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Vecqueray, ou Dom André (aussi orthographié Vecquerai) Georges

Eglises, Socio-économique, Entreprise

Henri-Chapelle 22/02/1714, Malmedy 03/05/1778

Certes vouées essentiellement à la vie religieuse, les abbayes – nombreuses en pays wallon – jouent aussi un rôle déterminant dans la vie économique. Dans la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy, les moines de l’ordre bénédictin, installés le long de la Warche, ne font pas exception, profitant de la force hydraulique de quelques bras d’eau. Dès le XVIe siècle, une activité de tannerie se développe ; on dénombre aussi un moulin à grains, une scierie, voire un fondeur de cloches au XVIIIe siècle. À la même époque, naît une nouvelle activité industrielle orientée dans la fabrication de papier et de carton ; l’entreprise sera rachetée en 1801 par Henri Steinbach. Nommé à la direction de la papeterie le 21 mai 1754, dom André Vecqueray a joué un rôle essentiel dans le développement dans cette activité appelée à un grand avenir dans la région de Malmedy. Ce sont les recherches patientes de Maurice Lang qui ont contribué à tirer le rôle essentiel de Vecqueray de l’oubli.

Premier garçon d’une famille paysanne de neuf enfants, le jeune Vecqueray présente des prédispositions pour l’étude ; son oncle, curé à la Clouse (près d’Aubel), l’oriente vers la vie religieuse. Admis au noviciat à l’abbaye de Malmedy (1733), ordonné sous-diacre à Cologne (1735), il devient prêtre en 1738. Après une douzaine d’années consacrées à l’étude et à la prière, il se passionne pour un projet que soutient le prince-abbé.

Un premier projet de papeterie avait vu le jour en 1726, mais sans être concrétisé. Il inspire cependant un second projet, lancé en 1750, par un bourgeois malmédien qui obtient l’aval des responsables de l’abbaye. Entre 1751 et 1753, deux bâtiments sont construits et, dès 1753, les religieux commencent à fabriquer à la fois du papier et du carton. Durant la phase de construction, dom André Vecqueray est envoyé en mission. Au cours de plusieurs voyages « dans le monde », il se familiarise avec cette activité et découvre certains secrets de fabrication ; mais il est surtout chargé de recruter une main d’œuvre spécialisée, qu’il rencontre dans les régions avoisinantes : au pays de Liège, dans les Pays-Bas et dans le duché de Juliers ; enfin, il prospecte des débouchés et amènent les premiers clients.

En dépit des efforts consentis, les premiers résultats obtenus par les moines sont désastreux. La qualité n’est pas au rendez-vous, les clients sont mécontents et les stocks s’accumulent à Malmedy. Subissant au quotidien les conséquences de cette situation, Vecqueray accepte d’être nommé à la direction de la papeterie abbatiale, tout en revendiquant « les pleins pouvoirs » (1754). Inquiet des conséquences financières de l’entreprise pour la communauté religieuse, le prince-abbé autorise Vecqueray à réorganiser les méthodes de fabrication et accepte d’emprunter un montant indispensable à la relance des activités.

En offrant désormais des produits de qualité, Vecqueray n’a guère de peine à trouver des débouchés, principalement auprès des manufactures de draps déjà bien présentes à Verviers, Eupen, Aix-la-Chapelle, Roetgen, Montjoie et Malmedy, où les cartons sont indispensables. Le redressement de la papeterie abbatiale est progressif, mais l’entreprise est bénéficiaire et les profits générés servent à l’amélioration du bien-être général de la communauté. Celle-ci est cependant agitée par d’importants problèmes internes et, en raison de sa capacité à bien gérer la fabrique de papier, dom André Vecqueray se voit confier la charge de prieur claustral, ad interim (1762). Ramenant le calme et la concorde entre les moines, le prieur est confirmé officiellement dans ses fonctions par le prince-abbé (1763), avant de se confier l’autorité temporelle sur le monastère de Malmedy. Chef d’entreprise, « inspecteur au service de l’abbé », dom André Vecqueray entre encore au Conseil provincial de Stavelot (1765).
Afin d’exercer au mieux toutes ses responsabilités, Vecqueray demande à être déchargé de la direction de la papeterie. Jusqu’à son décès, en 1778, il restera membre de la Commission des religieux en charge de la surveillance des comptes de l’entreprise. Mais, en octobre 1766, frère Henri lui a succédé dans la gestion quotidienne ; il restera à la tête de la papeterie jusqu’au moment où la principauté abbatiale se fond dans les nouveaux départements français (1795). Ce frère Henri était né Jean-Godefroid Cavens (1725-1800) ; il est l’oncle d’Eulalie Cavens qui épousera, en 1827, Henri-Joseph Steinbach, fils du fondateur de la Papeterie Steinbach..., née du rachat, sous le régime français, de l’entreprise bénédictine.

Sources

Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-93
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70

Vandercammen Edmond

Culture, Littérature

Ohain 08/01/1901, Uccle 05/05/1980

Attaché à son village natal d’Ohain, dont il fréquenta l’école communale et où il connut Robert Goffin son contemporain, Edmond Vandercammen achève sa formation d’instituteur à l’École normale de Nivelles (1916-1919), malgré la Première Guerre mondiale. Nommé à Ixelles en 1920, l’enseignant parfait sa formation en suivant les cours de psychopédagogie à l'Université libre de Bruxelles, tout en cultivant une fibre artistique multiforme. À l'académie des Beaux-Arts, il apprend la peinture et le dessin ; dans le même temps, il se fait écrivain. En 1924, paraît Hantise et désirs, qu’il reniera par la suite, mais qui reste le premier d’une vingtaine d’ouvrages que clôture, en 1981, le recueil (posthume) Ce temps que j'interroge. S’y ajoutent de nombreux textes espagnols et sud-américains que Vandercammen a traduits par goût pour la culture espagnole qu’il a découverte lors d’un voyage en 1931 avec Plisnier et Ayguesparse.

