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Paul Delforge

Monument Maurice GREVISSE

Monument d’hommage à Maurice Grevisse, réalisé par Fernand Tomasi, 29 octobre 1995. 

En Gaume, l’enfant du pays le plus célèbre a donné son nom à une rue de l’entité de la Rulles ; l’acte fut posé de son vivant, la rue étant inaugurée le 30 octobre 1966, à l’occasion du 30e anniversaire de la naissance du Bon usage. Par la suite, l'école primaire fut aussi rebaptisée (1988), tandis que la nouvelle gare de Marbehan était décorée de fresques murales rendant hommage à Grevisse en 1995. Les autorités locales de son village natal ne pouvaient manquer le rendez-vous du centième anniversaire de sa naissance et organisèrent elles aussi une manifestation officielle, le 29 octobre 1995. Un petit musée était inauguré dans l’école communale tandis qu’était dévoilée une sculpture due à un artiste bien connu de la région, en l’occurrence Fernand Tomasi (Orsainfaing 1934 - ).
Professeur de français consciencieux, Maurice Grevisse (Les Rulles 1895 – La Louvière 1980) était parti d’une bonne intention louable : rendre plus accessible à ses jeunes élèves les règles complexes de la grammaire française courante. De fil en aiguille, le jeune instituteur devenu docteur en Philologie classique de l’Université de Liège (1925) puis professeur à l’École royale des Cadets à Namur (1927), puis à Bruxelles a mis au point Le Bon usage que l’imprimeur de Gembloux Jules Duculot prit le risque de publier (1936). Après la Seconde Guerre mondiale, le succès est au rendez-vous. Le Bon usage devient l’ouvrage de référence, volumineux, constamment réédité et mis à jour, connaissant sa 14e édition en 2007 sous la direction des successeurs spirituels de Maurice Grevisse.

Monument d’hommage à Maurice Grevisse

C’est sous une tout autre forme de langage que le sculpteur Fernand Tomasi rend hommage au grammairien wallon. Fils de menuisier lombard, ayant quitté l’Italie de Mussolini pour le sud de la Wallonie, le jeune Tomasi a dû connaître très tôt Le Bon usage puisqu’il a mené un régendat littéraire à l’ISMA (Arlon, 1958), et il a dû l’utiliser à de nombreuses reprises quand il a enseigné à la fois le français et l’histoire pendant deux ans au Congo, puis pendant 30 ans au Collège N-D. du Bonlieu, à Virton (jusqu’en 1990). Avec Grevisse, Tomasi partage autant le goût de la langue ; depuis qu’il est installé à Meix-devant-Virton, Tomasi s’y adonne en effet autant à l’écriture qu’à la sculpture. Poète, nouvelliste et romancier, il travaille autant les mots que le bois et la pierre (marbre, calcaire, etc.). Plusieurs de ses œuvres sont visibles dans les églises ou les villages du sud Luxembourg, comme la fontaine D’Jean Mady à Virton, les Commères à Athus, et aussi le spectaculaire Mur de becs et de plumes, taillé dans un bloc de calcaire pesant 42 tonnes, achevé au début des années 1990 et qui décore l’espace devant le « nouveau » Palais de Justice d’Arlon ; en 2012, il déposait un original « chou cabus » de 8 tonnes, sur le nouveau square Lenoir, à Mussy, là où il avait déjà réalisé un mémorial pour l’inventeur de l’automobile. Si le monumental ne le rebute pas, il réalise davantage de petits formats, se laissant inspirer par la thématique inépuisable de la femme.

Implantée en face de la maison natale de Grevisse, l’œuvre de Tomasi est inaugurée le 29 octobre 1995, pour marquer le centième anniversaire du philologue. Il s’agit d’une interprétation très libre de l’artiste. Dans la pierre, il a en effet représenté un aigle, dont l’inclinaison de la tête semble indiquer la façade de la maison natale de Maurice Grevisse. De petit format, l’oiseau n’a pas les ailes déployées. Son dos paraît offrir la place pour déposer un livre à la manière des lutrins d’église. Le rapace est posé sur un socle rectangulaire, l’ensemble étant lui-même installé au centre d’un cercle délimitant son implantation au sol.

 



 

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (dont Le Soir, 30 octobre 1995 et 22 avril 2000)
Jean-René KLEIN, Maurice Grevisse, dans Nouvelle Biographie Nationale, t. II, p. 210-212
Paul DELFORGE, Cent Wallons du Siècle, Liège, 1995
La Vie wallonne, IV, 1966, n°316, p. 284

66 rue Maurice Grevisse – 6724 Les Rulles Virton

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Statue Joseph LEBEAU

Statue Joseph Lebeau, réalisée par Guillaume Geefs, 16 août 1869.


Située au cœur d’une place transformée en rond-point, à l’intersection des avenues Godin-Parnajon, Ch et L. Godin, Delchambre et Joseph Lebeau, à Huy, une imposante statue émerge dans le paysage urbain, rendant hommage à « l’un des pères de la Belgique de 1830 », le hutois Joseph Lebeau (1794-1865). Très vite après son décès, les autorités communales ont pris l’initiative d’ériger un monument à la mesure de leur concitoyen disparu. 

Le sculpteur Guillaume Geefs fut chargé du bronze, tandis que le piédestal était dessiné par Vierset-Godin. L’inscription est minimaliste : « A Joseph Lebeau ».


L’inauguration ne tarde guère : le 16 août 1869, à une date qui ne correspond à aucun élément biographique de Lebeau, c’est en grandes pompes que les autorités locales célèbrent l’achèvement du monument. Vêtu d’une longue veste où sont représentées ses principales décorations, Joseph Lebeau se tient debout, la main droite légèrement tendue vers l’avant, tandis que la gauche tient un document qui évoque le texte de la Constitution belge. À l’arrière de sa jambe gauche, un bloc rectangulaire présente les armoiries belges sur ses côtés ; il est recouvert d’un drap. Quant au visage de Lebeau, il présente des traits fermes et décidés.


L’œuvre est due au sculpteur anversois Guillaume Geefs (1805-1883), qui signe sa réalisation par la mention « Gme Geefs/statuaire du roi/Bruxelles » gravée dans le bronze. Formé à l’Académie d’Anvers, le jeune Geefs avait été très rapidement repéré par ses professeurs. Une bourse lui a permis de parfaire sa formation à Paris et, à son retour, il était nommé professeur de sculpture à l’Académie d’Anvers (1833-1840). Membre de la classe des Lettres de l’Académie dès 1845, il la préside de 1858 à 1883. Il était membre de l’Institut de France. Présent dans différents salons, il s’impose avec le modèle de la statue du Général Belliard et le monument funéraire du comte Frédéric de Mérode. 

