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Steinbach Henri-Joseph

Socio-économique, Entreprise

Malmedy 11/03/1758, Malmedy 01/07/1829

À la fin de l’Ancien Régime, quand Malmedy et Stavelot formaient encore une principauté abbatiale, les moines bénédictins de Malmedy étaient à la tête d’une petite entreprise de production de papier et surtout de carton. Certes vouées essentiellement à la vie religieuse, les abbayes – nombreuses en pays wallon – jouent en effet un rôle déterminant dans la vie économique. Au bord de la Warche, la papeterie abbatiale de Malmedy existe depuis 1753. Elle reste la propriété des moines jusqu’en 1795 et l’annexion de la principauté à la France.

Au moment des événements révolutionnaires et surtout de la confiscation, puis de la vente des biens du clergé, un duo de trafiquants liégeois se porte acquéreur des biens des Bénédictins (1797), avant de les revendre, en mai 1801, à trois Malmédiens, dont Henri-Joseph Steinbach. Celui-ci est le fondateur de la dynastie familiale des industriels du papier qui se succèdent à Malmedy tout au long du XIXe siècle.

Les Steinbach sont de longue date installés à Malmedy ; la tannerie est leur activité principale. Le désordre provoqué par les événements révolutionnaires des années 1789-1790 et les passages de troupes qui en résultent conduisent une branche des Steinbach à installer ses activités de fabrication de cuir à Andenne, dans le comté de Namur (1793). L’autre branche, dite Steinbach de la Saulx, reste en bordure de la Warche. Fils d’un ancien bourgmestre de Malmedy, Henri-Joseph Steinbach s’adapte rapidement au régime nouveau et devient d’ailleurs commissaire dès le début du régime français (1795). Spécialisé dans la tannerie, l’entrepreneur a fort à faire avec la concurrence locale. Il élargit par conséquent ses activités avec l’acquisition de la papeterie fondée au XVIIIe siècle par dom André Vecqueray. En 1806, quand il parvient à racheter les parts de ses deux associés, J-F. Darimont et Fr-H. Neuray, il devient le seul propriétaire de la Papeterie Steinbach, ainsi que de l’église abbatiale, des terres et biens dépendant du monastère. Déjà à ce moment, il ne parvient à rencontrer la demande émanant des manufactures verviétoises du textile tant la demande est forte.

Fabriquant des papiers de qualité variée (pour l’écriture, l’emballage des denrées alimentaires, du tabac…) et de carton à lustrer les étoffes de laine et de soie pour l’industrie textile, Henri-Joseph donne l’impulsion aux activités de l’industrie papetière, dont héritera son fils (Nicolas-Henri-Ignace). Son mariage avec Albertine Monique Josèphe de la Saulx lui a permis de sceller une alliance avec une autre importante famille de Malmedy, les Cavens, dont faisait partie le dernier directeur de la papeterie des Bénédictins, dom Henri Cavens.

Sources

Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-96, t. 56, p. 33-37
Anne RENARD, L'industrie de la tannerie à Stavelot et Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1984
Denise NOËL, Contribution à l'histoire religieuse des cantons de Stavelot et de Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1951

© Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith

Steinbach Henri

Socio-économique, Entreprise

Malmedy 16/03/1796, Malmedy 17/03/1869

Jusqu’en 1795, Malmedy et Stavelot forment une principauté abbatiale, avant de se fondre dans le département de l’Ourthe. Certes voués à la vie religieuse, les moines installés au bord de la Warche ont aussi développé des activités économiques nombreuses – moulin à grain, scierie et surtout papeterie – qu’ils abandonnent précipitamment quand le régime français se met en place. Confisqués et nationalisés, les biens du clergé sont mis en vente un peu partout ; à Malmedy, la papeterie abbatiale est achetée par deux Liégeois (1797) qui s’empressent de faire un bénéfice en revendant les anciennes propriétés des Bénédictins à trois Malmédiens, dont Henri-Joseph Steinbach. Après avoir racheté leurs parts à ses associés (1806), Steinbach, seul maître à bord, est le fondateur de la dynastie familiale des industriels du papier qui se succèdent à Malmedy tout au long du XIXe siècle.

Son fils, Nicolas-Henri-Ignace Steinbach, prend seul la direction de l’entreprise en 1832 et va donner aux affaires familiales un nouvel élan. Dans un premier temps, il poursuit la fabrication de cartons destinés à l’industrie du drap, en l’occurrence du carton poli destiné à presser les étoffes fines, soieries et draperies. La production est fort importante et, après avoir été écoulée sur les marchés de proximité (Verviers, Eupen, Montjoie), est désormais exportée sur tous les marchés d’Europe (Autriche, Russie, Suède, Espagne). 

Henri Steinbach continue aussi à vendre des papiers de qualité variée, mais il est conscient de devoir moderniser ses outils de production. Aussi, dans un second temps, il abandonne ses activités traditionnelles pour se spécialiser dans des produits de qualité supérieure : en 1841, il fait l’acquisition, en Angleterre, auprès de la firme The Bryan Donkin Company Ltd, d’une toute nouvelle machine à papier à table plate. Mue par une machine à vapeur, cet outil est capable de fabriquer du papier mince ou renforcé, d’une largeur de 140 cm, en continu. Déjà très performante, la machine anglaise est améliorée dans les ateliers malmédiens et permet à la société Steinbach d’offrir une qualité équivalente aux meilleurs produits venant d’Outre-Manche. C’est à une véritable révolution à laquelle on assiste, l’ère de la fabrication manuelle avec tous ses accessoires étant abandonnée.

