Grégoire-Joseph Chapuis

 

Verviers 12/04/1761, Verviers 02/01/1794

Les figures de martyr ne sont pas légion dans l’histoire de la Wallonie. Le sort réservé à Grégoire Joseph Chapuis le range cependant dans cette catégorie car, lors de la seconde restauration autrichienne, au moment où est rétabli le prince-évêque de Liège François-Antoine de Méan, il est arrêté et condamné à mort pour sa participation active aux événements qui agitèrent la principauté de Liège en général, la bonne ville de Verviers en particulier, aux temps de la Révolution. Le 2 janvier 1794, il est décapité.

Après des études complètes au collège des Récollets, à Verviers, le jeune Chapuis est incité par son père, « chirurgien », à suivre son exemple ; à l’été 1778, il part pour les Provinces-Unies rejoindre le régiment des Dragons wallons à Bréda, où il apprend concrètement le métier (1778-1782) ; après quelques mois à Verviers, il passe une année à Paris (1784-1785) au cours de laquelle il se spécialise dans l’art des accouchements. À son retour au pays, il est admis par le Collège des Médecins de Liège à exercer dans les campagnes du pays de Liège comme maître en chirurgie, accoucheur juré (1787), s’inscrivant ainsi, comme ses deux frères, dans les pas paternels.

Quand la Révolution française gagne la principauté de Liège, on retrouve Grégoire J. Chapuis en retrait par rapport aux plus téméraires. Co-fondateur de la Société patriotique et humaine, il se fixe comme double objectif de secourir les pauvres et de propager l’instruction. Pendant de longs mois (printemps-automne 1790), il sensibilise la population aux idées des Droits de l’Homme et l’informe de l’évolution des événements afin que chacun soit bien conscient de ses droits. Partisan à la fois de l’ordre et de la liberté, fervent catholique, Grégoire Chapuis n’exerce pas de responsabilité durant la première révolution, contrairement à son frère aîné, Jacques Hubert Chapuis, qui, lors de la première restauration autrichienne et sous le prince-évêque César-Constantin de Hoensbroeck, est banni à perpétuité pour avoir exercé une magistrature.

Lorsque la France républicaine conduite par Dumouriez annexe la principauté (automne 1792), la ville de Verviers « reconquise » s’organise selon les lois de Paris. En janvier 1793, Grégoire Chapuis est élu conseiller municipal par de nombreux électeurs (7e score) et devient l’un des quatre membres du Comité de surveillance, fonctions qu’il n’exerce que quelques semaines (mi-janvier-début mars 1793). Très vite en effet, les Autrichiens reprennent le dessus ; le dernier prince-évêque, François de Méan, est rétabli à son tour dans ses fonctions. Il promet une amnistie générale (mars 1793) et Chapuis ne prend pas la route lointaine de l’exil. Se pensant en sécurité dans son foyer, il reprend même ses activités de chirurgien. Mal lui en prit. Fin mars, il est arrêté, emprisonné, transféré à Liège et, le 30 décembre, condamné à mort, pour sédition et trahison. Dans les trois jours, comme le veut la loi, la sentence est exécutée. Il est décapité sur la place du Sablon, à Verviers, le 2 janvier 1794. Il est ainsi le dernier condamné à mort de l’Ancien Régime, selon la formule de Freddy Joris, en tout cas l’un des derniers, dans la mesure où Jean-Denis Bouquette et Augustin Behogne connaissent le même sort, à Huy, en mars 1794.