De son enfance à Ohain, Edmond Vandercammen a conservé un souvenir émerveillé des paysages brabançons qui inspirent sans conteste son œuvre. Les bois ou la campagne où il aimait à se promener régulièrement au départ de sa petite maison blanche du chemin de l’Alouette, se retrouvent dans son écriture comme dans sa peinture. Parmi les dizaines de tableaux qu’il a signés, de nombreuses gouaches représentent son cher Brabant. Installé à Bruxelles où l’a conduit son métier d’instituteur, cet ami de Plisnier et d’Ayguesparse, de Pierre Bourgeois et de Pierre-Louis Flouquet, découvre de nombreux courants artistiques, s’adonne surtout à la peinture, rencontre Anne de Koning, jeune institutrice, dessinatrice qui illustrera plusieurs des ouvrages de celui qui devient son mari en 1925.

Vandercammen connaît alors la tentation surréaliste, mais la politique l’intéresse moins que la métrique qu’il privilégie pour exprimer le bonheur de l'homme et de la terre, ainsi que le sentiment d’inquiétude. S’il « reste attentif au Front littéraire de Gauche et au Mouvement des écrivains prolétariens dont il signe le Manifeste publié dans Le Monde » (BROGNIET), il se consacre davantage au Journal des Poètes, dont il est l’un des fondateurs avec Pierre Bourgeois, Maurice Carême, Georges Linze et Norge (1930) et fait paraître son premier recueil de poésies : Innocence des solitudes (1931). Deux ans plus tard, le Prix Verhaeren lui est décerné pour son recueil Le sommeil du laboureur. Attiré par le monde hispanique, il traduit des poètes et écrivains espagnols et latinos, tout en voyageant au Mexique, à Cuba et en Amérique latine. En 1939, il fait paraître une Anthologie de la poésie espagnole contemporaine.

Délibérément muet durant la Seconde Guerre mondiale, Vandercammen se rattrape après la Libération, continuant à alterner traductions et œuvres personnelles. En 1952, alors qu’il reçoit le Grand Prix triennal de Poésie pour La Porte sans mémoire, il est élu membre de l'Académie de Langue et de Littérature françaises, dite Académie Destrée. Cosignataire de la Nouvelle Lettre au roi (29 juin 1976), destinée à dénoncer l'extrême lenteur mise dans l'application de l'article 107 quater de la Constitution et à réclamer un fédéralisme fondé sur trois Régions (Bruxelles, Flandre et Wallonie), le poète a vu son œuvre couronnée en 1979 par le Grand Prix des Biennales internationales de la poésie.

Sources

Jean-Luc WAUTHIER, dans Nouvelle Biographie nationale, t. VIII, p. 368-370
Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 2005
https://www.servicedulivre.be/Auteur/vandercammen-edmond
La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. III, p. 53, 104 ; t. IV, p. 238
Marginales, numéro spécial Edmond Vandercamme, 1958

© Sofam

Ubac Raoul

Culture, Peinture, Photographie, Sculpture

Cologne 31/08/1910, Dieudonne (Oise) 24/03/1985

En 1981, le Musée de l’Art wallon organise, dans les salles du musée Saint-Georges, une rétrospective consacrée à Raoul Ubac. Ce n’est pas la première rétrospective de cet artiste (Charleroi, 1968 et la Fondation Maeght, 1978), mais ce sera la dernière de son vivant : il était à la fois photographe, peintre, dessinateur, sculpteur, litho-graveur et lithographe, ainsi que créateur de vitrail. Toujours en quête de création, Ubac avait trouvé à Malmedy le goût pour la nature, à Cologne une technique artistique, en Dalmatie l’inspiration photographique, à Paris une influence surréaliste, en Haute-Savoie la découverte des vertus de l’ardoise et, partout dans le monde, des lieux où s’épanouir et où exposer ses œuvres multiples.

Pendant longtemps, ses biographes font naître Rudolf Gustav Maria Ernst Ubach à Malmedy, terre où la famille maternelle (les Lang) s’était spécialisée dans la tannerie. En fait, c’est à Cologne qu’il voit le jour et qu’il vit pendant quatre années, avant que sa famille ne suive le père, nommé juge de paix à Malmedy, en 1914 (en 1919 selon certains travaux). Depuis le Congrès de Vienne (1814-1815), la cité wallonne est prussienne ; elle change de statut en juin 1919 et c’est dans le nouvel Athénée de Malmedy que le jeune Ubach accomplit ses études (1920-1929), croisant sans doute la route de l’abbé Bastin. 

Si la perspective du métier de garde-forestier attire le jeune homme, la lecture du Premier Manifeste du surréalisme d’André Breton modifie radicalement ses perspectives. Celles-ci sont larges, car le jeune homme aime le voyage, traversant volontiers le cœur d’une Europe qui n’est pas encore en guerre. En quête d’identité personnelle et artistique, il ne fixera son patronyme définitif qu’en 1950 : « Je déclare signer mes œuvres Raoul Ubac ».

En 1929, Raoul Ubac est inscrit à la faculté de Lettres de la Sorbonne et recherche le contact avec le milieu artistique parisien, en particulier les surréalistes. Trouvant dans la photographie le moyen d’assouvir sa créativité, Ubac quitte Paris pour Cologne, où il fréquente l’École d’Arts appliqués, ainsi qu’un cercle d’artistes progressistes. La Dalmatie le fascine et il en revient avec des images d’assemblages de pierres qu’il crée et qu’il va dessiner, peindre et surtout photographier. Toutes les années trente seront, pour Rolf Ubac-Michelet, une période d’expérimentation des techniques photographiques et d’inventions (photocollage, photomontage, surimpression, brûlage, solarisation, voilage ou le paraglyphe) ; influencé par Man Ray, il cherche à constituer une nouvelle image, par la destruction de l’ancienne, pour inventer sa réalité. Ses œuvres sont notamment présentes dans les manifestations des surréalistes, auxquels il se joint sans réserve ni réticence, de 1936 à 1939, et ce sont ses créations publiées dans la revue Le Minotaure qui le font connaître internationalement.