Le jeune royaume de Belgique venait de trouver l’un de ses sculpteurs capables de figer dans la pierre (ou le bronze) les personnes et les événements les plus illustres du pays. Répondant aux multiples commandes destinées à orner les églises, les places, les édifices, les cimetières ou les salons de toute la Belgique, il livre à Anvers une statue de Rubens (1840) et à Liège, celle de Grétry (1842), avant de réaliser de nombreuses statues de Léopold Ier. C’est donc un artiste renommé qui réalise, pour Huy, la statue en l’honneur de celui qui contribua à la naissance de la Belgique et qui, lui aussi, fut un proche du premier roi des Belges.


Joseph Lebeau avait vingt ans quand fut constitué le Royaume-Uni des Pays-Bas. Jeune universitaire, diplômé en Droit de l’Université de Liège en 1819, il se passionne pour la politique et va être un acteur décisif dans les événements de 1830 et 1831. Député du Congrès national, il est membre de la Commission chargée de rédiger le projet de Constitution pour le nouvel État, étape décisive de la vie de Lebeau que G. Geefs a illustrée. Partisan d’un statut de monarchie constitutionnelle, il est ministre des Affaires étrangères durant la Régence et, tacitement, occupe le poste de chef du gouvernement jusqu’à la prestation de serment du roi Léopold. Ministre à plusieurs reprises, premier gouverneur de la province de Namur (1834-1840), il dirige le tout premier et éphémère gouvernement libéral homogène (1840-1841). Député jusqu’en 1863, il représente tour à tour Huy (1831-1833), Bruxelles (1833-1848) et Huy (1848-1864). En 1857, il est nommé Ministre d’État.


À de multiples reprises, le monument Lebeau a été l’objet de commémorations. Ainsi, par exemple, dans les années soixante, à la fin septembre, les militants wallons de Huy, qu’ils soient de Wallonie libre ou du Rassemblement wallon, s’y donnaient rendez-vous. Autre exemple, en septembre 1994, ce sont les autorités locales qui organisent une manifestation à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Joseph Lebeau. Une plaque est alors apposée sur le piédestal, mentionnant une citation datant de 1819 :

 « Tous les hommes ont la même origine, la même patrie, les mêmes droits.
L’humanité est aussi outragée sur les rives du Tage, du Bosphore, de la Plata, du Sénégal, qu’elle le serait sur les bords de la Meuse et de la Seine, et pour nous, le jour de la victoire doit être celui où le sang des hommes sera partout respecté et leurs droits reconnus et sanctionnés sur les deux hémisphères.
Joseph Lebeau, 1879.

Bicentenaire de la naissance de Joseph Lebeau, inauguré le 27-9-1994 par Madame Anne-Marie Lizin-Vanderspeeten députée-bourgmestre de Huy 


Sybille VALCKE, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 415-417
A. FRESON, dans Biographie nationale, t. XI, 1890-1891, col. 503-517
Joseph Lebeau Recueil d’articles sur Joseph Lebeau 1794-1865, Huy, 1980
Joseph Lebeau. Commémoration du centième anniversaire de sa mort en 1865. Expositions de documents. Catalogue par R. Thielemans, Conservateur aux Archives générale du royaume, Bruxelles, 1965

Monument Joseph Lebeau

 

Avenue Godin-Parnajon 

4500 Huy

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Statue Notger

Au milieu du XIXe siècle, afin de doter l’institution provinciale de Liège de bâtiments dignes de ce niveau de pouvoir, d’importants travaux sont entrepris autour de l’ancien palais des princes-évêques

Propriétaire des lieux (1844), l’État belge retient le projet du jeune architecte Jean-Charles Delsaux (1850) et lui confie la mission de réaliser la toute nouvelle aile, en style néo-gothique, sur le côté occidental du Palais. Face à la place Notger, Delsaux (1821-1893) achève l’essentiel du chantier en 1853, mais des raisons financières l’empêchent de réaliser la décoration historiée qu’il a prévue pour la façade du nouveau palais provincial. 

Vingt-cinq ans plus tard, le gouverneur Jean-Charles de Luesemans prend l’avis d’une commission pour déterminer les sujets et les personnes les plus dignes d’illustrer le passé de « la Nation liégeoise ». Placés sous la responsabilité de l’architecte Lambert Noppius (1827-1889), une douzaine de sculpteurs vont travailler d’arrache-pied, de 1877 à 1884, pour réaliser 42 statues et 79 bas-reliefs. Dès la mi-octobre 1880, 27 des 42 statues sont achevées, validées par la Commission et mises à leur emplacement respectif. Celle de Notger est parmi les premières.

Membre de cette équipe, Michel Decoux (1837-1924) va réaliser 3 des 42 statues, dont celle de Notger. Considéré comme un sculpteur animalier, M. Decoux est surtout connu pour la réalisation de groupes de scènes de chasse et s’est spécialisé dans les animaux sauvages (éléphants, panthères, etc.). Influencé par le cubisme et s’inscrivant dans le courant Art déco, aimant travailler le bronze, il signe une œuvre très différente sur le chantier de Liège : c’est dans la pierre que, de manière fort classique, il tente de rendre la personnalité de Notger (c. 930-1008).

Statue de Notger

Notger, premier prince-évêque de Liège

Originaire de Souabe, Notger est désigné évêque de Liège par l’empereur Otton Ier en 972. Huit ans plus tard, il reçoit d’Otton II un privilège d’immunité générale sur les possessions de l’Église de Liège, qui transforme ainsi l’évêque en prince-évêque

En déléguant son pouvoir à la cathédrale Saint-Lambert et à son titulaire, l’empereur transforme de facto l’évêque, en l’occurrence Notger, en un comte ayant droit de haute justice, de lever le tonlieu, de battre monnaie, d’établir des marchés et de dresser des fortifications. 

En 985, Notger reçoit en donation le comté de Huy ; d’autres territoires suivront formant un important ensemble territorial s’étendant de part et d’autre de la Meuse. La principauté de Liège devient le modèle de ce que l’on appellera l’« Église impériale ottonienne » (Reichskirche). 

Souverain puissant, Notger entreprend d’importants travaux qui contribuent à la transformation rapide de la cité de Liège. Il est aussi reconnu comme évêque bâtisseur.

Le rôle majeur de Notger dans l’histoire de Liège lui vaut d’occuper une place en vue sur la façade du Palais provincial. La statue du tout premier prince-évêque est en effet située sur le péristyle ; elle est la deuxième en commençant par la gauche lorsque l’on fait face au bâtiment. Revêtu d’habits qui lui donnent l’apparence d’un évêque, le personnage statufié tient un manuscrit dans sa main gauche, tandis que son bras droit est plié à hauteur de sa poitrine. Sa main droite est, elle-même, relevée dans une posture qui est unique parmi les 42 statues du Palais provincial. Le regard de Notger paraît fixer l’horizon ; les traits sont décidés. Le socle de sa statue est l’un des rares où le nom gravé apparaît encore de manière assez nette.