D’autres machines suivront et, en peu de temps, à l’intérieur du Zollverein, la papeterie malmédienne est un des leaders du marché. Reconnaissant à l’égard de l’industriel, le gouvernement prussien nomme Henri Steinbach commissaire d’État lors de la première Exposition universelle de Paris, en 1855.

Sur le plan local, s’inscrivant dans la tradition familiale, Henri Steinbach exerce diverses responsabilités importantes. Membre du Conseil de la Ville depuis 1823, bourgmestre-adjoint pendant douze ans à titre honorifique, conseiller de la Chambre consultative du Commerce, il siège à l’Assemblée du Cercle et, en 1855, il succède à son beau-frère, Ernst von Frühbuss, comme premier député des États du Cercle.

Trois filles et trois garçons naîtront du mariage de Henri Steinbach avec Eulalie Cavens. Les trois hommes, Alphonse (1830-1913), Victor-Hubert-Marie (1836-1905) et Jules (1841-1904) resteront actifs dans la papeterie, mais c’est le cadet qui reprendra principalement les activités familiales.

Sources

Philippe KRINGS, Fritz Maiter et les cent ans de notre hôtel de ville, dans Malmedy Folklore, Malmedy, 2001-2002, t. 59, p. 27-28
Robert CHRISTOPHE, Malmedy, ses rues, ses lieux-dits, dans Folklore. Stavelot - Malmedy - Saint-Vith, Malmedy, 1979, t. 43, p. 32
Wallonia, t. 12, n°1, janvier 1904, p. 267 ; L’Écho du Parlement, 17 septembre 1865 ; La Meuse, 25 mars 1869
Walter KAEFER, Histoire du papier. Sa fabrication. Les papeteries de Malmedy, Malmedy, Association des Historiens belges du Papier, 1988
Joseph BASTIN, Les origines de la papeterie-cartonnerie de Malmedy, dans Armonac Walon d’Mâm’dî, 1937, p. 97-98
Maurice LANG, Dom André Vecqueray, fondateur de la papeterie abbatiale de Malmedy, et sa famille, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1952, t. XVI, p. 51-91
Maurice LANG, Généalogies, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1965, t. XXIX, p. 59-70
Walter KAEFER, Propos d’archéologie industrielle, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1981, t. XLV, p. 5-21
Walter KAEFER, La papeterie Steinbach en 1812, dans Folklore Stavelot–Malmedy–Saint-Vith, 1995-96, t. 56, p. 33-37
Anne RENARD, L'industrie de la tannerie à Stavelot et Malmédy sous le régime français, Université de Liège, mémoire inédit en histoire, 1984

Servais Jean-Claude

Culture, Bande dessinée

Liège 22/09/1956

Dans un monde de la bande dessinée où les créateurs wallons sont nombreux, Jean-Claude Servais impose un nouvel univers au début des années 1980. La Tchalette (1982), Isabelle (1983) et surtout le personnage de Violette attirent l’attention sur ce jeune dessinateur à la sensibilité régionaliste affirmée. Certes, il inscrit résolument ses personnages dans le cadre privilégié de l’Ardenne, en particulier la Gaume, mais en signant, en 1983, le Manifeste pour la Culture wallonne, il donne un sens politique particulier à sa démarche artistique.

Diplômé de la section des arts graphiques de l’Institut Saint-Luc, à Liège (1976), le jeune Servais se fait très vite remarquer chez Dupuis, obtenant de publier ses premières planches sous le format « Carte blanche » que réserve le journal Spirou aux nouveaux talents. Hésitant entre l’école de Marcinelle et celle de Bruxelles, les débuts sont prometteurs, mais la confirmation tarde à venir. Se refusant d’être le dessinateur d’une seule maison d’édition, il s’attache surtout à Gérard Dewamme, un professeur de français qu’il a rencontré durant son service militaire, et à ses scénarios pour la majorité des albums qui paraissent dans les années 1980 : trois épisodes en noir et blanc de Tendre Violette (Casterman), trois Saisons de la vie (Lombard), ainsi que Les voyages clos (Glénat). Leur route se sépare ensuite. Après une brève expérience avec Julos Beaucarne (L’appel de Madame la Baronne, 1989), Jean-Claude Servais va désormais scénariser lui-même les histoires qu’il dessine, comme c’était déjà le cas, en 1988, avec Almanach album où se mêlent légendes et sorcellerie.

En 1992, Virton lui inspire La Petite Reine (1992) allusion au monde des abeilles, un monde très particulier car les insectes ont un instinct de tueur... Chez Casterman, Servais fera encore paraître dans les années 2000 de nouvelles aventures de Tendre Violette, sans Dewamme, mais avec des couleurs, celles apportées, depuis Fanchon, en 1998, par Raives, pseudonyme d’un Guy Servais qui n’a pas de lien de parenté directe avec Jean-Claude.

Avec Lova (1 et 2, 1992 et 1993), coloré par Émile Jadoul, Jean-Claude Servais retrouve Dupuis, l’éditeur de ses tout débuts, même si l’entreprise s’est profondément transformée depuis son départ de Marcinelle pour Bruxelles, puis Paris. C’est là qu’il fait paraître la série La mémoire des arbres, soit une douzaine d’albums produits entre 1994 et 2004, avec deux rééditions (Isabelle et La Tchalette). Parfois inspirées de faits divers réels, les histoires envoutent le lecteur dans l’univers de Servais, l’Ardenne étant une sorte de personnage récurrent. Au rêve, à l’amour et au fantastique (Iriacynthe, 1982, Pour l’amour de Guenièvre, 1992, Déesse blanche, déesse noire, 2001-2002), Servais oppose souvent des histoires de meurtre et de contrebande.