Si un hommage lui est rendu durant les premières années qui suivent sa disparition, l’oubli s’installe et la place où il a été exécuté est même rebaptisée place des Récollets. Dans le dernier quart du XIXe siècle, lorsque libéraux et catholiques s’affrontent durement, la figure du martyr Chapuis est extirpée du passé, certains auteurs le transformant en une sorte de saint laïc, étendard du libéralisme. Ainsi Chapuis est-il au cœur d’un drame en quatre actes et en vers écrit par Émile Bauvin ; ensuite Joseph Demoulin lui consacre un poème et l’exalte comme un Saint-Just verviétois. L’une ou l’autre biographie avaient déjà paru quand un Comité spécial se met en place à Verviers pour organiser un concours littéraire et surtout élever un monument à la gloire du martyr. Le Comité rassemble des personnalités libérales de Verviers, certaines actives dans l’industrie, et Thil Lorrain est chargé d’écrire une forte biographie, qu’il intitule Le Docteur martyr. En 1875, les autorités de Verviers renomment le lieu de l’exécution en place du Martyr et, en octobre 1880, un monument est érigé en mémoire de Chapuis, « mort pour l'indépendance du pouvoir civil ».

C’est dans cette atmosphère quelque peu enfiévrée que se développe une vie légendaire de Chapuis. On lui prête une série d’attitudes et de réalisations qui ne lui reviennent pas. Ainsi est-ce son neveu – parfait homonyme (1782-1849) – et non lui qui sera le premier chirurgien à pratiquer une césarienne en région verviétoise (1810). Ainsi est-ce principalement son frère, Jacques Hubert, qui a véhiculé, défendu et appliqué fortement des idées révolutionnaires. À aucun moment, il n’a été bourgmestre de Verviers. Concernant sa fonction de conseiller municipal, elle l’a conduit à devoir célébrer un contrat civil (et non un mariage civil), acte que certains de ses biographes ont interprété comme le signe de son engagement en faveur de la sécularisation de toute la vie sociale. Quant à son exécution, elle ne semble pas avoir été faite à la hache, mais au sabre à lame de damas.

Le rétablissement des faits autour de Chapuis doit-il conduire à le considérer comme un homme modéré, que seul un contexte singulier et oppressant a conduit à commettre des actes « extrêmes » ? Forcément les pièces de la défense, récemment exhumées, y invitent. Il n’en reste pas moins que sa condamnation à mort est motivée par une série d’actes jugés « révolutionnaires » par les tenants de l’Ancien Régime, dont deux indéniables : avoir contribué (en tant que scrutateur lors du vote à l’unanimité du 6 janvier 1793) et être partisan du rattachement du marquisat de Franchimont à la France ; avoir exercé des fonctions municipales (Comité de surveillance) sous le régime français.

Paul BERTHOLET, Grégoire Joseph Chapuis. Du mythe à la réalité. Étude critique d’épisodes de la vie de Chapuis rapportés par ses biographes, dans Bulletin de la Société verviétoise d’Archéologie et d’Histoire, Verviers, 2018, vol. 81, p. 5-277
Freddy JORIS, Mourir sur l’échafaud, Liège, Cefal, 2005, p. 18
Philippe RAXHON, La Figure de Chapuis, martyr de la révolution liégeoise dans l’historiographie belge, dans Elizabeth LIRIS, Jean-Maurice BIZIÈRE (dir.), La Révolution et la mort : actes du colloque international, Toulouse, 1991, p. 209-222
Jacques-Henry DE LA CROIX, Pages d'histoire verviétoise : notice historique & critique sur la famille Chapuis. Généalogie & histoire de cette famille, Verviers, 1946
Gustave DEWALQUE, Grégoire-Joseph Chapuis, dans Biographie nationale, 1872, t. III, col. 432-435
THIL-LORRAIN, Le Docteur Martyr, 1876
Chapuis, aux éditions Irezumi, 2008
Chapuis, aux éditions Vieux-Temps, s.d.
Exposition « Autour de Grégoire-Joseph Chapuis », Musée des Beaux-Arts de Verviers, septembre 2015
Frédéric MARCHESANI, Grégoire-Joseph Chapuis, martyr de la Révolution liégeoise, dans , Trésor de Liège, Bloc-notes n°37, décembre 2013, p. 15-16

Paul Delforge, novembre 2021