Greiner Adolphe

Socio-économique, Entreprise

Bruxelles 07/12/1842, Seraing 20/11/1915

En septembre 1913, Adolphe Greiner est au sommet de sa carrière. Depuis qu’il a été engagé par la jeune « Société anonyme pour l’Exploitation des Établissements de John Cockerill », il y a près de 50 ans, cet ingénieur n’a cessé de prendre des responsabilités au sein de la société, et a conduit les établissements sidérurgiques sérésiens à l’apogée de leur développement, tant en termes de production qu’en termes de rendement. L’Ixon and Steel institute ne s’y trompe pas, quand il lui décerne la Médaille d’Or Bessemer ; il s’agit de la plus haute récompense à laquelle peut aspirer un ingénieur, d’autant que ce sont ses pairs qui décident de son attribution et, par la même occasion, de sa désignation à la présidence de l’association (en mai 1914). La presse de l’époque compare alors Adolphe Greiner à Andrew Carnegie : ils sont les rois de l’acier. Plus encore qu’au nom de John Cockerill, c’est à celui d’Adolphe Greiner que les aciéries liégeoises doivent d’avoir participé à la mutation technologique qui contribue à faire de la Wallonie, à l’entame du XXe siècle, l’une des plus grandes puissances du monde.

Pas plus que l’Anglais Cockerill, Adolphe Greiner ne peut se prévaloir de la nationalité belge à sa naissance. Son père, Gustave, est originaire de Saxe. Il est arrivé en Belgique dans le sillage du nouveau roi, Léopold Ier. Anciens maîtres-verriers, les Greiner servent désormais le roi des Belges, Gustave, homme de confiance, gérant notamment les biens personnels du roi, sous la responsabilité de son frère Adolphe Greiner, comptable principal. C’est donc dans un milieu très particulier que grandit le jeune Adolphe, accomplissant ses études à l’Athénée de Bruxelles, avant d’entrer à l’École des Mines de Liège, annexée à l’Université (1859-1864). À peine diplômé, l’ingénieur est recruté par Gustave Pastor, sur le conseil du fils de ce dernier. Dans le même temps, le jeune Grenier opte pour la nationalité belge.

Ingénieur chimiste chargé de l’analyse des aciers, il entame sa carrière dans les usines Cockerill à Seraing au moment où Henry Bessemer vient d’inventer un nouveau procédé de fabrication qui va révolutionner la sidérurgie. La méthode Bessemer date de 1863. Envoyé en Angleterre pour l’étudier, Greiner met son talent au service de l’usine sérésienne : rapidement, la nouvelle technologie est maîtrisée, fonctionne et donne des résultats immédiats. Promu chef du département des aciéries (1869-1887), Greiner perfectionne sans cesse les processus de production ; il introduit le procédé Thomas. En quelques années, les gains de fabrication enregistrés sont multipliés par 100 ; et ce n’est pas fini.

En 1887, Greiner succède au baron Sadoine et à Delloye-Mathieu à la direction générale des aciéries Cockerill de Seraing et contribue, par ses connaissances, son implication au travail, son ouverture à l’innovation et des investissements judicieux, à une expansion plus grande encore. Par exemple, le laitier résiduel de la fusion est récupéré pour fabriquer des briques ; les gaz des hauts fourneaux et des fours à coke sont eux aussi récupérés et valorisés ; quant à l’énergie électrique, elle tend à se généraliser dans tous les secteurs ; le premier four électrique est ainsi construit.

Désigné administrateur de la Société Cockerill en 1902, Greiner dispose d’un réseau de contacts qui s’étend à l’international et touche tous les milieux. Au début des années 1880, il lance l’idée d’un « Syndicat international des rails » ; en 1884, c’est le « Syndicat belge des rails » qui voit le jour et qui confie sa présidence à Greiner ; vingt ans plus tard, naîtra le comptoir des Aciéries (1905), tandis que se constitue aussi l’Entente mondiale entre les producteurs (1904). Par ailleurs, il siège au sein du Conseil supérieur de l’Industrie et du Commerce, dont il préside le comité central, et il a fait partie de la commission organisatrice de l’Exposition universelle de Bruxelles, en 1897. Président de la Fédération pour la défense des intérêts belges à l’étranger, il préside aussi l’Union des constructeurs de locomotives, la Société géologique et minière des ingénieurs et des industriels, l’Association des Ingénieurs de Liège et la Société belge des Ingénieurs et des Industriels.