En dehors de la bande dessinée proprement dite, outre des contributions à des scripts télévisuels fondés sur ses bandes dessinées, il prend plaisir à écrire les scénarios du Labyrinthe de Durbuy 2007 et 2008, ou à scénariser un opéra folk, Champenois, l’Homme des Bois (2008). En 2009, les grottes de Han sont le théâtre d’une pièce féérique dont il écrit la première partie ; en 2011, un spectacle musical, Le Dernier Brame, est présenté au château de Laclaireau et, en 2012, c’est au théâtre que Servais invite à suivre Capiche et Violette. Autour de son dessinateur fétiche, la Gaume crée une série de lieux de mémoire (fresques, lieu d’exposition) qui sont les étapes d’un parcours Servais (communes de Chiny et Florenville).

Séduit par l’évocation romancée du passé et renouant ainsi avec un genre qu’il avait connu en 1977, chez Tintin, quand il prépara deux belles Histoires de l’Oncle Paul jamais publiées, il consacre un diptyque à l’abbaye d’Orval, en 2009-2010, et à Godefroid de Bouillon, en 2012-2013. En 2014, abandonnant pour la première fois la Gaume, J-C. Servais lance son héros sur les traces de son grand-père et l’emmène sur les chemins qui mènent à Saint-Jacques de Compostelle.

En 2018, Jean-Claude Servais a été élevé au rang d’Officier du Mérite wallon.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
http://www.jc-servais.be

Servais (magistrat) Jean

Académique, Droit

Huy 25/09/1856, Finnevaux 30/11/1946

Après des humanités classiques à l’Athénée de Bruxelles, un doctorat en Philosophie et Lettres (1874) et un second en Droit (1877) à l’Université libre de Bruxelles, Jean Servais, jeune et brillant avocat auprès de la Cour d’appel de Bruxelles, va mener une double carrière, l’une dans la magistrature, l’autre dans l’enseignement, en marquant durablement l’organisation judiciaire du pays. Conseiller à la Cour de Cassation, procureur général à la Cour d’appel de Bruxelles, il avait été nommé Ministre d’État pour son rôle durant la Première Guerre mondiale et au lendemain de l’Armistice.

Fondateur et directeur, de 1886 à 1890, de la Revue de Droit belge, nommé substitut du procureur général en 1894, ensuite conseiller à la Cour de Cassation, ce jurisconsulte d’origine liégeoise est choisi en 1906, par l’Université libre de Bruxelles, comme professeur extraordinaire. Éminent pénaliste, il est cependant chargé d’enseigner les lois organiques du notariat, avant de se voir confier les « Éléments de l’organisation judiciaire, de la compétence et de la procédure civile » (1907) et d’être nommé professeur ordinaire à l’été 1908. La Grande Guerre le surprend dans une série de travaux scientifiques en matière de droit qu’il interrompt pour se consacrer aux activités du Comité national de Secours et d’Alimentation. Il est un membre actif du Comité provincial de Namur, province dans laquelle il dispose, depuis quelques années, d’une vaste propriété située à Finnevaux.

Contrairement aux structures politiques de la Belgique, l’occupant allemand n’a pas modifié l’organisation judiciaire et les tribunaux poursuivent leurs activités. Partisan d’une ferme résistance aux mesures imposées, Jean Servais n’ignore pas la politique de séparation administrative mise en place par les Allemands, et qui s’accélère durant l’été 1917. À l’instar de parlementaires restés au pays, les magistrats sont alors près de 500 à signer une pétition contre la transformation des institutions belges. Par la Flamenpolitik, l’occupant a suscité la constitution du Raad van Vlaanderen. Sorte de parlement informel de la Flandre, le Raad prend de plus en plus d’autonomie, même par rapport à l’occupant, et proclame l’indépendance de la Flandre (fin 1917). Le 1er février 1918, des affiches collées sur les murs de Bruxelles rendent publique cette proclamation d’indépendance. Parmi les vives réactions que cet événement suscite, on note une démarche de parlementaires restés au pays auprès du procureur général près de la Cour d’Appel de Bruxelles : ils demandent que les chefs activistes soient arrêtés. Éconduits une première fois, ils insistent et suggèrent à la Cour d’Appel de lancer une procédure exceptionnelle, fondée sur un décret impérial du 20 avril 1810. Finalement, le 7 février, à l’unanimité, les membres de la Cour d’Appel de Bruxelles forcent le procureur du roi à se saisir d’une requête engageant des poursuites contre les membres du Raad pour haute trahison. Le lendemain, August Borms et Pieter Tack sont arrêtés, mais leur appel à l’aide de l’occupant les rend à la liberté (9 février). Quatre magistrats bruxellois sont par contre arrêtés, comme le réclame le Raad, dont trois sont déportés en Allemagne. Leurs collègues de la Cour de Cassation, dont Jean Servais qui était parmi les plus déterminés, démissionnent par solidarité, avec le soutien du gouvernement du Havre (15 février). Ensuite, c’est toute la magistrature qui se solidarise et décide de se mettre en chômage, embarrassant sérieusement les services du gouvernorat général, obligé de mettre en place de nouvelles juridictions civiles et pénales, à un moment important du conflit militaire. À von Falkenhausen qui contestait aux tribunaux belges le droit de défendre le pouvoir dépossédé, la Cour de Cassation oppose la thèse de la séparation des pou¬voirs et donc l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique (25 février). Un journal suisse parle alors du « coup d’État de la magistrature belge ».