Après l’offensive allemande contre la France, Ubac se réfugie en « zone libre », pendant quelque temps, à Carcassonne, avec Magritte et Jean Scutenaire. Entre Bruxelles et Paris occupées, ensuite, il connaît une période (1940-1946) marquée par des dessins figuratifs, des encres de Chine et des gouaches. S’éloignant résolument du surréalisme et de la photo, Ubac va explorer en solitaire une voie totalement originale à partir de 1946 : plutôt que de représenter des pierres (comme il l’avait fait au début de sa période « photographie »), il va utiliser l’ardoise comme objet et support de son expression artistique. Il renoue ainsi « avec le très vieux métier des artisans-sculpteurs anonymes de son pays » (PARISSE).

Sorte de retour à la nature, l’ardoise est cependant un matériau fragile et difficile à maîtriser ; sa complexité offre, en revanche, une multitude de possibilités artistiques qu’Ubac va désormais explorer. Les quatorze reliefs du chemin de croix qui orne la chapelle Saint-Bernard de la Fondation Maeght, sur la colline de Saint-Paul de Vence, ne sont qu’un exemple des multiples réalisations de l’artiste. Dans le même temps, sa réflexion sur la forme et la couleur le conduit sur le chemin de l’abstraction lyrique, à la suite de Georges Mathieu, voire de la méditation. Progressivement, ses ardoises façonnées s’imposent comme la caractéristique unique d’un artiste qui, pourtant, réalise une œuvre beaucoup plus variée ; avec un certain succès, il ne cesse de s’adonner simultanément à la peinture, avant de mêler les genres – gravure et peinture – à partir du milieu des années 1950 ; il se consacre aussi à l’art du vitrail, à la lithographie et à la sculpture.

Souvent exposé par l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, il fait partie, au sein de l’APIAW, d’un groupe d’artistes wallons séduits par le projet Cobra (1951-1952). Entre Liège, Paris où il vit jusqu’à la fin des années 1950 et l’Oise, où il s’installe à Dieudonné, au bord de la Forêt de Chantilly, Ubac apporte sa contribution à des projets architecturaux et participe à des expositions internationales de plus en plus nombreuses, de Tokyo à New York ou Pittsburgh, en passant par la galerie Maeght, avec laquelle il était sous contrat.

Sources

Bernard DORIVAL (préf.), Robert ROUSSEAU, Rétrospective Raoul Ubac : Charleroi, cercle royal artistique et littéraire - palais des beaux-arts, 3 février-3 mars 1968, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 10 mars-10 avril 1968 ; Paris, Musée national d’Art moderne, 25 avril-5 juin 1968, Charleroi-Gilly, Piérard’s, 1968
Christian BOUQUERET, Raoul Ubac. Photographie, Paris, Léon Scheer, 2000, p. 166-197
Bernard BLATTER (dir.), Yves BONNEFOY, Rétrospective Raoul Ubac : exposition, Musée Jenisch, Vevey... Musée des beaux-arts, Cabinet cantonal des estampes, du 14 juin au 30 août 1992, Paris, 1992
Rétrospective Raoul Ubac (1910-1985) Centenaire de la naissance de l’artiste, dans Arte News, octobre 2010, n°66, p. 6-7
Raoul Ubac 1910-1985 Rétrospective, Liège Grand Curtius 15 octobre 2010 – 16 janvier 2011. Dossier pédagogique, Liège, 2010 http://lesmuseesdeliege.be/wp-content/uploads/2013/06/dossped-ubac.pdf (s.v. mai 2016)
Jacques PARISSE, Situation critique. Mémoires d’un critique d’art de province, Liège, Adamm éd., 2000, p. 137-143

Tilkin Alphonse

Culture, Lettres wallonnes

Glain 04/08/1859, Liège c. 26/05/1918

Formé à la gravure sur arme, Alphonse Tilkin ne va jamais abandonner sa profession, devenant, au début du XXe siècle le patron d’une importante fabrique d’armes. Cependant, sa notoriété trouve son origine dans les multiples formes d’illustration de la langue wallonne auxquelles il s’adonne sans compter. Connu pour ses compositions de chansonnier et d’auteur dramatique wallons, il est l’un des principaux animateurs du théâtre dialectal de la « Belle Époque » ; il est aussi le fondateur du Spirou, le tout premier journal en wallon de Liège, imprimé dans la cité ardente. Président de la Fédération wallonne avant la Grande Guerre, il ne lui survivra pas.

Intitulée Lisa, sa première chanson date de 1877 ; elle figure dans Mes proumîres, recueil de romances, chansons, poèmes et déclamations wallonnes qui paraît en 1885. De nombreuses autres compositions sortiront de sa plume ; dans les dernières années du XIXe siècle, il tient aussi la barre du premier Cabaret wallon de Liège (1895-1900). Il monte sur scène avec aisance.

Depuis avril 1880, Alphonse Tilkin est aussi joué au théâtre ; cinq ans avant le succès phénoménal de Tâti l’pèriquî d’Édouard Remouchamps, il propose On novai locataire (1880) pour le plaisir d’un parterre qui répond facilement aux intrigues simples qui lui sont proposées ; le public revient pour suivre Les avinteures da Nanol (1882), Ine nute èmon Fina (1883), Les pauves honteux (1884), Li bârbî (1884) et Ine ancienne cantinière (1885).