Hubert SILVESTRE, dans Biographie nationale, t. XLIV, col. 446-459
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 332.
http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_18697/notger-et-son-temps (s.v. avril 2014)
Jean-Louis KUPPER, Alexis WILKIN (dir.), Évêque et prince, Notger et la Basse-Lotharingie aux alentours de l’an mil, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2013.
Félix MAGNETTE, Précis d’histoire liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, Liège, 1929, 3e éd., p. 32 et ssv.
Julie GODINAS, Le palais de Liège, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2008, p. 81-82.
http://www.chokier.com/FILES/PALAIS/PalaisDeLiege-Masy.html (s.v. juillet 2013)
La Meuse, 2 octobre 1880.

Façade du Palais provincial (face à la place Notger)
4000 Liège

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Monument Ernest PSICHARI

Durant les combats particulièrement meurtriers qui se déroulent au mois d’août 1914 dans toute la province de Luxembourg (bataille des frontières), un jeune lieutenant français, du 2e régiment d’artillerie coloniale, perd la vie à l’entrée du village de Rossignol. S’il est enterré au cimetière militaire français de l’orée de la forêt (Rossignol) dès 1919, avec des dizaines d’autres de ses compagnons d’infortune, un premier monument est érigé en son honneur, dans l’espace public, quelques mois après l’Armistice (1920). 

Ce combattant n’est pas ordinaire : petit-fils de Renan, il est aussi l’un des tout premiers écrivains français tombés au champ d’honneur ; de surcroît, ses ouvrages les plus récents et son engagement dans la foi catholique donnent matière à transformer la mort d’Ernest Psichari en un martyr chrétien ou en un héros militaire.

Ernest Psichari

Né à Paris un 27 septembre 1883, Ernest Psichari est le fils du philologue Jean Psichari co-fondateur de la Ligue des Droits de l’homme, et, par sa mère, le petit-fils d’Ernest Renan et l’arrière-petit-neveu du peintre Ary Scheffer. Alors qu’il étudie la philosophie à Paris, au tournant des XIXe et XXe siècles, Psichari publie ses premiers poèmes qui s’inscrivent dans le courant symboliste. 

Désireux de servir la France, il délaisse une thèse de doctorat entamée sur le thème de « la faillite de l’idéalisme » pour le métier des armes (1904). Jeune brigadier, membre d’une expédition géographique, il tire de ses premiers services dans l’Oubangui-Chari-Tchad français (1906-1907) une nouvelle inspiration pour un récit de voyage qu’il rédige à son retour (Terres de soleil et de sommeil, 1908, couronné par l’Académie française). Essentiellement descriptif, Terres contient un étonnant dernier chapitre où on lit à la fois une justification de la colonisation, une apologie de la guerre, et une affirmation de la supériorité des blancs sur les noirs. Quand le sous-lieutenant de l’École d’artillerie de Versailles parvient à reprendre du service en Mauritanie (1909-1912), il se révèle un militaire aguerri, particulièrement attentif à affirmer la présence française. 

C’est en Afrique qu’il écrit L’Appel des armes, un roman à thèse qui, publié en 1913, tourne le dos au symbolisme et amplifie les idées en germe dans le dernier chapitre de Terres. Il s’agit d’un tournant dans sa pensée. Cet ami de Péguy y exprime un nationalisme hargneux et une pensée réactionnaire. « Le petit-fils de Renan, jusqu’alors connu pour son activité dreyfusarde et socialiste » (NÉAU-DUFOUR) change de camp, choisit celui de l’ordre, au point que certains historiens verront dans L’Appel des armes l’un des premiers témoignages d’une sensibilité préfasciste (GIRARDET).

Cependant, contrairement à ses contemporains – Péguy, Barrès ou Maurras –, Psichari ne cherche pas à élaborer une vision politique ; il n’aboutit à une forme de nationalisme intégral qu’en raison de sa propre crise intérieure qui n’est pas encore terminée. En effet, tandis que sa vie affective continue de connaître d’importants déchirements, éloignée cependant des périlleux chemins de traverse qu’il avait empruntés jadis, il abjure sa foi orthodoxe pour être baptisé selon le rite catholique. La quête sous-jacente d’une mystique le conduit sur le chemin du catholicisme intégral (vers 1912) et il réécrit par deux fois son dernier opus, en donnant une large place à « la recherche de la foi », tout en y manifestant un esprit de tolérance – notamment à l’égard de l’Afrique – et en se référant aux idéaux de 1789. Accoler une étiquette définitive à la pensée de Psichari apparaît par conséquent bien difficile. C’est à titre posthume que paraîtront en 1916 Le voyage du centurion, où il raconte les étapes de sa conversion, puis, en 1920, Les voix qui crient dans le désert.

Psichari achève l’écriture de ses deux romans autobiographiques, relevant de la « littérature catholique », quand éclate la Grande Guerre. Celle-ci l’empêche de prononcer ses vœux et d’entrer définitivement dans l’ordre des Dominicains. Envoyé sur le front belge, il se réjouit de prendre les armes pour ramener l’Alsace et la Lorraine dans le giron de la nation française. Mortellement touché au combat, le 22 août, à Rossignol, il est l’un des tout premiers écrivains, lieutenant appartenant au milieu intellectuel de son temps, à laisser la vie sur le champ de bataille. Celui qui était l’ami de Charles Péguy (tué lui aussi au combat quinze jours plus tard) et de Jacques Maritain devient très rapidement, dans la presse, la figure du héros militaire et celle du martyr chrétien. Après l’Armistice, sous la plume d’auteurs aussi divers que Henri Massis, Charles Maurras, Maurice Barrès, Jacques Maritain, Robert Garric, Charles de Gaulle, François Mauriac, Edmond Rostand et bien d’autres, on se dispute la mémoire de cette sorte de héros national de la France, défenseur de la patrie, de la nation et de l’Église.
 

Monument Ernest Psichari (Rossignol)

Le monument inauguré à Rossignol le 23 août 1920 n’échappe pas à cette compétition mémorielle. L’initiative est revient à Henri Massis, critique littéraire parisien déjà proche de Maurras et de l’Action française, ainsi qu’au poète et juriste bruxellois Thomas Braun, grand admirateur de l’Ardenne, et à Jean Psichari, le père d’Ernest. 

L’inauguration se déroule après une cérémonie religieuse célébrée par un père dominicain du prieuré Saulchoir, celui-là même où Psichari devait faire son noviciat. En présence du colonel français Cayrade, elle se déroule à l’endroit (ou près de l’endroit) où le soldat tomba à la tête de sa batterie. La presse s’en fait particulièrement l’écho, Le XXe siècle consacrant plus d’une page à honorer Ernest Psichari. D’autres initiatives seront prises par la suite dans le village de Rossignol qui devient, dans l’Entre-deux-Guerres, un lieu de pèlerinage particulièrement fréquenté par les milieux catholiques belges et français, qu’il s’agisse des scouts, des jécistes, des acéjibistes ou de la Ligue des familles nombreuses.