Un mois à peine après l’Armistice, témoignage de son rôle discret mais décisif dans la résistance à l’occupant, Jean Servais est désigné aux fonctions de procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles avec comme mission de « reconstituer la vie judiciaire sous toutes ses formes, liquider l’arriéré de guerre, faire renaître la discipline dans l’action répressive, châtier les collaborateurs de l’ennemi, promouvoir les réformes de structure indispensables » (BEKAERT). Il est choisi par le ministre Émile Vandervelde, jadis un redoutable adversaire à la Cour d’assises du Brabant. À la manœuvre pendant dix ans, en charge de gros procès pour faits de collaboration, Jean Servais va aussi « instruire » vers le parlement des projets et des réformes qui modèleront l’organisation judiciaire pendant plusieurs générations : outre son influence sur la loi relative à la police judiciaire des parquets (1919) et à la défense sociale des délinquants et des « handicapés » (1930), il inspire notamment l’abrogation de l’article 310 du Code pénal sur le délit de grève. Parallèlement, il succède à Adolphe Prins comme professeur du Droit pénal et de la Procédure pénale à l’Université libre de Bruxelles (1919-1926). Administrateur de l’Université (1925), il la préside en 1928, quand il accède à la retraite dans la magistrature.

Nommé ministre d’État en 1926, président de l’Union belge de Droit pénal (1928-1933), docteur honoris causa de l’Université de Paris (1939), il ajoute un commentaire au Code pénal de Nypels et contribue à l’édition des Codes et lois spéciales les plus usuelles en vigueur en Belgique, dits « Codes Servais-Mechelynck », dont les rééditions actualisées se poursuivent ; sans être exhaustif, il dirige aussi la Revue de droit pénal et de criminologie, et réorganise la Pasicrisie. « L’ensemble de l’œuvre de Jean Servais trahit un sens avisé des réalités, qui préfigure ce que devrait être aujourd’hui la position du ministère public dans la société » (BEKAERT).
Bien que retraité de ses principales fonctions depuis 1933, ce libéral ouvert à toutes les opinions demeure une personnalité écoutée et respectée. Dans les années 1930, fort de son expérience de 14-18, il contribue à définir, au sein de la « Commission permanente de la mobilisation de la nation », l’attitude de toutes les administrations en cas de nouvelle occupation étrangère. Durant la seconde occupation allemande, le Ministre d’État reste fidèle à Léopold III et, au sortir de la guerre, dans la délicate Question royale, le roi empêché de reprendre ses fonctions demande que soit confiée à Jean Servais la présidence de la Commission chargée d’enquêter sur la conduite royale depuis 1936. Rendant notamment publique la note Pierlot sur la période 40-45, le Commission n’apportera pas d’apaisement dans la crise royale. Ce sera cependant la dernière mission de Jean Servais.

Sources

Léon CORNIL, « Éloge de Jean Servais », dans Journal des Tribunaux, 1946, p. 621-622
Hermann BEKAERT, dans Biographie nationale, t. 33, col. 646-650
Finnvaux, le milieu villageois, dans http://www.finnevaux.be/histoire_01.php (s.v. mai 2016)
Mélanie BOST, Un exercice discret de purification. L’autoépuration de la magistrature belge après la Première Guerre mondiale, dans BEG-CHTP, n°24, 2011, p. 65-96
La Wallonie. Le Pays et les hommes (Arts, Lettres, Cultures), t. III, p. 167 ; t. IV, p. 337
André DE STAERCKE, Mémoires sur la Régence et la Question royale, Bruxelles, Racine, 2003, p. 167
Jan VELAERS, Herman VAN GOETHEM, Leopold III, de Koning, het Land, de Oorlog, Tielt, Lannoo, 1994
Jules GERARD-LIBOIS et José GOTOVICH, L’an 40 La Belgique occupée, Bruxelles, CRISP, 1971, p. 78, 79, 191
Christine MATRAY, Février 1918. Quand la magistrature résistait par la grève, dans Juger. Justice et Barbarie 1940-1944, n° 6-7, 1994
Adolphe RUTTEN, Les grands orateurs belges depuis 1830. Recueil de discours avec notices biographiques, Bruxelles, de Boeck, 1954, p. 267-270
Paul DELFORGE, La Wallonie et la première guerre mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008

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Sergent Benoit né Jean Charles Benoit

Culture, Lettres wallonnes

Namur 12/09/1707, Namur 12/01/1784

Grâce à la tradition orale, « Le Sergent Benoit » a pu être identifié par Adolphe Borgnet dans ses Légendes namuroises publiées en 1837. Quelques manuscrits et cahiers qui ont traversé le temps permettent aussi de cerner celui qui, à Namur, est le plus ancien auteur connu de chansons wallonnes.

Issu d’un milieu pauvre, Jean Charles Benoit avait acquis la qualité de bourgeois de Namur et accédé au rang d’agent de police de la cité : il était « sergent de ville », selon l’expression de l’époque, à savoir le milieu du XVIIIe siècle. Mais il ne savait ni lire ni écrire. Pourtant, Benoit possédait une imagination créative qui le poussait à composer des chansons en wallon. Il recourait alors à l’aide d’un ami, Carême, qui savait écrire ; il composait oralement ses chansons que l’ami transcrivait. Comme cela se faisait à l’époque, il avait recours à des airs bien connus du répertoire. Son scribe servait aussi de « diseur » public, ou de chanteur, des œuvres du poète wallon, surnommé « Le Sergent Benoit ».

