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Duvivier de Streel Charles

Culture, Lettres wallonnes, Révolutions

Liège 05/11/1799, Liège 01 ou 18/02/1863


À la suite du parisien Pierre-Jean de Béranger, la mode est à la chanson dans la première moitié du XIXe siècle. Et comme en général ce qui vient de Paris plaît en pays wallon, le genre fait des émules, à Liège notamment, où l’abbé Charles Duvivier de Streel occupe une place toute particulière : sa célèbre chanson Li pantalon trawé (1838/1839) va traverser le temps. Ce sera le chef d’œuvre unique de cet ecclésiastique qui avait certes d’autres centres d’intérêt (comme l’enseignement), mais qui reste considéré comme un acteur important dans la résurgence des parlers wallons : son œuvre dialectale contribue à donner au wallon une nouvelle vitalité.

Appartenant à une ancienne famille hesbignonne anoblie par l’empereur Charles VI, il est né sous le régime français, a grandi sous le régime « hollandais », a fait ses études à Verviers, puis au petit Séminaire à Namur, et est ordonné prêtre en 1823. Professeur de grammaire au petit Séminaire à Liège et vicaire la paroisse de Saint-Jean-en-Isle quand se met en place la Belgique née des Journées de Septembre, il devient le curé de la paroisse Saint-Jean, à Liège, en 1834. En 1830, Duvivier avait clairement manifesté son hostilité au régime hollandais (notamment en créant en 1823 l’hebdomadaire Le Conservateur belge) ; durant les combats du quartier de Ste Walburge (30 septembre 1830), sa conduite « patriotique » lui vaudra la Croix de Fer (1835).

Durant cette époque agitée, la chanson est un genre fort pratiqué. À l’instar de Béranger, à Paris, quelques fables et paskeyes sont propices à un propos « politique » bien senti. En l’occurrence, en écrivant Li pantalon trawé, l’abbé Duvivier exprime principalement une sorte de « protestation résignée d’un homme du peuple emporté dans le tourbillon des guerres, successivement soldat de l’armée napoléonienne, puis des Hollandais, puis de la Révolution de 1830, pour se retrouver finalement, épuisé, meurtri, Gros-Jean comme devant face aux « Messieurs qui ont obtenu tous les postes » (Maquet). Le succès est au rendez-vous et Charles Duvivier va contribuer, surtout dans les années 1840, à la redynamisation de la pratique du wallon.

Fort de la notoriété acquise par cette seule chanson, « hymne (…) de la nostalgie poujadiste » selon l’expression de Daniel Droixe, Duvivier pouvait publier, en 1842, deux minces plaquettes y faisant explicitement référence : Quelques chansons wallonnes par l’auteur du Pantalon trawé et Poésies wallonnes par l’auteur du Pantalon trawé (1842). En diffusant des fables en wallon imitées de La Fontaine, il introduit un genre qui sera fort prisé et imité. Comme d’autres auteurs de son temps, il compose fables et chansons wallonnes qui paraissent dans des revues ou sous forme de petites plaquettes. Dans une certaine mesure, il est l’un des pionniers d’un mouvement de renaissance dialectale qui prendra ensuite des formes nouvelles avec notamment la Société de littérature wallonne (1856), dont Duvivier est l’un des fondateurs. Il prendra ses distances avec elle quand sera abordée la question relative à l’orthographe.

En dehors de son sacerdoce et de son goût pour l’écriture en wallon, celui qui fut fait « chevalier du Vivier de Streel » en 1841 s’intéressait aussi à l’archéologie, à la lexicologie, à la littérature et était un enseignant éclectique. Auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques fort appréciés, il atteint un tirage d’un demi-million d’exemplaires pour son Syllabaire chrétien. Mais l’épopée sans panache de l’ancien grognard devenu patriote en 1830 est son œuvre maîtresse, chef d’œuvre de la chanson wallonne avant que ne surgisse Nicolas Defrecheux avec son Lèyîz-m’ plorer.

 

Sources

Maurice PIRON, dans La Vie wallonne, 1948, II, n°242, p. 113-124
Albert MAQUET, dans La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Lettres - arts - culture, t. II, p. 466
Alphonse LE ROY, dans Annuaire de la Société de littérature wallonne, 1864, t. 2, p. 95-98 (avec la bibliographie complète de son œuvre)
A. ALVIN, dans Biographie nationale, t. 6, col. 375-380
Daniel DROIXHE, Une Pasquèye istorique so tote li sinte botique. Le jubilé de 1846 à Liège selon Hasserz, chanteur de rues, p. 4, http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/11530/1/HasserzBotique.pdf (s.v. décembre 2014)
Daniel DROIXHE, Lettres de Liège. Littérature wallonne, histoire et politique (1630-1870), s.l., Le Cri – ARLLFB, 2012, p. 80-128
Maurice PIRON, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie, poètes et prosateurs, Liège (Mardaga), 1979, p. 112
Xavier JANNE, Charles Duvivier de Streel, curé de St-Jean à Liège, pédagogue, littérateur et rénovateur des Lettres wallonnes, dans Bulletin de la Société verviétoise d’archéologie et d’histoire, 1946, t. 33/2, p. 43-45
Liste nominative de 1031 citoyens proposés pour la Croix de Fer par la Commission des récompenses honorifiques (p. 1-129) dans Bulletin officiel des lois et arrêtés royaux de Belgique, n°807, 1835, t. XI, p. 44-45