En bord de route, à quelques dizaines de mètres du cimetière civil, le monument Psichari s’élève en trois niveaux ; un large socle en pierres du pays accueille le monument proprement dit, composé d’une base en pierres légèrement arrondies qui supportent un obélisque d’environ 2 mètres de haut. 

Sur la face avant de l’obélisque, un glaive dressé verticalement est surmonté de l’inscription :


ERNEST
PSICHARI


Du côté droit, au sommet de l’obélisque a été gravée la date du 22 août 1914, tandis qu’à gauche apparaît la mention « ici tomba ». Sur le socle, on peut voir deux flambeaux avec les inscriptions :


LES TROUPES DE LA MARINE (à droite)
LE SOUVENIR FRANÇAIS (à gauche)


Aucune indication ne permet de connaître le nom du sculpteur ou de l’architecte ayant conçu ce monument.



Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (en particulier la période d’août 1920 et Le XXe siècle)
Daniel CONRAADS et Dominique NAHOÉ, Sur les traces de 14-18 en Wallonie, Namur, IPW, 2013, p. 137.
Frédérique NÉAU-DUFOUR, Ernest Psichari : l’ordre et l’errance, Paris, éd. du Cerf, 2001
Raoul GIRARDET, La société militaire dans la France contemporaine 1815-1939, Paris, Plon, 1953, p. 307.
http://www.ftlb.be/pdf/WAR14-18.pdf 
http://ftlb.be/fr/attractions/fiche.php?avi_id=2852 
www.STADTAUS.com_rossignol_ernest_psichari.pdf (s.v. juillet 2015)

Rue Camille Joset
6730 Rossignol (Tintigny)

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Banc Georges Simenon

Banc et statue Georges Simenon, réalisé par Roger Lenertz, 13 février 2004.

Situé tout près de la place Saint-Lambert, derrière l’hôtel de ville, au cœur de Liège, un banc en bronze invite à partager un moment de détente, de lecture ou une photo avec l’écrivain Georges Simenon (1903-1989), représenté sans lunettes, le chapeau sur la tête, la pipe dans la main gauche, tandis que le bras droit étendu sur le dossier du banc invite le passant à partager la pose avec l’illustre romancier. Né à Liège où il fut notamment journaliste, le romancier s’est fait un nom à Paris, avant de s’installer en Amérique puis finalement en Suisse. Ses romans policiers sont parsemés de références à ses années passées en bord de Meuse ; ainsi en est-il par exemple de Pedigree, ou du Pendu de Saint-Pholien, histoire où le Commissaire Maigret impose son personnage. Avec une apparente indifférence, les meilleurs de ses romans et la série des Maigret (au total plus de 300 titres en 34 ans) brossent un panorama du temps comme Balzac et Zola l’ont fait pour leur époque. Un grand nombre de ses livres sont adaptés au cinéma, conférant une dimension supplémentaire à l’œuvre de l’écrivain. Depuis quelques années, la ville de Liège est attentive à honorer la mémoire de l’enfant de la cité, qui a d’ailleurs légué une partie de ses archives littéraires à l’Université de Liège (1977).

Outre l’exposition de prestige qui s’est déroulée en 1993, « l’Année Simenon » en 2003 en pays de Liège, l’introduction dans le folklore d’un géant représentant le Commissaire Maigret, et le parcours permanent de promenade truffé de références à l’écrivain et à son œuvre, le nom de Simenon s’inscrit durablement dans le quartier d’Outremeuse, sous la forme d’une rue et de l’identification de l’auberge de Jeunesse, à l’entrée du piétonnier en Neuvice sous la forme d’une plaque commémorative et, depuis 2004, par l’ouverture d’une place du Commissaire Maigret où a été installé le bronze de Simenon assis sur un banc… à quelques dizaines de mètres de la permanence de la police locale et surtout de la maison natale de l’écrivain (24 de la rue Léopold).

Au sol, devant le banc, une plaque en bronze explique la raison pour laquelle le monument a été érigé :


« 13 février 2004
Clôture de « Wallonie 2003, Année Simenon au Pays de Liège »
(Province, Ville et Université de Liège)

Œuvre du sculpteur Roger Lenertz et des « Carrières de Sprimont »
sur une idée de « La Libre Belgique – Gazette de Liège »,
avec l’aimable autorisation de Monsieur John Simenon,

avec le soutien de l’Office de promotion du tourisme Wallonie-Bruxelles,
de la société « Georges Simenon Family Rights Ltd »,
ainsi que des maisons d’éditions (sic)
« Georges Simenon Ltd (a Chorion Company) » (GB), « Gallimard » (F),
« Les Presses de la Cité » (F), « Tusquets Editores » (SP) et « Adelphi Edizioni) (I) ».



Inspiré d’une photo de Simenon prise à Liège en 1950, le sculpteur Roger Lenertz (1924-2012) a conçu la statue assise de Simenon et a conçu le moule dans son atelier à Saive. La sculpture en bronze qui a été coulée à Merelbeke pèse 200 kilos. Elle est déposée sur un banc de pierre, du petit granit sorti des carrières de Sprimont, qui pèse quant à lui près de 800 kilos. Déjà auteur d’un buste en argile de Simenon exposé au Palais des Congrès lors de l’Année Simenon à Liège, Roger Lenertz est un artiste liégeois au parcours atypique. L’essentiel de sa carrière, il l’a menée à la Société des Transports intercommunaux liégeois (la STIL, ancêtre du TEC) ; admis à la retraite, il décide de suivre les cours de l’Académie des Beaux-Arts, se lance dans la peinture, avant de se consacrer à la sculpture. À Saive où il installe son atelier, il prend l’initiative d’organiser tous les deux ans une exposition de sculpture, avec l’association Saiv’Art. Son talent est apprécié et il honore plusieurs commandes publiques comme le Vî Bleu à Cheratte Haut, le buste d’Henriette Brenu au Musée de la Vie Wallonne, le monument en l’honneur des chasseurs ardennais à Florenville, ou les deux mineurs de Blegny. Reconnu aussi à l’étranger, où il expose, il laisse notamment une œuvre chez Moët et Chandon à Epernay.
 

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse
Paul DELBOUILLE, Nouvelle Biographie nationale, t. IV, p. 354-359
Pierre ASSOULINE, Simenon, Paris, éd. Julliard, 1992
Jean-Christophe CAMUS, Simenon avant Simenon. Les Années de journalisme (1919-1922), Bruxelles, Didier-Hatier, 1989.
Centre d’études Georges Simenon, Simenon, l’homme, l’univers, la création, Bruxelles, Complexe, 2002
Anne RICHTER, Simenon sous le masque, Bruxelles, Racine, 2007
 

Banc Georges Simenon


 

 

Place Commissaire Maigret 
4000 Liège

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée © Sofam

Plaque Paul VERLAINE

Plaque commémorative Paul Verlaine, dessinée par l’architecte Jules Ghobert, 26 juin 1932.