Non content de répondre aux demandes, le directeur général de la SA John Cockerill suggère et anticipe. En cas de guerre européenne, le gouvernement belge entend que les forts à construire soient munis de plaques de blindage et que des canons soient disponibles : des commandes sont passées à Cockerill. Dans la construction navale, Cockerill qui a installé des ateliers à Hoboken construit les malles-poste pour la ligne Ostende-Douvres, qui se permettent de battre des records mondiaux de vitesse ; d’Hoboken partent aussi des commandes pour les colonies et la Russie. Des fours Martin-Siemens qui ont fait leurs preuves à Seraing sont commandés et l’entreprise dirigée par Grenier se charge de les installer à l’étranger.

Administrateur des Charbonnages liégeois en Campine et de l’Usine à Tubes de la Meuse, président de l’Union des Charbonnages et Usines métallurgiques de la Province de Liège, Greiner contribue par ailleurs à l’installation des usines de la société métallurgique La Dniéprovienne et des Charbonnages du Centre du Donetz (Russie) ; administrateur-fondateur de la Géomines (1910), il s’attaque à la prospection de gisements d’étain dans l’est du Congo (Greinerville) et exploite le bassin houiller de la Lukuga (1912) ; en Espagne, il fonde les Altos Homos Iron and Steel Works pour l’exploitation des mines de fer de Biscaye ; la Chine est aussi son terrain de jeu à partir de la fin du XIXe siècle ; partenaire dans la construction des chemins de fer, il dispose sur place de spécialistes qui prospectent les ressources disponibles.

Ses préoccupations sociales et morales sont aussi à mettre en évidence, même si la formation et la bonne santé du personnel ouvrier contribuent à la qualité de la main d’œuvre employée. En plus de l’organisation d’écoles industrielles, de la réalisation d’un hôpital, d’un orphelinat et de bains douches pour les charbonnages, ce sont des caisses d’épargne et de solidarité qui sont créées, de même que la Mutuelle des Ouvriers de la Société Cockerill et une caisse de pension pour les employés et les ouvriers. À partir de 1912, une Fondation Greiner (créée au lendemain du Jubilé Greiner) octroie des bourses d’accès aux études aux fils d’ouvriers, tandis que le Foyer du Rivage favorise l’accès au logement.

Fêté pour ses 25 années à la tête de la SA John Cockerill, Adolphe Greiner remercia tous ceux qui lui avaient rendu hommage en particulier « le personnel des ouvriers de Cockerill [qui] est la gloire de nos établissements et l’honneur de la Wallonie. On peut demander tout ce qu’on veut aux ouvriers wallons, ils sont toujours prêts » (juillet 1912).

Que seraient devenues les installations sérésiennes si l’invasion allemande n’avait mis un terme à la structure de production que Greiner avait patiemment mise au point ? Emporté par la maladie, après avoir été arrêté pour avoir refusé de travailler au profit de l’occupant, Adolphe Greiner n’évite pas totalement le spectacle du pillage et de la dévastation de « ses » usines. Sur le modèle paternel, Léon Greiner s’emploiera à tout reconstruire après l’Armistice, et à étendre encore ce qui, à la veille de la Grande Guerre, était déjà le plus grand complexe métallurgique du monde.

Léon Greiner succèdera aussi à son père à la tête de l’association des Chercheurs de Wallonie, la première à inscrire dans ses statuts la protection des paysages. Adolphe Greiner en était devenu le président en 1907, soit deux ans après avoir pris part activement à la première Fête des Arbres à Esneux (1905). Président de la Société d’ornithologie de Seraing, il était encore un grand collectionneur d’oiseaux de différentes espèces. L’aide de ce véritable capitaine d’industrie fut précieuse dans le succès de l’Exposition universelle organisée à Liège en 1905 ; il faisait aussi partie du Comité d’honneur du Congrès wallon, en 1905, et assista à ses séances.

Sources

La Meuse, 2 juillet 1912 ; Le Petit Bleu, 9 septembre 1913 ; La Meuse, 10 septembre 1913 ; L’Indépendance belge (Angleterre), 30 novembre 1915 ; Le Progrès, 1er décembre 1915
Albert DUCHESNE, dans Biographie nationale, t. 34, col. 259-264
Benjamin STASSEN, La Fête des Arbres - 100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005), Liège, éd. Antoine Degive, 2005, p. 11, 33
Suzy PASLEAU, John Cockerill. Itinéraire d’un géant industriel, Liège, éd. du Perron, 1992, p. 143-158
Robert HALLEUX, Cockerill. Deux siècles de technologie, Liège, éd. du Perron, 2002, p. 130-131
Suzy PASLEAU, dans Ginette KURGAN, Serge JAUMAIN, Valérie MONTENS, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 331-332
Christine RENARDY (dir.), Liège et l’Exposition universelle de 1905, Bruxelles, La Renaissance du livre, 2005, coll. « Les Beaux livres du Patrimoine »