Auteur prolifique, J-Ch. Benoit eut un succès appréciable : son souvenir était encore présent dans l’esprit des Namurois au début du siècle suivant ; pourtant, il ne prit jamais la peine de faire imprimer ses textes. Seules les archives ont livré quelques dizaines de textes qui peuvent lui être attribués. Dans cette production, ressort particulièrement Les Houzards, où Benoit dépeint les méfaits d’un détachement de hussards envahissant un village du Namurois pendant la Guerre de Succession d’Autriche (ROUSSEAU).

Sources

Félix ROUSSEAU, Propos d’un archiviste sur l’histoire de la littérature dialectale à Namur, 1ère partie, « Des origines à 1880 », dans Les Cahiers wallons (Namur), 1964, p. 18-21
Lucien et Paul MARÉCHAL, Les armées au Pays de Namur, dans La Vie wallonne, n°24, 15 août 1922, p. 571-573
Lucien et Paul MARÉCHAL, Anthologie des poètes wallons namurois, Namur, 1930, p. 9-10

© Sofam

Ruet Noël

Culture, Poésie

Seraing 19/12/1898, Paris 03/04/1965

« Probablement le plus méconnu parmi les authentiques poètes de Wallonie » (DULIÈRE), Noël Ruet avait attiré sur lui l’attention d’Iwan Gilkin, Albert Mockel, Fernand Severin, Jean Toussel et Carlo Bronne, mais en dépit de leur amitié, c’est à Paris qu’il fut le plus apprécié, sans néanmoins que sa réputation ne lui ouvre une place dans les anthologies ou les histoires littéraires consacrées aux écrivains « belges ».

Issu d’un milieu populaire, orphelin dès son jeune âge, accueilli par l’orphelinat de Seraing, autodidacte, Noël Ruet n’aura d’autre projet que de conter son existence tout au long de ses poésies ; il s’inspirera aussi de la Meuse, de la vie industrielle du pays de Liège et célèbrera la Wallonie.

Mon amour, Wallonie,
Que tu me réponds mal !
Est-ce que tu renies
Mon poème natal ?

Publié en 1919, son premier recueil amorce clairement son aventure littéraire, comme l’indique son titre, Le Printemps du poète. Une trentaine de publications plus tard, sentant venir ses derniers jours, il livre un Chant pour l’Amour et la Mort (1965) qui est une sorte de grand testament. Entre les deux, son œuvre présente une cohérence certaine. Ainsi qu’il l’écrit lui-même, il a eu la volonté de Suivre sa trace (recueil paru en 1952), évoquant des moments de son existence, replongeant volontiers dans Ses Châteaux d’enfance (1946), s’efforçant de publier chaque année un recueil évoquant sa vie personnelle.

Ses tout premiers poèmes datent de 1916 : il les soumet à des auteurs reconnus et Iwan Gilkin signe la préface de son Printemps du poète, tandis que Max Elskamp l’encourage à braver son statut social. Ouvrier, électricien, employé, voyageur de commerce, bibliothécaire, journaliste, gérant de magasin, commerçant, qu’importent les obligations du quotidien : sa famille peut vivre et lui, il peut écrire à satiété. Son Beau Pays est un cantique aux paysages de la Wallonie. Poète élégiaque, Ruet est honoré par ses pairs : en 1925, le convoité Prix Verhaeren lui est décerné pour Le Musicien du cœur, précédant un prix des Amitiés françaises et un autre des Amis de Ronsard.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, échappant aux conséquences funestes d’un infarctus, il décide de quitter Liège et de s’installer à Paris (1947). Mais sa santé reste affectée par une maladie des bronches ; de surcroît, il est gagné par la solitude et son écriture est alors plus grave et sévère. En témoigne le titre du recueil paru en 1961 : Ma blessure chante. Mais à Paris, écrit-il, « Je suis libre, indépendant. Je fais l’œuvre que je devais faire pour donner un sens à mon destin. Je ne m’occupe pas des chapelles, des écoles littéraires. Je suis l’ennemi des mots d’ordre, des originalités à tout prix, des modes artificielles. Je suis assuré que la vraie originalité vient du chant tiré des profondeurs ».

Sources

Charles DELCHEVALERIE, dans La Vie wallonne, novembre 1926, LXXV, p. 195-198
La Vie wallonne, IV, 1966, n°316, p. 287 et 294-298
André DULIÈRE, Noël Ruet (1898-1965). Poète méconnu d’après une correspondance inédite, dans La Vie wallonne, 1987, n°397-400, p. 187-195

Œuvres principales 

Le Printemps du poète, 1919
Le rosaire d’amour, 1920
Le beau pays, 1920
Le Musicien du cœur, 1924
Muses, mon beau souci, 1927 (avec plusieurs eaux fortes de Jean Donnay)
L’azur et la flamme, 1928
Musique de chambre, 1930
À la Meuse, 1930
Le cercle magique, 1931
L’anneau de feu, 1934
Les roses de Noël, 1939
Châteaux d’enfance, (Charleroi, Cahiers du Nord), 1946
France, 1948
Doux et cruel, 1950
Suivre sa trace, 1952
Figure de trèfle, 1954
La Boucle du temps, (Seghers), 1956
Le bouquet du sang, 1958
Ma blessure chante, 1961
Les sources dans le cœur, (Paris, Points et contrepoints), 1963
Chants pour l’amour et la mort, (Bruxelles, De Rache), 1965