Drame, comédie, opérette, vaudeville à tiroirs, en français, en wallon, voir roman, l’auteur est fécond ; il inscrit à son actif plus de 50 pièces de théâtre, dont encore Jôseph Colasse (1887) et Vât mîx târd qui mäie (1888) récompensées du second prix littéraire de la Société le Lion Belge. Décernées par la Société liégeoise de Littérature wallonne, une médaille d’or récompense Jône et vîx (1887) et une médaille de bronze couronne Lès qwate saison (1888). Parmi d’autres, les comédies ou opérettes Gougnotte li Sourdeau (1890), Li Coq dè Viège (1894), Pauline (1895), Li Portrait ou les deux Frés (1898), Les deux Soroches (1900), Dj’a me ton l’fer ou (1906), Rintis (1909), Matante Nanète (Médaille d’or de la SLLW et prix du gouvernement, 1910), L’Efant (1911), Melie est k’hayowe (1913) attirent un public friand.
Traducteur en wallon de Liège du brabançon Edmond Étienne, membre de nombreux jurys, rédacteur à l’Express, chargé de la chronique du Théâtre wallon, Alphonse Tilkin ajoute à cette activité wallonne la responsabilité d’un journal entièrement écrit en wallon. Depuis 1883, La Marmite connaît un succès certain à Namur et alentours, mais le wallon de Liège ne trouvera à s’exprimer que dans Li Spirou, gazette des tiesses di hoye, dont Tilkin est à la fois le fondateur, le propriétaire et le rédacteur en chef. Bihebdomadaire, Li Spirou accueille de nombreux auteurs et anime, de toutes les manières (concours notamment), le mouvement littéraire dialectal à l’est du pays wallon jusqu’en 1904. Promouvoir la langue wallonne, divertir, sont ses seuls objectifs. Pas plus que sa gazette, Tilkin ne se mêle réellement de politique.

Néanmoins, cofondateur de la Société des auteurs dramatiques et chansonniers wallons de Liège (1887) qu’il préside de 1890 à 1902, membre de la Société liégeoise de Littérature wallonne, président de la Fédération wallonne de la province de Liège (à partir de 1902) il accepte de faire partie du Comité permanent du Congrès wallon (1890-1893) et il participe notamment au Congrès de Namur en 1891. D’autre part, en 1902, Al longue crôye est une comédie satirique où il s’attaque à la vente à crédit. Enfin, en 1905, Maurice Wilmotte peut compter sur son aide précieuse lors du montage du Congrès de langue française qui se tient à Liège. Celui qui s’est fait une spécialité de comédies en wallon fort appréciées accueille encore les participants au Congrès wallon de 1905 par une représentation du drame patriotique qu’il a composé : Li famille Tassin, paru sous forme de roman dès 1900.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 105-106
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. II, p. 494 ; t. III, p. 211
Maurice WILMOTTE, Mes mémoires, Bruxelles, 1949, p. 165
Robert WANGERMÉE, Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 334
Comité permanent du Congrès wallon, Compte rendu analytique des débats du Congrès wallon, Namur, 1891, Liège, 1892, Bruxelles 1893
Wallonia, t. 10, 1902, p. 190-194
A mon nos autes, bulletin liégeois des tranchées, 1er août 1918 ; La Meuse, 1886-1914, dont 11 octobre 1913 ; Le Télégraphe, 31 mai 1918

Thorn Jean-Baptiste

Révolutions

Remich 17/03/1783, Mons 23/03/1841

En 1832, durant plus de six mois, celui qui est à la fois sénateur et gouverneur de la province de Luxembourg est enlevé et retenu prisonnier dans la forteresse de Luxembourg par des hommes aux ordres du roi Guillaume Ier. Opposant à l’autoritarisme du prince d’Orange, révolutionnaire en 1830, Jean-Baptiste Thorn sera finalement libéré au terme d’un bras de fer diplomatique, à haute valeur symbolique, opposant les Pays-Bas à la Belgique. Nommé gouverneur du Hainaut, Thorn attache son nom notamment à la création de la future Faculté polytechnique du Hainaut.

Natif du duché de Luxembourg, alors composante de Pays-Bas dépendants de la cour impériale de Vienne, Jean-Baptiste Thorn accomplit des études à Trèves et à Luxembourg au temps du régime français. Docteur de l’École de Droit de Paris (1805), il est inscrit comme avocat à Luxembourg lorsque le régime napoléonien s’effondre et que les alliés cherchent dans la société civile des personnalités pour asseoir le régime nouveau. Membre du conseil de Régence de la cité-place forte de Luxembourg (1814-1819) et commissaire de district (1814-1815), Thorn est élu, en 1819, membre de la députation des États, représentant du Luxembourg, alors à la fois division administrative du Royaume-Uni des Pays-Bas, mais aussi territoire relevant de la Confédération germanique.

Connu pour son franc-parler, J-B. Thorn entre en différend avec le gouverneur de sa province et ce dernier s’en ouvre au roi Guillaume Ier. Dès 1825, une modification du règlement relatif à l’élection aux États introduit l’incompatibilité entre le métier d’avocat et l’exercice du mandat de député aux États… Manifestation de l’arbitraire du prince, cette vexation incite davantage encore Thorn à contester le pouvoir central « hollandais ». En 1830, ce Luxembourgeois est l’un des plus actifs artisans de la Révolution qui fait émerger le nouveau royaume de Belgique. Élu au Congrès national en novembre 1830 dans la circonscription d’Esch-sur-Halzette, le député met ses compétences de juriste au service de l’écriture de la Constitution belge, tout en acceptant de prendre la tête du gouvernement provincial luxembourgeois. Il rallie les Luxembourgeois à la Révolution et maintient l’ordre autour de la place forte de Luxembourg toujours gardée par un général prussien et occupée par des centaines de soldats favorables au régime orangiste.

Opposé à l’exclusion perpétuelle des Nassau de tout pouvoir en Belgique, favorable à la candidature de Léopold de Saxe-Cobourg, il était surtout un farouche partisan de la séparation des pouvoirs entre l’État et l’Église, le défenseur des libertés les plus larges et favorable à inscrire dans la Constitution le droit de résistance aux actes illégaux de l’autorité.