« Paliseul ou Jéhonville », Belgique, par Sedan et Bouillon (Verlaine).
Entre Paliseul, Bertrix, Bouillon, Corbion, Sedan et Jéhonville, les références à Paul Verlaine sont nombreuses dans l’espace public, presque autant que les allusions à cette région dans l’œuvre de l’écrivain. « Car (…) Verlaine restait foncièrement attaché au pays de ses aïeux, et l’atmosphère ardennaise est constamment présente au fil de ses écrits, en un jeu continu de miroirs » (CHANTEUX-VAN GOTTOM, p. 10). Les relations entre Paul Verlaine et l’Ardenne wallonne sont intimes. En 1924, Paul Dresse avait été l’un des premiers à établir dans le détail « l’ascendance paternelle ardennaise » de l’écrivain et à mettre en évidence les affinités ardennaises du poète dans son œuvre. Le père Verlaine, Nicolas, est originaire de Bertrix (1798-1865) ; d’autres membres de sa famille résidaient dans la région, dont une de ses tantes (Henriette, épouse Grandjean, 1796-1869) qui avait offert son château de Carlsbourg aux frères des Écoles chrétiennes. Pendant plusieurs étés, entre 1849 et 1873, Paul Verlaine séjourne régulièrement entre la Lesse et la Semois, dans un pays et auprès de gens qui marqueront durablement son imaginaire :

« L’endroit où demeurait ma tante est, à trois lieues de Bouillon, un tout petit chef-lieu de canton, Paliseul […] Un joli site perché, qui corrige l’âpreté un peu des toits trop uniformément en ardoises… » (Croquis de Belgique, 1895).
Né à Metz au hasard des affectations professionnelles de son père, c’est à Paris que Paul Verlaine (1844-1896) grandit ; sa famille s’est installée dans la capitale française après la démission du père Verlaine de la carrière militaire (1851). Mis en pension durant sa scolarité, l’adolescent exprime déjà son mal-être et ne s’attardera pas dans les études. Employé municipal, le jeune Verlaine est surtout attiré par l’écriture : son premier recueil de poésies paraît en 1866, mais un premier amour impossible le tourmente ; alcool et violence altèrent définitivement le comportement de celui qui, coup sur coup, voit son mariage éclater et sa situation professionnelle perdue : il est renvoyé de la mairie parisienne pour avoir soutenu les Communards (1871). Sa relation tumultueuse avec Arthur Rimbaud s’achève à Bruxelles : pour avoir blessé son ami au poignet au cours d’une bagarre violente, il est condamné et privé de liberté dans la prison de Bruxelles puis à celle de Mons jusqu’en 1875. Au terme de sa peine réduite, il a retrouvé la foi catholique et il devient professeur. Après avoir donné des cours en Grande-Bretagne, il atterrit à Rethel où il entretient une relation singulière avec l’un de ses élèves (1877-1883) qui se termine à nouveau tragiquement. Bien que reconnu comme un maître, voire comme un précurseur par les défenseurs du symbolisme, Verlaine ne s’en remettra jamais, décédant à Paris d’une congestion pulmonaire à l’âge de 51 ans. Désigné « Prince des Poètes » en 1894, le poète maudit, auteur en 1895 de Croquis de Belgique, laisse une œuvre majeure et son souvenir fait l’objet d’une attention toute particulière dans le pays où il vécut une partie de sa jeunesse.
Sur un côté de la future « Maison Paul Verlaine », qui appartenait alors à Paul Poncelet, notaire et bourgmestre de Saint-Hubert, à l’angle de la rue Paul Verlaine et de la petite ruelle qui revient vers la Grand Place de Paliseul, une plaque rappelle une période importante de la vie de l’entité :


ICI
JOUA
PAUL
VERLAINE


PLACÉ PAR LES ÉCRIVAINS ARDENNAIS
LE 26 JUIN 1932


L’initiative de cette plaque sobrement décorée en revient aux Écrivains ardennais, coutumiers de ce genre de démarches. Lors de l’inauguration, de nombreuses personnalités officielles avaient fait le déplacement, dont Jules Poncelet, député du Luxembourg et président de la Chambre en exercice, Jules Destrée en tant que représentant officiel de l’Académie de Langue et de Littérature françaises de Belgique, et le Consul de France Fernand Sarrien. Autour de Thomas Braun et de très nombreux écrivains ardennais et d’ailleurs (comme Marcel Thiry ou Olympe Gilbart), les autorités locales représentées par le bourgmestre Poncelet avaient également réussi à faire venir différentes personnalités françaises (dont l’éditeur des œuvres de Verlaine). Outre la lecture de poèmes, Thomas Braun, J-P. Vaillant et Henri d’Acremont avaient préparé chacun un discours, tandis que Jules Destrée s’adressa au nombreux public en une brève improvisation.

Dessinée par l’architecte Jules Ghobert, la plaque fournie par les Ardoisières de Martelange est une allusion à la proximité de l’endroit où le jeune Paul Verlaine venait jouer avec Hector Perot (de 12 ans son aîné), dont le père Joseph, percepteur des postes, fut bourgmestre de Paliseul : les Perot habitaient la maison aujourd’hui appelée Paul Verlaine. Elle évoque aussi l’amitié de Verlaine avec le jeune Jean-Baptiste Dewez (1841-1899) qui deviendra le directeur du collège Juste Lipse à Louvain (1871). Quant à la matière de la plaque commémorative, il s’agit de schiste d’Ardenne, évocation à la fois des ardoises d’écriture des écoliers de cette époque et des ardoises de couverture des toits typiques de la région. Au milieu des années 1970, quand est inauguré un complexe culturel avec salles polyvalentes, une inscription est placée au-dessus de la porte d’entrée principale. Il s’agit de cette phrase de Verlaine :