© Charlie Cowins

Rochus Olivier

Sport, Tennis

Namur 18/01/1981

En raison de son impressionnant palmarès, Justine Henin semble incarner à elle seule tout le tennis wallon. Pourtant, avant elle, Dominique Monami avait réussi une belle carrière internationale, réussissant à atteindre le 9e rang mondial. Du côté des hommes, Bernard Boileau apparaît comme un pionnier du tennis moderne (41e rang mondial ATP), avant la génération des frères Rochus, Christophe atteignant le 38e rang mondial, tandis que son frère cadet, Olivier, était déjà au 24e rang mondial en octobre 2005. Depuis lors, Steve Darcis (44e), mais surtout David Goffin (13e rang mondial au printemps 2016) assurent la relève d’un sport particulièrement bien encadré, en termes de formation, grâce au sport-étude de Mons.

À l’instar de Justine Henin et de Christophe, son frère aîné, Olivier Rochus a bénéficié d’une formation bien encadrée dans le Namurois, avant de s’inscrire au sport-étude organisé par l’Athénée Bervoets et le centre AFT de Mons. Entré sur le circuit professionnel en 1999, à la fin de l’ère Sampras, le citoyen de Dion-le-Mont est parvenu à se hisser parmi les meilleurs mondiaux en dépit d’un gabarit désavantageux dans le tennis moderne. Du haut de son mètre soixante-huit, Olivier Rochus a compensé un manque naturel de puissance physique au service par une explosivité, un toucher de balle (sans doute acquis au « mini-tennis ») et une combattivité à toute épreuve.

Onzième mondial en junior (1997), vainqueur du tournoi junior de Wimbledon, en double, avec Roger Federer (1998), finaliste du double junior à Roland Garros (1999), il conduit une carrière exemplaire pendant quinze ans sur le circuit ATP professionnel. 

Entre 2000 et 2008, il est qualifié et participe à 34 tournois du Grand Chelem consécutifs, et seule une blessure à l’épaule l’empêche de poursuivre cette série. Des victoires ponctuelles contre les grands du tennis de son époque (Marat Safin, Carlos Moja, Novak Djokovic, Robin Söderling), ou une finale exceptionnelle contre le géant John Isner (aux USA, 2011) marquent la carrière du tenace Rochus qui a atteint deux fois les 8e de finale d’un tournoi du Grand Chelem. Deux tournois ATP (Palerme 2000 et Munich 2006), 5 tournois Challenger sont inscrits à son palmarès en individuel, ainsi qu’un quart de finale du groupe mondial avec la Belgique, en Coupe Davis (2007). Frère cadet de Christophe, il a joué 51 matches en équipe nationale entre 2000 et 2014.

En double, associé à Xavier Malisse, Olivier Rochus a réussi la performance de remporter les tournois de Roland-Garros 2004 et Adélaïde 2005. Il termine sa carrière en 2014 à l’Ethias Trophy Challenger de Mons, dont il avait remporté la première édition, en 2005. 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Rochus
http://www.tennis-belge.be/joueurs/joueurs.php?idjoueur=31&player=Olivier-Rochus 
https://www.rtbf.be/video/detail_portrait-d-olivier-rochus?id=1960182 
http://www.atpworldtour.com/en/players/olivier-rochus/r397/bio (s.v. mai 2016)

Rochus Christophe

Sport, Tennis

Namur 15/12/1978

En raison de son impressionnant palmarès, Justine Henin semble incarner à elle seule tout le tennis wallon. Avant elle, cependant, Dominique Monami avait réussi une belle carrière internationale, réussissant à atteindre le 9e rang mondial. Du côté des hommes, Bernard Boileau apparaît comme un pionnier du tennis moderne (41e rang mondial ATP), avant la génération des frères Rochus, Christophe obtenant avec le 38e rang mondial le meilleur classement ATP d’un joueur wallon, avant que son frère Olivier le déloge en prenant le 24e rang mondial (en octobre 2005). Depuis lors, Steve Darcis (44e), mais surtout David Goffin (13e rang mondial au printemps 2016) assurent la relève d’un sport particulièrement bien encadré, en termes de formation, avec le centre études AFT de Mons.

Figurant parmi les premiers bénéficiaires de la filière tennis-étude mise en place par l’Athénée Marguerite Bervoets en collaboration avec le centre AFT de Mons, Christophe Rochus fait ses premiers pas sur le circuit professionnel en 1996, alors dominé par Pete Sampras, même si son modèle était Stephan Edberg. 

Malgré une taille qui ne l’avantage pas au service (1,70 m), le citoyen d’Auvelais parvient à se hisser dans le top 50 mondial. Vainqueur en simple de cinq tournois challengers (Poznan 2000, Venise 2001, Luxembourg 2005, Saint-Brieuc et Zagreb 2008), il inscrit son nom au palmarès du tournoi de Chennai (Inde), en double, avec le Français Julien Boutter (2000). Son meilleur résultat en Grand Chelem est un 8e de finale en Australie (2000), qu’il ne parviendra jamais à égaler, malgré un 3e tour, à Roland Garros, face à Tsonga (2009). Frère aîné d’Olivier, il a joué 21 matches en équipe nationale belge entre 1999 et 2010. Son meilleur classement (38e mondial) date du 1er mai 2006.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Rochus
http://www.tennis-belge.be/joueurs/joueurs.php?idjoueur=15&player=Christophe-Rochus
http://www.atpworldtour.com/en/players/christophe-rochus/r336/bio  (s.v. mai 2016)