Élu par les Luxembourgeois en août 1831, il siège au Sénat jusqu’en 1840. Il s’y montre l’un des plus ardents défenseurs de la « Grande Belgique », refusant toute (rétro)cession des territoires du Limbourg et du Luxembourg. Opposant farouche du Traité des XVIII articles, malgré les menaces et les intimidations qui agitent tout l’ancien duché, le sénateur Thorn est lui-même victime d’un enlèvement dans ses propriétés de Schoenfelz, quand des hommes à la solde de la famille d’Orange le capturent (avril 1832), le retiennent prisonnier dans la forteresse et tentent de l’emmener aux Pays-Bas pour le juger comme criminel d’État. Soutenu par une forte mobilisation de la population et objet de nombreuses discussions au Parlement belge, Thorn est finalement échangé contre un certain Pescatore, arrêté par la Belgique en raison de ses menées orangistes (novembre 1832).

Premier gouverneur de la province de Luxembourg (1830-1834), Thorn est ensuite désigné à la tête du Hainaut pour y succéder à J-A. De Puydt (1834-1841). Il s’agissait dans une certaine mesure d’éloigner « l’ancien otage » d’un territoire qui, en 1839, par l’imposition du Traité des XXIV Articles, était amputé de la Belgique. En plus des réalisations en faveur des pauvres et des malades, le gouverneur contribue à l’entente entre les partis, au développement des lignes de chemin de fer et à celui de l’enseignement, en particulier à la formation d’ingénieurs capables de répondre aux besoins d’une industrie en plein essor, qu’il s’agisse des mines ou de la métallurgie. Ayant instruit le dossier en 1836, Jean-Baptiste Thorn obtient le soutien du Conseil provincial pour la création d’une « École provinciale des Mines du Hainaut ». Les premiers cours sont dispensés, à Mons, dès 1837, et la direction de l’établissement est confiée, notamment, à Théophile Guibal et à Adolphe Devillez. L’École des Mines de Mons était née.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Charles TERLINDEN, dans Biographie nationale, t. 25, col. 133-139
Willy STAQUET, Un fleuron intellectuel du Hainaut : la Faculté Polytechnique de Mons, 1990, p. 12-15
L’Indépendance belge, 20 avril 1832, 24 et 27 mars 1841, 21 avril 1841

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Thomas Charles

Socio-économique, Entreprise

Opont 17/04/1947

Même s’il a quitté l’aventure après quelques années, Charles Thomas restera toujours l’un des deux fondateurs de la société de rénovation puis de construction de maisons « Thomas & Piron », considéré en 2015 comme le n°1 dans la construction de maisons clé sur porte en Wallonie, ainsi qu’au grand-duché de Luxembourg. Maçon indépendant, Charles Thomas ne devait apporter qu’une aide ponctuelle, en 1974, au jeune Louis-Marie Piron qui s’était mis en tête de rénover une maison familiale, sans avoir de grandes connaissances dans le métier. De la bonne entente entre les deux hommes allait naître une SPRL, en février 1976, qui se spécialise dans la rénovation de maisons dans la région de Paliseul. Le carnet de commandes est bien garni et, avec la collaboration de Bernard Piron au début des années 1980, la société prend de l’expansion. En 1988, elle prend même la forme d’une Société anonyme, tout en proposant désormais des maisons clés sur porte. L’aventure entrepreneuriale « Thomas&Piron » était lancée. La petite PME wallonne n’allait plus cesser de grandir.

Pourtant, à ce moment, Charles Thomas renonce à ses parts dans l’actionnariat de T&P, tout en continuant à apporter sa contribution à l’aventure. Chef d’équipe, il est d’abord chargé de la formation des jeunes recrues (1985-1995). Ensuite, il est nommé responsable de la qualité des chantiers (1995-2005), avant de terminer sa carrière au service après-vente (2005-2012). Dans ces deux dernières fonctions, il est l’homme à tout faire, assurant le suivi des éventuels problèmes sur n’importe quel chantier, fini ou en cours.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse dont Le Soir, 15 septembre 2000, 16 novembre 2006, La Meuse, 16 mai 2013

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Thiry Michel

Culture, Lettres wallonnes

Liège 12/01/1814, Liège 25/04/1881

En 1858, une plaquette anonyme interpelle les amateurs érudits de la langue wallonne. En wallon et rimés, un recueil intitulé Caprices wallons présente d’incontestables qualités tant d’écriture que d’observations psychologiques de la vie quotidienne. Identifié, son auteur, Michel Thiry, devient l’un des auteurs les plus primés de la jeune Société liégeoise de Littérature wallonne avec ses tableaux de mœurs dialogués, ses contes facétieux et ses chansons. En 1859 encore, sa satire Ine copène so l’mariège consacre à tout jamais la place de Michel Thiry dans le mouvement dialectal wallon.

Élevé dans un milieu bourgeois aisé, Michel Thiry a bénéficié d’une bonne instruction au cours de ses études au Collège de Liège ; il s’apprêtait à prendre la succession de son père, exploitant d’une brasserie en Outre-Meuse (Liège), quand, subitement, ses parents disparaissent, laissant une activité commerciale qui a fait faillite (1839). Contraint de supporter la charge de cinq frères et sœurs, le jeune homme se fait engager comme manœuvre au service des chemins de fer. En l’occurrence, il est affecté sur le chantier de construction du plan incliné du Haut-Pré, à la sortie de Liège (fin années 1830, début 1840). Gravissant progressivement les échelons, il devient tour à tour surveillant (1838), puis conducteur mécanicien, affecté à la machine du Haut-Pré (1843). Promu dans le comité de direction de la toute nouvelle gare des Guillemins, il devient chef de station (1844), avant d’être nommé inspecteur (1862). Il accepte de poursuivre sa carrière au sein de l’administration des chemins de fer de l’État, mais à condition de rester à Liège ; en 1879, il est nommé directeur de service, en même temps qu’il voit disparaître les câbles qui tiraient les trains sur le Plan incliné. Du fait de sa physionomie évoquant irrésistiblement Napoléon III, le chef de gare Michel Thiry était un personnage très connu des Liégeois au milieu du XIXe siècle, son œuvre en wallon contribuant à sa notoriété.

