniers (2016)
L'Ombre d'un mensonge (2021)
Acteur au cinéma
Toto le héros (1990)
Arlette (1997)
Les convoyeurs attendent (1999)
Nello et le chien des Flandres (1999)
Lumumba (2000)
Petites Misères (2000)
Faites comme si je n'étais pas là (2000)
Pauline et Paulette (2001)
Des plumes dans la tête (2003)
En territoire indien (2003)
L'Autre (2003)
Madame Édouard (2004)
Atomik Circus (2004)
Un long dimanche de fiançailles (2004)
Aaltra (2004)
Quand la mer monte... (2004)
Cinéastes à tout prix (2005)
Bunker Paradise (2005)
Enfermés dehors (2006)
Avida (2006)
Où est la main de l'homme sans tête (2006)
Cowboy (2007)
Astérix aux Jeux Olympiques (2007)
J'ai toujours rêvé d’être un gangster (2008)
Eldorado (2008)
Louise-Michel (2008)
Panique au village (2009)
Rien de personnel (2009)
Le Vilain (2009)
Chicas (2010)
Blanc comme neige (2010)
Mammuth (2010)
Kill Me Please (2010)
Sans queue ni tête (2010)
Rien à déclarer (2011)
Des vents contraires (2011)
De rouille et d'os (2012)
Le Grand Soir (2012)
Astérix et Obélix : Au service de sa Majesté (2012)
11.6 (2013)
La Grande Boucle (2013)
La Confrérie des larmes (2013)
9 mois ferme (2013)
Lulu femme nue (2013)
Les vacances du Petit Nicolas (2014)
Tous les chats sont gris (2014)
Je suis mort mais j'ai des amis (2015)
Les Premiers, les Derniers (2016)
Grave (2016)
Réparer les vivants (2016)
Petit Paysan (2017)
Tueurs (2017)
Chien (2018)
C'est ça l'amour (2018)
Troisièmes noces (2018)
Convoi exceptionnel (2019)
De Patrick (2019)
Notre dame (2019)
Effacer l’historique (2020)
Adieu les cons (2020)
Cette musique ne joue pour personne (2021)
L'Ombre d'un mensonge (2021)
La Nuit du 12 (2022)
Un coup de maître (2023)
Un métier sérieux (2023)
Second Tour (2023)
Une affaire de principe (2024)
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024), dont Racines élémentaires dans Le Soir, 6 mai 2022
Benoît MARIAGE, On the road again. Le cinéma de Bouli Lanners (documentaire, 2011)
Jean-Benoît Gabriel, Deux appropriations de l’image empruntée : Smolders vs Lanners ? Mort à Vignole d’Olivier Smolders Non, Wallonie, ta culture n’est pas morte et Les Sœurs Van Hoof de Bouli Lanners, dans Mise au point, Cahiers de l’Association française des enseignants chercheurs en cinéma et audiovisuel, 2018/11, https://journals.openedition.org/map/2945
Revue Toudi, 2009, https://larevuetoudi.org/fr/story/non-wallonie-ta-culture-n-est-pas-morte
Vivre la Wallonie, n°13, septembre 2011, p. 8-9
L’Envers de l’écran, https://auvio.rtbf.be/media/l-envers-de-l-ecran-l-envers-de-l-ecran-2855419, RTBf, 2005 Magazine Prof n°12, 1er décembre 2011, http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=660 (s.v. janvier 2025)