au pays de mon père
on voit
des bois sans nombre…


Si Paul Verlaine est définitivement attaché à la littérature de la France et si l’Ardenne occupe une place indéniable dans son œuvre, il est une hypothèse formulée par Guy Gilquin sur l’influence qu’a pu avoir Verlaine sur l’émergence d’un milieu artistique dans cette partie de la Wallonie, et pas seulement sur Albert Raty : « Avec ses vers fameux, Paul Verlaine n’a-t-il pas été l’élément qui fit prendre conscience aux artistes et poètes wallons de leur existence et du potentiel inspirateur que constituait cette région éloignée des centres urbains ? » (GILQUIN, cité par CHANTEUX-VAN GOTTOM, p. 13).
Quant à Jules Ghobert (Wéris 1881-Bruxelles 1971), après sa formation en architecture à Saint-Luc Liège, il s’adonne tant à la peinture, à la lithographie qu’à l’architecture, cette dernière étant son activité professionnelle principale. Auteur d’un inventaire des constructions rurales et traditionnelles (1914), il signe les plans de nombreuses habitations privées, tant à Bruxelles qu’à Louvain pour l’essentiel, au lendemain de la Grande Guerre. Cet ami de Charles Counhaye partage avec le Verviétois le goût du monumental et du luminisme et, comme lui, est rattaché à l’école du fauvisme brabançon. Ensemble, il contribue à l’aménagement intérieur de l’abbaye de Tongerlo (1920-1935), tandis que Ghobert réalise aussi des commandes de monuments commémoratifs, comme à Paliseul, ou funéraires. Ayant participé sans succès à plusieurs concours internationaux d’architecture, il remporte, en 1937, celui de l’aménagement du complexe du Mont-des-Arts, à Bruxelles. Après moults péripéties dues à l’indécision des autorités, il collabore avec Maurice Houyoux pour établir les plans définitifs d’un projet qui évolue sans cesse et qui occupera trente années de sa carrière : les travaux sont exécutés entre 1954 et 1969. L’ensemble comprendra finalement bibliothèque, palais des congrès, cabinet des Estampes et archives et marquera durablement le cœur de Bruxelles.

Sources

Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse 
La Vie wallonne, décembre 1922, n°28
Paul DRESSE, dans Les Cahiers mosains, 15 février 1924, n°1, p. 9-11
Danielle CHANTEUX, Paul Verlaine et l’Ardenne : regard singulier d’enfance, Neufchâteau, Weyrich, 2011
Jean ISTACE, Les séjours de Paul Verlaine à Paliseul, dans Terres d’Herbeumont à Orchimont, bulletin n°39, 2013, p. 16-28
La Grive, octobre 1932, cité par Jean ISTACE
Exposition « Verlaine, Ardennais de souche et de cœur », et vidéo du Gsara, cfr http://gsara.tv/outils/verlaine-adrennais-de-souche-et-de-coeur/ 
http://www.tvlux.be/video/paliseul-paul-verlaine-et-l-ardenne_10040.html
http://balat.kikirpa.be/peintres/Detail_notice.php?id=2526 (s.v. juillet 2015)
Exposition Verlaine, cellule n° 252. Turbulences poétiques, Mons, capitale culturelle 2015, musée des beaux-arts 2015-2016
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 622

 

Plaque Paul Verlaine (Paliseul)

Rue Paul Verlaine
6850 Paliseul

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Paul Delforge

Statue Charles-Joseph de LIGNE

Statue à la mémoire du prince Charles-Joseph de Ligne, réalisée par Charles Brunin, 1882-1883. 



Située sur la place principale de Beloeil, une imposante statue rend hommage au prince Charles-Joseph de Ligne (1735-1814). Militaire, diplomate, écrivain, Charles-Joseph Lamoral, prince de Ligne, a servi plusieurs cours impériales et princières ; il a brillé dans les salons parisiens et, l’écrivain a publié une trentaine d’ouvrages, les uns consacrés à l’art de la guerre, les autres au théâtre ; romancier, autobiographe et mémorialiste, « ce prince cosmopolite » tenait ses quartiers dans la prestigieuse résidence royale qu’il possédait à Beloeil. Il paraissait dès lors naturel que cette localité accueille à un endroit central un monument rendant hommage à ce personnage illustre du XVIIIe siècle. À l’initiative de l’État, une statue est commandée à Charles Brunin (1841-1887).
Formé à l’Académie de sa ville natale auprès d’Étienne Wauquière, le montois Charles Brunin a suivi les cours de sculpture de Joseph Geefs à Anvers (1865-1868), avant de rejoindre à Bruxelles les cours d’Eugène Simonis. S’il ne remporte pas le Prix de Rome, il est aidé par la ville de Mons et fait de courts séjours en Italie (1871, 1873). Remarqué aux différents salons où il expose des œuvres de son inspiration, souvent des bustes « de type populaire italien » qui ont beaucoup de succès, il est nommé professeur de sculpture à l’Académie de Mons en 1875. C’est vers 1877-1878 que lui est commandée la statue du prince de Ligne. Il s’agit de la première d’une série d’autres commandes publiques ; ce seront cependant davantage des allégories qui lui seront demandées par la suite. Renonçant à son emploi à Mons (1882), pour s’installer à Bruxelles plus près des commanditaires publics, Brunin devait décéder subitement en 1887 alors qu’il réalisait la maquette du monument Dolez pour la ville de Mons.
La réalisation de la statue du prince de Ligne ne s’est pas déroulée dans les meilleures conditions. Dès 1878, l’artiste avait présenté une maquette de son sujet lors d’un Salon à Bruxelles. Chargée de valider le projet de Brunin, la Commission des Monuments exigea un certain nombre de modifications que l’artiste n’accepta pas ; selon un expert, l’élégance du prince était exagérée et l’allure générale donnait l’impression que le prince allait se mettre à danser ; un procès s’en suivit, semble-t-il, avant que, finalement, la Compagnie des Bronzes de Bruxelles ne procède à la fonte, en 1882. Le monument Charles de Ligne pouvait être inauguré. La statue représente le spirituel écrivain debout, habillé en costume de cour, donnant l’impression de tenir une conversation plaisante. Sur un socle carré, la statue trône au centre de la place principale du village de Beloeil. Le piédestal porte l’inscription :


LA COMMUNE DE BELOEIL
Au FELD-MARÉCHAL
CHARLES-EUGÈNE-LAMORAL,
PRINCE DE LIGNE.
3 MAI 1735—13 DÉCEMBRE 1814


Plusieurs hommages seront rendus à cet endroit, notamment à l’occasion du centenaire du décès du prince : à l’initiative du Cercle archéologique d’Ath et de la région, les 25, 26 et 27 juillet 1914…, Ath et Beloeil accueillent une prestigieuse manifestation (Congrès-exposition, concerts, défilé devant la statue, fête nautique, lecture d’œuvres, etc.) à laquelle s’associe notamment la Société des Amis de l’Art wallon. Il s’agit de la dernière grande manifestation culturelle en Wallonie avant la Grande Guerre.



Hugo LETTENS, La sculpture de 1865 à 1895, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, Bruxelles, CGER, 1990, t. 1, p. 103
Hugo LETTENS, dans Jacques VAN LENNEP, La sculpture belge au 19e siècle, catalogue, t. 2, Artistes et Œuvres, Bruxelles, CGER, 1990, p. 311-313
Biographie nationale, t. 12, col. 185
Paul PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Lasne, 2003, t. I, p. 160
Paul DELFORGE, Société des Amis de l’Art wallon, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. III, p. 1484-1486
L’Art moderne, 25 janvier 1914, n°4, p. 31
L’Art moderne, 14 juin 1914, n°24, p. 191
L’Art moderne, 2 août 1914, n°31, p. 241-243
Wallonia, 1913, p. 626-627

 

place communale – 7970 Beloeil

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Paul Delforge

Photo Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Plaque Orsini DEWERPE

Plaque commémorative Orsini Dewerpe, réalisée par F-G. Schmidt, 26 septembre 1954. 