Ayant observé attentivement ses contemporains au cours de ses diverses expériences de vie, Michel Thiry en tire des portraits subtils dans l’exercice d’écriture en wallon auquel il s’adonne dès les années 1840. Sa peinture des mœurs liégeoises est à la fois une intéressante et instructive immersion dans cette époque et un ravissement littéraire. Ainsi, dans Caprices wallons, le lecteur est baigné dans l’atmosphère de Liège et dans l’ambiance du chemin de fer, une innovation technologique pour l’époque.

Satire dialoguée de 412 vers, traitant le thème du mariage, Ine copenne so l’mariège attire sur « le chef de gare » toute l’attention de la nouvelle Société liégeoise de Littérature wallonne ; la médaille vermeil lui est remise, tandis que sa composition – considérée comme sa meilleure œuvre – sert longtemps de référence aux défenseurs d’une littérature wallonne de qualité. Ine cope di grandiveûs (1860), On voyèdje à conte-coûr (1860) et Li mwert di l’octrwè (1861, qui traite de l’abolition de l’octroi en juillet 1860) témoignent de l’inspiration féconde et très sociale de Michel Thiry. Poète inspiré, il est aussi conteur et, dans On Coirbâ franc Lîgeois (1868), il exprime son amour du sol natal, Liège et le pays wallon. Les prix et récompenses accompagnent pratiquement toutes les compositions de Thiry qui, jusqu’en 1869, séduit une Société liégeoise de Littérature wallonne qui s’est empressée d’en faire un membre titulaire.

Son insatisfaction professionnelle face à l’inertie du système aura des répercussions sur son inspiration littéraire ; il continue à écrire en wallon, mais ne publie plus guère. Plusieurs textes – contes et pièces en wallon, mais aussi un texte en français intitulé Bureaucratie – seront retrouvés après son décès et la Société liégeoise de Littérature wallonne en rassemblera certains dans son Annuaire.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Charles DEFRECHEUX, Joseph DEFRECHEUX, Charles GOTHIER, Anthologie des poètes wallons (…), Liège, Gothier, 1895, p. 225-226
Musée des Beaux-Arts, Exposition Le romantisme au pays de Liège, Liège, 10 septembre-31 octobre 1955, Liège (G. Thone), s.d., p. 75
Maurice PIRON, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie, poètes et prosateurs, Liège (Mardaga), 1979, p. 162-168
La Meuse, 21 février 1894
J-E. DEMARTEAU, Michel Thiry, sa vie et ses travaux, dans Annuaire de la Société liégeoise de Littérature wallonne, Liège, 1884, p. 67-101 et quelques textes inédits, p. 102-121
La Meuse, 28 avril 1881

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Tacheny Jules

Sport, Motocyclisme

Mettet 28/04/1907, Floreffe 16/07/1984

Au milieu de l’Entre-deux-Guerres, les sociétés wallonnes de motocyclettes ont une notoriété internationale, grâce notamment aux résultats sportifs enregistrés par une génération exceptionnelle de pilotes de vitesse. Que ce soit sur une Gillet, une FN ou une Saroléa, ils sont quelques-uns à se distinguer sur les rares circuits qui existent alors en Europe : aux côtés des Robert Grégoire, René Milhoux, Noir et autre Pol Demeuter, Jules Tacheny inscrit son nom dans la légende de ce sport particulièrement périlleux.

Après avoir connu l’occupation allemande et la période de reconstruction comme nombre de jeunes enfants wallons de sa génération, Jules Tacheny est attiré par la mécanique automobile et par ces engins motorisés à deux roues alors en plein développement. Une FN 350 sera sa première moto et l’objet des premières expériences du pilote-mécanicien. Dès 1927, il crée un club, l’Union motor Entre Sambre et Meuse, qui, très vite, organise des courses sur des circuits tracés autour de Mettet. Jusqu’en 1937, le Grand Prix de l’Entre-Sambre-et-Meuse aura lieu sur un circuit dont le tracé évolue, comme d’ailleurs le statut du GP devenu international en 1935. Après la Seconde Guerre mondiale, il connaîtra une nouvelle jeunesse, grâce principalement à Jules Tacheny qui donnera son nom à un circuit qui deviendra un espace privé et permanent.

Mais le jeune pilote namurois n’en encore qu’à ses débuts, en 1928, quand il participe à sa première course, avec succès. Remarqué par le staff technique officiel de la FN, il est engagé par l’usine liégeoise. Celle-ci entend briller dans les Grands Prix d’Europe de vitesse pure, en plus des courses d’endurance. Introduit dans cette équipe dès 1931, Jules Tacheny doit apprendre le métier, tout en contribuant à l’amélioration de la fiabilité des moteurs. C’est ainsi qu’en relai avec René Milhoux, il va rouler pendant 12 heures sur le circuit de Montlhéry et y établir la bagatelle de 41 records du monde sur la même journée. La moyenne de 138 km/h au cours de la demi-journée est celui qui impressionne le plus (1931). Prix Fernand Jacobs 1931 du sportif belge le plus méritant, Jules Tacheny pose les premiers jalons de ses succès en Grand Prix 1932 en classant sa FN en 3e position en Allemagne (500cc).
Face aux « anglaises », les Saroléa, Gillet et FN ont fort à faire dans les GP européens. Si Demeuter (FN) remporte un premier succès, à Assen, en 1934, le seul des FN, le prix payé pour égaler les « anglaises » est considérable : après Grégoire (1933), ce sont Noir et Demeuter qui se tuent en course peu de temps après. Au terme de la saison suivante, la FN se retire de la compétition. Ayant couru une année en experts, Jules Tacheny fait de même, fort de plusieurs bouquets remportés en sénior ou dans les nombreuses courses organisées en pays wallon. Il va se consacrer à son commerce, en tant qu’agent officiel FN. En 1937, il fait construire un nouveau garage à l’entrée de Mettet.