Robert (surnommé Robert de Paris) Pierre-François Joseph

Révolutions

Gimnée (près de Mariembourg) 21/01/1763, Bruxelles 13/04/1826

À la suite de la publication de l’Histoire politique de la Révolution française de l’historien français Alphonse Aulard, Georges Lorand eut l’attention attirée par un protagoniste important des événements de 1789 à Paris. À sa suite, Wallonia et Félix Magnette contribuèrent à sortir de l’oubli Pierre-François Joseph Robert, ainsi que sa femme Louise de Kéralio, en mettant le mieux en évidence le rôle que ce Wallon joua dans la Révolution française. Avocat originaire de la principauté de Liège, François Robert, surnommé Robert de Paris ou Robert de Gimnée, est souvent présenté comme le secrétaire de Danton, ou comme un aventurier léger, alors qu’il est surtout l’un des tout premiers à défendre l’idée de la République, au moment où cette perspective paraissait encore révolutionnaire… auprès des révolutionnaires eux-mêmes.

Issu d’un milieu rural disposant de biens agricoles, P-Fr-J. Robert accomplit des études de Droit ; en 1787, il aurait composé une ode, La Reconnaissance publique, imprimée à Namur et, en 1789, on le retrouve installé comme avocat à Givet. La cité mosane lui confie d’abord le commandement de la garde nationale, avant d’en faire son porte-parole dans une affaire à traiter à Paris. Arrivé en bord de Seine en août 1789, porteur des doléances de son « pays », il se mêle rapidement à l’esprit et à l’agitation révolutionnaires, fréquente les cercles et les salons.

L’un de ceux-ci accueille, de 1790 à 1792, beaucoup de protagonistes des événements politiques ; il est tenu par Louise-Félicité de Kéralio (1757-1822), fille d’un professeur de l’École militaire. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages d’histoire, de traductions de l’anglais et de l’italien, et plus tard de romans adaptés au goût de son époque. En mai 1790, P-Fr-J. Robert et Louise de Kéralio se marient et vont épouser un même idéal politique, en l’occurrence une démocratisation très large de la société, avec droit de suffrage pour tous et pour toutes.

Dès l’été 1790, avec Marat, Robert fonde une société populaire – la Société des Amis des Droits de l’Homme et du Citoyen – installée dans l’église des Cordeliers, tandis qu’il contribue avec sa femme à la publication d’un journal, Le Mercure national, depuis octobre 1789. À Condorcet, Camille Desmoulins et Lavicomterie, P-Fr-J. Robert dispute la primauté de l’affirmation de l’idée républicaine et, par conséquent, de l’abolition de la royauté. Au moment où il publie Le Républicanisme adapté à la France (décembre 1790), il fait assurément œuvre de précurseur, confirmant ce qu’il écrivait déjà dans son journal, devenu Le Mercure national et étranger, qu’il codirige désormais avec Pierre Lebrun, futur ministre, et ancien responsable du Journal général de l’Europe imprimé à Herve : « Effaçons de notre mémoire et de notre constitution jusqu’au nom de roi. Si nous le conservons, je ne réponds pas que nous puissions être libre pendant deux ans ».

Il est alors difficile de se montrer plus révolutionnaire que les positions défendues avec passion par celui qui préside le Club des Cordeliers (avril 1791). Dans « son » Club, les femmes sont admises et chacun s’honore du titre de citoyen. Dans son journal, il revendique le droit de coalition et de grève pour les ouvriers. Sans doute le radicalisme égalitaire du Wallon explique-t-il sa difficulté à fédérer toutes les sociétés populaires au sein d’un comité central, à la présidence duquel Robert est élu néanmoins. Mais la fuite de Varennes (juin 1791), l’envahissement des Tuileries (juin 1792) et les journées sanglantes d’août 1792 apportent à l’idée républicaine le soutien massif et populaire dont elle avait besoin. Auteur d’un pamphlet (Avantages de la fuite de Louis XVI et nécessité d’un nouveau gouvernement) et porteur de multiples initiatives (pétitions, articles, etc.), Robert exploite les circonstances et contribue à l’évolution des esprits en attaquant régulièrement « Louis le Faux ». Aux avant-postes, notamment lors de la Commune insurrectionnelle, François Robert devient le secrétaire particulier du nouveau ministre de la Justice, Danton. Peu après, il est désigné comme député à la Convention nationale par les électeurs de Paris (obtenant plus de voix que Robespierre) et il vote la mort de Louis Capet.

En février-mars 1793, en tant que commissaire, Robert fait partie d’une mission chargée d’examiner la situation des « pays de la Belgique et de Liège » où stationnent les armées de la république. En avril 1795, seul cette fois, il est envoyé à Liège et chargé de faciliter l’intégration des Liégeois dans la république. En fait, au nom de la Convention, il mène une épuration radicale en prenant une série de mesures destinées à écarter les délégués français auteurs, à Liège, de décisions arbitraires et abusives ; il s’emploie aussi, avec efficacité, à rétablir l’ordre dans l’organisation et le fonctionnement tant de la justice, de la fiscalité, de l’administration que de l’économie des territoires romans les plus septentrionaux récents conquis ; par ailleurs, il ne cache pas vouloir retirer le pays de Liège de sa subordination à l’égard d’Aix-la-Chapelle, de Maastricht et de Bruxelles, « c’est-à-dire l’extraction du territoire [des Liégeois] de dessous la main des Belges et des Flamands [à savoir l’administration de Maastricht] et leur centralisation particulière ». Au moment où les nouvelles frontières restent imprécises, il se propose, vraisemblablement conseillé par Nicolas Bassenge, de rendre liberté et autonomie, au sein de la République, à un pays de Liège qu’il ne souhaite pas voir démembrer ; il avance même l’idée d’une nouvelle consultation populaire. Dénoncé, victime d’intrigues et critiqué tant par ceux qu’il a suspendus, que par l’Administration de Bruxelles et par les représentants français qui y sont en poste, Robert est très rapidement rappelé à Paris, sans avoir achevé une mission qui aura duré moins d’un mois, mais qui fut décisive (mai 1795).

