
Andrien Jean-Jacques
Culture, Cinéma
Verviers 01/06/1944
Cinéaste indépendant, Jean-Jacques Andrien signe avec Le Grand Paysage d’Alexis Droeven, l’un des premiers grands films traitant de la Wallonie, en s’affirmant résolument d’un cinéma wallon encore balbutiant. Dès sa sortie en 1981, le film connaît un succès public important tant dans le circuit commercial que dans les réseaux parallèles. Autant apprécié dans sa région qu’à l’international, ce film est le deuxième long métrage d’un Verviétois qui a choisi de s’immerger longuement dans la vie des habitants des territoires concernés, avant de porter à l’écran le sujet de son œuvre de fiction, la crise du monde agricole sur fond de violences politiques.
C’est au pied du Grand Théâtre de Verviers que se situe la maison familiale du jeune Andrien, dont le père est peintre paysagiste et portraitiste de la bourgeoisie locale. À son contact, il s’initie à l’image et à l’art, suit des cours au Conservatoire et, à la fin de ses humanités menées à Verviers puis au Collège Saint-Servais à Liège, il s’inscrit à l’INSAS, à Bruxelles (1965). Là, il est attiré par l’enseignement d’Anthony Bohdsiewicz (principal formateur de l’école polonaise du cinéma : Wajda, Kawalerowicz, Polanski…), d’André Souris (qui sensibilise aux sons et à la musique) et de Michel Fano (qui réfléchit à la structure sonore d’un film). C’est à Verviers qu’il tourne son film de fin d’études, en s’intéressant à un personnage local qu’il y a connu (L’Babou).
Diplômé de l’INSAS-Bruxelles (1965-1969), Jean-Jacques Andrien s’inspire de L’Babou pour réaliser La Pierre qui flotte (1971), un court-métrage inspiré d’une légende urbaine et qui met en scène les rapports de force entre des hommes pariant sur un combat de coqs. Ce premier court-métrage se retrouve en sélection officielle à Cannes et à Locarno, notamment (1971). Autre court-métrage, de commande celui-là, Le rouge, le rouge et le rouge (1972) est tourné en quelques jours, avec un petit budget. Il s’agit d’un film poétique, voire « fantastique », avec un seul personnage, une jeune femme élégante (Marysia de Pourbaix) en bute avec un coq agressif… Il reçoit le premier prix au festival international de Grenoble et l’Award for the Best Short Feature au festival du Film de Knokke (1972) et est sélectionné dans divers festivals.
Trois ans plus tard, son premier long métrage de fiction Le fils d’Amr est mort ! remporte le Grand Prix (Léopard d’or) du festival de Locarno (1975), avant d’être consacré « meilleur film belge 1976 » en recevant le prix André-Cavens décerné par l’Union de la Critique Cinématographique de Belgique. Le film parle « déjà de mémoire et de déracinement, d’appartenance culturelle et de la découverte de l’autre, à travers la place que l’on choisit de lui ménager ou de lui dénier ».
Cinéaste indépendant, s’inscrivant, avec un support différent, dans la tradition de l’école des peintres intimistes verviétois, Jean-Jacques Andrien signe avec Le Grand Paysage d’Alexis Droeven, un film poétique et dramatique, où les deux rôles principaux sont interprétés par Nicole Garcia et Jerzy Radziwilowicz (rendu célèbre par son rôle dans Wajda). À la mort d’Alexis Droeven (Maurice Garrel), syndicaliste, agriculteur et personnage autoritaire, le fils Jean-Pierre (interprété par Radziwilowicz) doit décider de reprendre ou non l’exploitation, d’opter pour la vie d’agriculteur et d’assumer le passé familial, jusque dans les zones d’ombre dont témoigne le rapport trouble qui l’unit à la tante (Nicole Garcia). Objet de nombreuses analyses et d’interprétations divergentes, cette « intrigue documentaire » que le journal Le Monde qualifiait de « premier grand film du cinéma wallon » montre aussi un jeune paysan du Pays de Herve confronté à la dépossession de « sa » terre, face à la fois à la politique agricole commune de la Communauté économique européenne, et aux revendications culturelles de milices extrémistes flamandes défilant armées dans les Fourons. Le jury du festival international de Berlin attribue une mention spéciale à ce film qui aborde de front la question de l’identité (1981). Trente ans plus tard, en lui donnant la forme d’un documentaire, J-J. Andrien reviendra sur les sujets abordés, dans Il a plu sur le Grand Paysage (2012).
Entretemps, le réalisateur/producteur signe deux autres œuvres remarquées, Mémoires en 1984, et Australia en 1989. Présenté en première mondiale au festival de Mannheim 1984, où il remporte le Grand Prix (Ducat d’or), Mémoires est son premier documentaire, témoignage de ce qu’il a vécu dans les Fourons pendant les repérages pour l’écriture et le tournage du Grand paysage. Installé avec sa famille dans le village d’Aubin-Neufchâteau de 1977 à 1981, il partage le quotidien des populations avoisinantes, en particulier celui des habitants des six villages de Fourons dont le calme paisible est rompu par les promenades dominicales et violentes de milices flamandes d’extrême-droite (TAK, VMO...) revendiquant la flamandisation intégrale des territoires et de leurs habitants. Mémoires se concentre surtout sur la journée du dimanche 20 mai 1979 à Fouron-le-Comte, dénonçant déjà la résurgence d’un nationalisme anti-démocratique.