Sur la façade de la maison où il vécut, une plaque commémorative a été apposée en septembre 1954 en l’honneur d’Orsini Dewerpe qui, dans le même temps, donne son nom à la rue. Les Dewerpe sont connus depuis plusieurs générations à Jumet pour leurs activités de souffleurs de verre. Pourtant, c’est la musique qui désormais fait leur notoriété. Le père d’Orsini Dewerpe, Pierre-Joseph, a déjà rompu avec la tradition familiale en vivant de la musique, comme violoniste et professeur de musique à l’École moyenne de Jumet. La mère est aussi chanteuse et pianiste. Trempé dans la musique dès son plus jeune âge, Orsini Dewerpe (1887-1943) se révèlera un excellent pianiste, mais c’est une chanson composée en l’honneur de Paul Pastur qui lui survivra : En Wallonie ! reste en effet, dans le pays de Charleroi, un air connu, du moins déjà entendu. Avec la chanson Amis Chantons la Wallonie, voire avec Femmes wallonnes, la chanson En Wallonie ! est l’œuvre la plus remarquable de celui qui a été le directeur de l’École moyenne de Jumet (aujourd’hui Athénée qui porte le nom de Dewerpe depuis 2002).

Né au lendemain des grèves qui mobilisent violemment le bassin industriel wallon, le jeune Dewerpe reçoit le prénom peu usité d’Orsini, en référence explicite au révolutionnaire et patriote italien Felice Orsini (1819-1858) : membre de Jeune Italie, adepte de Mazzini, ce républicain italien contribue à l’éphémère expérience de la « république romaine » de 1848-1849 et est l’un des auteurs de l’attentat perpétré en janvier 1858 contre l’empereur Napoléon III ; condamné à mort, Orsini est guillotiné en mars 1858.

En plus des conseils familiaux en matière musicale, le jeune Dewerpe suit les cours d’harmonie de Paulin Marchand à l’Académie de Charleroi. Pianiste virtuose sur des airs de Liszt et de Chopin, il ne fait cependant pas de la musique sa carrière. Diplômé de l’École normale de Nivelles (1906), où il a marqué une prédilection pour la littérature, il entame une carrière d’instituteur à Ransart, avant d’enseigner le français à Jumet, sa commune natale, et l’hygiène à l’École moyenne. Engagé à temps partiel à l’Université du Travail, il est nommé en 1925 à la direction de l’École industrielle de Jumet, puis de l’École moyenne (1933). Il n’a pas renoncé pour autant à la musique. Mariant écriture et interprétation, Orsini Dewerpe forme un duo apprécié avec l’industriel Jules Cognioul, de la commune voisine de Marcinelle. Ce dernier va chanter une série de textes écrits par Dewerpe qui l’accompagne aussi au piano. Leur association commence en 1916 ; Dewerpe n’hésite pas à dénoncer les atrocités de la guerre, les profiteurs et les occupants ; après l’Armistice, la thématique rencontre un succès certain. Par la suite, son amour pour la Wallonie et pour la France occupe une place importante dans son répertoire d’Entre-deux-Guerres, ce qui incite Dewerpe à ne pas s’attarder au pays de Charleroi en mai 1940. De retour au pays, il est en contact étroit avec le docteur Marcel Thiry (de Charleroi) et s’informe régulièrement de l’activité de la Wallonie libre clandestine, sans pouvoir s’y impliquer personnellement. Son exil a affecté sa santé et il décède en août 1943. 

Au moment où un hommage appuyé est rendu pour le 10e anniversaire de sa disparition, l’administration communale de Jumet annonce son intention d’apposer une plaque commémorative. Elle reçoit le soutien actif de la section de Jumet de Wallonie libre – avec Marcel Thiry, Marcel Gilson et Jean Deterville notamment – qui lance la souscription et choisit un artiste local, F-G. Schmidt, pour réaliser une plaque en bronze originale puisqu’elle inscrit le profil gauche d’Orsini Dewerpe entre l’emblème de Jumet et celui de la Wallonie, en mentionnant les dates 1887-1943 et l’inscription :

ICI A VECU ORSINI DEWERPE
CHANTRE DU PAYS WALLON
HOMMAGE DE WALLONIE LIBRE

L’inauguration a lieu le 26 septembre 1954 et s’est inscrite dans le cadre des Fêtes de Wallonie

Sources 

Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2000, t. I, p. 500
Wallonie libre, décembre 1953, p. 3
Achille GOETHALS, Orsini Dewerpe, Jumet, éd. El Bourdon d'El Mojo des Wallons, 2002 - Chiroux
René DEMEURE, Jules Cognioul, chantre de Wallonie 1872-1952, Une vie en chansons, Charleroi, 1963 -IJD
Émile LEMPEREUR, dans Robert WANGERMÉE (dir.), Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles, Liège, Mardaga, 1995, p. 136-137
Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse 
Wallonie libre, n° de 1954, dont celui d’octobre, p. 3

 

Plaque Orsini Dewerpe (Jumet)

Rue Orsini Dewerpe 12
6040 Jumet

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Paul Delforge

Paul Delforge – Diffusion Institut Destrée - Sofam

Banc George Garnir

Dans le village d’Ocquier, se trouve en banc inauguré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en l’honneur de Georges Garnir. Il se trouve au début de la rue Enroua, du moins à quelques dizaines de mètres du carrefour entre la rue En Visoul et la Grand Rue (la N641 en direction de Clavier), à gauche lorsqu’une fois dans la rue Enroua on se dirige vers les rues Wez et du Vieux Moulin. Il s’agit d’un vrai banc rustique en moellons, placé dans un endroit paisible entouré de maisons et de fermes en pierres du pays, et d’un petit cours d’eau de la vallée du Néblon. Au centre du dossier de ce banc, une pierre bleue a été gravée, indiquant :

GEORGE GARNIR

POETE DU CONDROZ
LES CHARNEUX
LES DIX JAVELLES
1868 – 1939
LA FERME AUX GRIVES
LES CONTES À MARJOLAINE

Délibérément, les initiateurs de ce monument n’ont retenu qu’une facette de George Garnir, à savoir l’écrivain et, singulièrement, dans son œuvre, ses écrits condruziens les plus significatifs. Considéré comme « un conteur wallon authentique », l’écrivain – reconnu pour une certaine drôlerie et la bonne humeur de ses ouvrages – sera durablement inspiré par son Condroz d’origine, tout en s’intéressant « aux mœurs bruxelloises ». Jeune, il passait ses vacances dans la maison paternelle située à côté de « la ferme aux grives » (proche du banc inauguré en 1947, la ferme est classée par la Région wallonne en juin 1993) et qui est le titre d’un de ses romans parus en 1901. En 1910, Garnir publie Les Dix Javelles qui, comme les Contes à Marjolaine datant de 1893, recèle des traces explicites de la vie condruzienne ; quant aux Charneux, avec le sous-titre Mœurs wallonnes, ce premier roman qu’il inscrit résolument et explicitement en Wallonie remonte à 1891, à l’époque où, docteur en Droit et en Sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles, il côtoie les Fernand Severin et autre Albert Mockel qui mettent le jeune homme sur les rails de la littérature et de la poésie. Les écrits de Garnir paraissent alors dans les premiers numéros de La Wallonie. Abandonnant dès 1888 le pseudonyme initial de George Girran, il supprimera le S final de son prénom et gardera son patronyme de naissance lorsqu’il se fera un nom dans la littérature et le journalisme. Né à Mons où son père travaillait alors en tant du fonctionnaire des Chemins de Fer, Garnir passera l’essentiel de son existence à Bruxelles, mais cultivera toujours le souvenir des racines condruziennes de sa famille qui est originaire du village d’Ocquier.