Après la Seconde Guerre mondiale, il accepte la présidence de l’Union motor ESM, relance l’organisation du Grand Prix (1947) et reprend la compétition sur une FN d’abord, une Norton ensuite. Entrecoupée de chutes et de convalescence, sa carrière de pilote s’achève définitivement en 1952 ; la direction du circuit de Mettet et l’exploitation de son garage l’occuperont jusqu’à ses derniers jours. Grâce à ses nombreuses relations dans le milieu du sport moteur, le « garagiste » namurois sera représentant officiel pour Austin, Hudson et Jaguar, importateur des motos Norton (1952), Royal Enfield (1956), avant de devenir le premier à importer les japonaises Honda en Belgique et au Luxembourg (1959).

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 167
Gilbert GASPARD, Les Demoiselles de Herstal: la motocyclette liégeoise des origines à 1940, Liège, éd. Vaillant-Carmanne, 1975, p. 128-168
Johnny, Thierry et Freddy TACHENY, L’Épopée moto, Bruxelles, Renaissance du livre, 2008
http://www.jules-tacheny.be/site.php (s.v. mai 2016)

Swennen René

Culture, Littérature, Militantisme wallon

Jemeppe-sur-Meuse 05/01/1942, Liège 31/01/2017

Avocat, romancier, écrivain engagé, René Swennen est un partisan déclaré d’un avenir meilleur pour la Wallonie au sein de la République française. Identifiant une série de symptômes qui conduisent à la fin de la Belgique, il invite ses contemporains à réfléchir sérieusement à leur devenir, de manière autonome ou dans le cadre de la France. Pour sa part, il est partisan du rattachement de la Wallonie à la France, après une négociation juridique entre la Région Wallonie d’une part, la France et l’Union européenne d’autre part.

Docteur en Droit de l’Université de Liège (1965), cet étudiant de la génération d’Antoine Duquesne, Jean-Maurice Dehousse, Urbain Destrée et autre Jean Gol s’inscrit comme avocat au barreau de Liège et arrive à la revendication wallonne par d’autres chemins que ses condisciples, émules, de près ou de loin du professeur François Perin. En 1980, alors que la première phase de la régionalisation a été péniblement acquise, dix ans après l’inscription de l’article 107 quater dans la Constitution, l’avocat publie à Paris un ouvrage politique, Belgique requiem, qui provoque des remous dans l’opinion. Établissant le constat de la dislocation inéluctable de la Belgique, dans un avenir qu’il estime proche, il explique pourquoi il est sérieux de plaider en faveur du rattachement de la Wallonie à la France. En 38 petites histoires, classées alphabétiquement par mots-clés, il dissèque un être étrange, « le Belge, cette anomalie historique qu’a tuée le nationalisme flamand ». Essai politique pour les uns, pamphlet pour les autres, cet opus aura deux suites, en 1999 et 2009, sous-titrées suite et fin ?, dans lesquels l’auteur analyse les situations politiques du moment et confirme son choix, en regrettant le temps perdu en atermoiements et en affaiblissement de la Wallonie.

Quittant l’indépendantisme wallon des années 1970-1980 (Front démocratique wallon, Indépendance-Wallonie et Front pour l’Indépendance de la Wallonie) pour embrasser la cause du rattachement à la France dès 1986, René Swennen est l’un des auteurs et signataires d’un mémorandum du Mouvement wallon pour le retour à la France (1989), texte qui servira de base au Manifeste sur la Wallonie française (avril 1990). Pour défendre ses idées, il se présente régulièrement comme candidat lors des élections régionales et fédérales, depuis les années 1990, notamment sur les listes du Rassemblement-Wallonie-France.

Au-delà des idées politiques qu’il défend, l’ouvrage Belgique requiem vaut par la qualité de son écriture. Il n’est dès lors pas étonnant de retrouver René Swennen parmi les écrivains wallons de la fin du XXe siècle et du début du troisième millénaire. À ses activités d’avocat et de militant rattachiste, René Swennen ajoute en effet une passion pour le roman historique. Entreprenant systématiquement un impressionnant travail de recherche dans le passé, l’écrivain inscrit résolument ses récits dans la grande histoire et veille à ce que ses fictions la transcendent : en témoignent Dom Sébastien, roi du Portugal (1979), Palais-Royal (1983), La Nouvelle Athènes (1985), Les Trois Frères (Grasset, 1987), Le Roman du linceul (Gallimard, 1991), Le Soleil et le Mousquetaire, suivi de La Nuit de la Saint-Nicolas (1999), Cinq nô occidentaux (1999), La Disparition de John (2008), L’Ombre de Palerme (2012). Le Prix Rossel a récompensé Swennen, en 1987, pour ses Trois frères. En 1988, il a reçu le Prix des Quatre Jurys.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Centre d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement wallon, projet Encyclopédie 2000
https://www.servicedulivre.be/Auteur/swennen-ren%C3%A9

 

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Steinbach Jules

Socio-économique, Entreprise

Malmedy 20/09/1841, Ingenbohl-Brunnen (Suisse) 18/08/1904

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, au cœur de la Wallonie prussienne, une papeterie assure la prospérité de Malmedy et de ses alentours. Plus de 500 personnes y travaillent sous la direction de Jules Steinbach, fils cadet de Henri (1796-1869) et petit-fils de Henri-Joseph (1758-1829), fondateur de la dynastie.