S’il siège sur les bancs de la Montagne (1793-1795), Robert est cependant en bout de course : le roi n’est plus et la République est proclamée ; il quitte la scène politique en sauvant sa tête. Déjà, pour soutenir les frais de ses journaux, il avait acheté un fonds d’épicerie et de denrées coloniales et faisait commerce de rhum. Son commerce sera dévalisé et, sous la Terreur, il sera brocardé pour ses activités assimilées à du trafic frauduleux, mais il échappera au pire. Ayant quitté la politique tandis que Louise de Kéralio se consacrait à l’écriture, Robert fait fortune dans la fourniture aux armées. Avant la fin du régime napoléonien, il prend la direction de Bruxelles et y ouvre un commerce. Il tient ce négoce d’épiceries et de liqueurs jusqu’à ses derniers jours.

Sources

Félix MAGNETTE, Le Liégeois François Robert et le premier salon républicain à Paris, dans La Vie wallonne, 15 juillet 1926, LXXI, p. 395-412
Wallonia, janvier 1909, n°1, p. 251-252 ; avril 1912, n°4, p. 170-175
Émile MATHIEU, dans Biographie nationale, t. 19, col. 510-512
René VAN SANTBERGEN, Robert de Paris et le Pays de Liège en 1795, Liège, 1958, coll. Documents et mémoires sur le pays de Liège, fasc. III
Léon Antheunis, Le conventionnel belge François Robert (1763-1828) et sa femme Louise de Kéralio (1758-1822), dans Bijdragen tot de geschiedenis, Anvers, 1954, 3e série, t. VI
Alphonse AULARD, Histoire politique de la Révolution française. Origines et développement de la Démocratie et de la Révolution (1789-1804), Paris, A. Colin, 1913, p. 88-152, 
Alphonse AULARD, Etudes et Leçons, dans Revue de Paris, 1er août 1899, p. 238-262
Philippe SAGNAC, La Révolution 1789-1792, dans E. LAVISSE, Histoire de France contemporaine, Paris, 1921, t. I, p. 280-320
Claude NICOLET, L’idée républicaine en France, Paris, Tel/Gallimard, 1994, p. 400
André WAYENS, Les débuts de François Robert (de Gimnée à Paris) et ceux de la Révolution à Givet, Waulsort, 1991
Félix ROUSSEAU, « L’Entre-Sambre-et-Meuse, terre d’avant-garde », dans Les Cahiers wallons, n°7, juillet 1966, p. 103-112 (pagination I-XII)

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Renier Fernand

Sport, Motocyclisme

Charleroi 1882, Léopoldville s.d.

Le sport moteur a très tôt passionné des Wallons bricoleurs, inventeurs et amateurs de vitesse. À l’instar de l’automobile, le motocyclisme a connu ses pionniers, aussi héroïques que kamikazes. Originaire de Charleroi, Fernand Renier concourrait déjà avant la Grande Guerre dans des compétitions et sa carrière semblait devoir s’achever en raison des événements internationaux. En 1921 pourtant, à près de quarante ans, il retrouve un guidon, celui d’une Saroléa. Passionné de mécanique, Fernand Renier est le patron d’un garage installé à Charleroi, où il s’occupe d’entretien et de réparation d’automobiles et de motocyclettes. Il est notamment le vendeur agréé pour les Saroléa, Gillet et Harley-Davidson. Malgré les dangers, il reprend la compétition, avec son fils Raymond, qui sera champion de Belgique 1936 en 350cc, sur une moto anglaise, la Velocette.

Sans que son palmarès atteigne celui des Robert Grégoire, René Milhoux, Pol Demeuter, Noir et autre Tacheny, les pilotes vedettes de l’Entre-deux-Guerres, Fernand Renier compte plusieurs podiums internationaux ; il fait valoir son expérience sur les circuits de l’époque (en Belgique comme ailleurs en Europe) et contribue au développement des produits fabriqués par des sociétés wallonnes (Gillet, FN et Saroléa), même s’il concourt quelques années sur une Velocette, ou sur une Jonghi, marque française créée en 1930. À 51 ans, Renier remporte l’un de ses derniers bouquets au Grand Prix des frontières, à Chimay. Pour l’occasion, avec sa Saroléa, il établit le nouveau record de moyenne en course, en fleuretant avec les 130 km/h.

Sources

Théo MATHY, Dictionnaire des sports et des sportifs belges, Bruxelles, 1982, p. 198
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
http://www.moto-collection.org/moto-collection/modele.php?idfiche=5904 (s.v. mai 2016)
Gilbert GASPARD, Les Demoiselles de Herstal : la motocyclette liégeoise des origines à 1940, Liège, éd. Vaillant-Carmanne, 1975, p. 159