Pourtant George Garnir est le plus souvent identifié comme l’un des trois fondateurs de l’hebdomadaire Pourquoi Pas ? C’est en effet en 1910, avec Léon Souguenet et Louis Dumont-Wilden, que Garnir lance ce magazine politique et de société qui va traverser quasiment tout le XXe siècle, s’éteignant en 1989 avec quelques soubresauts. Organisateur d’un « référendum » en 1912, dans les colonnes du Pourquoi Pas ?, sur le choix d’un jour de fête pour la Wallonie, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises (mars 1926), Garnir a donné son nom à un prix qui est décerné à un écrivain belge de langue française, auteur d’un roman ou d’un recueil de contes évoquant les aspects et les mœurs des provinces wallonnes.

Comme Schaerbeek qui a donné le nom de Garnir à l’une de ses rues, et la ville de Mons qui honore « son » écrivain par une stèle dans le parc du Waux-Hall, le village d’Ocquier dispose d’un monument qui fait référence aux racines familiales de l’écrivain. 
« Oh ! Ce n’est pas un monument prétentieux et arrogant, loin de là ! Non, ce sont de vieilles pierres de chez nous, patinées et moussues, adossées simplement au vieux mur où [Garnir] s’est assis souvent » (discours de Gérard). L’initiative en revient à la famille Garnir et en particulier aux frères Abel et Jean Lurkin qui sont des cousins de l’écrivain. Ils ont fait appel à la fois à l’Association pour la Défense de l’Ourthe pour l’organisation et à l’architecte François Malfait pour la conception du banc : architecte en chef de la ville de Bruxelles pendant de nombreuses années, Malfait était un grand ami de George Garnir. Le dimanche de l’inauguration, plusieurs personnalités avaient tenu à honorer l’écrivain de leur présence : outre les précités, on retrouvait le dernier mousquetaire du Pourquoi Pas ?, Louis Dumont-Wilden, la veuve de Léon Souguenet, Auguste Buisseret, Olympe Gilbart, Jacques Ochs, Arsène Soreil, Elise Champagne, René Pouret, ainsi qu’Adolphe Gérard le bourgmestre de la localité et cousin lui aussi de l’écrivain, et Louis Gavage, le président de l’Association pour la Défense de l’Ourthe et ses affluents. L’écrivain, le journaliste, mais aussi le Wallon et l’ami de la nature furent tour à tour célébrés.

 

Sources

Paul DELFORGE, Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 700
La Vie wallonne, 1947, n°238, p. 146
http://www.cicc-clavier.be/Pdf/Georges_Garnir.pdf. (s.v. avril 2015)
Bulletin de l’Association pour la Défense de l’Ourthe et de ses affluents, janvier-mars 1947, n°130, p. 10-11 ; avril 1947, n°131, p. 51-

Banc George Garnir (Ocquier)

Enroua
4560 Ocquier

carte

Paul Delforge

Paul Delforge

Plaque Léon HOUA

Plaque commémorative Léon Houa, réalisée à l’initiative de la province de Liège, du club cycliste Le Pesant et de la société organisatrice du Tour de France, 26 avril 2014.

À l’occasion de la centième édition de la course cycliste Liège-Bastogne-Liège, un hommage particulier a été rendu à celui qui avait remporté la toute première épreuve, en 1892. La maison natale de Léon Houa ayant été retrouvée, au 34 rue du Pont, une plaque commémorative est inaugurée le 26 avril 2014, à la veille de la 100e édition de la « Doyenne des Classiques ». L’initiative en revient à trois partenaires engagés dans l’organisation de l’épreuve cycliste : le Pesant club Liégeois, la province de Liège et ASO – Cyclisme.
Le 29 mai 1892, lors de la toute première course cycliste au départ de Liège, qui rallie Bastogne avant de rentrer à Liège, 17 cyclistes seulement rallieront l’arrivée, le dernier concédant plus de 5 heures de retard au premier, en l’occurrence Léon Houa (Liège 1867 – Bressoux 1918). Celui-ci est un des pionniers de la petite reine dans nos contrées. À 25 ans, Léon Houa compte déjà quelques années sportives derrière lui. Après son succès en 1892, il réédite son exploit en 1893 et en 1894. Par la suite, l’épreuve n’est plus organisée pendant une quinzaine d’années et Houa reste par conséquent l’unique vainqueur de la course au XIXe siècle. Champion de Belgique (amateur) en 1893 et (professionnel) en 1894, le cyclisme perd la trace de Houa après 1896, la concurrence lui étant fatale. Amateur de sensations fortes, Houa devient alors pilote automobile. Il est essayeur chez Renault et c’est à l’occasion d’une compétition qu’il perd le contrôle de son véhicule, accident qui lui est fatal.
Sous la représentation d’un vélo, la plaque commémorative en marbre apposée rue du Pont, indique sobrement que

ICI EST NÉ
LEON HOUA
VAINQUEUR DES TROIS PREMIERS
LIEGE – BASTOGNE – LIEGE
1892 – 1893 – 1894
LE ROYAL PESANT CLUB LIÉGEOIS
LA PROVINCE DE LIÈGE
ASO-CYCLISME

 


Sources



Centre d’archives privées de Wallonie, Institut Destrée, Revues de Presse (dont La Libre, 19 avril 2014)
Théo MATHY, dans Freddy JORIS, Natalie ARCHAMBEAU (dir.), Wallonie. Atouts et références d’une région, Namur, 1995
http://www.siteducyclisme.net/coureurfiche.php?coureurid=9236 (s.v. 31 juillet 2013)
http://www.dhnet.be/dernieres-depeches/belga/liege-bastogne-liege-une-plaque-commemorative-sur-la-maison-natale-de-son-premier-vainqueur-leon-houa-samedi-535287153570aae038bb781e (s.v. juin 2014)

Plaque commémorative Léon Houa

Rue du Pont 34
4000 Liège

carte

Paul Delforge