Dans Australia, le réalisateur confie les rôles principaux à Fanny Ardant et Jeremy Irons, mais c’est l’industrie de la laine, sa crise voire sa ruine, Verviers et leurs rapports singuliers avec l’Australie, à des époques différentes, qui sont au centre d’un film qui obtient l’osella de la meilleure photographie (Yorgos Arvanitis) à la 46e Mostra internationale d’art cinématographique de Venise (1989), ainsi que le Prix Fémina du meilleur film belge de l’année 1989, le prix Kodak Cristal Award 1989 et le Prix « Joseph Plateau » de la meilleure photographie au festival de Gand 1990. À nouveau, le film pose la question de l’avenir des personnages au regard de leur passé.
Cosignataire du Manifeste pour la Culture wallonne en 1983, Jean-Jacques Andrien contribue longuement, avec Jean Louvet et José Fontaine, à créer une dynamique culturelle wallonne, tentant notamment de créer une Commission du film en Wallonie ; en 2001, voit le jour Wallimage, un fonds wallon destinée à développer et soutenir le secteur de l’image en Wallonie. Président fondateur de l’association professionnelle « Cinéma Wallonie » (depuis 1997), Andrien est l’un des premiers membres du Collège consultatif de Wallimage.
Résolument attaché à la défense d’une production cinématographique de Wallonie, il est aussi actif dans la défense de l’autonomie des producteurs et de leur liberté artistique au regard des impératifs économiques. Dès 1973, il avait fondé sa propre maison de production, Les films de la Drève, dont il est l’administrateur-délégué. Il y produit tous ses films, avant de coproduire Genesis de Mrinal Sen (Cannes 1986) et le premier film de Lucas Belvaux Parfois trop d’amour (1991), puis d’être le producteur de Yasmine Kassari : deux courts métrages, un documentaire (Quand les hommes pleurent, 2002) et un long métrage (L’Enfant endormi, 2004).
« Auto-entrepreneur à finalité culturelle », il est l’un des fondateurs, en 1976, de l’Association belge des réalisateurs-producteurs de films (ABPRF), association dont il s’éloigne progressivement en raison de l’évolution du groupement. En réaction, et toujours dans le but de défendre la liberté de création et la diversité culturelle, il est parmi les fondateurs, en 2002, de l’Association des réalisateurs et réalisatrices de film (ARRF). En 2019, dans un paysage qui s’est à nouveau transformé, il est l’initiateur, avec Hubert Toint, de l’Association des Réalisateurs-Producteurs indépendants (ARPI), groupement lancé dans l’esprit initial de ABPRF et de l’ARRF. Il s’agit pour lui de défendre les intérêts spécifiques des réalisateurs-producteurs.
Pendant de nombreuses années, J-J. Andrien a été professeur à l’INSAS (1990-2009), à l’ELICIT de l’Université libre de Bruxelles (1991-2009) et à l’Université Charles de Gaulle Lille 3 (1996-2009), tout en poursuivant ses démarches pédagogiques d’animation des stages d’initiation aux techniques des métiers du cinéma à l’AKDT de Neufchâteau-Libramont (l’Académie internationale d’été de Wallonie), depuis 1983. Parrain du Festival du film sur la ruralité A travers champs (2013-), le producteur-réalisateur a depuis longtemps le projet de se rendre à nouveau en Australie pour tourner Le Silence d’Alexandre parmi les Aborigènes du désert du Tanami, selon la méthode qu’il a toujours suivie : vivre longuement immergé parmi les gens qui sont au cœur de son cinéma réaliste.
Ses films
Courts métrages
La Pierre qui flotte (1972)
Le Rouge, le rouge, le rouge (1972)
Longs métrages
Le Fils d’Amr est Mort (1975)
Le Grand Paysage d’Alexis Droeven (1981)
Mémoires (1984)
Australia (1989)
Il a plu sur le grand paysage (2011)res), Bruxelles, t. IV
Sources
Centre de Recherche & Archives de Wallonie, Institut Destrée, Revue de presse (-12/2024)
http://www.lesfilmsdeladreve.be/spip.php?page=biographie&id_rubrique=44&titre_mot=Jean-Jacques%20Andrien&lang=fr
http://www.lesfilmsdeladreve.be/IMG/pdf/JJA_Biographie_WBI%2015_mai.pdf
http://www.lesfilmsdeladreve.be/spip.php?page=biographie&id_rubrique=44&titre_mot=Jean-Jacques%20Andrien&lang=fr
http://www.lesfilmsdeladreve.be/IMG/pdf/Presentation_JJA2.pdf
http://www.lesfilmsdeladreve.be/spip.php?article1
http://www.lesfilmsdeladreve.be/IMG/pdf/JJA_ARRF_Extrait_PV_du_27_Octobre%202014.pdf (s.v. janvier 2025)
Delforge Paul, Cent Wallons du Siècle, Liège, 1995
Numéro spécial de W’Allons nous ?, périodique de création et de réflexion littéraires et artistiques de Wallonie, Liège, novembre 1982, n°6