Après avoir bénéficié d’une solide formation chez les Jésuites, Jules Steinbach est associé à la gestion de l’entreprise paternelle, mais ce n’est qu’au décès du patriarche que les trois frères prennent véritablement la mesure de l’importance des activités développées sur les bords de la Warche : ayant acquis en Angleterre une des machines les plus performantes de l’époque, la papeterie Steinbach rivalise en qualité avec les meilleurs sur tous les marchés d’Europe. Avec ses deux frères – Victor (1836-1905), ingénieur des Arts et Manufactures que ses activités conduisent en Lorraine pour s’occuper de l’exploitation des Hauts-fourneaux de Jarville, et Alphonse (1830-1913) rappelé de Liège où il vivait jusqu’alors –, Jules Steinbach prend la direction des affaires familiales et, dès 1873, une société de droit allemand, Steinbach et Cie, est fondée pour consolider les acquis et surtout affronter de nouveaux défis.

Parcourant les routes d’Europe, à l’affut de toutes les innovations introduites dans son secteur d’activité, Jules Steinbach entretient un vaste réseau de contacts avec des techniciens et amplifie la dynamique de modernisation qu’avait lancée son père. Il n’hésite pas à installer de nouvelles machines à Malmedy ; les activités prennent une dimension internationale plus grande encore. Déjà réputée pour la qualité de son papier dessin, la gamme des produits Steinbach s’élargit, dès 1870, à la fabrication de papiers photographiques. Depuis 1844, grâce à la calotypie, il est désormais possible de produire des images sur papier et Henri Steinbach propose déjà des supports papiers adaptés dans les années 1850.

Depuis Berlin, où il est installé en tant que représentant officiel pour la vente des appareils Kodak, Raymond Talbot, originaire de Malmedy, attire l’attention de Jules Steinbach sur la qualité supérieure pour la photographie que présente le papier réalisé à base de chiffons sur les bords de la Warche. Grâce aux conseils de Talbot, Jules Steinbach va tirer profit de cet avantage technique et, avec les progrès de la photographie, la production lancée en 1876 à Malmedy connaît un succès considérable. En 1878, la spécificité technique du papier mis au point par Steinbach est récompensée d’une médaille d’or et d’un diplôme d’honneur à l’Exposition internationale du Papier de Berlin. La success-story de Jules Steinbach ne fait que commencer ; à la fin du siècle, il a adapté ses variétés de papier aux différents procédés utilisés par les émulsionneurs.  Par ailleurs, pour asseoir son monopole sur le marché des produits photographiques et contrer une concurrence américaine, la société malmédienne n’hésite pas à s’associer à la société française « Blanchet frères et Kléber » (installée à Rives, dans l’Ysère) : ensemble, elles constituent la GEPACO (pour The General Paper Corporation), dont le siège est fixé à Bruxelles (1898, dissoute en 1934).

Même si l’installation d’une fabrique de cellulose (1882-1897) se solde par un échec, Steinbach ne recule pas devant les risques de l’innovation et des investissements ; en 1889, il rachète les bâtiments d’un concurrent malheureux et, pendant dix ans, y produit du papier albuminé « Enamel », toujours destiné aux reproductions photographiques. Les activités de Steinbach et Cie profitent pleinement tant de la recherche de qualité et d’innovation de son patron que de la position géographique particulière de l’entreprise malmédienne, installée aux frontières de la Prusse et de la Belgique, et surtout au voisinage de régions en pleine expansion. Les Steinbach sont présents aussi bien à Berlin, qu’à Liège ou en Lorraine. Ainsi, Jules Steinbach détient des participations financières diversifiées, étant administrateur dans des sociétés wallonnes et allemandes dans les secteurs du charbonnage et de la métallurgie.

Dans la cité de Malmedy, il occupe aussi de multiples responsabilités ; il succède notamment à son père dans les fonctions de membre du Conseil de la Ville, de conseiller à la Chambre consultative du Commerce, et comme premier député du Cercle, puis comme membre des États du Cercle pour les industriels, puis de la première Diète du Cercle (1888-1904). À ce titre, il se préoccupe de défendre l’usage du français ; il fait notamment partie d’une délégation qui dépose une requête en ce sens, à Berlin, en 1899. Par ailleurs, Jules Steinbach est aussi administrateur de l’orphelinat (1874), avant d’en devenir le directeur gérant (1882-1904), et le vice-président de la Caisse de Secours des ouvriers des Fabriques. On lui attribue d’avoir fait preuve de grandes largesses à l’égard des nombreuses œuvres qui le sollicitent (notamment pour la construction de l’hôpital Saint-Joseph) et, malgré le caractère déjà fort avancé de la législation sociale prussienne, d’avoir instauré un système particulièrement favorable à ses ouvriers (caisse de maladie, pension, etc.).

Témoignages de sa grande fortune, les nombreuses villas qu’il fait construire pour ses filles, l’aménagement du Châtelet, voire la nouvelle rue qu’il fait tracer en 1898 et qui modifie quelque peu la vie du centre-ville de Malmedy au début du XXe siècle. Quant à l’hôtel de maître qu’il y fait construire, il en confie la réalisation au jeune architecte Fritz Maiter en 1899 ; édifice au hall de marbre blanc et à la façade qui oppose briques rouges et pierre blanche, le tout couronné d’un campanile bulbeux, cet ensemble est achevé en septembre 1901. L’industriel Steinbach en fera don à la ville, qui l’utilisera comme hôtel de ville, en imposant sur la façade une inscription latine au fronton (civibus), contrairement à la volonté du Landrat. C’est en villégiature, au bord du lac des Quatre-Cantons, que Jules Steinbach décède en 1904.

Sans doute attirés par les activités de Steinbach, deux industriels verviétois installeront une nouvelle papeterie à l’ouest de Malmedy en 1909. Les deux activités, celle de Steinbach et celle du Pont-de-Warche seront réunies au sein du groupe Intermills.

Sources

Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, Histoire du papier. Sa fabrication. Les papeteries de Malmedy, Malmedy, Association des Historiens belges du Papier, 1988
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-1996, t. 56, p. 33-37